SAMSON
ou
Puissance
Perdue et Retrouvée
S'il y avait des
cimetières pour enfouir les faillites
morales, les cadavres spirituels, comme il y en a
pour les morts naturels, on ne pourrait plus poser
le pied sur cette terre sans marcher sur quelque
tombeau...
Que de cadavres on
croise ainsi dans ce monde, de ces gens sur le
front desquels il pourrait être
écrit :
« Tu passes pour être vivant,
et tu es mort » !
Des « morts
subites », il ne s'en produit à
peu près jamais, dans le monde spirituel.
Cela commence presqu'insensiblement par un
affaiblissement, un déclin à peine
perceptibles, une lente atrophie qui va s'aggravant
ensuite jusqu'à l'extinction complète
de toute puissance.
Que de leaders
spirituels, que d'étoiles de première
grandeur n'a-t-on pas vus de nos temps
s'éteindre ainsi à l'horizon du
Royaume de l'Esprit, pour disparaître dans
l'oubli quand ce n'est pas dans la
honte.
Quelque chose à
un moment donné s'est produit
dans leur vie qui a passé
inaperçu aux yeux du public, mais dont Dieu
connaît bien le secret, et qui a
déterminé l'éclipse lente,
fatale d'un astre qui projeta longtemps les plus
magnifiques clartés.
L'histoire de Samson, sous ce rapport, est
peut-être le plus frappant exemple,
rapporté par la Bible, d'une puissance
surhumaine, alliée à la plus folle
témérité (de tous les dangers
le plus grand) et qui soudain s'effondre dans la
plus effroyable banqueroute.
La vie de Samson est un garde-à-vous
tragique, c'est, gravé en traits de feu, le
tableau fulgurant de ce que chacun de nous pourrait
devenir.
Samson, c'est tout d'abord un héros
spirituel, héros ardent, impétueux,
merveilleux, géant solitaire qui domine de
toute su hauteur un peuple entier, un
continent.
C'est un guerrier de l'Éternel,
unique en son espèce, unique en sa
génération.
Puis, un écroulement terrible, qu'une
passion secrète a provoqué.
Et enfin, au soleil couchant de sa vie,
après une vie détruite, et des
années de vision perdue (les yeux de Samson
crevés) un retour subit des feux splendides
du début.
Samson, c'est la réponse de la force
donnée à la consécration et
qui repose uniquement sur elle.
Qu'on ne s'y trompe pas, en effet, la force
herculéenne de Samson
n'est, dans l'Ancien Testament, pas autre chose que
la contrepartie de la dynamique spirituelle dans le
Nouveau.
Car, notons-le bien, Samson ne naît
pas avec cette force. Ses muscles sont tout pareils
aux muscles du commun des mortels, sa taille
également. Il n'est ce qu'il est que par
le Saint-Esprit. L'Esprit, à un moment
donné, le revêt de force au point que,
sans le secours de la moindre arme, il est capable
de terrasser un lion, de mettre en fuite une
armée de trois mille hommes.
(Juges XIV, 6).
Les boucles de ses cheveux qui tombent sur
ses épaules symbolisent l'onction du
Saint-Esprit, comme en était le symbole
l'huile sacrée qui découlait sur la
tête et les épaules d'Aaron. Ces
boucles, coïncidence frappante, étaient
au nombre de sept
(Juges XVI, 19), la plénitude
de la puissance. Et ces boucles ne devaient pas
être coupées ; c'étaient
là à la fois l'ordre et
l'emblème, donnés par Dieu
lui-même
(Nombres VI, 13) de sa
consécration au Naziréat ;
c'était l'unique secret de sa force
irrésistible.
Le naziréen savait qu'il avait perdu
sa consécration lorsque le rasoir passait
sur sa tête.
Ce mot naziréen vient de
l'hébreu « nazir »,
séparé, mis à part pour
Dieu. Ainsi, Samson doit sa force uniquement au
fait qu'il est nazir, séparé.
Et il conserve cette force aussi longtemps qu'il se
tient à l'écart d'un monde mort (le
naziréen ne devait jamais s'approcher d'un
cadavre).
Le mot « Samson »,
signifie soleil, ou force, le soleil quand il
brille dans sa force. Le soleil, réservoir
et émetteur de la lumière du monde.
En sorte qu'il ne faut pas voir en Samson
quelque phénomène de force brutale,
une sorte d'hercule de foire, mais un exemple
extraordinaire de ce que peut accomplir, en un
homme et par un homme, la puissance du
Saint-Esprit.
Sa force provient uniquement de Dieu ;
le choix ridicule des armes qu'il emploie le montre
à l'évidence.
Mais voici Dalila qui entre en scène. Ce
mot, Dalila, signifie langueur,
séduction. Dalila est l'image du beau
recouvrant le faux.
