SAINT PIERRE
A ANTIOCHE.
III.
Je passe maintenant à la troisième
leçon que nous donne Antioche, savoir :
Qu'il n'y a aucune doctrine dont nous devions
être plus jaloux que celle de la
justification par la foi sans les oeuvres de la
loi.
La preuve de cette leçon ressort
de la manière la plus saillante du passage
de l'Écriture qui est en tête de ce
traité. Quel était donc l'article de
foi que l'apôtre Pierre avait repoussé
à Antioche ? - Aucun. Quelle doctrine
avait-il proclamée publiquement qui
fût fausse ? - Aucune ! Qu'avait-il
donc fait ? Voici ce qu'il avait fait.
Après avoir jadis vécu intimement et
en compagnie avec les Gentils qui avaient cru,
comme avec des cohéritiers du même
héritage et des frères, il devint
tout d'un coup froid et réservé avec
eux, se contredisant ainsi lui-même. - Il
semblait croire qu'ils étaient moins saints
et moins acceptables aux yeux de Dieu que les Juifs
circoncis. - Il paraissait impliquer que les
croyants parmi les Gentils étaient dans un
état inférieur à ceux qui
avaient gardé les cérémonies
de la loi de Moïse. Il semblait en un mot
ajouter quelque chose à la foi
toutesimple, comme
nécessaire pour donner à un homme une
part en Jésus-Christ, et répondre
à la question - « Que faut-il que
je fasse pour être
sauvé ? » non-seulement
« crois au Seigneur
Jésus-Christ, » mais
« crois au Seigneur Jésus-Christ,
sois circoncis et garde les
cérémonies de la
loi. »
L'apôtre Paul ne put pas
tolérer un seul moment une telle conduite.
Rien ne l'affligeait plus que l'idée
d'ajouter quelque chose à l'Évangile
de Christ ; aussi dit-il : « Je
lui résistai en face. »
Non-seulement il le réprimanda, mais il
rappela le fait dans son entier, quand, sous
l'inspiration du Saint-Esprit, il écrivit
son épître aux Galates.
Ami lecteur, j'attire votre attention
toute spéciale sur ce point. Je vous prie
d'observer quelle jalouse affection l'apôtre
Paul montre à l'égard de cette
doctrine, et considérez le, sujet à
l'occasion duquel cette contestation eut lieu.
Remarquez dans ce passage de l'Écriture
l'immense importance attachée à la
justification par la foi sans les
oeuvres de la loi. - Rappelez-vous que ce fut au
moyen de cette doctrine scripturaire que Luther
remua le monde, et que tous les réformateurs
contemporains l'ont suivi dans le même
chemin.
Rappelez-vous que c'est la doctrine
qui est essentiellement nécessaire
à votre consolation personnelle. Aucun
homme sur la terre n'est réellement enfant
de Dieu et n'est une âme sauvée avant
d'avoir connu et reçu le salut par la foi en
Jésus-Christ. - Aucun homme n'aura jamais ni
paix solide ni assurance véritable, qu'il
n'ait embrassé dans son coeur la doctrine,
« que nous sommes tenus pour justes
devant Dieu par les mérites de notre
Seigneur Jésus-Christ, par la foi, et non
par nos oeuvres ou mérites
propres. » Je crois qu'une raison pour
laquelle tant de Sens, qui font profession
d'être disciples de Christ, même de nos
jours, sont ballottés çà et
là, jouissent de peu de consolation, de peu
de paix, c'est leur ignorance sur ce point.
Ilsne voient pas clairement la
justification par la foi sans les oeuvres de la
loi.
C'est une, doctrine que le grand
ennemi des âmes hait, qu'il cherche à
détruire. - Il sait qu'au commencement
elle a changé la face du monde et qu'elle a
de nouveau tout bouleversé de fond en comble
le monde au temps de la réformation. C'est
pour cela qu'il pousse les hommes autant qu'il peut
à la repousser. - Il cherche sans cesse
à séduire les Églises et les
ministres pour nier ou obscurcir cette
vérité. Il n'y a pas lieu de
s'étonner que le concile de Trente ait
dirigé contre cette doctrine ses principales
attaques et proclamé qu'elle était
hérétique, et qu'il l'ait
anathématisée. - On n'est pas surpris
non plus que beaucoup de ceux qui se
prétendent savants de nos jours repoussent
cette doctrine comme étant un jargon
théologique, et disent que tous les esprits
éclairés sont justifiés par
Christ, qu'ils aient ou non foi en lui. La cause
réelle, c'est que
cettedoctrine n'est que fiel et
absinthe pour les coeurs inconvertis. C'est
justement celle qui convient aux âmes
réveillées. Mais l'homme orgueilleux
et sans humilité, qui ne connaît pas
son état de péché et ne voit
pas sa propre faiblesse, ne peut pas recevoir cette
vérité.
