Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

V

À Ch.

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Le premier jour à Ch. ne sortira jamais de ma mémoire, tant il fut pénible. J'avais espéré trouver aussitôt du travail dans cette ville considérable. Mais les heures passaient en démarches inutiles. Affamé et fatigué, j'allais de fabrique en fabrique, en longeant les grandes rues où étincelaient des devantures alléchantes. Tout le jour, je cherchai sans résultat ; je n'avais plus en poche que 15 kopecks et je ne connaissais personne dans la ville. Finalement, j'allai frapper à la porte de la fabrique H. ; on ne m'y embaucha pas davantage, mais quelqu'un me conseilla d'attendre à la sortie le sous-directeur. Les ouvriers et employés sortirent en masse des portes ; j'attendis longtemps. Enfin, le sous-directeur arriva, et j ' eus la surprise et la joie de reconnaître en lui mon ancien contremaître, le mécanicien E., de la fabrique R. à N. Il m'accueillit avec beaucoup de bienveillance chez lui, et le restai quinze jours à son service personnel. Puis il me fit embaucher comme tourneur.

À Ch., je trouvai bientôt de chauds amis. Un croyant du nom de J. me prit en chambre et je fis la connaissance de quatre ou cinq Russes croyants partageant nos convictions. Nous formâmes une petite communauté qui se réunissait en secret trois fois pendant la semaine et deux fois le dimanche. Nous fîmes aussi des invitations. Bien des coeurs tourmentés trouvèrent la paix de Dieu, bien que notre message fût exprimé de la façon la plus simple. La police nous surveillait de près et souvent on nous arrêtait pour nous enfermer en prison tout le dimanche. On nous relâchait le lundi en exigeant que nous cessions de nous réunir. Alors nous tînmes des rencontres secrètes dans la forêt, sous les sapins, et sous ce dôme de verdure, accompagnés du chant des oiseaux, nous passâmes des heures bénies. Un grand nombre de personnes se joignirent à nous. Au bout d'une année, plus de trente personnes avaient été admises dans la communauté. Car nous nous étions organisés, nommant un prédicateur, un ancien et un diacre. Dès ce moment, l'oeuvre du Seigneur prospéra dans la ville, et je commençai aussi à prêcher, sans me douter que ce serait ma vocation. J'avais un désir ardent et toujours renouvelé d'annoncer l'Évangile parmi les Russes, et je priai le Seigneur de me frayer la voie pour que je puisse travailler à son service dans ce champ spécial.

Ma situation matérielle s'améliorait de jour en jour. À part une courte interruption, je travaillai pendant presque tout mon séjour à Ch. dans la fabrique H., où je gagnais bien. Je suivis les cours du soir de l'école technique supérieure et j'y acquis de précieuses connaissances théoriques et pratiques dans ma branche.
Dieu m'accorda aussi la grâce de trouver une femme qui devint ma fidèle collaboratrice, aussi bien dans le travail pratique que dans l'oeuvre spirituelle. Sur les instances de mon beau-frère, nous allâmes nous établir à M., Où mes beaux-parents demeuraient, et j'installai avec mon beau-frère un atelier à notre compte. À Ch. j'avais fait quelques économies ; mon associé n'était pas sans rien, et nous réussîmes à nous créer une position indépendante. Ce changement me plaça en face de nouvelles responsabilités et je puis dire que c'est à M. que commença vraiment mon activité missionnaire.




VI

À M.


Nous étions peinés, mon beau-frère et moi, de voir les Russes si ignorants du salut que l'on trouve en Jésus-Christ, et nous commençâmes ensemble à travailler parmi eux. Nous fîmes venir des évangélistes allemands et russes et le Seigneur bénit leur activité. La première année, un ivrogne et sa femme furent gagnés à Christ. Ce fut une grande joie pour nous.

Un jour, je me tenais sur la porte de mon atelier et je regardais les passants. Deux femmes russes entrèrent dans la cour pour acheter des copeaux. Après les avoir servies, je demandai à l'une d'elles :
- Sais-tu où tu iras quand tu mourras ?

Tout interloquée, elle ne me donna pas de réponse.
Le dimanche suivant, l'autre femme, celle à qui je n'avais rien demandé, vint à notre petite réunion de croyants russes et me demanda en pleurant :
- Est-ce que je suis tout à fait réprouvée et n'y a-t-il plus d'espoir de salut pour moi, que vous ne m'ayez pas interrogée l'autre jour ? Il y a longtemps que je crains d'être perdue. Que faut-il que je fasse ?

Avec joie je lui montrai dans l'Écriture sainte le chemin du salut.
Une autre fois, nous vîmes assis dans un coin, à la réunion, un maître maçon qui suivait mes paroles avec grande attention. Quand il entendit le message du salut, il se leva et dit :
- Maintenant, je crois que Jésus est mort pour moi et qu'il m'a pardonné mes péchés, ces péchés qui me tourmentent depuis si longtemps.

Ces quelques personnes formèrent le noyau de notre petite communauté. je fis venir de Ch. l'ancien pour les admettre dans notre organisation. Les exaucements merveilleux que je vécus en ces jours-là, je ne saurais les décrire.

