Du
Thabor à Golgotha
III
GETHSÉMANÉ
I. LE DIMANCHE DES RAMEAUX
Le Seigneur quitte Béthanie. Il se
dirige vers le champ de bataille où doit se
livrer le combat le plus mémorable de
l'histoire de l'humanité. C'est avec le dieu
de ce monde, avec l'esprit du mal qu'il va se
mesurer. La lutte toutefois n'est pas introduite
par le prince des ténèbres, mais par
les enfants de l'incrédulité ;
lui-même n'apparaîtra sur le terrain
que lorsque ceux-ci auront été
vaincus, pour subir à son tour le même
sort.
Les journées qui séparent le
souper de Béthanie de l'agonie de
Gethsémané sont pressées et
remplies. Jésus se tient au milieu de son
peuple, s'efforçant d'en sauver encore
quelques-uns, et de fortifier et consoler ses
disciples.
L'entrée triomphale à
Jérusalem inaugure la semaine sainte. Le
peuple d'Israël, s'attachant
aux promesses qui
représentaient le Messie comme devant
relever le trône de David, attendait
l'avènement d'un roi terrestre. Le Seigneur,
en accomplissant la prophétie :
« Voici, ton roi vient à
toi ; il est juste et vainqueur, humble et
monté sur un âne, sur le poulain d'une
ânesse »
(Zach. IX), montre clairement que son
règne n'est pas de ce monde et qu'il est
souverain d'un royaume spirituel. Avant de mourir,
il veut révéler à tous le
grand mystère de sa royauté divine,
qu'il avait jusqu'alors cachée au monde et
qu'un petit nombre seulement avait reconnue. Il
permet à ses disciples de la proclamer et de
lui rendre gloire.
Le récit évangélique
met en relief ce que la prophétie
messianique a de doux et d'humble. C'est en roi
débonnaire que, pour la dernière
fois, Jésus entre dans cette ville qui,
depuis des siècles, a été
honorée de grâces innombrables ;
il vient appeler à lui les pauvres, les
fatigués, les chargés. Il se rend au
temple, la gloire et l'ornement d'Israël, mais
pour s'en éloigner bientôt en
prononçant ces paroles redoutables :
« Voici, votre demeure va devenir
déserte »
(Matth. XXIII, 38) ; et en
pleurant sur la ville.
(Luc XIX, 41.) Oh ! ces pleurs
du Sauveur ! Les paroles de Jésus ont
une haute signification, son silence, une plus
grande encore ; mais ses larmes
dépassent toute expression ; elles nous
montrent les pensées de Dieu à
notre égard, ses tendres
compassions pour de pauvres pécheurs
tombés et égarés.
Le Seigneur commande en maître
souverain sur la nature et sur les faits de l'ordre
matériel : « Si quelqu'un
vous dit quelque chose, vous direz que le Seigneur
en a besoin, et aussitôt il les
enverra. »
(Matth. XXI, 3.) Mais, sur les
coeurs, il ne veut agir qu'avec le concours de
notre volonté : « Combien de
fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une
poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et
vous ne l'avez pas voulu ! »
(Matth. XXIII, 37.) Maintenant
Israël est dispersé, le temple en
ruines ; ceux-là seuls subsistent qui
ont reçu le Sauveur et qui l'ont reconnu
pour leur Roi.
Quoique l'incrédulité ait
moins de raison d'être de nos jours, et
qu'elle paraisse même
incompréhensible, « le Seigneur
est toujours en butte à la
contradiction. »
(Luc Il, 34.) Lorsque le Fils de
l'homme annonçait un royaume éternel,
« contre lequel les portes de l'enfer ne
pourraient prévaloir »
(Matth. XVI, 18), il était
pauvre, méconnu, entouré seulement de
quelques disciples faibles et ignorants et cette
promesse pouvait paraître une rêverie
et provoquer le sourire ; c'était ou de
la folie ou l'assurance d'une puissance surhumaine.
Mais aujourd'hui, l'homme le plus ignorant est
forcé de reconnaître que le Seigneur a
dit la vérité. Sans armée,
sans matériel de guerre, sans
diplomatie, il a établi sa
domination sur le monde entier ; son royaume
subsiste et s'étend de plus en plus. Ce
miracle-là n'est-il pas plus grand que tous
les autres ?
Cependant le combat s'engage. Les anciens du
peuple ont décrété la mort de
Jésus. Il ne leur reste qu'à en
chercher le motif apparent ; car ils tiennent
à observer les formes de la justice ;
la méchanceté et la ruse leur
viendront en aide. L'enthousiasme de la foule, lors
de l'entrée du Seigneur à
Jérusalem, a exaspéré leur
haine. Les partis qui se détestaient,
s'unissent pour accomplir l'acte le plus honteux
que l'humanité ait jamais
consommé.
Après mûre
délibération, les Pharisiens et les
Hérodiens interpellent Jésus, dans
l'espoir que sa réponse leur fournira le
prétexte désiré.
« Est-il permis de payer le tribut
à César, ou non ? »
(Matth. XXII, 17.) Ceci est une
question captieuse. Si Jésus répond
négativement, ils pourront l'accuser devant
les autorités romaines - s'il dit oui, ils
le feront passer aux yeux du peuple pour un ami des
Romains, et c'en sera fait de sa
popularité.
Le Seigneur démasque leur hypocrisie,
démontrant clairement qu'ils ont en vue, non
la recherche de la vérité, mais sa
propre perte. Battant en brèche leur
prétendue sagesse, il les oblige à
reconnaître eux-mêmes
que le tribut revient à César. Mais
avant de les laisser s'éloigner, il enfonce
ce dard dans leur conscience :
« Rendez donc à César ce
qui est à César, et à Dieu ce
qui est à Dieu. »
(Matth. XXII, 21.) « Et
ayant entendu cette réponse, ils
l'admirèrent ; et le laissant, ils s'en
allèrent. »
(Matth. XXII, 22.) En présence
de la sagesse divine, la sagesse humaine n'est
qu'une vapeur qui s'évanouit et
disparaît.
C'est maintenant le tour des
Saducéens. Ces incrédules, qui nient
la résurrection, cherchent à
embarrasser le Seigneur par une question de dogme.
Ils inventent l'histoire de sept frères qui
auraient épousé, les uns après
les autres, la même femme, et ils lui
demandent lequel sera le mari de celle-ci au jour
de la résurrection.