C'est la doctrine, dont l'absence est
la cause de la moitié des erreurs de
l'Église catholique romaine. - Car on
peut attribuer l'origine d'une grande partie des
doctrines anti-scripturaires de la papauté
à son rejet de la justification par la foi.
Aucun docteur romain, s'il est fidèle
à son Église, ne peut dire au
pécheur angoissé :
« Crois au Seigneur Jésus-Christ
et tu seras sauvé. » Il ne le peut
pas sans des additions et des explications qui
détruisent complètement la bonne
nouvelle. Il n'ose pas administrer le remède
de l'Évangile saris y ajouter quelque chose
qui détruit son efficace et neutralise son
influence. Le purgatoire, la pénitence,
l'absolution du prêtre, l'intercession
dessaints, le culte de la Vierge,
et beaucoup d'autres croyances de la
papauté, qui sont l'ouvrage de l'homme,
jaillissent tous de la même source. Ce sont
tout autant d'appuis pourris pour les consciences
travaillées et chargées, rendus
nécessaires par le rejet de la justification
par la foi.
Cette doctrine est indispensable
à tout succès d'un ministre parmi ses
ouailles. - L'obscurité sur ce point
gâte tout. L'absence de clairs enseignements
sur la justification empêchera le zèle
le plus ardent de faire du bien. - Il peut y avoir
beaucoup de choses belles et bonnes dans les
sermons d'un ministre, beaucoup sur Christ et sur
notre union sacramentale avec lui ; - beaucoup
sur le renoncement, - sur l'humilité et sur
la charité. - Mais tout cela profitera peu,
si sa trompette rend un son douteux sur la
justification par la foi, sans les oeuvres de la
loi.
Cette doctrine est absolument
essentielle à la prospérité
d'une Église. Aucune Église n'est
réellement dans un état sain, si
cettedoctrine n'est pas hautement
prêchée et proclamée. Une
Église peut avoir des formes excellentes,
des ministres régulièrement
consacrés et les sacrements convenablement
administrés, mais une Église ne verra
point les âmes se convertir sous sa
prédication si cette doctrine n'est pas
ouvertement prêchée. Ses constructions
ecclésiastiques peuvent frapper les yeux de
tout le monde, mais il n'y aura aucune
bénédiction de Dieu sur cette
Église si la justification par la foi n'est
pas proclamée dans ses chaires ;
tôt ou tard son chandelier lui sera
retiré.
Pourquoi les Églises d'Afrique et
d'Orient sont-elles tombées dans leur
état actuel ?
- N'avaient-elles pas des
évêques ? des formes et des
liturgies, des synodes et des conciles ? Oui,
elles avaient tout cela ; - mais elles avaient
mis de côté la justification par la
foi, perdu de vue cette puissante
vérité, et elles sont
tombées.
Pourquoi l'Église anglicane
fit-elle si peu de chose dans le dernier
siècle, et pourquoi les
indépendants, les méthodistes et les
baptistes en firent-ils beaucoup plus ? Leur
système était-il meilleur ?
l'Église anglicane n'était-elle pas
aussi bien adaptée aux besoins des
âmes perdues ? Non ; mais leurs
ministres prêchaient la justification par la
foi, et les nôtres, sauf de rares exceptions,
n'en parlaient pas.
