Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

Le Concile de Jérusalem


En ce qui concerne les années qui suivent immédiatement, nous allons être très suffisamment instruits par les faits suivants :
Nous avons vu, par un extrait de l'Épître de St Paul aux Galates (Gal. Il. 1), que la première conférence apostolique, disons concile, par abréviation, fut tenue à Jérusalem quatorze ans après la première rencontre, dans cette ville, de St Pierre et de St Paul, c'est-à-dire vers l'an 56.

Il peut sembler étrange que ce concile ait été tenu à Jérusalem, et non pas à Rome. Voici pourquoi :
Si les théologiens catholiques sont dans le vrai, Rome n'était-elle pas, depuis plus de 14 ans, le siège central du monde chrétien ?
Durant ce temps, la puissante et féconde activité de l'apôtre Pierre n'a-t-elle pas dû se donner libre cours ?...

Quelle magnifique occasion, par conséquent, de frapper un grand coup sur le coeur même du paganisme en convoquant à Rome tout ce qui illustrait le Christianisme, alors dans sa plus intense vitalité ! Quel pas en avant pouvait en résulter pour la Mission en terre païenne ! Cette seule considération, déjà, eût dû être d'un grand poids, aux yeux des apôtres, pour choisir Rome comme siège du concile,
On répondra, sans doute, que dans la grande majorité des cas, les conciles ne se sont pas tenus à Rome. C'est vrai. Mais on sait que le pape ne se déplaçait pas non plus, ou très exceptionnellement, pour y assister. Il était seulement représenté par ses légats. Or, St Pierre a été présent.
Nous verrions donc, malgré son âge, l'apôtre vieilli encore par son rude apostolat, se mettre en route, et pour quel voyage !

Le voici à Jérusalem. Quel rôle va-t-il jouer dans cette conférence, si importante, puisque l'on y discutera les conditions de la réception, dans l'Eglise chrétienne, des païens convertis à l'Évangile ?

Nous allons de surprise en surprise...
Premièrement, les personnages les plus remarqués y sont, cela est manifeste, Paul et Barnabas, ou Barnabé, qui racontent par le détail (Actes XV. 4), l'oeuvre merveilleuse accomplie parmi les païens, en Chypre, à Salamine, à Paphos, à Perge, en Pamphylie, en Pisidie, puis à Icone, dans les villes de la Lycaonie, etc...

St Pierre, à son tour, va sans doute entretenir les frères de la propagation glorieuse de la Foi dans la Métropole de l'Empire romain, au cours de ces quatorze ans écoulés ? Pas plus que St Paul, il ne va tarir en récits émouvants sur ce qui s'est passé durant ce long séjour à Rome, la ville mystérieuse, inconnue pour la plupart de ses auditeurs ?...
Non ; pas un seul mot ne sort de ses lèvres à ce sujet !

L'assemblée passe ensuite à l'examen du point en litige. Il faut lire ce compte-rendu du Livre des Actes, où tout est d'un si puissant intérêt. Une longue discussion, tout d'abord, s'engage. Elle n'aboutit pas à régler grand chose ; et enfin, St Pierre prend la parole. Très brièvement, il expose la question, suggère même la solution à prendre ; mais son discours ne semble pas avoir fait grande impression. L'assemblée, est-il dit, garde le silence.
Pour le rompre, Paul et Barnabé reprennent le récit de tous les miracles et des prodiges que Dieu avait faits par eux au milieu des Gentils. (Actes XV. 12.)

C'est, encore, le moment pour St Pierre, de dire ce qu'il a fait, lui, à Rome ; mais rien ! Ce mutisme est déconcertant. Car, comment l'expliquer, vraiment, si St Pierre avait été l'apôtre missionnaire des contrées romaines, comme son collègue St Paul l'était des contrées helléniques de l'Europe orientale et de l'Asie Mineure ?
Cependant, l'opinion de la conférence est toujours en suspens. Il faut pourtant aboutir. C'est alors que l'apôtre Jacques intervient. Il le fait avec une grande autorité. Sa parole entraîne les convictions ; c'est elle qui détermine la décision que va prendre l'assemblée, comme peut s'en rendre compte le lecteur attentif du Livre des Actes. L'avis de St Jacques est prépondérant. Il clôt le débat.
Si quelqu'un fait figure de chef, dans cette conférence, c'est manifestement lui, Jacques et non Pierre.