(Matth. XXII, 23-28.) Le Seigneur
leur répond avec un grand
sérieux : « Vous êtes
dans l'erreur, parce que vous n'entendez pas les
Écritures, ni quelle est la puissance de
Dieu. »
(Matth. XXII, 29-32.)
Les Pharisiens, quoique satisfaits de voir
les Saducéens confondus
(Matth. XXII, 34), ne se laissent
point émouvoir. Un des leurs, membre
influent et savant de leur secte, s'approche de
Jésus et lui demande : « Quel
est le premier de tous les
commandements ? »
(Marc XII, 28.) Le Seigneur n'a pas
besoin de longues réflexions ; il
répond avec une sagesse si admirable que le
Pharisien ne peut lui refuser son
approbation : « C'est bien,
Maître, tu as dit avec vérité,
qu'il n'y a qu'un Dieu, et qu'il n'y en a point
d'autre que lui ; et que l'aimer de tout son
coeur, de toute sa pensée, de toute son
âme, et de toute sa force, et aimer son
prochain comme soi-même, c'est plus que tous
les holocaustes et les sacrifices. »
(Marc XII, 32-34.)
Les principaux ont échoué dans
leurs tentatives ; ils n'ont pu trouver dans
les réponses du Seigneur un seul motif
d'accusation contre lui. À son tour
Jésus les interroge : « Que
vous semble-t-il du Christ ? De qui est-il le
Fils ? »
(Matth. XXII, 42.) Les Pharisiens se
taisent ; les Scribes, instruits dans les
Écritures ne savent que
répondre.
Le Seigneur alors leur présente leur
image, dans la parabole des vignerons qui ont
lapidé les serviteurs du maître de la
vigne et jeté dehors son propre fils.
(Luc XX, 9-16.) Puis, s'adressant au
peuple, il attaque leurs conducteurs aveugles et
les frappe de malédiction par le cri de
« Malheur ! » sept fois
répété.
(Matth. XXIII, 13 -36.)
Au milieu de cette lutte acharnée, le
Seigneur ne laisse point passer inaperçue la
pauvre veuve, apportant sa pite au temple, et il
lui adresse une parole d'encouragement.
(Marc XII, 41-44.) Quel Sauveur
merveilleux, plein de grandeur, de tendresse, de
compassion !
Il. ADIEUX DE
JÉSUS A SES DISCIPLES
Le Seigneur et les apôtres sont
réunis une dernière fois, le jeudi
soir, pour manger l'agneau pascal.
« Comme il avait aimé les siens
qui étaient dans le monde, il les aima
jusqu'à la fin. »
(Jean XIII, 1.) « J'ai fort
désiré de manger cette pâque
avec vous, leur dit-il, avant que je
souffre. »
(Luc XXII, 15.)
Pendant ce dernier repas, Jésus
révèle à ses disciples son
amour profond et intime par des paroles, dont le
souvenir est resté gravé en traits
ineffaçables dans le coeur de saint Jean.
Hélas ! les apôtres
n'étaient pas tous dans une semblable
disposition. Le Seigneur en fit le même soir
la triste expérience.
« Il arriva aussi une contestation
entre eux, sur celui d'entre eux qui serait
estimé le plus grand. »
(Luc XXII, 24.) L'esprit d'orgueil et
d'envie s'était déjà
manifesté chez les disciples à
maintes reprises et Jésus leur avait
adressé plus d'un sérieux
avertissement : « Je vous le dis en
vérité, si vous ne vous convertissez,
et si vous ne devenez comme des enfants, vous
n'entrerez point dans le royaume des
cieux. »
(Matth. XVIII, 3.) Et maintenant,
à cette heure solennelle, où ils
voient leur Maître pour la dernière
fois, où celui-ci parait profondément
ému, leur coupable
disposition se fait de nouveau jour.
Que fera le Seigneur ? que leur
dira-t-il ? « Il se lève du
souper, il ôte son manteau, et, ayant pris un
linge, il s'en ceint. Ensuite il met de l'eau dans
un bassin et il se met à laver les pieds des
disciples et à les essuyer avec le linge
dont il était ceint. »
(Jean XIII, 4, 5.) Cet acte fit sans
doute plus d'impression sur eux que n'auraient fait
beaucoup de paroles. Il résumait l'oeuvre de
Christ sur la terre et manifestait pleinement son
amour qui aime, qui pardonne, qui supporte.
Le Seigneur n'a pas rejeté ses
pauvres disciples malgré leurs grossiers
défauts. Son amour infatigable n'a
cessé de travailler à leur
sanctification et il y est parvenu d'une
manière admirable. Ceci doit être un
puissant encouragement pour tous ceux qui aiment
leur Sauveur et qui souffrent de trouver en
eux-mêmes encore bien des
misères.
Un grand nombre de chrétiens ne
jouissent jamais de l'amour du Seigneur, parce
qu'ils croient que, avant de l'obtenir, ils doivent
être parfaitement purs et saints, et ils
traînent jusqu'au tombeau, une vie
spirituelle triste et lamentable. Rappelons-nous
que Dieu nous aime malgré nos
misères, qu'il nous a élus avec une
pleine connaissance de notre nature
pécheresse et qu'il ne nous abandonnera
jamais, pourvu que nous lui demeurions
fidèles.
Trop souvent, comme les disciples, nous
affligeons le Seigneur par nos
péchés. Quand il s'approche pour nous
offrir une heure de douce et intime communion avec
lui, il nous trouve froids, terrestres, disputant
avec nos frères, Menons deuil sur nos
fautes, comme les disciples le firent certainement,
mais ne nous décourageons pas ; car
notre miséricordieux Sauveur est toujours
prêt à nous laver et à nous
purifier de tout péché.
Rappelons-nous la patience et l'amour avec lesquels
il supporta ses faibles disciples et la joie que
lui causa leur foi sincère, malgré
leurs nombreux manquements. Quand il prédit
à Pierre sa lourde chute, il prie pour que
sa foi ne défaille point.
(Luc XXII, 32.)
Cet encouragement n'est nullement
destiné aux hommes qui se font de la
grâce de Dieu un oreiller de
sécurité, qui traitent le mal
légèrement et qui ne pleurent pas
comme Pierre sur leur péché.
L'indifférence à l'égard de
nos transgressions et le découragement
à la vue de notre indignité sont
également à éviter.
