Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XVII

Un baptême dans le Caucase.

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C'est particulièrement émouvant de célébrer un baptême dans le Caucase, au milieu de hautes montagnes et chez un peuple aux moeurs patriarcales. Je me souviens avec une joie singulière d'une scène qui me transporta aux temps de Jean-Baptiste, quand le peuple accourait en foule pour entendre le prophète. Cette scène eut lieu dans la stanitza de L., qui n'avait encore jamais entendu le pur Évangile. J'étais arrivé dans une stanitza voisine où se trouvait une petite communauté, et un frère avait exprimé le désir que nous y fassions une tournée missionnaire. On y envoya deux frères pour préparer le travail, et je leur donnai à porter une requête aux autorités communistes de la localité, leur demandant de mettre une salle à notre disposition. Les communistes croyaient encore à cette époque que nous leur serions utiles pour combattre l'Église orthodoxe et ils nous laissaient grande liberté. On nous loua, pour y tenir nos réunions, la salle la plus vaste de ce grand et beau village cosaque.

J'y arrivai le jour suivant avec un choeur exercé et je présentai mes papiers qui furent trouvés en ordre. La grande salle se remplit d'une foule curieuse et attentive. Le choeur entonna ses beaux chants d'appel. Les cosaques et leurs femmes écoutaient bouche bée ces cantiques inconnus. Bien des gens étaient émus.
Un frère commença la réunion par une petite allocution, puis je pris la parole. Pendant mon discours, un homme se tenait près de la fenêtre, marquant une vive impatience et ne pouvant attendre que j'eusse fini de parler pour placer son mot. C'était un communiste qui dit tout haut à son voisin :
- Je vais poser trois questions à l'orateur et il ne saura me répondre à aucune.

Quelques-uns de ses voisins lui rétorquèrent :
- Ne t'en vante pas trop ! Il aura réponse à toutes tes questions et, pour finir, c'est toi qui deviendras Stundiste. Si tu ne veux pas le devenir, évite de rencontrer l'évangéliste !

Cela lui fit perdre sa belle assurance ; il pensa que l'on pourrait bien avoir raison, et il garda dès lors le silence.
Les filles du pope étaient aussi à la réunion. Toutes saisies, elles vinrent raconter à leur père ce qu'elles avaient entendu. Il en fut très fâché et chercha par tous les moyens à nous dénigrer et à entraver notre campagne. Le lendemain, dans son prône, il protesta contre notre intrusion et déclara que l'Antéchrist en personne avait pénétré dans le village. Mais ses filles se levèrent et protestèrent :
- Notre père est dans l'erreur ! S'il parle ainsi, c'est qu'il n'a pas entendu l'évangéliste.

Il se forma deux camps dans le village ; bon nombre tenaient pour le pope, d'autres pour ses filles, et lorsque le soir arriva, il y avait à craindre que notre réunion ne tournât assez mal, car le sermon de protestation les avait tous excités et les adversaires se proposaient de troubler notre assemblée.

Dans de telles circonstances, il est difficile de trouver le mot et le ton justes. Il y faut plus que l'intelligence et la science humaines ; seul l'esprit de Dieu peut nous donner la sagesse nécessaire. Avant la réunion, je réunis les orateurs pour prier ensemble. Puis je montai à la tribune et je demandai d'ouvrir toutes grandes les fenêtres pour que tous ceux qui croyaient à la Bible pussent s'approcher et entendre. Nos adversaires se pressèrent en foule et toutes les fenêtres se garnirent, car tous voulaient entendre ce que j'allais dire. Je pris une Bible et montrai la croix sur la couverture. Il y avait aussi près de moi une image sainte, je la pris dans l'autre main et je dis :
- C'est de ce Jésus représenté ici, que vous aimez et honorez tant, pour lequel vous êtes prêts à mourir, que vous adorez et que vous mettez au-dessus des rois et des commissaires, c'est de ce Jésus que je veux vous parler. Je veux vous lire à son sujet quelque chose dans ce livre qu'aucun peuple n'aime et n'honore autant que les Russes ; ils ne tolèrent pas qu'on y apporte la moindre falsification. Chacun s'incline avec respect devant ce livre et personne ne va se confesser sans le baiser. Ne vous laissez séduire par personne, mais parlez et agissez comme il est dit dans ce livre.

Alors je lus l'histoire de Nicodème, dans l'Évangile de saint Jean, au chapitre III, et quand j'arrivai au verset : « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle », je leur demandai :
- Est-ce là la vérité ? Dites, chers auditeurs, cela est-il encore valable aujourd'hui ? Que ceux qui le croient lèvent la main !

Comme un seul homme, tous, amis et ennemis, ils levèrent non seulement la main, mais leurs bâtons, en s'écriant :
- On nous a trompés, vous n'êtes pas des impies! C'est bien notre Bible, c'est bien le livre que nous avons à l'église !