Enfin, éclairé, le concile statue. Mais il le fait, comme on va le voir, de la manière la plus déconcertante, et il n'est pas inutile de reproduire le texte littéral de sa décision, que, sous forme de lettre, nous donne le Livre des Actes :
« Les apôtres, les anciens et les frères, aux frères d'entre les Gentils qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie :
Ayant appris que quelques-uns des nôtres sont venus, sans aucun mandat de notre part, vous troubler par des discours qui ont bouleversé vos âmes, nous nous sommes assemblés et nous avons jugé à propos de choisir des délégués et de vous les envoyer, avec nos bien-aimés Barnabé et Paul, ces hommes qui ont exposé leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ.
Nous avons donc député Jude et Silas qui vous diront de vive voix les mêmes choses. Il a semblé bon au St-Esprit et à nous de ne vous imposer aucun fardeau au delà de ce qui est indispensable, savoir, de vous abstenir de viandes offertes aux idoles, du sang de la chair étouffée et de l'impureté ! En vous gardant de ces choses, vous ferez bien. Adieu. » (Actes XV. 22 à 30).

Nous n'insistons pas sur le préambule de la lettre, les termes, le ton et la finale de celle-ci. Nous demandons seulement : Quel point de ressemblance cette première encyclique apostolique a-t-elle avec les encycliques pontificales ?
Comment se fait-il, d'autre part, que les néophytes païens, représentant le résultat du travail de l'apôtre Pierre, au cours de ces quatorze dernières années à Rome, n'y sont pas mentionnés ? Incirconcis, pourtant, la plupart, les questions qui se posaient pour ceux d'Antioche, de Syrie et de Cilicie, se posaient aussi pour eux.
Le concile pouvait-il s'en désintéresser ?

Deux seules raisons sont capables de nous expliquer une telle anomalie : Ou bien, l'apôtre n'était encore point allé à Rome. Ou bien, le concile ignorait l'existence d'une Église dans la Capitale de l'Empire. Cette seconde hypothèse est par trop difficile à admettre.
Il a pu se faire qu'aussitôt après le concile de Jérusalem, St Pierre soit allé prendre la direction du mouvement apostolique dans la ville impériale.

L'Épître aux Galates écarte formellement cette supposition. St Paul nous dit en effet, chapitre II, v. 11, qu'après le concile, Céphas, c'est-à-dire Pierre, se rendit à Antioche. Et c'est là qu'eut lieu, comme on le sait, la scène pénible où St Pierre, pour avoir ménagé, par une fâcheuse faiblesse, l'esprit sectaire des judéo-chrétiens, entendit son collègue Paul lui reprocher publiquement « de ne pas marcher droit selon la vérité de l'Évangile » (v. 14).

Voici réduites considérablement les prétendues vingt-cinq années du pontificat de l'apôtre. Elles ne sont plus que onze. Mais voyons si elles sont réellement onze.




CHAPITRE XI

L'Épître aux Romains


Sera-ce après ce regrettable incident que nous allons trouver St Pierre à Rome ?
Si nous en croyons les commentateurs, l'Épître aux Romains a été écrite par l'apôtre Paul dans le courant de l'an 58, alors qu'il était à Corinthe, environ deux ans après le concile de Jérusalem.
Par conséquent, selon la tradition, l'apôtre Pierre serait depuis seize ans dans la Capitale, y exerçant son ministère à la tête de l'église de Rome.

Que l'on veuille bien, maintenant, fermer pour quelques instants le Livre des Actes, et avoir sous les yeux l'Épître de St Paul aux chrétiens de Rome.

