Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

X

LA PASSE-VOGUE

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 À l'aube, la diane stridente sonna le réveil. Après le déjeuner, deux galères, au bruit cadencé de leurs rames, passèrent à côté de la Favorite. Claude remarqua que les galériens portaient des casaques et des bonnets bleus.
- Celle-ci, c'est la Commandante, dit Capucin, l'autre est la Grande-Réale. Vois-tu ces types ? Ils sont plus beaux que nous. Moi, j'échangerais bien contre ce drap bleu ma livrée de singe !

Un coup de sifflet aigu, prolongé, interrompit Capucin. Aussitôt les forçats se dépouillèrent de leur casaque et de leur chemise. Puis un second coup retentit. En un clin d'oeil, tous furent debout, un pied sur la pédagne (grosse barre de bois attachée à la banquette), l'autre sur le banc. La vogue commençait. Ils saisirent leur manille puis s'allongeant, les bras tendus, ils poussèrent la rame jusque sous le corps de leurs camarades du banc voisin. D'un énergique effort, ils la levèrent puis, d'un seul coup, avec un ensemble parfait, les cent cinquante rames frappèrent la mer. Ensuite, se précipitant en arrière, les galériens retombèrent assis, dans leur banc. Il fallait, pour observer le mouvement, une attention soutenue. Si le coup manquait, les six malheureux allaient se casser la tête contre la rame qui voguait derrière eux.

Impossible d'imaginer exercice plus pénible, plus éreintant que le maniement de ces rames formidables. Un quart d'heure ne s'était pas écoulé que Claude comprenait le sens du dicton populaire : « Travailler comme un forçat ».

La Favorite s'étant laissée distancer, les sous-comites se mirent en devoir d'accélérer le mouvement. Armés de cordes ou de nerfs de boeufs, ils parcouraient le coursier et les coups pleuvaient comme grêle. Les officiers-majors, froissés de ce que leur galère ne tint pas son rang, criaient de redoubler les coups. Et ce ne fut pas une heure ou deux seulement, mais huit heures consécutives, que dura cette atroce fatigue. Quand, enfin, le comite ordonna la demi-vogue qui reposait alternativement la moitié de la chiourme, Claude s'affaissa sur son banc, à demi-mort de fatigue. Capucin lui mit une main sur l'épaule, encourageant, paternel :
- Tu t'habitueras, camarade. Dans ce monde, on s'accoutume à tout !
- Est-ce souvent, demanda le Cévenol, qu'on nous impose de telles corvées ? Je n'en puis plus !
- Oh ! reprit le Capucin, la première fois, on se dit qu'on tiendra une demi-heure, pas plus. Et l'on finit par supporter des vogues de dix à douze heures. Même une fois, fuyant un corsaire qui nous donnait la chasse, nous avons fait, sans un moment d'arrêt, une vogue de vingt-quatre heures. Même les plus forts défaillaient, tombaient. Pour nous tenir debout, on nous mettait dans la bouche des biscuits trempés dans le vin. Et les cordes claquaient, et les comites hurlaient... C'était épouvantable !

Le visage d'un galérien, enchaîné à quelque distance, avait vivement frappé Claude. Il demanda son nom. On lui répondit Mauriac. C'était un jeune homme élancé, à l'air délicat, au front noble sous son infamant bonnet rouge. Sa tournure distinguée, son regard profondément triste lui rappelèrent Augustin d'Arville. Un jour que le jeune inconnu promenait autour de lui son regard chargé d'horreur et d'appréhension, Claude rencontra ses yeux. Il lui sourit et lui fit de la tête un signe amical. Immédiatement les traits assombris s'illuminèrent, les yeux mornes brillèrent d'un étrange éclat. Il avait reconnu un frère d'infortune. À travers la distance, ces deux coeurs s'étaient parlé.