Cette réunion fut spécialement bénie, et les entretiens particuliers, après la réunion, durèrent jusqu'au matin. Nous tînmes encore cinq réunions dans cette stanitza, et bien qu'il ne s'y fût trouvé aucun frère auparavant, jamais nous ne manquâmes du nécessaire, ni pour le logement ni pour la table. Différentes personnes nous invitèrent, désirant nous entendre encore. Les conversations duraient souvent jusqu'à l'aube ; la lumière se faisait dans les coeurs, et partout les gens étaient assoiffés de vie éternelle. Malheureusement, il ne se trouve pas assez de gens dévoués, prêts à parcourir le monde comme jadis les apôtres, pour proclamer au peuple dans les villes et les campagnes la bonne nouvelle du salut. Voilà notre grande faute, à nous autres chrétiens, aujourd'hui encore, à l'égard du peuple ignorant.

Cinq personnes de cette stanitza demandèrent à être baptisées, et je les menai au fleuve pour cette cérémonie. C'était un beau jour d'hiver, car la localité est dans une contrée abritée du vent et le soleil y brille tout l'hiver. La rivière qui descend de la montagne était gelée par places, et les glaçons étincelaient au soleil. Les arbres étaient couverts de neige et de hautes montagnes couronnaient la paisible vallée. Le soleil avait vraiment un éclat de fête. Un grand cortège sortit du village, si long qu'on en voyait à peine le bout ; tous étaient là, autorités, femmes, hommes, enfants. Tous désiraient voir ce qui allait se passer. Sur l'autre rive aussi se tenaient des centaines de personnes éparpillées dans les taillis, malgré les cinq ou six degrés de froid.

Pleins d'entrain, nous annonçâmes la parole de Dieu dans ce cadre merveilleux à la lisière de la forêt. Nous n'eûmes qu'à répéter les paroles de Jean-Baptiste. Après l'allocution, le choeur entonna à pleine voix :

Arrivés au bord du Jourdain,
Nous regardons vers l'autre rive...

Dans la pure atmosphère hivernale, le chant résonnait clair et vibrant jusqu'à l'autre bord.
Pendant ce temps, je voyais un homme très affairé à pratiquer, avec une barre de fer et une pelle, un beau grand trou dans la glace qui recouvrait le fleuve ; puis il répandit tout autour une grosse brassée de paille. Quand il eut fini, il vint vers moi et me demanda :
- Est-ce que ça va bien comme ça ?
- Oui, très bien.

Et qui croyez-vous qui s'était donné toute cette peine ?.. Le communiste de l'autre soir, celui qui voulait me poser les trois fameuses questions ! Il était comme Félix : il s'en fallait de bien peu qu'il se laissât convaincre. Oui, le Seigneur se sert même de nos adversaires pour nous frayer le chemin et pour propager son règne.

Je descendis ensuite au bord du fleuve et je tendis la main à la première personne qui devait être baptisée, une jeune femme. Je lui demandai :
- Crois-tu au fils unique de Dieu, Jésus-Christ : ? Elle me répondit d'une voix claire et distincte
- Oui, je crois en Lui.
- Crois-tu que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, t'a pardonné tous tes péchés ?
- Oui, je le crois. Il m'a tout pardonné.

Alors les gens accoururent du haut de la pente en criant :
- C'est la vérité, c'est la vérité, c'est cela que nous cherchons et dont nous avons besoin. Baptisez-nous aussi, baptisez-nous aussi !

Si je l'avais voulu, j'aurais pu en baptiser une foule, comme aux temps reculés où le christianisme pénétrait en Russie. Mais nous croyons et savons que l'important, ce n'est pas l'acte du baptême, c'est la foi au Fils de Dieu. Je n'accédai donc pas à leur désir, mais je leur dis :
- Ce soir, il y aura une réunion où vous pourrez venir entendre ce qu'il vous faut pour avoir la vie éternelle.

Nous dûmes rester plusieurs jours encore ; nous ne pouvions nous arracher à ce village. Nous tenions des réunions, nous faisions des visites et nous avions entretien sur entretien. Je n'oublierai jamais les jours bénis de cette tournée missionnaire, et quand je pense à chacune de ces âmes altérées, le ne cesse de répéter : « Seigneur, envoie des ouvriers dans ta moisson : les champs blanchissent pour la moisson ».




XVIII

Les petits collaborateurs de Dieu.