Par quoi est-on frappé tout d'abord ? Par la dédicace de la lettre. Est-ce que la déférence fraternelle, est-ce que la plus simple courtoisie ne commandaient pas de faire passer cette lettre par le conducteur de cette église ? Comment qualifierait-on le fait pour un évêque ou un archevêque, d'écrire directement une lettre aux fidèles d'une église d'un autre diocèse en paraissant ignorer l'existence de son conducteur spirituel, en affectant même d'éviter de faire la moindre allusion à sa personne ? Or, c'est exactement le cas pour cette Épître.

Nous y lisons, au chapitre 1er, verset 11 et 15 : « ... J'ai un grand désir de vous voir pour vous communiquer quelque don spirituel capable de vous affermir... ; ainsi, autant qu'il est en moi, je suis prêt à vous annoncer aussi l'Évangile, à vous qui êtes à Rome ».
Elles seraient bien surprenantes ces paroles sous la plume de l'apôtre dont les autres écrits témoignent toujours de tant de délicatesse et d'un tact si parfait.
- « Comment, auraient pu répondre les chrétiens de Rome, mais il nous a déjà été annoncé l'Évangile, et par qui ? par l'apôtre Pierre lui-même ! Quant aux dons spirituels capables de nous affermir, qui est mieux à même de nous les communiquer que le représentant de Jésus-Christ sur la terre ? Ignorez-vous donc que nous avons l'insigne privilège de l'avoir, et depuis seize ans, à notre tête ? »

Sans être taxés de susceptibilité excessives les chrétiens de Rome pouvaient à bon droit, ils le devaient même, relever, au nom de leur pasteur ainsi amoindri, le manque d'égards avec lequel on le traitait. Oui, pendant plus de seize ans, il aurait peiné pour fonder cette église, il lui aurait donné et son coeur et sa vie, et voici qu'un étranger semble juger son oeuvre comme étant à peu près à refaire !
Et si l'on pense que nous exagérons, que l'on veuille bien faire une lecture attentive de l'Épître aux Romains. Il est évident que l'apôtre Paul y parle un langage qui laisse nettement entendre que ceux auxquels il s'adresse ont un besoin urgent non pas seulement d'acquérir des connaissances spirituelles plus approfondies, mais même d'être mis au clair sur les vérités les plus élémentaires de la foi chrétienne.

Le fait que la foi des Romains était renommée dans le monde entier (Chap. 1, v. 8) ne prouve pas, nécessairement, que cette foi était arrivée à la maturité voulue ; il s'en faut, et le contenu de l'Épître le prouve. L'apôtre s'ingère dans la vie intérieure de l'église ; il adresse des avertissements, des conseils, des exhortations, il fait des remarques d'ordre pratique, toutes choses démontrant à l'évidence que l'église de Rome était encore privée de certaines directives, qu'elle manquait, enfin, des lumières et de l'instruction que peut donner un apôtre, un prophète.
Ne pense-t-on pas que ce soient là autant d'indices moraux des plus sérieux que la présence de St-Pierre à Rome, comme conducteur spirituel de cette Église, en l'an 58, est impossible ?

Mais voici une nouvelle considération plus grave encore.
L'Épître aux Romains contient, fait unique en l'espèce, un chapitre presque entier de salutations. Les uns après les autres, tous les missionnaires venus à Rome planter en plein coeur du paganisme le drapeau de l'Évangile, et même une partie des convertis, sont nommés.
Ils sont là vingt-quatre, plus ou moins connus, plus ou moins élevés en fonctions spirituelles, en états de services.
D'un mot affectueux, ou déférent, l'apôtre, admirablement renseigné quoique n'ayant jamais vu la plupart d'entre eux, décerne à chacun l'hommage fraternel qui lui convient.
L'apôtre St Pierre vient-il en première place, dans cette énumération méticuleusement établie ?
Parmi tous ces noms, dont très peu sont passés à l'histoire, un seul nom est absent, le sien, le nom de l'apôtre Pierre !
Le fait est d'autant plus troublant qu'il s'était passé de très graves et très douloureux événements à Rome, au cours de ces quatorze ou seize années. Sous le règne de Claude, les juifs avaient été l'objet d'une violente persécution, dont fait mention le Livre des Actes, XVIII. 2. Ils avaient été expulsés en masse de Rome, pêle-mêle avec les chrétiens, et un certain Aquilas, ainsi que sa femme Priscille, furent, par suite de cette expulsion, rencontrés par St Paul à Corinthe, où ils s'étaient réfugiés. C'est probablement par eux que l'apôtre fut si bien mis au courant de la situation de l'église à Rome.