« Le Seigneur vint donc à
Simon Pierre, qui lui dit : Toi, Seigneur, tu
me laverais les pieds ! » Pierre se
montre ici tel qu'il est, avec son
impétuosité naturelle ; le
disciple qui avait reconnu en Jésus le Fils
de Dieu, devait reculer en présence d'un si
grand abaissement. Jésus répondit et
lui dit :
« Tu ne sais maintenant ce que je
fais ; mais tu le sauras dans la
suite. » Pierre maintient sa
décision : « Tu ne me laveras
jamais les pieds. » Cela devient de
l'obstination. C'est grâce à celle-ci
cependant que nous possédons la
précieuse réponse du Seigneur :
« Si je ne te lave, tu n'auras point de
part avec moi. » Alors l'amour du
fougueux disciple prend son essor :
« Seigneur, non seulement les pieds, mais
aussi les mains et la tête, » tant
il désire lui appartenir tout entier. Cet
amour sincère, quoique non
réfléchi, aura sans doute
réjoui le coeur du Seigneur qui adresse
à son apôtre cette belle et profonde
parole : « Celui qui s'est
baigné a besoin seulement qu'on lui lave les
pieds ; puis il est entièrement net. Or
vous êtes nets, mais non pas tous.
(Jean XIII, 6-10.)
Quelle est la pensée du
Seigneur ? Celui qui a la foi, qui croit au
Sauveur, est purifié par son sang,
sanctifié par l'Esprit ; ses
péchés sont effacés ; il
est une nouvelle créature. La justice de
Christ lui est imputée. « Vous
avez été lavés, vous avez
été sanctifiés, vous avez
été justifiés au nom du
Seigneur Jésus, et par l'Esprit de notre
Dieu. »
(I Cor. VI, 11.)
La parole du Seigneur :
« vous êtes nets, »
concernait aussi Pierre ; sa chute ne pouvait
anéantir l'oeuvre de Christ pour lui,
à condition qu'il se repentît
sincèrement. Ceci est d'une grande
importance pour notre vie
chrétienne. La justification, la
purification du pécheur converti et croyant
sont l'oeuvre de Dieu par Christ ; rien ne
peut les anéantir ou les rendre inutiles,
aussi longtemps qu'il croit à l'efficace de
la mort de Christ et que sa foi s'appuie sur lui
seul. Les faiblesses attachées à la
nature humaine et dont sa discipline veut peu
à peu nous délivrer, ne peuvent
détruire ni renverser l'oeuvre de Dieu.
Quelle précieuse consolation pour de pauvres
créatures faibles et
misérables ! Saisissons-la des deux
mains et tenons-la ferme. Elle donne paix et
force.
Celui qui a été lavé a
besoin que le Seigneur lui lave et relave les
pieds. De même qu'un voyageur ne peut marcher
sans que ses pieds soient souillés et
couverts de poussière, le chrétien ne
passe pas un seul jour assez saintement, assez
pieusement, pour n'avoir pas besoin de pardon. Si
le Seigneur a dit à ses apôtres :
« Vous êtes nets, » c'est
à eux aussi qu'il dit :
« Vous avez besoin qu'on vous lave les
pieds. » Le travail de la sanctification
se poursuit jusqu'à la tombe. Ce n'est pas
en fermant les yeux sur notre misère, que
l'homme intérieur croît et se
développe en nous, c'est en reconnaissant
nos fautes, en les confessant et en nous
efforçant de les vaincre. Toute vie, la vie
spirituelle aussi, a un petit commencement et doit
se développer. Le chemin de la
sanctification est un chemin
étroit et difficile. Il nous fait passer par
la confession quotidienne de nos
péchés, le repentir et la
purification par le sang de Christ, mais c'est un
chemin sûr, qui conduit au but.
III. SAINTE
CÈNE
Ce même soir, le Seigneur institue la
sainte Cène. Le repas d'adieu, à la
fin duquel avait eu lieu le lavement des pieds, est
celui de l'agneau pascal, souvenir de la
délivrance d'Israël du pays d'Egypte.
« Et comme ils mangeaient, Jésus
prit du pain, et ayant rendu grâces, il le
rompit et le donna à ses disciples et
dit : « Prenez, mangez,
« ceci est mon corps. » Ayant
aussi pris la coupe, et rendu grâces, il la
leur donna, en disant : « Buvez-en
tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle
alliance, qui est répandu pour plusieurs,
pour la rémission des
péchés. »
(Matth. XXVI, 26-28.)
Il remplace le repas commémoratif de
l'ancienne alliance par un repas nouveau en
souvenir de sa mort. Car la mort de Christ est le
fait le plus important dont l'Eglise doive
conserver le souvenir. Pourquoi ? parce que
« en ce sang est la nouvelle alliance, et
qu'il est répandu pour les pécheurs,
(Luc XXII, 20) ; parce que
« le sang de
Jésus-Christ nous purifie
de tout péché. »
(I Jean 1-7.) Le Seigneur, par
l'institution de la Cène, déclare que
sa mort est le but principal de sa vie. Pour entrer
dans la nouvelle alliance, nous devons nous
approprier son corps qui a été rompu
et son sang qui a été répandu
pour nous. La sainte Cène est le
résumé de l'Évangile. Par la
foi au rachat que le Sauveur a payé pour
nous, nous recevons le pardon des
péchés, la justification, la vie
nouvelle, la sanctification.
Il est un grand nombre de personnes qui
n'osent s'approcher de la communion, parce qu'elles
craignent de la prendre indignement. Elles n'ont
pas compris l'amour compatissant de Christ qui
appelle à lui précisément les
coeurs fatigués et chargés.
La Cène est avant tout un repas
d'amour, de l'amour du Seigneur pour de pauvres
pécheurs perdus. « J'ai fort
désiré de manger cette pâque
avec vous, avant que je souffre. »
(Luc XXII, 15.) Jésus
désire entrer dans le coeur de chaque
chrétien afin de souper avec lui,
c'est-à-dire se donner à lui et lui
apporter paix et joie, consolation et force. C'est
en même temps un repas de l'amour du
chrétien pour son Sauveur :
« Faites ceci en mémoire de
moi. »
(Luc XXII, 19.) C'est ici que
l'enfant de Dieu vient renouveler et fortifier sa
foi. C'est aussi un repas d'amour des
chrétiens entre eux. Aussi
longtemps qu'il y aura sur la terre des
pécheurs sauvés par la foi à
la mort de Christ, ils devront se rassembler autour
de la sainte table pour témoigner qu'ils
font partie du peuple de Dieu.