Un de nos voyages nous amena dans un village cosaque où la communauté évangélique possédait sa propre maison avec une salle de réunion, mais où le zèle était refroidi et la piété morte. Les débuts furent très décourageants. Nous nous sentions reçus sans bienveillance. Nous organisâmes cependant quelques réunions. Aux premières, il ne vint presque personne, pas même nos frères de la communauté. Nous nous demandions si nous ne perdions pas notre temps à rester là, alors qu'il y avait tant d'autres endroits où les âmes étaient affamées du pain de vie. Pour la première réunion du soir, on ne nous avait pas même préparé des lampes, de sorte que nous dûmes parler dans l'obscurité. Après toutes les bénédictions que nous avions reçues dans nos autres tournées, c'était pour nous une dure épreuve. Mais, regardant avec confiance à Dieu, qui ne nous avait jamais abandonnés, nous invitâmes la population, par un avis spécial, à assister à une réunion dans la matinée. Quand nous arrivâmes à la salle, les bancs étaient presque tous vides ; à peine çà et là un vieillard ou une pauvre femme. Fallait-il prêcher aux murs ?

C'était une claire journée d'hiver. Le soleil avait attiré les enfants du village sur la place devant la maison, et ils s'y ébattaient avec de grands éclats de rire. Nous entonnons un cantique pour commencer la réunion. Alors on voit la porte s'ouvrir avec précaution et deux yeux d'enfant regarder avec crainte et curiosité ; un petit corps emmitouflé se glisse par l'ouverture et reste immobile dans le couloir, à écouter. Il en vient bientôt deux ou trois, puis un nombre grandissant, garçons et fillettes. je leur fais signe en leur montrant les places vides. Bientôt la salle est pleine de cette jeunesse mutine. C'est un coup d'oeil charmant que cet auditoire aux yeux purs et brillants, aux joues rougies par le soleil et le jeu. Dieu nous les a sans doute envoyés pour nous rendre courage, et nous lisons la parole : « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez point, car le Royaume des cieux est à eux ».

Frère T. et moi, nous leur adressons la parole, sans nous occuper des adultes ; nous leur apprenons de jolis cantiques et nous leur racontons des histoires du Grand Ami des enfants. Rarement, nous avons eu des auditeurs aussi attentifs. Jamais ils n'avaient entendu raconter ni chanter rien de pareil.
Ils retournèrent à la maison, rayonnants de joie, et racontèrent ce qui leur était arrivé. La plupart des parents en furent très fâchés. Certains les battirent, d'autres les grondèrent. Mais plusieurs réfléchirent et lorsque vint le soir, la salle était comble. Dieu avait fait des enfants ses messagers pour porter la parole de Jésus dans chaque foyer et pour nous amener les parents.

Les habitants de cette localité vivaient dans une crainte perpétuelle. Des pillards postés dans les montagnes les attaquaient continuellement, leur prenaient tout leur avoir et faisaient peser sur eux une lourde oppression. Il régnait dans toutes les maisons une grande misère et une détresse sans nom. Bien des mères étaient en deuil d'un fils, bien des veuves pleuraient un mari tombé dans les combats contre les brigands. On prévoyait la disette, et le pain renchérissait. Dans de pareilles circonstances, les coeurs sont accessibles aux paroles de consolation et d'amour, et s'ouvrent à l'appel d'un Sauveur qui prend sur lui tous nos soucis. Nous vécûmes là des jours merveilleux.

Le dernier soir, nous étions invités dans une vieille maison cosaque. Le propriétaire était pauvre de biens et riche d'enfants ; comme jadis Corneille, il décide de servir le Seigneur, lui et toute sa maison. La joie de tous est grande. Il vient aussi quelques voisins et la chambre se remplit. Nous prions, nous chantons, nous nous entretenons de la gloire qui nous est réservée en Christ. Comme il est tard, on ne veut plus se séparer. Le maître de maison apporte de la paille qu'il étend par terre pour y faire coucher tout le monde. Frère T. et moi, nous devons accepter l'unique lit, tandis que la famille et le reste de la société se couchent par terre, côte à côte. Heureux et fatigués comme des enfants, nous nous endormons bien vite, sans nous douter de la nuit terrible qui nous attend.
Tout à coup, le père de famille se lève et dit :
- Il y a du danger, un danger pressant !

Avant que nous puissions nous rendre compte de ce qui se passe, des balles nous sifflent aux oreilles. L'une pénètre dans l'oreiller de frère T. et l'atteint à la tête, heureusement sans le blesser, car elle a été amortie par la plume. Quelques-unes des personnes présentes sont blessées et commencent à gémir et à pleurer. Affolés, nous cherchons à nous protéger et à nous garer de la fenêtre. Les pillards, qui étaient venus à cheval, emmènent tout le bétail et les chevaux du village. Il ne reste aux pauvres cosaques ni un mouton ni une vache ; que de larmes et de misères ! Mais ce temps d'épreuve inclinait bien des coeurs à accepter l'Évangile.

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