Pourquoi voit-on tant de gens
fréquenter les Églises dissidentes de
nos jours ? et pourquoi voyons-nous souvent
une splendide église paroissiale gothique
aussi vide d'adorateurs qu'une grange l'est de
blé en juillet ; tandis qu'une simple
petite bâtisse, construite en briques et
appelée une maison d'assemblée, est
remplie jusqu'à étouffer ? Ce
n'est pas que les gens aient une antipathie
abstraite pour l'épiscopat, pour le
prayer-book (1),
le surplis et l'Église
établie ; pas le moins du monde !
la simple raison en est que, dans le plus grand
nombre des cas, le peuple
n'aimepas une prédication
dans laquelle la justification par la foi n'est pas
pleinement proclamée. Quand ils ne peuvent
pas l'entendre dans l'église de leur
paroisse, ils vont la chercher ailleurs. Sans doute
il y a des exceptions, et il y a des lieux
où une longue suite de négligences a
tellement dégoûté le peuple de
l'Église anglicane, qu'il ne veut pas
même entendre la vérité de la
bouche de ses ministres ; mais je crois qu'en
général, quand l'église est
déserte et le lieu de
l'assemblée rempli, l'enquête
prouvera que la cause en est là.
Lecteur, si ces choses sont telles,
l'apôtre Paul avait raison de se montrer
jaloux de cette vérité, et de
résister à Pierre en face. Il pouvait
soutenir avec raison qu'on devait tout sacrifier,
plutôt que de mettre en danger, dans
l'Église de Christ, la doctrine de la
justification. Il lut dans l'avenir avec un oeil
prophétique ; et il nous laissa un
exemple pour le suivre. - Quelle que soit notre
tolérance, ne permettons jamais que la
moindre atteinte soit portée
à cette doctrine
bénie, que nous sommes justifiés par
la foi sans les oeuvres de la loi.
Lecteur, aussi longtemps que vous
vivrez, gardez-vous de tout enseignement qui
obscurcirait directement ou indirectement la
justification par la foi. Tout système
religieux qui interpose une chose quelconque entre
le pécheur travaillé et chargé
et la simple foi en Jésus-Christ notre
Sauveur, est dangereux et contraire à
l'Écriture. - Tout système qui fait
de la foi quelque chose de compliqué, qui en
fait autre chose qu'une simple et filiale
dépendance, - qui sépare la main qui
reçoit le remède de la main du
médecin qui le donne, est un système
dangereux et malfaisant. Tout système qui
porte atteinte à la simple doctrine
protestante, qui a brisé le pouvoir de Rome,
amène avec lui une espèce de
contagion qui met les âmes en
péril.
Le baptême est un sacrement
institué par Christ lui-même, et tous
ceux qui se disent chrétiens doivent en user
avec respect et
vénération. Quand on l'applique avec
droiture, avec dignité et avec foi, il
peut-être l'instrument de puissantes
bénédictions pour l'âme. Mais
pour ceux auxquels on enseigne que tous ceux qu'on
baptise sont de plein droit nés de nouveau,
et que tous les baptisés doivent être
considérés comme des enfants de Dieu,
pour ceux-là, dis-je, je crois que leurs
âmes courent un grand danger. Un tel
enseignement sur le baptême renverse selon
moi la doctrine de la justification par la foi. Les
seuls enfants de Dieu sont ceux qui ont la foi en
Jésus-Christ, et tous les hommes n'ont pas
la foi.
La sainte cène est un sacrement
donné par Christ lui-même et
institué pour l'édification et la
consolation des vrais fidèles ; mais
pour ceux qui sont enseignés que toute
personne quelconque doit se présenter
à la table du Seigneur, qu'elle ait on non
la foi, et que tous ceux qui reçoivent le
pain et le vin reçoivent également le
corps et le sang de Christ, les
âmes de ceux-là
sont, selon moi, dans un grand danger. Un tel
enseignement me paraît obscurcir la doctrine
de la justification par la foi. - L'homme
justifié est le seul qui mange
réellement le corps de Christ et qui boit
son sang, et personne n'est justifié
à moins qu'il ne croie.
Être membre de l'Église est
un grand privilège. Aucune Église sur
la terre n'offre, selon moi, autant d'avantages
à ceux qui en font partie, quand elle est
dirigée avec droiture. Mais pour ceux
à qui l'on a enseigné que leur
qualité de membres de cette Église
les rend de droit membres de celle de Christ, je
crois leurs âmes en grand danger. - Un
semblable enseignement me paraît renverser la
doctrine de la justification par la foi. Ceux qui
croient, sont seuls unis à Christ, et tous
les hommes ne croient pis.