Le lion, que Samson avait un jour
rencontré et tué, n'était
qu'un jouet en comparaison de cette Dalila.
Tel qui affronte le martyre est
terrassé par une misérable
flatterie...
Dalila, nous la trouvons
représentée dans ce monde sous les
formes les plus diverses : c'est la
sensualité, domination de la chair,
volupté ; c'est l'orgueil
spirituel ; c'est l'attrait de la
popularité, l'ambition du pouvoir ;
c'est l'argent. Ah ! l'argent - l'hostie du
diable, comme on l'a appelé. Là
où boisson et impureté viennent
à bout de dix, argent et orgueil en abattent
dix mille...
Mieux Dalila se dissimule, plus elle est
dangereuse. De bonne heure déjà, le
défaut fatal de Samson est apparu lorsque,
Naziréen comme il l'était, il mangea
du miel ramassé dans la carcasse d'un lion -
d'un monde mort...
Tant il est vrai que nous naissons tous avec
le germe de maladie spirituelle qui, si nous ne
veillons pas, nous emportera tôt ou
tard.
Voici donc la nouvelle étape
franchie : Samson met sa force au service d'un
monde prostitué et vendu au
péché, au lieu de l'employer à
vaincre les ennemis de Dieu.
À l'instigation des puissances de
ténèbres qui l'ont achetée
pour quelques milliers de francs, Dalila
assiège maintenant Samson d'insidieuses
questions et de prières pour
découvrir le secret de sa force, de
« sa grande force », est-il
dit ; et cela non pas pour l'utiliser, mais
pour la lui ravir.
Voici donc Samson aux prises avec la
terrible Dalila, sans que l'ombre d'une
inquiétude l'effleure, sans faire le moindre
examen intérieur, sans se méfier en
aucune façon de son coeur, sans tenter le
moindre effort pour renoncer à sa passion.
La certitude de Samson repose uniquement,
présomptueusement, aveuglément, sur
la confiance qu'il a en sa force.
Suivez bien maintenant la course à
l'abîme, voyez comme sous, les efforts
répétés de la
séduction, Samson est
précipité des plus hautes cimes
spirituelles.
Par trois fois, Samson élude les
questions pressantes de Dalila. Par trois, fois
celle-ci revient à la charge,
décidée à
pénétrer le secret, et chaque
tentative la rapproche, du but.
Et pendant tout ce long délai,
Samson conserve sa pleine puissance. C'est que,
Dieu n'abandonne jamais son ouvrier après
une première faute. Il temporise, il
avertit, il patiente, il offre de nouvelles
occasions de repentir, continuant
même à l'utiliser puissamment. Et nous
avons là une preuve frappante que le
baptême de puissance ne s'accompagne pas
nécessairement d'une transmission de
sainteté. En sorte que l'idée que
le baptême de l'Esprit produit l'extirpation
du péché est une pure et dangereuse
illusion.
L'Eglise de Corinthe, la plus riche en dons
miraculeux, est aussi la moins sanctifiée
des Églises.
Les unes après les autres sont donc
brisées cordes fraîches et cordes
neuves, et chaîne de métier, ce qui
prouve que rien encore, pour Samson, n'est
irrévocablement perdu. Et par trois fois,
glissant sur la glace menue, Samson franchit le
signal rouge, approchant toujours plus de
l'abîme.
Avoir de la complaisance pour le
péché en s'imaginant que l'on peut
faire la part du péché,
équivaut à essayer de rassasier un
tigre. Le péché comme le tigre, est
insatiable.
Et tout péché conduit à
un plus grand péché :
Un homme que j'ai connu en Suisse,
père d'une nombreuse famille, fut conduit
à signer la tempérance.
C'était un esclave de la boisson, redoutable
batailleur. Il fut merveilleusement
délivré. C'était, en
même temps, un grand fumeur. Le Saint-Esprit
ne tarda pas à entrer en conflit avec lui
à ce sujet. Pendant un temps, cela marcha
bien, très bien même, en
apparence.
Puis survient une chute effroyable. L'homme
revint à la surface, mais sans abandonner
son tabac.
Dans une réunion de prière,
tiraillé par sa passion et
par le commandement de l'Esprit, il se releva
soudain et dit, en proie à une excitation de
dément :
« Plutôt que de laisser mon
tabac, j'abandonnerais ma femme et mes neuf enfants
et je partirais pour l'Amérique. »
Le malheureux retomba plus bas que jamais.
Mais il y a une fin à tout. Et le moment
fatal arrive où il suffit d'un flocon de
neige pour déclencher l'avalanche, où
il suffit même d'un cri d'oiseau. Ce moment,
pour Samson, est arrivé.