Dès lors les bénédictions affluèrent. Nous louâmes une chambre pour y tenir des réunions régulières. Le clergé russe ne manqua pas de nous observer, car notre groupe ne cessait de grossir. Cela fâchait le prêtre et il commença à travailler contre nous et à nous calomnier. Il porta plainte devant le gouverneur. Alors commencèrent les interrogatoires et les disputes théologiques. Un missionnaire de l'Église orthodoxe vint à M. et y dirigea pendant un mois des controverses religieuses pour convaincre les égarés.

Quand un orthodoxe sort de l'Église, le prêtre a, de par la loi, le droit et le devoir de l'exhorter pendant quarante jours et de chercher à le ramener dans le giron de l'Église. Le prêtre mit à profit cette belle occasion. Et voici comment se passa l'un de ces interrogatoires.

Un beau jour, treize de ces « déserteurs de l'Église orthodoxe » furent ramassés comme un troupeau par la police. Le haut et le bas clergé essayèrent de leur faire subir un interrogatoire pour les confondre et les convaincre d'erreur. On ne manqua pas de les couvrir d'odieuses injures. En ma qualité de directeur de la communauté évangélique russe, j'étais tenu d'être présent et de fonctionner comme leur défenseur d'office.
La loi dit : Si un hétérodoxe fait de la propagande dans l'Église orthodoxe et en détache des membres, il sera puni de prison jusqu'à trois ans. Un interrogatoire était donc toujours pour moi chose très dangereuse.
Le préfet fit son entrée dans la salle et l'audience commença. On demanda à une femme :
- Comment se fait-il que vous ayez passé aux Stundistes ? Quelle en est la raison ?
- C'est M. Martens, répondit-elle, qui me révéla le Sauveur. Depuis lors, je ne vis plus dans le péché. Martens m'a montré la voie du salut et grâce à lui, mon mari a cessé de boire. C'est devenu un homme rangé et honnête. Et maintenant nous sommes pleins de joie dans le Seigneur.

Le prêtre continua :
- Quand et où cela s'est-il passé ?

Sans se douter de la sévérité de la loi, elle raconta comment j'étais allé chez elle. Tout fut noté dans le procès-verbal.
Un autre membre de notre communauté raconta:
- Grâce à Martens, le me suis mis à suivre Jésus-Christ et j'ai été délivré de ma vie impie et immorale, du vol et de l'ivrognerie.
- Quand cela s'est-il passé ? demanda le prêtre. - C'était un dimanche matin. je sortais de l'église. M. Martens m'aborda, me parla et m'engagea à prier et à lire l'Évangile. Ses paroles m'allèrent au coeur. je l'invitai chez moi. Il me dit quel était le chemin de la vraie vie. Je confessai mes péchés ; nous priâmes ensemble, Dieu me fit grâce et me pardonna. Maintenant, je suis un homme heureux, et je vous conseille, à vous petit père (1), et à vous aussi, Monsieur le Préfet, de vous convertir au Seigneur Jésus.

Ces paroles les mirent fort en colère et leurs visages changèrent de couleur. Mais ce n'était pas suffisant pour m'incriminer légalement. On demanda encore à notre frère :
- Qu'as-tu fait de tes icônes ?
- Quand j'eus trouvé la paix, cette paix que vous ne m'avez ni donnée ni montrée, je lus dans la Bible, au livre des Actes, chapitre XVII, et dans le prophète Ésaïe, au chapitre LXIV, et dans le Psaume XLVI, que les dieux faits de main d'homme, avec des bouches qui ne parlent pas et des oreilles qui n'entendent point, ne sauraient m'être d'aucune utilité, et me laisseraient tomber toujours plus bas. Mes icônes ne me servaient plus de rien ; je les enlevai de la paroi et je leur dis : « Ce n'est pas vous qui pouvez être mes avocats devant Dieu ; je n'ai qu'un avocat, Jésus-Christ, et c'est Lui qui m'a trouvé et sauvé ». je les mis de côté.
- Alors, c'est Martens qui t'a enseigné cela, n'est-ce pas ? dit le prêtre. Et qu'as-tu fait de tes images saintes ?
- Hm ! dit-il embarrassé, Hm ! voilà !.. Ce n'est rien d'autre que des morceaux de bois n'est-ce as ? Alors, je les ai prises, comme dit le prophète Esaïe, j'ai ouvert la porte du poêle toute grande et je les ai jetées dedans. Elles n'ont pas même eu le pouvoir de se tirer de là ! Qu'on nous débarrasse de toute cette boutique !
- Prenez note, prenez exactement note ! C'est une faute contre le commandement du Très-Haut.

Ils les interrogèrent ainsi les treize, pour trouver un motif de se débarrasser de moi. Mais tous leurs efforts furent vains, quel que fût leur désir de me jeter en prison.
Ces disputes et ces interrogatoires ne restèrent pas sans effet. Après avoir entendu nos explications, un des assistants se leva et déclara :
- Désormais, je n'appartiens plus à l'Église orthodoxe ; elle m'a trompé.