Mais ce n'est point encore tout. Avec le
pain et le vin, Christ nous donne réellement
son corps et son sang,
(Jean VI, 32-41 ;
1 Cor. XI, 23-34.) S'il en
était autrement, le Seigneur se serait mal
exprimé sur un sujet d'une très
grande importance. Nous devons accepter ces paroles
telles qu'elles sont, même si nous n'en
comprenons pas le sens mystérieux.
Toutes les Églises
évangéliques sont d'accord sur ce
point que, dans la Cène, le Seigneur se
communique à nous avec les fruits de la
rédemption. Mais les opinions
diffèrent quant à la manière
dont ces grâces nous sont transmises.
Lorsque le Seigneur distribue aux douze le
pain et le vin il leur dit : « Ceci
est mon corps. Ceci est mon sang. »
(Matth. XXVI, 26, 27.) Les
apôtres voyaient leur Maître vivant
devant leurs yeux ; ils savaient que le sang
coulait dans ses veines. N'aurait-il pas
été naturel qu'ils lui eussent
demandé le sens de ses paroles. Ils ne le
font point. Ils savent qu'ils ont à faire
à un Maître merveilleux, dont la
personne et la vie sont entourées d'un divin
et impénétrable mystère. Il
est presque certain qu'ils ne
comprirent pas la pensée du Seigneur. Mais
ils ne doutèrent pas un instant. Ils crurent
à sa parole. Après sa
résurrection et son ascension, nombre de
questions se posèrent et furent
posées aux apôtres. Celle de la sainte
Cène ne le fut jamais. Ni les apôtres,
ni l'Eglise primitive, ne s'en
préoccupèrent. « Ils
rompaient le pain dans leurs maisons. »
(Act. II, 46.) « Le premier
jour de la semaine, les disciples étaient
assemblés pour rompre le pain. »
(Act. XX, 7.) On regardait la
communion comme la sainte commémoration de
la mort du Sauveur, mais on ne cherchait point
à en expliquer le mystère ; on
l'acceptait sans le comprendre.
Les réformateurs jugèrent
différemment. De là des discussions
et des dissensions sans fin : « Nous
participons au corps et au sang de Christ, avec,
dans, sous les signes sacrés, »
dit Luther. Et Calvin : « Le
Seigneur se communique aux chrétiens depuis
le ciel, de même que le soleil répand
ses rayons sur la nature. »
Laquelle de ces deux interprétations
est la meilleure ? , Aucune, à notre
avis. jusqu'à présent personne n'a pu
expliquer le mystère de la sainte
Cène, pas plus qu'on ne peut définir
l'union de la nature divine et de la nature humaine
en la personne du Christ. Qu'il nous suffise de
savoir ce que nous recevons en participant à
la Cène.
Laissons le reste au Seigneur. Il communique
sa vie à ceux qui sont nés de
nouveau. « Celui qui mange ma chair et
qui boit mon sang, demeure en moi, et moi en
lui. »
(Jean VI, 56.) Prends donc la
Cène avec confiance de la main de ton
Sauveur, enfant de Dieu. Demande-lui de te la
donner lui-même, ainsi que les
bénédictions qui en découlent.
Quelle que soit la forme sous laquelle tu là
reçois, c'est au Seigneur que tu t'unis. Ce
qui importe, c'est que tu possèdes une foi
humble, repentante et sincère. Les formes
les plus excellentes ne peuvent te la communiquer.
« Là où est l'Esprit du
Seigneur, là est la
liberté. »
(2 Cor. III, 17.)
Après la distribution de la
Cène, Jésus prononce, dans la salle
du repas et sur le chemin de
Gethsémané, le discours d'adieu
rapporté dans les chapitres
14 à
16 de l'évangile selon saint
Jean et qui se termine par la prière
sacerdotale. Le plan de cet ouvrage ne nous permet
pas de l'étudier ; il formerait
à lui seul plusieurs volumes.
Chaque parole, qui tombe de la bouche du
Maître, est une perle précieuse :
Jésus marche à l'autel du
sacrifice ; il va être livré aux
puissances du monde et mis au rang des malfaiteurs.
Ses disciples seront privés de sa
présence visible. Mais le Seigneur ne les
quitte point pour toujours ; il retourne vers
son Père ; il va leur préparer
une place ; un jour ils
seront de nouveau réunis à lui ;
ils le verront et le posséderont. Le monde,
qui le rejette, haïra aussi ses
disciples ; il les persécutera et les
repoussera. Mais le Seigneur ne les laissera point
orphelins au milieu des souffrances et de
l'angoisse ; il viendra habiter en eux, d'une
manière invisible, par l'Esprit consolateur.
Leurs intimes rapports avec lui ne seront point
rompus. Après son départ, ils
pourront encore le prier et le Seigneur les
écoutera et leur répondra. Ils
devront continuer à l'aimer, à
pratiquer ses commandements, afin de glorifier le
Père et de porter du fruit, comme le sarment
qui est attaché au cep. Leur extrême
incapacité ne doit point les
décourager ; car le Saint-Esprit les
guidera et les fortifiera. N'est-ce pas le Sauveur
lui-même qui les a choisis, dans sa libre
compassion, avec l'entière connaissance de
leur misère et de leur faiblesse ? Ils
ne doivent pas redouter le monde, car un puissant
auxiliaire, l'Esprit de vérité,
prendra leur défense :
« Prenez courage, j'ai vaincu le
monde. »
(Jean XVI, 33.)
Les dernières paroles du Christ
s'adressent à son Père. Il lui
recommande ses disciples, ainsi que tous ceux qui
croiront en lui, jusqu'à la fin du monde.
Jésus a achevé l'oeuvre que son
Père lui avait donnée à
faire ; il a manifesté son nom. Voici
maintenant le moment décisif de la
bataille ; bientôt il
remportera la victoire. Nul homme n'a parlé
comme le Seigneur - nul n'a prié comme lui.
« Il est le chef et le consommateur de la
foi. »
(Hébr. XII, 2.)
