Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XXI

Prêche aux captifs la liberté.

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L'autorité croyait avoir brisé mon activité comme messager de Jésus-Christ ; elle se trompait complètement. Mon champ d'action n'était que déplacé. Car les hommes ne sont nulle part aussi accessibles à l'Évangile que dans les quatre murs d'une prison. Où, en effet, le désir de libération pourrait-il être Plus grand ? Les murs sombres, les parois dénudées, les fenêtres grillées où filtre une lumière parcimonieuse, accablent les âmes d'un lourd poids de tristesse et de désespoir.

Les premières personnes auxquelles j'eus le bonheur de révéler la liberté chrétienne furent un diacre et le pope qui m'avait succédé dans le souterrain puant. On les avait emprisonnés parce qu'ils ne payaient pas les taxes imposées et parce qu'on les accusait aussi de travailler contre le gouvernement. Nous commençâmes par nous entretenir de la vie éternelle. Quelques jours après se joignit à nous un ecclésiastique de haut rang et de grande culture ; il prit une part active à nos conversations. Nous étions donc quatre. Bientôt les autres prisonniers firent cercle et nous eûmes de vives discussions ; car dans notre cellule se trouvaient quelques communistes emprisonnés pour des fautes disciplinaires. Ils faisaient une contradiction acharnée, mais ils durent reconnaître que le péché est la cause de tout le mal et de toute la détresse du monde actuel. Le soir, quand je me mettais à genoux, tous faisaient silence, tous s'étendaient tranquillement sur leur couche et sans doute plus d'un s'unissait à ma prière.

Les yeux s'appesantissaient, les chuchotements s'éteignaient, et devant les fenêtres, on entendait les pas lourds des sentinelles qui allaient et venaient en leur promenade monotone. Par les fenêtres glissait une faible clarté, et dans le local régnait juste une lueur suffisante pour que les gardiens pussent distinguer si tous les détenus étaient couchés. Car il était sévèrement interdit de s'asseoir pendant la nuit. Je restais couché, éveillé, pensant à mes bien-aimés, et souvent j'avais le coeur bien lourd. Un soir, je sentis bouger quelqu'un à mes pieds.
- Camarade, me chuchotait-on, camarade, est-ce que vous êtes réveillé ?

Tous mes soucis s'évanouirent, car je compris aussitôt que j'avais affaire à une âme angoissée et tourmentée. C'était l'un des communistes. Il me raconta sa triste histoire. D'une voix basse, hésitante et accablée, il me dit :
- Toute ma vie, j'ai cherché le bonheur, sans y parvenir. Finalement, je suis devenu communiste ; je me crus arrivé au paradis ; je pensai avoir atteint ce que je désirais. Mais au lieu que tout aille mieux, tout alla de mal en pis. Autrefois, j'avais l'amour de ma famille et la confiance de mes voisins et de mes parents ; maintenant tout est anéanti ; on ne fait que me craindre, et on a bien raison. Pour finir, me voici en prison. Bien que je vous aie contredit dans la discussion, je sais que tout ce que vous dites est la vérité. Oh ! si seulement je pouvais recommencer ma vie ! Mais personne ne peut venir à mon secours ; j'ai commis tant d'actes irréparables ! Pour moi, il n'y a plus d'espérance possible !
Il poussait de profonds soupirs et on le sentait écrasé sous un poids énorme de remords.
- Le sang de Christ nous purifie de tout péché, lui dis-je à mi-voix. Même si vos péchés sont rouges comme le cramoisi, ils deviendront blancs comme la neige.

À ces mots, je vis çà et là une tête se redresser de dessous les couvertures. Des prisonniers que l'on aurait cru endormis se relevaient à l'ouïe du message après lequel leur coeur soupirait ; leur âme avait un aussi grand besoin de paix que celle du communiste. Dehors, les sentinelles veillaient à ce qu'aucun des occupants de la prison ne recouvrât la liberté. Dans le cachot, des gens se prosternaient devant Dieu, confessaient leurs péchés et acceptaient leur Sauveur et leur Libérateur. Les murs qui, le plus souvent, retentissaient de jurons, de criailleries et de récriminations entendaient des paroles de consolation et de paix. Dans la prison même, je percevais l'ordre du Maître : « Prêche aux captifs la liberté et aux prisonniers la délivrance ».