L'historien Suétone, qui relate cette expulsion, en rapporte la raison : « Judoeos impulsore Chresto assidue tumultuantes Roma expulit », c'est-à-dire : (Claude) chassa les juifs à cause des troubles qui ne cessaient de se produire à l'instigation du Christ. (La populace romaine désignait les Chrétiens par le nom de Chrestiani « quos ... vulgus Chrestianos appellabat », selon le célèbre texte de Tacite : ceux que le vulgaire appelait chrétiens. - Annales XV. 44. (Mgr Duchesne ; Hist. Anc. de l'Eglise).

On ne peut s'empêcher de trouver surprenant que le Livre des Actes cite à cette occasion Aquilas et Priscille, tandis qu'il ne fait aucune mention de St Pierre. À cela, les théologiens romains répondent que ce dernier aurait pu se réfugier autre part qu'à Corinthe ; mais qu'en réalité, il n'avait pas quitté Rome, parce qu'au moment où il se disposait à s'enfuir, le Seigneur lui était apparu.
« Quo vadis Domine ? » Où vas-tu, Seigneur ?, lui aurait demandé Pierre.
- « Puisque tu abandonnes mes brebis, je vais à Rome pour qu'une fois encore on me crucifie ! » aurait répondu Jésus.
Et alors, St Pierre, honteux de son projet de désertion, serait resté...
Nous sommes en pleine légende. Pour que cette histoire, qui fut l'occasion d'un roman fameux, mais qui est nettement, comme on l'a vu, controuvée par l'Écriture, pût être sérieusement prise en considération, il faudrait que St Pierre se fût trouvé à Rome, en ce temps-là. Le lecteur en a reconnu l'impossibilité.

Si cette question retient l'attention des Protestants, il n'est pas douteux qu'elle rend extrêmement perplexes les Catholiques romains qui ont le scrupule et le respect des textes.
C'est ainsi que Mgr Duchesne, parlant dans son ouvrage déjà cité des origines de l'Eglise romaine, écrit ces mots :
« Par quelles mains, la divine semence fut-elle jetée sur cette terre, c'est-à-dire à Rome, où elle devait fructifier d'une manière si prodigieuse ? Nous l'ignorerons toujours. Des calculs, trop peu fondés pour entraîner le suffrage de l'histoire, transportent à Rome l'apôtre Pierre dès les premiers temps de Claude (42), ou même sous Caligula (39). ... Laissons donc le mystère planer sur cette première origine, et bornons-nous à constater que l'Eglise romaine, au temps où St Paul lui écrivit (58), était constituée, nombreuse, connue, célèbre même par sa foi et ses oeuvres. » (Tome I, p. 55, 56.)
C'est là le langage du savant scrupuleux et de bon sens.

Admettre, en effet, que l'apôtre St Pierre se trouve depuis de longues années à Rome et que St Paul eût écrit aux Romains une lettre où il n'aurait été fait aucune allusion à sa personne, c'est croire l'apôtre des Gentils capable du manque de convenances le plus grossier. Il y aurait dans le fait d'avoir omis le nom de St Pierre, alors que tant d'autres noms sont cités, une outrance d'affectation indigne du noble caractère de l'apôtre Paul.

Et puisque Paul n'aurait pas pu ignorer l'existence de son collègue à Rome, si celui-ci y eût été, la seule conclusion possible pour tout esprit juste et réfléchi, c'est qu'en l'an 58, la présence de St Pierre n'avait pas encore été signalée dans la Capitale de l'Empire.

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