La vogue fut, ce jour-là, particulièrement rude. Elle dura de longues heures. C'était plus que Mauriac n'en pouvait supporter. Claude qui l'observait vit qu'il avait le visage crispé, la respiration haletante, l'écume à la bouche. Soudain, il lâcha la rame et s'affaissa sur le banc. Sa défection fut vite remarquée. Armé de la terrible corde, le sous-comite s'approcha et frappa les épaules nues à coups redoublés. Comme il ne se relevait pas, le barbare s'acharna sur sa victime, hurlant et vociférant. Pour finir, il appela les argousins. Claude vit le corps du jeune homme couché en travers sur le banc, la tête pendante, probablement évanoui. Il vit l'un des argousins le déchaîner, l'autre apporter un boulet qu'on lui mit aux pieds. Un cri d'horreur s'échappa de sa poitrine, se perdit dans le fracas des rames. Les argousins soulevèrent le corps inerte et, d'un geste brutal, le jetèrent à la mer. Aussitôt un marinier prit la place laissée vide et la galère vogua, et les manoeuvres s'opérèrent comme si rien ne s'était passé. Aucun des forçats n'avait l'air surpris ni scandalisé de cette scène atroce. Elle rentrait dans le train journalier de leur existence. Ils en avaient vu bien d'autres !
Le soir pourtant, Claude surprit cette réflexion d'un camarade :
- Le pauvre Mauriac, il est au repos. Nous, on sait pourquoi on est là. Mais lui, qu'avait-il fait ?

Souvent déjà, Claude avait examiné de loin ses compagnons de galère, cherchant des visages connus. On avait échangé quelques signes. Un jour, il tressaillit en entendant son nom. On l'interpellait en langue d'oc, le dialecte familier des Cévennes.
- Noguier, c'est toi !

Un petit groupe de forçats passait sur le coursier, s'en allant à quelque besogne.
- Pierre Mazel, mon ami, mon bon camarade ! s'exclama-t-il en se redressant.

Un homme à physionomie ouverte, déjà grisonnant, se tenait devant lui. Les deux amis se donnèrent une énergique poignée de main. Mais à peine purent-ils échanger quelques paroles. L'argousin donna l'ordre de marcher.
- On se reverra ! fit en se retournant Pierre Mazel.

Claude se sentit chaud au coeur. Il n'était plus seul. D'ailleurs il le savait, il y avait en ce moment sur les galères de Marseille plusieurs centaines de forçats huguenots, des compatriotes, des frères qui enduraient les mêmes souffrances et combattaient le même combat. Et plusieurs ne portaient-ils pas sans défaillance, depuis quinze, vingt et même trente années, leur lourde chaîne ?...




Après plusieurs semaines où l'escadre, soit complète, soit par unité, n'avait fait que croiser au large des côtes, inquiétant par des coups de canon la rive italienne ou refoulant vers l'Espagne quelque vaisseau corsaire, Claude fit à haute voix cette réflexion :
- Pour les millions de livres que la cour y consacre chaque année, les galères me semblent d'une mince utilité !
- Au contraire, leur utilité est grande ! répliqua sentencieusement Capucin. D'abord, elles servent de déversoir à tous les scélérats du royaume. Et puis, elles en sont l'épouvantail. La prison, la roue, la potence, l'échafaud ne les épouvantaient pas suffisamment. C'est pour ça qu'on inventa la galère !

À la fin d'août cependant, survint un incident dont l'équipage de la Favorite devait garder longtemps le souvenir. Trois galères faisaient un tour dans la haute mer. Bientôt à l'horizon l'on aperçut deux vaisseaux en panne, surpris par la bonnasse. L'un avait tout l'air d'un gros navire marchand, l'autre une frégate, devait lui servir d'escorte.

Les vaisseaux, éloignés l'un de l'autre d'une demi-lieue environ, portaient le pavillon anglais. Le navire, paraissant une proie facile, on assembla le conseil de guerre au milieu de la jubilation des équipages. Il fut décidé que les galères, à force de rames, s'approcheraient de trois côtés, l'abordage se ferait vivement et le navire, trop lourd pour être remorqué, serait livré au pillage. La Favorite devait l'éperonner au flanc. Tous les canons furent chargés. Déjà grenadiers et soldats, debout sur la rambade, se préparaient à l'abordage, le sabre nu et la hache d'arme à la main. Le navire apparemment était en grande détresse, son équipage, terrorisé par ces préparatifs menaçants, se tenait coi. De ses flancs, deux canons à courte portée lancèrent leur feu, sans atteindre les galères. Ces décharges misérables excitèrent l'hilarité des officiers de la Favorite.