Comment de telles expériences ne feraient-elles pas exulter de joie, même en prison ? Je passai des heures merveilleuses avec ceux qui avaient trouvé la paix. Nous avions une joie d'enfants en songeant au don ineffable que Dieu nous avait fait, nous chantions des cantiques, nous louions et remercions le Seigneur. Plus de propos grossiers, plus de tristesse ni de désespoir. Le pope et le diacre me disaient souvent :
- Nous sommes heureux d'avoir été mis en prison et d'avoir, grâce à vous, appris à connaître le Christ vivant. Ça été pour nous une merveilleuse école, nous connaissons maintenant Dieu beaucoup mieux et quand nous serons relâchés, nous annoncerons simplement au peuple le vrai Évangile. Quand vous serez de nouveau libre, vous viendrez nous voir et parler dans notre paroisse.

De la maison aussi, je reçus des nouvelles encourageantes. Il nous était permis de nous faire apporter des vivres, et un jour, je trouvai dans un pain blanc un billet disant : « Aie bon courage et réjouis-toi. Vingt-six personnes ont été amenées par ta captivité à se donner à Dieu. On prie beaucoup pour toi ».

Nous pouvions recevoir des visites. Ma fille se risqua à venir me voir. On nous permit de nous entretenir pendant cinq minutes en présence des tchékistes. Ma joie fut grande de revoir l'un des miens après un mois d'emprisonnement.

Le pope et le diacre furent relâchés ; quant à moi, on vint une nuit me chercher pour un nouvel interrogatoire.




XXII

Nouvel interrogatoire.


Le président me reçut très brutalement, et comme je ne me montrais pas assez souple, il me dit :
- Ne savez-vous pas que votre vie est entre mes mains ?
- C'est ce que Pilate dit un jour à Jésus, et il lui répondit : « Tu n'aurais aucun pouvoir s'il ne t'était donné d'En Haut ». Je puis vous dire la même chose. Et si vous ne vous soumettez pas au Tout-Puissant, si vous ne remettez pas à Dieu la direction de votre vie, il vous arrivera comme jadis à Hérode, qui fut rongé des vers.
- Avant qu'ils me rongent, c'est vous qu'ils mangeront, dit-il hors de lui.

Je le priai ensuite de me lire l'acte d'accusation. En voici la teneur :

1. Martens est un homme très dangereux qui exerce une grande et perverse influence sur le peuple.
2. Cet homme est parvenu à se faire délivrer des certificats par les organisations ouvrières et les autorités, et il s'en est abusivement servi pour détourner les masses du communisme et les entraîner à la religion.
3. En tant que prédicateur du mouvement évangélique en Russie, il doit recevoir un sérieux avertissement et une sévère punition.

L'interrogatoire commença. Avec quelques interruptions, il dura huit heures. On me reposa les vieilles questions et finalement le président me demanda :
- Êtes-vous décidé à continuer votre propagande et votre évangélisation ?
- Non seulement je continuerai, mais dans ma prison même, j'ai eu de tels encouragements et de tels sujets de joie que je vais travailler désormais pour Jésus avec des forces renouvelées, que dis-je ? de toutes mes forces, car je suis prêt à vivre et à mourir pour lui. Permettez-moi de sortir de prison deux ou trois jours, le temps d'organiser cinq ou six réunions d'évangélisation. Venez-y, écoutez ce que je dis et rendez-vous compte vous-mêmes de ce que je prêche. Je suis convaincu que vous ne resterez pas deux heures sous l'influence de la Parole de Dieu sans vous sentir poussés à vous jeter aux pieds du Maître des cieux et à L'adorer. L'Évangile de Jésus notre Rédempteur nous donne la joyeuse espérance de la vie éternelle ; elle rend riches les plus pauvres et bons les plus pervers. Permettez-moi de tenter l'expérience.

Comme je continuais à parler dans ce sens avec assurance, il me cria :
- Cela suffit à vous faire condamner. Votre impertinent fanatisme est une maladie contagieuse que nous voulons extirper. Nous venons de commencer à rendre inoffensifs les gens de votre acabit ; nous voulons les empêcher de contaminer le peuple et de l'égarer. Essayez donc maintenant, me dit-il en ricanant et en se promenant de long en large. Essayez d'aller prêcher ! Le pouvez-vous ? Non, vous ne le pouvez plus, vous ne le pourrez plus jamais ! Nous voulons en finir avec vous, vous cesserez de répandre la religion, cet opium du peuple. Vous avez les mains couvertes de sang, vous avez opprimé et exploité le peuple, c'est vous, prêtres et évangélistes, qui nous avez obligés à faire la révolution, pour nous libérer de votre pouvoir ; et il faudra bien que nous vous réduisions à l'impuissance pour toujours.