Il est une chose, maintenant, que nous ne
devons jamais perdre de vue, c'est que la
Puissance, cette puissance avec qui nous
sommes en relation, qui se manifeste en nous, ce
n'est pas quelque chose, c'est
Quelqu'un, c'est la 3e personne
sacrée de la Sainte Trinité, c'est le
Saint-Esprit.
Le Saint-Esprit n'est pas une simple
émanation de Dieu une influence divine, ce
Saint-Esprit, c'est le remplaçant
mystérieux sur la terre, le Vicaire de
Jésus glorifié :
« Si je ne m'en vais pas, le
consolateur ne viendra pas vers
vous ». « Il prend de ce
qui est au Seigneur pour nous le
communiquer »
(Jean XVI, 7-15). Il est libre,
à tout moment, de faire cesser, sur
l'instrument qu'il s'est choisi, la communication
de sa puissance.
Nous n'avons pas oublié que l'Esprit
était venu sur Samson non point parce qu'il
était Israélite, mais parce qu'il
était Naziréen. Cette puissance n'est
donc pas sa
propriété personnelle, un
privilège de famille ou de race. Il ne peut
pas en user et en abuser à sa fantaisie,
comme un hercule exécute ses tours pour
l'ébahissement des foules. Non. La puissance
n'a été confiée à
Samson que pour lui permettre de vaincre les
ennemis de Dieu, pour combattre les batailles de
l'Éternel.
Mais la roue peut tourner quelques instants
encore après que la dynamo a cessé,
de fonctionner...
Et si Dieu vient dans un tremblement de
terre, Il peut aussi se retirer dans « le
murmure doux et léger ». Il est
dit que : « Samson NE SAVAIT
PAS que l'Éternel s'était
retiré de lui. » Terribles
paroles ! Les facultés mêmes que
le péché engourdit et atrophie sont
celles qui nous permettent de percevoir la
présence de l'Esprit. Aucun
événement extérieur n'avertit,
aucune grande secousse, aucune sonnette d'alarme
n'annonce que le Saint-Esprit, la colombe
délicate et craintive, s'est
envolé ; c'est pendant le sommeil de
Samson que sa puissance a disparu.
Un ouvrier de Dieu, au milieu même de
ses plus graves déficits intérieurs,
peut très bien se flatter que sa puissance
est demeurée la même qu'au temps de sa
plus entière consécration.
Mais quel affreux réveil, quand il se
rend compte que c'est au moment précis
où il aurait eu un suprême besoin de
cette puissance qu'il en a été
abandonné ! ...
Ah ! qu'il est tranchant le rasoir du
monde sur « les tresses » de la
consécration ! Coupure
irréparable !
Sans doute, Samson ne s'est jamais
rasé la tête.
Mais il se mélange à une
société où quelqu'un se charge
de le faire à sa place pendant qu'il est
plongé dans un profond sommeil.
Quand on s'assied sur les genoux du monde,
on se réveille sous ses pieds !
Assurément, si Samson l'avait voulu,
tandis qu'il en était temps, il aurait pu se
dégager de l'envoûtement fatal. Mais
là encore se vérifie le dicton si
cruellement vrai : « Celui qui ne
veut pas quand il peut, ne pourra pas quand il
voudra. »
Ah ! on ne badine pas avec le
péché ; tôt ou tard, il
vous présente sa note. Et c'est la
ruine.
Une tresse, deux tresses, trois, toutes y
passent et quand la dernière est
tombée, c'est le réveil, c'est
l'agonie...
La scène qui suit ne peut se
décrire froidement. Elle arracherait des
larmes à un marbre.
Samson, le Juge de Dieu, Samson, le chef du
peuple de l'Éternel, Samson devient le
bouffon public des Philistins !
Ses pauvres yeux ont été
crevés, et il faut encore qu'il amuse la
populace, qu'il fasse le pitre pour la distraire...
- « Et Samson, est-il écrit,
dansait devant eux »
(Juges XVI, 25).
Oh ! qu'un coeur rétrograde peut
tomber bas !
... Qu'un feu nouveau s'allume !
Mais maintenant surgit devant nous le plus
éclatant rayon de lumière qu'offre
peut-être l'Écriture à
l'âme déchue, pour l'empêcher de
sombrer à tout jamais dans le gouffre du
désespoir. Le diable, lui, prêche
toujours le découragement à l'enfant
de Dieu en état de chute. Mais Dieu sans se
lasser lui dit qu'il reste une
espérance.
Oui, tant qu'il y a de la vie, il y a de
l'espoir.
« Cependant, les cheveux de sa
tête recommençaient à
pousser... »
(Juges XVI, 22).
Pendant le long et sombre martyre solitaire
des jours et des nuits dans l'obscur cachot de
Gaza, la tête de Samson s'est recouverte
d'une abondante chevelure. Des tresses se sont
reformées.