Capucin, sans cesse, tournait vers le navire ses yeux gris, perçants et inquisiteurs.
- Tout ça, bougonnait-il entre ses dents, ne me dit rien de bon ! Regarde un peu, camarade, vers la poupe, toutes ces toiles, tous ces chiffons ! Dirait-on pas qu'ils cherchent à se déguiser ? Et pas un chat sur le tillac ! Je me méfierais, moi ! Les Anglais sont des tout rusés ; ils ont trente-six mille tours dans leur sac ! Et not'capitaine qui n'a même pas envoyé le brigantin en reconnaissance !

Au coup de sifflet du comite, soudain, des clameurs s'élevèrent. Ces hurlements de plusieurs centaines de galériens, remuant leurs chaînes, avaient quelque chose d'effroyable. Jugeant l'équipage ennemi suffisamment affolé, le commandant les somma d'amener leur pavillon. Mais la réponse fut autre que ce qu'on attendait. À l'instant où la Favorite le touchait de son éperon, il se passa quelque chose d'inouï.

Le navire ouvrit ses sabords. De toutes les écoutilles, un flot noir d'officiers et de soldats envahit le tillac. Des mariniers actionnèrent leurs palans. Le navire marchand, démasquant ses canons, se métamorphosa soudain en un formidable vaisseau de guerre dont les décharges d'artillerie, rasant le pont des galères, abattit leurs mâts, faucha leurs agrès, mitraillant, hachant les galériens aussi bien que les officiers et soldats massés sur leurs galeries. Ce fut un moment de panique indescriptible.
Seul le capitaine ne perdit pas la tête. Voyant se lever les terribles engins qui allaient harponner sa galère : « Je fais sauter la soute à poudre ! » cria-t-il d'une voix qui domina le fracas de la mitraille.

Cette menace eut son effet. La manoeuvre s'arrêta. Aussitôt, le sifflet du comite ordonna la contre-vogue. Virer de bord eût été trop périlleux ; la Favorite, sous une épaisse fumée, fit machine en arrière. Pour comble de malchance, le vent commençait à souffler et, de l'horizon noir et menaçant, la frégate, tendant ses voiles, venait à la rescousse du vaisseau de guerre. Ce fut un sauve-qui-peut général. Le temps manquait pour déchaîner les galériens blessés ou morts, mais ils furent promptement remplacés par des mariniers de rame. Alors commença la plus terrible passe-vogue (ou vogue-forcée) qu'eussent jamais endurée les forçats des trois galères. Il s'agissait de gagner, avant la nuit, les bancs de sable où les navires ennemis, vaisseaux de haut bordage, ne pourraient les suivre. Dans la passe-vogue, on doublait la rapidité du mouvement. Pendant des heures et des heures, la chiourme, éreintée, tenue en haleine par le claquement des cordes, rama désespérément. Enfin, vers dix heures les galères purent jeter l'ancre en lieu sûr. Les argousins portèrent les blessés dans la cale, déchaînèrent les morts, tandis que de robustes Turcs les lançaient à la mer. Chicot et deux camarades furent retirés par lambeaux de la banquette, où ils s'étaient effondrés.
- Les veinards ! haleta Capucin, étirant l'un après l'autre ses membres endoloris.

Mouillés jusqu'aux os, couverts d'écume, de sueur et de sang, les forçats furent incapables, tant ils étaient harassés, de remettre leurs hardes. Ils s'affalèrent, s'accroupirent comme ils purent, à demi nus, pour dormir.

Claude n'avait pas été touché par la mitraille. Mais, comme ses camarades, il était brisé, absolument anéanti. La seule prière qu'il put articuler fut ce cri vers la Puissance infinie : « O Dieu, aie pitié de moi ! » Sa tête retomba sur le coursier, ses paupières alourdies se fermèrent et, d'un seul trait, il dormit jusqu'au matin.