Je restais silencieux. Pendant une heure et demie, il m'accabla de ses sarcasmes. Quand il se tut, je lui dis tranquillement :
- Pilate et Hérode doivent leur célébrité à ce qu'ils ont fait mourir Jésus. Mais son oeuvre, ils n'ont pu l'anéantir. Christ vit aujourd'hui parmi les hommes et exerce une influence beaucoup plus grande qu'au moment de son existence terrestre. Des millions de croyants se réclament de son nom. Voilà ce qu'ont fait Pilate et Hérode, et je vous le déclare : Vous ne pouvez rien me faire de plus que ce que Dieu permet, et ma captivité même est une prédication.

Ici, il m'interrompit de nouveau :
- Nous avons cependant des faits qui nous montrent que votre exécution n'aurait aucune importance. Nous avons fait disparaître toute une série de vos partisans. Maintenant, ils sont morts et ce n'est pas ces morts qui convertissent personne !
- Ah ! pauvre homme, justement vous ne savez pas ce qui se passe dans le coeur des gens. Tenez, je connais bien X., qui a été injustement mis à mort.
- Comment dites-vous ?... Le gouvernement met injustement des gens à mort ?... Vous attaquez le gouvernement soviétique ! Vous êtes un contre-révolutionnaire.
- Non, je défends mes convictions et celles de mes frères. Moi aussi, je suis prêt à mourir pour Jésus. Les gens dont vous me parlez sont vivants, de la vie éternelle.
- Nous nous débarrasserons de vous autres chrétiens, ça, vous pouvez en être sûr. Même si les autres régimes n'y ont pas réussi, nous y parviendrons.
- Néron était un empereur sanguinaire et plein de rage contre les chrétiens. Il en a fait exécuter, brûler, jeter aux bêtes. Vous n'êtes pas Néron. Notre gouvernement s'est déclaré neutre au point de vue religieux, il nous a donné la liberté religieuse. C'est à lui que J'en appelle et je vous dis en son nom : Vous ne réussirez jamais à extirper le christianisme. Le pouvoir, l'honneur, la vie des gens, on peut les anéantir, mais non l'Évangile de Christ ni ceux qui se réclament de lui.

Alors les trois autres communistes, pris de mauvaise humeur, dirent au président :
- Coupe court à cet entretien ; cet individu a une impertinence ! Nous avons assez de preuves maintenant. Qu'il se contente de répondre aux questions posées et qu'il signe le procès-verbal. Il nous faut remettre l'oiseau en cage, et qu'il y attende notre décision : elle sera assez sévère !

On me demanda encore comment les réveils s'étaient produits. Je racontai, plein de joie, mes tournées missionnaires, et quand j'en vins à dire que les autorités m'avaient procuré une grande salle, ils se levèrent comme un seul homme :
- Qu'avons-nous besoin d'un autre témoignage ? Il a aussi embobeliné les autorités et les a attirées dans ses filets ; il a su mettre la police à son service, et sait-on combien de soldats il a séduits ? Un jour, il les soulèvera contre nous. En peu de temps, il a tourné la tête à des milliers de braves citoyens qui ont abandonné le gouvernement soviétique et se sont ralliés à lui. Que nous faut-il d'autres preuves ?...
- Non, dit le président, nous avons encore d'autres points à élucider.

Et il me demanda :
- Maintenant, vous faites sans doute encore beaucoup d'évangélisation ?
- Oui, répondis-je. Comme je vous l'ai dit, ma prison même est une prédication. J'ai reçu des nouvelles de chez moi : on prie pour moi et on demande au Seigneur de toucher votre coeur pour que vous me rendiez la liberté. J'ai été bien réconforté en apprenant que vingt-six personnes ont été amenées par ma captivité à se convertir, et qu'autrement elles ne l'auraient probablement pas fait.

Le président avait si chaud, qu'il enleva sa tunique, puis il se mit à se promener fébrilement, ne sachant que dire ni que faire. Comment ! J'étais sous les verrous, et c'était là le résultat !
- Bien ! on va vous régler votre compte ; on parviendra bien à se débarrasser de vous.
- Jamais vous ne le pourrez, répondis-je. Se débarrasser de moi, cela veut dire m'ôter la vie ; mais ce que je prêche, jamais vous ne pourrez vous en débarrasser.
- Oui, nous le pourrons.
- Bien, arrêtez donc les vingt-six personnes qui viennent de se convertir, et mettez-les en prison comme moi. Vous verrez que, grâce à elles, une nouvelle série de personnes se convertiront et plus vous en mettrez en prison, plus il y en a qui apprendront à connaître Dieu. Vous n'y pouvez rien, vous êtes tout à fait impuissants en face de l'action de Dieu et de ceux qui ont trouvé en Lui la paix et la vie éternelle.

