Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIV

Pais mes agneaux... Pais mes brebis !


Depuis de longues années nous sommes en quête de la trace de St Pierre.
Quel a bien pu être son ministère au cours de tout ce temps ?

Un historien aussi averti que Mgr Duchesne a déclaré, avons-nous vu, que les écrits, canoniques ou autres, ne contiennent aucun renseignement au sujet du ministère de l'apôtre à Rome. Devons-nous donc renoncer à avoir la moindre information digne de foi sur la fin de la carrière du grand apôtre et sur l'orientation de sa vie après la conférence d'Antioche ? Assurément non, et ici encore l'Écriture satisfait pleinement notre désir bien légitime de savoir.

Reportons-nous à l'aube de l'Eglise naissante.
Depuis plusieurs jours, le Seigneur est ressuscité. Il s'est montré aux saintes femmes, puis à St Pierre, puis aux apôtres réunis. Quelque chose reste cependant à régler.
Après la défection de Pierre, après son triple reniement, une réhabilitation et une réintégration publiques s'imposent.
Devant les disciples assemblés, Jésus interpelle l'apôtre :
- « Simon, fils de Jona, m'aimes-tu ? » (St Jean XXI. 16.).

Nous remarquons qu'Il ne l'appelle pas du nom de Pierre, de ce nom symbolique qui eût ici, trop durement rappelé au disciple, déjà accablé par le sentiment de sa faute, son attitude ondoyante et peu sûre des jours passés.
- « Simon, fils de Jona, m'aimes-tu ? »

Le coeur de l'apôtre tremble. Et par trois fois, Jésus réitère la brûlante question. Chacun comprend pourquoi.
À la réponse de Pierre, toujours la même, et dont l'émouvante éloquence n'est faite que de profonde humilité, comme il convient : « Seigneur, vous connaissez toutes choses, vous savez que je vous aime », Jésus ajoute chaque fois :
- « Pais mes agneaux », ou « Pais mes brebis... »

Les théologiens catholiques ont vu, dans ces mots agneaux, brebis, une nouvelle confirmation de l'institution de la papauté, l'officielle délégation des attributs souverains d'un pontife sur l'Eglise universelle, composée de fidèles, les agneaux, et d'un clergé, les brebis.
Cette assimilation se justifie-t-elle ? Est-on bien fondé, dans l'Eglise de Rome, à confondre les relations de clergé à fidèles avec celles de brebis à agneaux ?
Nous osons suggérer une autre interprétation :
Quand Jésus, dans son enseignement ou ses discours, s'est servi des mots : agneaux, brebis, Il a, on le sait, principalement fait allusion aux tribus d'Israël, dont lui-même, « brebis muette devant ceux qui la tondent... agneau que l'on mène à la boucherie », est le prototype.
- « Je ne suis envoyé, dit-Il à la Cananéenne, qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël... » Voyant un jour la multitude, Il fut ému de compassion pour elle, parce qu'elle était harassée et abattue, comme des brebis sans pasteur. », (St Matthieu IX, 36.)

Jésus était donc le souverain Pasteur d'Israël, - comme Il l'est maintenant, et à plus forte raison, de toute l'Eglise.
« Vous étiez comme des brebis errantes, mais maintenant, vous êtes revenus à Celui qui est le pasteur et l'évêque de vos âmes », écrit St Pierre aux judéo-chrétiens de la dispersion.

Nous trouvons donc, dans ces paroles de Jésus à Pierre, « Pais mes agneaux, pais mes brebis », une double image :
« Tu as brandi le sabre sur la tête des hommes, Simon, fils de Jona. Jette cette arme par qui sont tués ceux qui s'en servent. Aie en horreur de répandre le sang, et prends désormais l'humble et pacifique houlette, la houlette du berger. Consacre-toi à mon troupeau. Pais mes agneaux ! »

Et puis :
« Parmi ce troupeau, c'est à toi, Simon, fils de Jona, que je confie particulièrement les brebis d'Israël. Pais-les dans la patience de l'amour. Tu seras leur berger, comme sera berger d'un autre troupeau un autre homme, que j'ai également choisi ; et ces deux troupeaux viendront dans la même bergerie. Pais mes brebis ! »