Le missionnaire orthodoxe quitta M. sans avoir obtenu aucun résultat. Il écrivit une brochure pleine de calomnies contre moi. Il y disait : « Un faux prophète est arrivé à M. et égare les croyants. Il se sert de son influence pour essayer d'attirer les fidèles hors de l'Église orthodoxe. Comme il est riche, il ne recule devant aucun moyen. Il est soutenu par l'Allemagne et a reçu comme tâche de tourner la tête des gens avec son argent et de les amener à se joindre à lui. je puis en fournir des preuves. Quatre membres de notre Église ont reçu de lui chacun une grosse montre d'argent ; cela a poussé les gens à vilipender l'Église et à en sortir. À un autre, il a promis de bâtir un beau grand moulin allemand s'il adoptait sa religion ».

Cette brochure causa grande effervescence dans la police et les autorités de la ville. L'affaire fut portée devant le gouverneur et l'on me cita plusieurs fois en justice. Comme les calomnies en question furent trouvées sans fondement, on me laissa finalement tranquille et on se contenta de m'interdire de prêcher aux Russes.

Tous ces événements me donnèrent un nouveau courage. Cela attira sur nous l'attention de nombreux Russes et notre salle de réunion fut bientôt trop petite. Nous louâmes un local plus grand et en quelques années soixante-six personnes trouvèrent le salut.

Matériellement aussi nos affaires prospéraient et notre entreprise s'était considérablement agrandie, grâce à la bénédiction de Dieu et malgré tout le temps que je consacrais à la communauté évangélique russe. Dieu nous vint parfois en aide de façon merveilleuse. Un jour, nous nous trouvions dans un grand embarras d'argent : il fallait payer des traites, payer les ouvriers, payer le transport d'un chargement de fer arrivé en gare. Il ne nous restait qu'une chose à faire : nous agenouiller dans notre bureau et exposer à Dieu notre détresse. Puis nous passons encore une fois en revue toutes les possibilités de nous procurer de l'argent : nous n'en voyons aucune. Mon beau-frère était tout abattu et moi, j'avais le coeur lourd de soucis ; cependant, je ne perds pas courage. À midi, les traites auraient dû être payées à la banque. À ce moment, mon beau-frère me demande :
- Et maintenant, que va-t-il arriver ? Nous n'avons pas encore d'argent à disposition !
- Nous avons fait notre possible, répondis-je. Ne crois-tu pas que le Seigneur est puissant pour nous venir en aide ?
- Maintenant il est trop tard, me dit-il. À trois heures, les traites seront chez le notaire.

Accablé, il quitte le bureau et retourne à la maison. je reste et je me remets à prier. Tout à coup, j'entends comme une voix :
- Retourne vite à la maison.

En sortant dans la rue, j'entends qu'on m'appelle. je m'arrête, comprenant aussitôt que l'aide implorée arrive.
Un paysan russe venait d'arrêter sa voiture devant la porte de la cour. Il demande si la fabrique appartient à des Allemands.
- Oui, répondis-je.
- je me rendais chez un négociant russe pour lui apporter de l'argent. Mais arrivé près du passage à niveau, j'ai senti de l'anxiété. Ce négociant m'a déjà emprunté de l'argent, mais on dit que ses affaires ne vont pas trop bien. S'il fait banqueroute, je perdrai toutes mes économies. Alors, je me suis dit : Voici une fabrique appartenant à des Allemands. Avec eux, on ne perd jamais son argent. Est-ce que vous pourriez appeler le patron ?
- Allez jusqu'au comptoir, dis-je. Nous entrerons ensemble.

Une fois dans le bureau, il me demande
- Où est le patron ?
- C'est moi.
- Ah ! comme ça ! Ça me fait plaisir. Dites-moi, avez-vous besoin d'argent ?
- Oui, si l'intérêt est raisonnable, nous en avons l'emploi.
- Trouvez-vous que 6 % soit un taux trop élevé ?

À cette époque, nous payions à la banque de 8 à 9 %. Il ouvre son portefeuille et pose sur la table une somme dont la moitié seule suffisait largement à payer traites, ouvriers et transport. Nous réglons l'affaire et, en prenant congé, il me dit :
- Je n'aurai pas besoin de mon argent avant un certain temps, et quand je le retirerai, je vous achèterai des machines, car j'ai un peu l'intention d'aller m'établir en Sibérie.

Il mit son projet à exécution trois ans plus tard.
Je m'informai à quel moment il avait eu l'idée de venir nous trouver. C'était justement à l'heure où nous avions prié.
Mon beau-frère fut très ému quand il revint l'après-midi et qu'il apprit ce qui venait de se passer.

Dieu nous donna encore souvent la preuve qu'Il aide aussi dans les affaires matérielles. Par exemple, nous avons reçu nombre de commandes de façon merveilleuse. Nous apprîmes ainsi à nous confier au Seigneur en toutes choses et à lui remettre nos soucis.


1 Appellation familière que le peuple russe donne à ses popes. 
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