Le président s'apaisa un peu et me dit ironiquement :
- Mais ici, en prison, essayez donc de tourner la tête aux détenus et de les attirer à vous !
- C'est déjà fait, répondis-je, et j'ai la joie de tenir tous les jours des réunions dans notre cellule, d'y chanter et d'y prier. Même l'un de vos communistes s'est mis à prier.

Voilà de nouveau la bête déchaînée
- Qui est-ce ? Qui est-ce ? Quoi ? Vous faites de la propagande ? Dites-nous son nom !
- Je ne suis pas un traître. Parlez vous-mêmes avec lui, et il vous dira tout.

Puis la conversation s'engagea sur l'éducation des enfants.
- Vous avez aussi tourné la tête aux gosses, et vous égarez sans doute aussi vos propres enfants !
- Mes enfants sont à moi, et je les élève dans la crainte de Dieu. Je ne vous les livrerai jamais, ni moi, ni aucun chrétien convaincu. Nous remercions Dieu notre Créateur de ne pas les voir courir demi-nus le long des voies de chemin de fer et des palissades ; nous remercions Dieu que nos filles ne traînent pas dans les rues et ne mènent pas une vie dévergondée, de ce qu'elles ont au contraire une conduite honnête et décente. À nos enfants, nous ne cesserons de parler de l'Évangile et nous ne nous lasserons pas de les exhorter et de les instruire de la vérité.

Le président montrait beaucoup d'humeur. Il essaya longtemps de me prouver que leurs idées étaient justes. Alors je lui demandai la permission de lui poser une question.
- Mais ne m'interrompez pas ! dis-je.
- Non, non ; demandez ce que vous voulez.
- Êtes-vous satisfaits de la vie que vous menez ? lui demandai-je. Dormez-vous d'un sommeil paisible ? Quelle est votre vie à votre foyer ? J'aimerais vous demander à tous les quatre : Vivez-vous toujours en bonne intelligence avec vos femmes ou vous querellez-vous ? Dites-le franchement. Vos enfants marchent-ils comme vous le désirez ? Vivent-ils conformément à votre programme ou bien intervenez-vous pour les éduquer ? Savez-vous aussi quelle grande prostitution il y a dans les villes et les villages ? Et dans quel état sont les enfants ? Ils viennent au monde avec une lourde hérédité ; leurs parents mènent une vie immorale ; ils traînent dans les rues et y prennent les pires habitudes. Dites-moi sincèrement : trouvez-vous rien de pareil chez les chrétiens ? Pouvez-vous me citer une maison de chrétiens croyants où cela se passe ainsi ?
- Mais oui, nous pouvons vous en donner toute une liste.
- Non, dis-je. Ceux que vous m'indiquez ont été exclus des communautés à cause de leur vie immorale. Ce sont des hypocrites qui se sont mis du côté des impies et n'ont aucune conscience. Aussi n'ont-ils aucune autorité sur leurs enfants. Parmi les Russes vraiment croyants, vous ne trouverez rien de pareil. Si, dans l'État, il n'y avait que des hommes comme cela, on n'aurait plus besoin de police, et la paix régnerait partout.
- Vous enlevez aux enfants la liberté, vous les enfermez comme dans une cage. Nos lois les ont enfin affranchis. Maintenant les enfants ont le droit de se déterminer eux-mêmes et d'interdire aux parents de les maltraiter : l'État les a pris sous sa protection.

Nous parlâmes encore longtemps de ce sujet, pendant que le greffier rédigeait le procès-verbal. Je devais le signer : je ne le fis que sous leur pression, mais j'y inscrivis une réserve : « Telles et telles phrases ne sont pas conformes à la vérité, elles sont rédigées pour m'incriminer, et je les signe sous contrainte ». Le président saisit le procès-verbal, le déchira et en fit rédiger un autre. Ce deuxième ne le satisfit pas davantage et il le déchira aussi ; le troisième, il le jeta de côté. Puis il me fit reconduire en prison. Mais ses collègues s'étaient mis à réfléchir et je remarquai qu'ils me comprenaient mieux et qu'ils inclinaient à la bienveillance à mon égard.

Je ne restai que peu de jours dans mon ancienne cellule. On me transféra dans celle des voleurs. En aggravant ma détention, on voulait sans doute m'« assouplir ».

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