IV. LUTTE
SUPRÊME AVEC LA PUISSANCE DES
TÉNÈBRES
Nous nous trouvons ici en présence du
plus grand des mystères de l'histoire
évangélique. Le Seigneur,
après la transfiguration, s'est
dirigé vers Jérusalem. Sur sa route,
il a accompli le miracle de la résurrection
de Lazare. Avec un calme divin, il a annoncé
à ses disciples ses souffrances, sa mort, sa
sépulture. Il est entré à
Jérusalem comme un roi débonnaire.
Puis il réunit ses douze apôtres
autour de l'agneau pascal et il institue la sainte
Cène. D'admirables paroles découlent
de ses lèvres comme un fleuve de paix et de
vie éternelle.
Il adresse à son Père sa
dernière prière, parlant de l'ennemi
comme s'il était vaincu et de la victoire
finale comme déjà remportée.
Il va au-devant de ses souffrances avec une
majesté divine et une paix
céleste.
Et maintenant ! contraste
saisissant ! changement inexplicable !
l'angoisse, la crainte, le tremblement s'emparent
du Seigneur. Laissant ses autres
disciples à
l'entrée du jardin des Oliviers, il
s'avance, accompagné de Pierre, de Jacques
et de Jean : « Mon âme est
triste jusqu'à la mort, leur
dit-il. »
(Matth. XXVI, 38.)
Celui à qui les éléments
obéissent, à la parole duquel la mort
s'enfuit, est là, debout, accablé,
tremblant, gémissant. Son être tout
entier frémit ; une souffrance
indicible se voit sur ses traits ; l'angoisse
et la terreur ébranlent son corps et son
âme. Il ne peut demeurer tranquille : il
s'éloigne de ses disciples, il revient, il'
s'éloigne de nouveau, afin de demeurer seul
avec son Père. Il se prosterne à
terre et, du profond de son âme,
s'élève ce cri qui résonne au
milieu de la sombre nuit : « Mon
Père, s'il est possible que cette coupe
passe loin de moi... Toutefois, non pas comme je
veux, mais ce que tu veux. »
(Matth. XXVI, 39.) Le ciel reste
fermé. Aucune parole d'encouragement ne
descend d'en-haut. Sa souffrance devient
extrême.
Le Seigneur se relève. Il s'approche
de ses disciples avec l'espoir que ceux-ci
obtiendront pour lui, par leurs prières,
force et consolation. Vaine attente !
« Il les trouve endormis de
tristesse. »
(Luc, XXII, 45.) « Veillez
et priez, leur dit-il, de peur que vous ne tombiez
dans la tentation, car l'esprit est prompt, mais la
chair est faible. »
(Matth. XXVI, 41.) Il retourne au
même lieu ; il se prosterne dans la
poussière : « Mon
Père, s'il n'est pas
possible que cette coupe passe
loin de moi sans que je la boive, que ta
volonté soit faite. »
(Matth. XXVI, 42.) Sa prière
ne percera-t-elle pas la sombre nuit ? Ne
pénétrera-t-elle pas jusqu'au
ciel ? Les supplications du Sauveur deviennent
plus pressantes ; elles retentissent au milieu
du silence et des ténèbres. Pas une
parole de consolation ne vient restaurer le Christ
à l'agonie. Les vagues de l'angoisse
s'élèvent toujours plus haut ;
le Père laisse son Fils lutter seul.
Jésus revient vers les siens et il
doit reconnaître encore une fois son complet
isolement. Les disciples dorment. Le Seigneur
s'éloigne de nouveau. La terreur de la mort
fait frissonner ses membres fatigués.
« Et étant en agonie, il priait
plus instamment, et il lui vint une sueur comme des
grumeaux de sang, qui tombaient sur la
terre. »
(Luc XXII, 44.) Il est sur le point
de succomber. « Il prie pour la
troisième fois, disant les mêmes
paroles. »
(Matth. XXVI, 44.) Le Père
pourra-t-il garder le silence ? son coeur ne
se brisera-t-il pas à la vue de la
souffrance indescriptible qui pèse sur le
Fils de sa dilection ? Ah ! si nous
pouvions lire dans son coeur
- Qui peut t'avoir attiré ce
supplice ?
- C'est moi, Seigneur ! oui c'est mon
injustice :
- De ces tourments où ton amour
t'expose, je suis la cause.
- Ce grand pécheur, cette âme
criminelle,
- Qui méritait une peine
éternelle,
- C'est moi, Jésus ! moi,
faible créature,
- Rebelle, impure.
Le Père ne répond pas directement
à son Fils bien-aimé, parce que
celui-ci est sous le coup de la justice divine,
à la place des pécheurs : il lui
envoie « un ange du ciel pour le
fortifier. »
(Luc XXII, 43.) Quel message l'ange
apporte-t-il au Seigneur ? Comment le
fortifie-t-il ? Le récit
évangélique se tait à ce
sujet. Toutefois je me représente que l'ange
aura dit au Sauveur que, derrière les
sombres nuages, et, tandis que son Père
allait l'abandonner aux foudres de sa justice, son
regard le suivait et veillait sur lui avec un amour
infini ; qu'en succombant, Jésus
remporterait la victoire et acquerrait la
rédemption éternelle du monde. Depuis
ce moment, le Seigneur, consolé et
fortifié, poursuit avec courage sa voie
douloureuse.
Quelle est la cause de cette souffrance sans
exemple du Seigneur à
Gethsémané, de ce contraste
inexplicable entre la calme assurance de sa
prière sacerdotale et l'agonie dans le
jardin des Oliviers ? Cette question n'aura sa
pleine solution que dans
l'éternité ; car l'intelligence
humaine est incapable de saisir la profondeur des
souffrances de Christ. Cherchons cependant à
nous en rendre compte.
La mort est un objet d'effroi et le roi des
épouvantements pour nous, pécheurs,
qui devrions être accoutumés à
cette pensée : car notre vie est une
lente agonie. La mort habite en nous, conjointement
avec le péché, et elle travaille peu
à peu à notre destruction. Chaque
maladie nous en rapproche. Comparez le jeune homme,
en pleine santé, dans
l'épanouissement de sa force et de ses
facultés, au vieillard infirme et
décrépit. Le vieillard est à
demi-mort. Sa force est éteinte, son esprit
affaibli, ses facultés sont
émoussées ; pareil à un
arbre déraciné, à une
lumière qui s'éteint, il offre
à la mort une proie aisée. Cependant
le plus robuste, le mieux portant, a en soi le
germe de la mort, parce que le péché
habite en lui.