XI

NOEL


C'était la veille de Noël. Elisabeth, comme de coutume, s'était retirée dans sa chambre. Devant elle était un livre qu'elle ne lisait pas. Plus que jamais, en cette soirée qui lui rappelait tant de souvenirs, elle s'abandonnait à ses pensées déprimantes. Elle avait eu, l'après-midi, la visite du Père Charmes. Il venait souvent. Voyant la jeune fille si seule, si découragée, il s'efforçait de la consoler. Elle sentait chez le Dominicain une droiture parfaite jointe à une grande bonté. Mais les circonstances étaient adverses. Entre elle et lui se dressait le souvenir de son père, de son frère, de tous ces captifs gémissant dans les chaînes, de tous ces martyrs que d'indignes représentants de son Église avaient mis à mort. Les exhortations du prêtre ne portaient pas coup, ses arguments ne la convainquaient pas. Comme elle s'absorbait ainsi dans son chagrin, on vint lui dire qu'un jeune garçon inconnu demandait à lui parler. Elle reconnut Daniel Paysac. Il tira de son manteau une lettre qu'il lui remit mystérieusement.

De Marseille, dit-il à demi-voix. Il y en avait une aussi pour nous. Ma mère et Jeanne vous envoient leurs bons voeux pour Noël.
Sentant à l'autre bout du corridor, Mme des Coudrets, dissimulée dans l'embrasure d'une porte, Elisabeth se hâta de glisser la lettre dans son corsage. Elle venait d'éprouver comme un choc magnétique. Son coeur battait avec force, soulevé tout à coup par une vague d'amour et de joie. Elle s'enfuit chez elle, mais craignant d'éveiller les soupçons de la gouvernante, elle ne ferma pas sa porte à clef. Elle se contenta de placer devant elle son ouvrage de broderie et d'entr'ouvrir le tiroir, où, en cas d'alerte, la lettre disparaîtrait rapidement.
Elle la tint quelques instants dans sa main, contemplant l'adresse. Cette grande écriture si ferme, si droite, elle la connaissait bien. Après y avoir posé ses lèvres, elle brisa le cachet. Claude commençait par s'excuser respectueusement de la liberté qu'il prenait de lui écrire.

« J'ai appris, lui disait-il, par les Paysac, la nouvelle épreuve qui vous a frappée, la mort de Mme des Ponts-Marceaux. Et je viens, par ces lignes, vous exprimer ma vive, ma profonde sympathie. Cette noble femme était une sainte, un ange de bonté et de charité. Notre vallée en gardera longtemps le souvenir. Je comprends le vide immense que ce deuil doit creuser dans votre vie. Si vous pouviez vous en rendre compte, vous sentiriez que mes pensées, sans cesse, vous entourent avec l'ardent désir d'adoucir quelque peu votre poignant chagrin. Est-ce une illusion ? Quand les pensées se changent en prières, ne peuvent-elles donc pas retomber en consolations divines, communiquer une force, couvrir de leur égide ceux que nous aimons ? »

Il lui donnait ensuite quelques détails sur la galère et sa vie quotidienne. En termes plaisants, il lui racontait l'attaque du navire marchand mué soudain en vaisseau de guerre. Bien qu'il ne se plaignît pas, Elisabeth devina, pressentit toute l'horreur de son existence de forçat.

« C'est un honneur et un privilège, ajoutait-il, que d'être appelé à souffrir pour la vérité. Nous sommes plusieurs centaines de forçats huguenots actuellement aux galères de Marseille. Dans un siècle de despotisme, notre rôle, à nous, est de proclamer l'inviolabilité de la conscience, ce domaine sacré qui ne relève que de Dieu seul. Pauvres êtres à l'esprit prompt mais pétris de faiblesse, que sommes-nous pour cette haute mission ? Ah ! demandez à Dieu qu'il nous revête de sa force et empêche notre foi de défaillir. L'Eglise romaine a étouffé la voix de nos pasteurs : peut-être le bruit de nos chaînes sera-t-il entendu.