Le voeu de Naziréat qu'il avait
violé, Samson le renouvelle. Sa restauration
va être possible, car sa controverse est
terminée avec l'Éternel. Une nouvelle
séparation, une nouvelle
consécration s'accompagnent d'un nouveau
baptême de puissance.
Toutefois, la vue ne revient pas à
Samson : Par les yeux il avait
péché, par les yeux il est puni, et
il demeurera à jamais aveugle.
Il est des cicatrices qui ne disparaissent
jamais de nos âmes rétrogrades. Il est
des grâces que nous avons pour toujours
perdues la candeur de notre innocence, la
fraîcheur de notre premier amour, une vie
avec Dieu, comme celle d'Hénoc trois cents
ans, durant ; sans un jour
d'arrêt, tout cela est perdu, bien perdu.
Ah ! oui, elles sont lamentables, elles sont
affreusement cruelles, les morsures du
péché !
Pour être resté trop longtemps
dans le pays que connut l'enfant prodigue, on est
souvent réduit à ne plus être
toute sa vie qu'un grand blessé, un grand
mutilé de la guerre spirituelle.
Mais enfin, les bienheureuses tresses ont
réapparu sur la tête de Samson, ces
tresses qui annoncent le retour de la puissance du
Saint-Esprit ; et en réponse à
la supplication de l'ancien Juge d'Israël,
jaillit abondante la fontaine de la
restauration.
C'est en effet la première fois que
Samson prie, depuis sa chute, la première
prière qui nous est rapportée de lui
depuis que, mourant de soif, autrefois, il avait un
jour invoqué les « ruisseaux de
Dieu »
(Juges XV, 18).
Et il dit : « Seigneur
Éternel, souviens-toi de
moi ! » Ces mots partent du plus
profond de son coeur. Il ne revient pas sur le
passé, sur les occasions perdues, à
tout jamais perdues, car ses yeux fermés ne
conduiront jamais plus les armées
d'Israël. Non. Il ne demande même pas
que Dieu sauve sa vie par quelque miracle. Il
dit : - « O Dieu, donne-moi la
puissance, seulement cette fois et que je
meure ! »
C'est le cri de l'apôtre Paul, un
millier d'années plus tard, : -
« Moi, peu importe ; je fais
volontiers l'abandon de ma vie, pourvu que
j'achève ma course. »
(Actes XX, 24).
Samson tient plus à la victoire
qu'à la vie. Sa convoitise avait
entraîné sa ruine ; son repentir
et sa prière permettent
son rétablissement assure sa victoire.
Et nous voici enfin arrivés à
l'un des plus merveilleux couchers de soleil de
l'Écriture :
Dès que Samson se remet à
prier, il redevient le héros d'autrefois.
Tout avait été perdu par le
péché, tout est retrouvé par
le repentir et la prière. Et le Saint-Esprit
redescend sur lui en puissance
- « Il s'arc-bouta de toutes
ses forces. »
C'est le serviteur de Dieu se remettant
à l'oeuvre de toute l'énergie de son
âme, reprenant les armes momentanément
abandonnées, « armes de guerre
divinement puissantes pour détruire les
forteresses »
(2 Cor. X, 4). - « Et la
maison tomba. »
O la grâce merveilleuse de Dieu qui
peut, en un instant, réparer l'erreur fatale
d'une vie entière !
L'énorme édifice vacille sur
sa base et dans un fracas épouvantable
s'écroule avec son toit et ses galeries
chargées de monde, et les princes des
Philistins au complet. Et ce temple, qui dressait
à la face du Dieu vivant la gloire de ses
idoles, avec ses prêtres se moquant du Saint
d'Israël et le blasphémant, ce temple,
à l'instant, devient un immense
tombeau.
Un tel héroïsme coûte la
vie à Samson, mais inscrit son nom sur le
tableau d'honneur des héros de la foi, au
XIe chapitre des Hébreux. Samson. est
redevenu l'un des géants les plus
redoutables ayant combattu les ennemis de
Dieu : - « Ceux qu'il fit
périr à sa mort furent plus nombreux
que ceux qu'il avait tués pendant sa
vie. »
Ainsi, le vaincu le plus misérable
peut redevenir le plus glorieux des
vainqueurs.
La suprême victoire de sa vie, c'est
après sa chute que Samson la remporte.
Jamais le Saint-Esprit ne le soutint autant que
dans son combat final pour Dieu. Et du milieu
même d'une scène de scandale, de
risée et de honte, Samson monte dans la
gloire.
- « Toutes les nations
m'environnaient ; au nom de l'Éternel,
je les taille en pièces. Elles
m'environnaient, m'enveloppaient ; au nom de
l'Éternel, je les taille en
pièces. »
(Ps. 118, 10).
Librement adapté du
« Dawn » Par A. A
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