Le Seigneur, étant sans
péché, n'avait pas de parenté
avec la mort. Son antipathie pour elle devait
être d'autant plus profonde que ses
sentiments étaient purs, sains,
élevés. Elle était un ennemi
du dehors qui ne trouvait rien en lui.
« Toutes choses ont été
faites par le Seigneur, et rien de ce qui a
été fait n'a été fait
sans lui. »
(Jean 1, 3.) « Il est le
Prince de la vie. »
(Act. III, 15.) En présence de
cette grandeur, de cette puissance, on comprend
l'effroi répulsif que dût
éprouver le Fils de Dieu, au moment de
livrer son corps à la tombe.
Le chrétien, qui a reçu le
pardon de ses péchés, peut redouter
encore le sombre passage ; car il
se sent né pour la vie.
Mais, s'il est réconcilié avec Dieu,
la mort a perdu son amertume. « O
mort : où est ton aiguillon ? O
enfer ! où est ta
victoire ? »
(I Cor. XV, 55.) Il n'a plus à
craindre le jugement ; la vie éternelle
et bienheureuse lui est réservée. Le
dernier soupir est pour lui le moment du retour
dans la maison du Père. La fin de
l'impénitent est bien différente.
L'aiguillon n'a point été
enlevé, la conscience frémit à
la pensée du jugement à venir. C'est
cette terreur et cette agonie que le Sauveur a
subies, et non seulement celle d'un seul
pécheur, mais celles de milliards de
pécheurs, afin que ceux-ci puissent
s'endormir en paix.
Mais ce n'est point encore tout. Ce qui
adoucit nos souffrances et les rend supportables,
c'est l'amour et la sympathie de ceux qui nous
entourent. La souffrance pèse doublement sur
l'isolé, qui se sent incompris, auquel nul
n'adresse une parole de consolation. Et, lorsque
ceux sur lesquels il pouvait compter, ceux auxquels
il a fait du bien, l'abandonnent ou vont
jusqu'à le mépriser et à
s'acharner contre lui, alors une profonde amertume
vient s'ajouter à son épreuve. Toutes
ces douleurs-là, le Rédempteur les a
ressenties au plus haut degré.
« je frapperai le Berger et les brebis du
troupeau seront dispersées. »
(Matth. XXVI, 31.) « Alors
tous les disciples l'abandonnèrent et
s'enfuirent. »
(Matth. XXVI, 56.) « Celui
qui a mis la main dans le plat
avec moi, celui-là me trahira. »
(Matth. XXVI, 23.) Pierre,
« le renie avec serment en disant :
je ne connais point cet
homme-là. »
(Matth. XXVI, 72.) Le peuple
d'Israël que le Seigneur avait aimé
d'un amour tendre et compatissant, auquel il
n'avait fait que du bien et dont il était
l'espérance et la gloire, ce peuple le
rejette et le crucifie.
Nul homme n'a souffert ce que Jésus a
souffert.
Que ceux-là aillent à
Gethsémané, qui prétendent que
le Seigneur était au-dessus de la nature
humaine et qu'il n'avait nul besoin de sympathie et
d'affection ; ils le verront s'adresser, dans
son angoisse, tour-à-tour à Dieu et
à ses disciples, cherchant auprès
d'eux force et consolation et n'en trouvant pas. Le
Seigneur étant un homme parfait, ses
sentiments humains étaient plus profonds que
ceux des autres hommes ; aussi l'ingratitude
effrayante du peuple qui lui devait tout, et
l'inexplicable abandon des siens, en
présence de ses ennemis et des puissances de
l'enfer, ont-ils dû le faire souffrir d'une
manière indicible.
Cependant la crainte de la mort et le
complet isolement dans lequel se trouve
Jésus, n'expliquent point suffisamment sa
terrible agonie. La cause principale de sa
souffrance, c'est la culpabilité de
l'humanité dont il s'est chargé et,
qu'à Gethsémané, il embrasse
dans son insondable immensité. N'oublions
pas que, comme représentant du genre
humain, le Sauveur devait
souffrir avec la parfaite conscience de ce qu'il
faisait, avec l'entière connaissance de la
dette dont il se chargeait. Les hommes souffrent le
plus souvent sans penser à l'avenir ;
ils ignorent l'étendue et l'amertume qui
peuvent s'ajouter à leur épreuve - le
Dieu miséricordieux a couvert l'avenir d'un
voile, pour leur laisser l'espérance. Il en
est autrement pour le Seigneur. Il a dû
connaître parfaitement la dette immense de
l'humanité, afin de la porter avec une
sainte humilité jusqu'au trône de la
justice de Dieu. Pleine connaissance de la
culpabilité, soumission volontaire à
la justice divine, sainte acceptation du jugement,
voilà les causes de l'agonie du Sauveur
à Gethsémané.
Depuis 6000 ans, le péché
s'est répandu comme un fleuve souillé
sur notre terre et l'a couverte d'iniquités,
d'infamies, de crimes, qui crient vengeance. Il
n'est pas un seul des milliards d'hommes qui vivent
et qui ont vécu ici-bas, qui n'ait
ajouté les siens au sinistre contingent de
péchés déjà commis, pas
un seul qui puisse échapper à la
condamnation. À Gethsémané le
Sauveur a contemplé ce monde
d'iniquités ; elles se sont
posées sur lui comme de sombres nuées
et, envahissant l'horizon, elles ont formé
un mur de séparation entre son Père
et lui. Comment la terreur ne se serait-elle pas
emparée de tout son être à la
vue de l'océan de perdition,
de la culpabilité immense
des pécheurs ? Non seulement
Jésus contemple ce terrifiant tableau, mais
il se présente lui seul pour expier cette
accumulation d'iniquités. Celui que le
péché n'avait jamais effleuré,
qui en avait un saint effroi, prend sur lui ce
poids épouvantable et s'en laisse comme
envelopper. Il accepte comme sienne cette oeuvre du
diable et il se présente avec elle devant le
trône du Dieu saint, pour en porter la juste
condamnation. Lui, le Fils bien-aimé
« a été fait
malédiction pour nous. »
(Gal. III, 13.)
Le chrétien qui a passé par
les angoisses du repentir, qui s'est
prosterné humble et tremblant devant Dieu,
sera saisi d'épouvante à la vue du
saint Fils de l'homme chargé de tous
lès péchés du monde et il
s'étonnera que le Seigneur ait pu supporter
une telle agonie.