« Sur la galère, il est difficile d'écrire et plus encore d'expédier les lettres, car les aumôniers font autour de nous une garde serrée afin d'empêcher toute communication avec le dehors. Ils n'ont cependant pas pu empêcher le bruit de l'insurrection d'arriver jusqu'à nous. Nous savons que les Cévennes se sont levées en armes pour faire entendre devant la cour et devant l'Europe nos justes revendications. Mais nous savons aussi que le maréchal de Montrevel, à la tête d'une formidable armée, marche contre nos frères pour les écraser. Nos ennemis ont pour eux le nombre, mais, comme le dit notre psaume des batailles : « Que Dieu se montre seulement... et toute leur puissance fondra comme cire au feu. Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? C'est en lui seul, n'est-ce pas, que nous voulons mettre notre confiance.

« Je suis si loin d'être ce que je voudrais. L'un de mes compagnons, aux galères depuis vingt ans, m'étonne, me frappe d'admiration par sa parfaite maîtrise de lui-même. J'ai appris, me disait-il un jour, que la vraie liberté consiste à être affranchi du péché.

« Son nom est Elie Neau. Que j'en suis encore loin, moi, avec mon caractère emporté, mon coeur si souvent bouillonnant de colère ou de révolte. Parfois, le soir, je regarde, dans la constellation de la Lyre, la brillante étoile de Véga. Alors je pense à vous et prie pour vous. Petite soeur bien-aimée, voulez-vous le faire aussi pour moi ?

Tandis que nos regards s'élèveront ensemble vers l'étoile, nos coeurs et nos pensées se rencontreront en Dieu. »

La lecture de cette lettre remua jusqu'en ses profondeurs l'âme d'Elisabeth. Immédiatement, elle prit la plume et, poussée par un irrésistible besoin d'expansion, elle y répondit. Les pensées de tendresse profonde, infinie, voilée cependant sous la réserve des termes, coulaient de sa plume. Elle écrivait rapidement, lorsqu'un coup fut frappé à sa porte. Vite, elle fit disparaître sa correspondance. Mme des Coudrets venait lui proposer de l'accompagner à la messe de minuit.
- Merci, dit Elisabeth. J'aime mieux fêter Noël ici, avec mes chers disparus. Je les sens plus près qu'à l'église, dans une foule étrangère et indifférente.
- Vous avez tort. À votre âge, la solitude ne vaut rien. Allons, faites un effort et venez avec moi !
- Merci. Je vous assure que je n'ai ce soir aucune impression de solitude. Allez et ne vous inquiétez plus de moi !

Mme des Coudrets referma doucement la porte. Elisabeth acheva sa lettre. Puis, ne sachant comment l'expédier, elle l'enferma dans son tiroir. Une fois encore, lentement, s'arrêtant à chaque ligne, elle relut la lettre de Claude. Non, elle ne se sentait plus seule. Une myriade invisible d'amis, de frères, d'esprits tutélaires l'environnait. Comme un enfant qui sourit à travers ses larmes, elle s'endormit apaisée et délicieusement consolée par la douce joie de Noël.

Que puis-je faire pour lui ? se demandait Elisabeth les jours suivants. La réponse ne tarda point à venir. Un soir, elle prit un morceau de velours bleu foncé, un peu de soie pâle, prépara son dé, son aiguille et se mit à réfléchir. Sur ce velours, quelle devise broderait-elle ? La question était importante. Voulant que ce texte fût un message d'En-Haut, elle pria avant de se mettre au travail. Ces deux mots lui furent donnés : « Tu vaincras » ! La broderie achevée, elle prit quelques-uns de ses longs cheveux, les enfila dans sa fine aiguille et borda chaque lettre d'un léger filet d'or. Un petit portefeuille fut bientôt confectionné. Veillant parfois tard dans la nuit, elle copia d'une écriture très fine les derniers chapitres de L'Évangile de Jean, ceux que Claude aimait. Elle y ajouta quelques passages frappants de l'Apocalypse. Ensuite elle cacha le tout dans un tiroir dont elle enleva la clef. Dès que se présenterait une occasion favorable, elle expédierait son paquet.

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