Lecteur, chaque fois que vous entendez
un enseignement qui obscurcit ou contredit la
doctrine de la justification par la foi, vous
pouvez être certain qu'il y a
quelque chose qui cloche. Soyez
en garde contre cet enseignement. - Une fois que
vous errez au sujet de la justification, vous
pouvez dire un long adieu à toute
consolation, à toute paix, à toute
espérance vive, en un mot à tout ce
qui se rattache à l'assurance du
christianisme. - L'erreur ici est un ver à
la racine. - Veillez donc sur cette doctrine et
tenez-vous sur vos gardes.
1. En terminant, permettez-moi d'abord
de demander à tout individu qui lira ce
traité de s'armer d'une complète
connaissance de la Parole écrite de
Dieu ; s'il ne le fait, il sera sans cesse
à la merci de tout faux docteur. - Il ne
reconnaîtra pas les erreurs d'un Pierre et ne
sera pas en état d'imiter la courageuse
fidélité d'un Paul. Un laïque
ignorant sera toujours la mort d'une
Église ; - et un laïque qui lit la
Bible peut sauver une Église de la ruine.
Lisez donc la Bible régulièrement,
journellement, avec sérieux, avec un esprit
de prière fervente. - Rendez-vous
son contenu familier ;
qu'elle demeure en vous et vous rende riche en
toute sagesse et en toute intelligence spirituelle,
afin que vous soyez rendu propre à toute
bonne oeuvre. Jugez de tout enseignement par ce
livre béni. Éprouvez les esprits pour
savoir s'ils sont de Dieu. ne recevez rien, ne
croyez à rien, ne suivez rien qui ne soit
pas dans la Bible, et qui ne puisse pas être
prouvé par elle. - Ne suivez pas tel ou tel
homme, tel ou tel parti, tel ou tel
système ; mais que la règle de
votre foi, la pierre de touche de votre
enseignement, soit la Parole écrite de
Dieu.
2. En deuxième lieu, j'engage
tout lecteur de ce traité à
être toujours prêt à combattre
pour la foi en Christ, si c'est nécessaire.
Je ne recommande pas de nourrir un esprit de
controverse. Je ne veux pas qu'aucun homme imite
Goliath, qui allait ici et là, criant :
« Donnez-moi un homme pour combattre avec
moi. » Se nourrir habituellement de
controverse est réellement une triste
nourriture, c'est se nourrir
d'os. Les controverses sont les os et non la chair
de la religion. Mais je dis que l'amour d'une
fausse paix ne doit jamais vous empêcher de
combattre activement toute fausse doctrine et de
chercher à propager la vraie doctrine autant
que vous le pouvez. Le pur Évangile dans la
chaire, le pur Évangile dans toute
société que vous soutenez par vos
dons, dans tous les livres que vous lisez, dans les
amis dont se compose votre société
intime : - que ce soit là votre
tendance et ne rougissez jamais de la manifester
hautement devant les hommes.
3. Enfin, je supplie ceux qui liront ce
traité de veiller avec jalousie sur leurs
propres coeurs dans ce temps de
controverse ; c'est une chose bien
nécessaire. Dans la chaleur du combat, nous
sommes prompts à oublier notre homme
intérieur. La victoire remportée par
un argument n'est pas toujours la victoire sur le
monde et sur Satan. Que la douceur de Pierre, en
acceptant le reproche, soit autant un exemple pour
vous à imiter que la fermeté
de Paul en réprimant
l'erreur. Heureux le chrétien qui peut
appeler celui qui le reprend avec
fidélité, « un
bien-aimé frère
(2 Pierre, III, 15). »
Cherchez à être saint en conversation
autant que dans votre caractère. Assurez
votre vocation et votre élection.
Efforcez-vous d'entretenir une communion non
interrompue avec le Père et le Fils. -
Cultivez avec constance l'habitude de la
prière privée. Veillez sur vos
prières, car c'est par elles que la religion
prospère. Soyez attentifs à votre
lecture de la Bible en particulier. En faisant
ainsi vous serez armés pour le combat de la
vie, vous aurez l'épée de l'Esprit
bien ajustée à votre main quand le
jour de la tentation viendra.
Cher lecteur, je recommande à
votre sérieuse attention les sujets contenus
dans ce traité. - Pesez-les bien dans votre
homme intérieur, appliquez-les dans votre
conduite journalière. Faites cela et vous
aurez retiré quelque chose de l'histoire de
saint Pierre à Antioche.
FIN.
|