Ce qui rend plus terrible encore cette
sinistre scène, c'est la présence de
la puissance des ténèbres.
« Le prince de ce monde vient, dit
Jésus, mais il n'a rien en moi. »
(Jean XIV, 30.) Si, lors de la
première tentation, le diable avait
cherché à attirer le Seigneur par la
flatterie et par la séduction des biens
terrestres, maintenant il fond sur lui avec les
armes de la terreur. Il ne nous est pas dit de
quelle manière le prince des
ténèbres l'assaillit ; il nous
suffit de savoir qu'il engage son combat le plus
acharné ; car il s'agit pour lui de
remporter la victoire ou
d'être jugé et condamné
à jamais. La sombre armée des esprits
infernaux entoure le Seigneur, s'empare de lui, se
fait un jeu de sa personne et se prépare
à le mettre à mort. Car le diable,
« meurtrier dès le
commencement »
(Jean VIII, 44), est le
véritable chef de la ligue formée
contre le Seigneur, qui le maltraitera et le
crucifiera.
Ce n'est que dans l'éternité
que nous comprendrons pleinement ce qu'ont
été les souffrances indescriptibles
du Seigneur à Gethsémané.
Alors, dans un sentiment d'adoration et de
reconnaissance, nous unirons nos voix à
celles des rachetés pour
répéter : « L'Agneau
qui a été immolé, est digne de
recevoir puissance, et richesse, et sagesse, et
force, et honneur, et gloire, et
louange. »
(Apoc. V, 12.)
V. CE QUE
NOUS DIT GETHSÉMANÉ
Quoique les saintes Écritures parlent
fréquemment « de la colère
de Dieu qui se déclare du ciel contre toute
l'impiété et l'injustice des
hommes, » (Rom. I, 18) il est un grand
nombre de personnes qui ne peuvent admettre que le
Dieu d'amour soit en même temps le Dieu juste
et saint ; elles se croient moins coupables
que les autres hommes et pensent que, ayant de
bonnes intentions et participant
comme chacun aux faiblesses humaines, elles
n'encourent pas la colère de Dieu. Elles
traitent légèrement le
péché ; Dieu ne fera-t-il pas de
même ? On rencontre des chrétiens
sincères qui, sans s'en rendre compte,
partagent cette manière de voir ; ils
n'envisagent pas le péché avec assez
de sérieux, ils l'excusent devant leur
propre conscience et en prennent trop
aisément leur parti. Ne pratiquant ni une
sincère repentance, ni une véritable
humiliation, ils ne parviennent jamais à la
paix.
Gethsémané nous montre de
quelle manière l'Éternel envisage le
péché. « Il ne tient point
le coupable pour innocent. »
(Ex. XXXIV, 7.) La loi doit
être accomplie, sinon elle frappe celui qui
l'a violée. Dieu ne serait pas le Dieu
saint, s'il laissait une seule transgression
impunie. Il a livré son Fils à la
justice divine, il l'a condamné à
notre place, afin que sa loi sainte soit satisfaite
et que le pécheur repentant obtienne
grâce et pardon. Regarde ton Sauveur à
Gethsémané ; vois-le
chargé de tes péchés,
même de ceux qui te paraissent inoffensifs,
vois-le accablé et tremblant sous leur
poids ; crois-tu encore que ton
péché soit indifférent aux
yeux de Celui qui est trop pur pour voir le
mal ? Si, en présence de
Gethsémané, tu ne te sens pas
pénétré de repentir, si ton
coeur ne déborde pas de reconnaissance et
d'amour pour ton Sauveur, il n'y
a plus d'espoir pour toi. Quoique vivant, tu es
déjà mort.
L'angoisse morale du Christ, qu'aucun homme
n'aurait pu supporter sans mourir, cette angoisse
nous préserve du désespoir. L'enfant
de Dieu, qui, par la foi, a accepté
Jésus pour son Rédempteur, et qui vit
en communion avec lui, n'est plus
« soumis au pouvoir de la
mort. »
(Rom. VI, 9.) Celle-ci devient un
sommeil, ou plutôt l'entrée dans la
vie éternelle et bienheureuse. La crainte de
la mort et du jugement à venir sont les plus
implacables ennemis de l'humanité.
Gethsémané nous délivre de ces
terreurs.
Il n'est point indifférent au
Seigneur que nous recevions son sacrifice avec une
foi humble et reconnaissante, ou que nous le
négligions par légèreté
ou insouciance. Puisque, par amour pour nous, notre
Sauveur a supporté l'agonie de
Gethsémané, puisque notre
rédemption est pour lui chose si importante
qu'il a donné sa vie pour nous
l'acquérir, nous devons aussi l'envisager
avec sérieux. « Efforcez-vous
d'entrer par la porte étroite. »
(Luc XIII, 24.)
Tout homme ici-bas a passé ou doit
passer par la souffrance. Parfois l'épreuve
devient si lourde qu'il se sent près de
succomber sous son poids. Cependant le
châtiment n'est jamais proportionné
à nos transgressions. Un seul a souffert
sans le mériter. Comment
supporta-t-il son agonie ? En priant. Il se
prépare à la souffrance par la
prière. Il prie en peu de mots ; mais
ce peu de mots, qui résument
l'Évangile, « il les offre avec de
grands cris et avec larmes »
(Hébr. V, 7), et il est
exaucé. Au premier abord, on ne le croirait
pas, puisque la coupe n'a point été
détournée de lui et qu'il a dû
la vider jusqu'à la lie. Cependant il a
été exaucé ; il a
reçu la force d'accomplir la volonté
de son Père.
L'exemple du Seigneur nous sera d'une grande
utilité. Nous aussi, nous devons nous armer
et nous fortifier d'avance, de peur que les flots
de l'épreuve ne nous surprennent
endormis ; nous aussi, nous devons soumettre
notre volonté en toute chose à celle
de Dieu. S'il ne te délivre pas de
l'épreuve, ainsi que tu le lui as
demandé, ta prière pour cela n'est
point inutile. Il l'exauce, quoiqu'autrement que tu
ne le pensais. « C'est par beaucoup
d'afflictions qu'il nous faut entrer dans le
royaume de Dieu. »
(Act. XIV, 22.) « Tout
châtiment ne paraît pas sur le moment
un sujet de joie, mais de tristesse ; mais
ensuite il produit un fruit paisible de justice
pour ceux qui ont été ainsi
exercés. »
(Hébr. XII, 11.) Dieu veut que
ce fruit devienne nôtre. C'est pour cela
qu'il nous envoie l'affliction. S'il nous
délivrait de l'épreuve
instantanément, à notre
première requête, nous ne porterions
pas ce fruit béni d'un
prix éternel. Nous ne pensons qu'à
notre souffrance présente ; Dieu voit
le bien qui doit en résulter et il agit en
conséquence.