Nous croyons bien être ainsi dans la pensée de Jésus, comme dans celle de St Paul. Pour ce dernier, il n'était pas douteux que St Pierre fût l'apôtre des juifs, des circoncis, comme lui-même l'était des païens, des incirconcis. Si cela n'était pas, pourquoi aurait-il dit :
« Voyant que l'Évangile m'avait été confié pour les incirconcis, comme à Pierre pour les circoncis, - car Celui qui a fait de Pierre l'apôtre des circoncis a fait de moi l'apôtre des Gentils, - et ayant reconnu la grâce qui m'avait été accordée, Jacques, Céphas et Jean, qui sont regardés comme des colonnes, nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, en signe de communion, pour aller, nous aux païens, eux aux circoncis. » (Galates II. 7 à 10)

Et dans la circonstance très spéciale de la conversion du Centenier Corneille (Actes X) où l'apôtre, poussé par l'Esprit, s'adresse à un païen, nous trouvons tout simplement l'accomplissement de la prédiction de Jésus à l'égard de Pierre : je te donnerai les clefs du royaume des cieux. L'apôtre ouvre la porte bénie de la grâce universelle aux païens, comme il l'avait ouverte aux juifs le jour de la Pentecôte.

Nous trouvons une autre confirmation de la différence de vocation des deux apôtres Pierre et Paul, le premier pour les juifs, le second pour les Gentils, dans le récit que rapporte le Livre des Actes, ce livre de marche des apôtres, au début du chapitre XIII.
Il nous y est dit que le Saint-Esprit ordonna à l'Eglise d'Antioche de « mettre à part Saul et Barnabé pour l'oeuvre à laquelle Il les appelait ». La suite du chapitre montre que l'oeuvre pour laquelle le Saint-Esprit les consacrait aussi solennellement, c'était l'évangélisation des païens - quoiqu'il paraisse qu'ils ne l'aient pas bien compris, tout d'abord.

Il n'est donc pas admissible que si l'apôtre Pierre avait également reçu l'appel d'aller vers les Gentils, aucune mention n'en ait été faite dans le Livre des Actes, histoire de la fondation de l'Eglise chrétienne. On sait combien grande fut la répugnance des chrétiens d'origine juive à aller rendre leur témoignage auprès des païens. Il fallut la persécution, il fallut l'exil pour les obliger à sortir de Jérusalem et à se tourner vers eux. En sorte que cette intervention pressante du Saint-Esprit, ces ordres formels à l'Eglise d'Antioche, concernant l'apostolat de St Paul auprès des païens, nous devrions les retrouver, adressés d'une façon au moins aussi catégorique à l'Eglise de Jérusalem, concernant l'apôtre Pierre, si celui-ci avait reçu, comme St Paul, la vocation d'évangéliser les Gentils.

Rien n'est arbitraire, rien n'est laissé au choix personnel des apôtres, au moment où sont jetées les bases de l'Eglise du Christ. C'est le Saint-Esprit qui décide souverainement, qui assigne à chacun son rôle et sa place.
En sorte que si au lieu d'exercer son ministère au coeur du judaïsme, parmi les juifs, St Pierre, était allé, après la Pentecôte, dans un centre païen, à Rome, par exemple, il se serait formellement dérobé aux ordres de son Maître.
Il aurait fait, mutatis mutandis, comme Jonas, lorsque ce dernier s'embarqua pour Tarsis au lieu de se rendre à Ninive.
Mais St Pierre n'a pas imité Jonas.

La tactique de l'Esprit de Dieu était aussi une intention géographique. St Paul était destiné à évangéliser l'Occident, St Pierre à rester en Orient.
Ses deux Épîtres, au surplus, semblent bien indiquer qu'il exerçait son ministère en vue des judéo-chrétiens.

Après tant d'humiliantes et douloureuses expériences, le coeur et l'esprit de l'apôtre ont enfin été brisés. Il s'est conformé docilement à la volonté de Celui de qui, seul, nous devons tenir nos ordres de marche. Il est demeuré à Jérusalem, tant que cela lui a été possible, car il s'est souvenu de la parole de son Maître bien-aimé : « Pais mes brebis ».