Ce n'est pas seulement en vue de
l'éternité que Dieu nous dispense la
souffrance. Celle-ci est aussi destinée
à nous faire avancer dans la sanctification
et dans la vie de prière. On prie avec plus
de ferveur quand on passe par le creuset de
l'épreuve, que lorsque la vie est facile et
sereine. Le devoir du chrétien, lorsque Dieu
le charge d'une croix, est de l'accepter avec
soumission et de la porter en bénissant et
glorifiant son Maître, en présence des
hommes et des anges, même des diables de
l'enfer. C'est une bonne chose de parler et d'agir
pour la gloire de Dieu ; mais souffrir pour
l'amour de lui est infiniment plus précieux.
Les travaux de saint Paul, son activité
missionnaire nous remplissent d'admiration - mais
les souffrances qu'il a supportées, par
amour pour Christ, nous étonnent et nous
émeuvent - il est grand dans le travail -
dans la souffrance, il est admirable. Ce n'est que
par l'épreuve que le nouvel homme manifeste
et développe sa valeur. L'enfant
gémit sous le fardeau qui ferait sourire un
homme fort. Le malade tremble en présence de
la tâche qu'un homme valide accomplit sans
aucune peine. Sous la croix - et ceci est un grand
encouragement - nous ne serons point laissés
seuls comme Jésus à
Gethsémané ; ce
ne sera pas seulement un ange,
mais Jésus lui-même qui demeurera avec
nous « tous les jours jusqu'à la
fin du monde. »
(Matth. XXVIII, 20.)
L'amour de Dieu pour l'humanité
déchue se manifeste à
Gethsémané dans sa grandeur et sa
profondeur insondables. Nous ne pouvons nous faire
une idée juste de l'amour de Dieu. Ses
autres qualités, notre intelligence les
comprend plus aisément ; par
exemple : sa puissance qui a
créé par sa Parole, non seulement la
terre avec tout ce qu'elle contient, mais les
innombrables corps célestes semés
dans l'immensité des cieux et dont la
grandeur dépasse des millions de fois celle
de notre monde ; ou sa science qui soutient et
dirige avec une merveilleuse exactitude et une
admirable harmonie l'univers tout entier, depuis
l'humble fleur et l'insecte microscopique jusqu'aux
soleils.
Ps. XIX, 1-5.) Mais, quant à
l'amour de Dieu, il n'existe pas de points de
comparaison. L'amour qui remplit, non seulement
notre coeur, mais celui de tous les hommes, ne peut
nous en donner la plus faible idée. C'est un
amour qui dépasse toute imagination.
« Il ne brise pas le roseau
cassé ; il n'éteint pas le
lumignon qui fume encore. »
(Esaïe XLII, 3.)
Si Dieu discerne dans une âme d'homme
une faible étincelle de vie, il ne la laisse
pas s'éteindre, mais il s'efforce, dans sa
compassion infinie, de la ranimer et de l'attirer
à lui. L'essence de
l'amour, c'est le don de soi-même. Le don que
Dieu a fait de son Fils unique, le livrant à
la mort sur la croix, « afin que
quiconque croit en lui ne périsse point,
mais qu'il ait la vie éternelle
(Jean III, 16), est la plus haute
manifestation de son amour pour nous. En
comparaison de ce sacrifice, le monde entier, avec
ses trésors et sa gloire, n'est que
néant. Dieu ne pouvait faire davantage, car,
en donnant son Fils, il s'est donné
lui-même. L'amour des parents pour leurs
enfants est un don de Dieu. Un père
renoncerait à tout, il immolerait sa propre
vie, plutôt que de sacrifier son enfant. Dieu
a livré son Fils unique, « la
splendeur de sa gloire et l'empreinte de sa
personne »
(Hébr. I, 3), à la mort
terrible de la croix, afin d'amener les
pécheurs au salut, au bonheur, à la
vie éternelle. Il l'a fait, sachant
très bien qu'un grand nombre de ces pauvres
égarés n'accepteraient pas ce don
ineffable, et que les meilleurs mêmes ne
l'estimeraient jamais à sa haute valeur. 0
amour de Dieu ! incompréhensible,
infini, au-dessus de toute pensée, nous te
bénissons et nous t'adorons !
Le devoir du chrétien et son
privilège, c'est « d'aimer Dieu de
tout son coeur, de toute son âme et de toute
sa pensée. »
(Matth. XXII, 37.) Comment accomplir
ce devoir ? Comment s'approprier ce
privilège ? Un grand nombre de
personnes, se représentant que c'est chose
très difficile, se
contentent d'une piété froide,
formaliste, sans confiance en Dieu ; elles
restent dans le parvis extérieur et
n'entrent jamais dans le sanctuaire. Cependant le
chemin est simple et tout tracé. Le plus
petit enfant peut aimer sa mère. Comment s'y
prend-il pour s'attacher à elle, au point
que son absence le fait souffrir et peut même
le rendre malade ? Simplement ceci :
l'enfant se laisse aimer ; l'amour de sa
mère éveille l'amour dans son jeune
coeur. Si nous contemplons à
Gethsémané et à Golgotha
l'immense sacrifice accompli par l'amour divin, si
nous méditons les paroles de
miséricorde et de tendre compassion du
Sauveur ; si, en un mot, nous nous laissons
aimer par notre Dieu, nous sentirons aussi
s'éveiller dans notre coeur un profond et
ardent amour pour Lui. Quand on connaît Dieu,
on ne peut autrement que l'aimer et l'adorer.
L'enfant est à plaindre et à
blâmer, qui possédant un bon et tendre
père, s'en va errer solitaire et
révolté dans le désert du
monde. Il se croit libre de tout joug, il jouit
dans une certaine mesure ; mais son coeur est
sans paix, sans loi, sans harmonie ; il est
malade.
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