Ah ! que l'on se méprendrait sur notre dessein en nous prêtant quelque intention secrète de chercher à diminuer le rôle joué par St Pierre dans l'histoire des temps héroïques du Christianisme, en nous attribuant quelque sournoise pensée de dénigrement systématique de son oeuvre et de sa personne.

Nous avons parlé à plusieurs reprises des Épîtres de St Pierre (1). Il suffit d'avoir médité tant soit peu leurs pages pour se sentir en droit d'affirmer que l'influence exercée à travers les siècles par ces deux écrits seulement, ne saurait être exagérée. À elles seules, ces lettres immortalisent la mémoire de l'apôtre. Elles lui acquièrent des droits infiniment sacrés à notre reconnaissance, pour les instructions, comme pour les consolations, dont elles sont remplies. Elles présentent en effet, en un raccourci saisissant, toute la somme de l'enseignement évangélique.
Il s'y concentre des faisceaux de clarté d'une intense luminosité, tant sur les questions prophétiques que sur les règles pratiques de foi et de vie chrétiennes.

Ces deux Épîtres ont, assurément, autant contribué, sinon plus, à l'édification de l'Eglise, au cours des 1.900 ans de son histoire, que n'auraient pu faire vingt-cinq années de pontificat à Rome, de leur auteur.

Nous le demandons respectueusement, les milliers, les dizaines de milliers de fidèles, qui font le pèlerinage de Rome, et dont la plupart n'ont jamais lu ces deux Épîtres, n'en soupçonnent même pas l'existence, pensent-ils mieux honorer la mémoire de St Pierre en usant, à force de le baiser, le pied de la statue qui le représente dans la grande basilique romaine, ou, de celle qui se trouve dans la cathédrale de Poitiers, ou de quelque autre, qu'en lisant et en méditant les deux seuls écrits que nous ayons du grand apôtre ?

Il nous reste à conclure.
Le lecteur attentif ne peut qu'avoir été frappé par l'accent de grande solennité avec lequel parla Jésus à St Pierre dans le passage capital (St Matthieu XVI. 18), sur lequel nous nous sommes longuement étendu.

Il reste quelque chose encore à dire sur ce passage.
On a remarqué que par une sorte de précaution oratoire du début, Jésus a, évidemment cherché à donner à sa déclaration la plus intense gravité :
« Tu es heureux, Simon, fils de Jona, dit le Seigneur, car c'est le Père céleste qui t'a révélé cela - (c'est-à-dire que je suis le Christ, le Fils du Dieu vivant). Et Jésus ajoute : Or, moi aussi, le Fils, je te dis, etc...
« Le Père vient de parler à Simon par l'Esprit ; le Fils va parler à son tour et définir le principe d'édification de son Église : c'est un Roc immuable dont Il est l'éternelle et glorieuse personnification
Rien ne peut l'ébranler, ni le monde, ni Satan, ni la mort. Ce principe d'édification dépasse et déborde Pierre, comme les cieux sont élevés au dessus de la terre.

Quant au rôle prophétiquement historique de St Pierre, la prééminence de ce rôle provient de ce qu'il est l'Apôtre des juifs, des circoncis, et que, dans le règne à venir, où les douze apôtres seront sur douze trônes correspondant aux douze Tribus, il est le représentant de Juda, gardien et dépositaire des oracles de Dieu, Sa Parole.
Tandis que l'apôtre Paul correspond, par son ministère, à la libre dispensation de l'Esprit parmi les Nations et les dix Tribus, ou le Royaume dispersé d'Israël.
Telle est la raison profonde, non encore expliquée jusqu'ici, croyons-nous, du dualisme missionnaire de Pierre et de Paul.

En dehors de cette vue, non seulement on ne saisit qu'à demi les choses, ou l'on ne donne que des interprétations douteuses, mais on anémie et on énerve l'Écriture, laquelle a un plan prophétique et historique de dispensation bien déterminé ».


1. Voir, au sujet de l'authenticité de la seconde Épître de St Pierre.
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