Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

Rome ou Babylone ?


La tradition, une tradition séculaire qui plonge ses racines dans les coeurs de millions de fidèles, veut que St Pierre ait exercé pendant une période de vingt-cinq années, avons-nous vu, les fonctions de pape à Rome. Sur quelles sérieuses garanties repose cette confiance ? Et où pouvons-nous chercher ces garanties mieux que dans l'Écriture ? Voyons donc si la présence et le pontificat de St Pierre à Rome, au cours des années 42 à 67 de l'ère chrétienne, peuvent s'accorder avec les documents sacrés.

Si ceux-ci démontrent incontestablement que l'apôtre a exercé son ministère à Rome, au cours de ces vingt-cinq années, nous nous inclinerons tout le premier devant ce verdict suprême, quelles qu'en puissent être les conséquences.
Si c'est le contraire qui est démontré, le lecteur de bonne foi conclura.
Mais que chacun prenne, devant Dieu, ses responsabilités.

La première Épître de l'apôtre Pierre se termine par ces mots :
« Celle qui est élue avec vous à Babylone vous salue. »

Cette salutation nous apprend donc que l'apôtre a habité la ville de Babylone et y a exercé une activité, tout au moins temporaire.
Mais il faut s'entendre. Quel lieu est ainsi désigné ?
Personne n'a jamais contesté que Babylone ait été le nom d'une ville.

Du temps de St Pierre, l'antique Babylone, l'ancienne capitale de la Chaldée, sur l'Euphrate, était bien déchue de sa splendeur d'autrefois. Mais elle existait toujours. Le géographe grec Strabon en parle, en effet ; elle comptait même, vers le XIe siècle, vingt mille juifs, environ, et il s'y trouvait une synagogue.
- C'est de Rome qu'il s'agit, dans cette salutation, ont affirmé les docteurs catholiques, croyant tenir par là un argument décisif en faveur de l'opinion que c'est à Rome que l'apôtre exerça son ministère. Babylone, ont-ils dit, est le nom mystique de Rome, dans l'Écriture. C'est bien exact.

Mais, que l'on y prenne garde : l'affirmation est dangereuse ! Si l'on identifie Babylone avec la Rome pontificale, tout ce que dit l'Écriture concernant la Babylone mystique, doit s'appliquer logiquement à la Rome pontificale. Voici comment l'Apocalypse appelle « la ville assise sur les sept collines, Babylone la grande » :
- « La mère des impudiques et des abominations de la terre, ivre du sang des saints, et du sang des témoins de Jésus, demeure de démons et repaire de tout esprit immonde. » Au portrait de Babylone, s'ajoute la prophétie suivante :
- « Malheur ! malheur ! ô grande ville, Babylone, ô puissante cité. En une heure est venu ton jugement. ... Alors un ange puissant prit une pierre semblable à une grande meule et il la lança dans la mer en disant : Ainsi sera soudain précipitée Babylone, la grande ville, et on ne la retrouvera plus. » (Chapitres VI, 8, XVII et XVIII de l'Apocalypse.)

Or, Rome existe toujours, tandis que l'autre Babylone a depuis longtemps disparue.
Il faut donc en prendre son parti : ou bien, la Babylone de l'Épître est la Babylone disparue de l'Asie Mineure, ou bien c'est Rome, c'est la Babylone de l'Apocalypse, avec son portrait peu flatteur et une promesse de disparition non encore réalisée...
Au surplus, cette Épître de St Pierre ne donne, à aucun moment, et par aucun mot de son contenu, l'idée d'un écrit mystique. Cette terminaison en allégorie serait donc inconcevable, et même bizarre, dans une lettre remplie d'exhortations et de conseils d'ordre éminemment pratique.

Enfin, l'on a cru pouvoir avancer que l'apôtre aurait ainsi daté sa lettre par crainte de persécutions possibles. Cette supposition, on l'avouera, n'est guère à l'éloge de celui que l'on a entrepris de placer sur un si haut piédestal. Elle prête gratuitement à l'apôtre des sentiments que son martyre a noblement démentis. Nous ne nous y arrêterons pas (1).
Disons donc que la Babylone de l'Épître est une ville ayant réellement existé et porté ce nom.

D'après une très ancienne tradition, St Pierre aurait été crucifié la tête en bas. Or, c'était justement la coutume, à cette Babylone, de crucifier ainsi, parait-il. À Rome, non.
Avons-nous là une nouvelle confirmation de la présence, à un moment donné, de St Pierre dans la Babylone de Chaldée ?
La vérité toute simple est que l'histoire des dernières années de St Pierre nous demeure voilée.

Après le colloque d'Antioche, à partir du chapitre XV du Livre des Actes, toute trace de l'apôtre disparaît soudain, et l'on ne sait à peu près plus rien de lui.
Les premiers Pères de l'Eglise, se taisent à son sujet, ou ils se contredisent, ou ils demeurent tellement vagues que l'on ne peut rien établir de positif sur leur témoignage.

L'épître de St Clément aux Corinthiens, celle de St Ignace aux Romains, un écrit de Papias, évêque d'Hiérapolis, sont sur ce point tout ce qu'il y a de plus confus.
St Clément de Rome, par exemple, se contente de dire : « Pierre fut soumis à de dures épreuves et finalement souffrit le martyre. Paul, après avoir enseigné la justice au monde entier et être arrivé jusqu'aux extrêmes limites de l'Occident, souffrit le martyre sous la juridiction des Préfets » (Épîtres, chap. V).

Nous avons eu sous les yeux ces textes, et les reproduire tous ici, serait nous allonger bien inutilement, tellement ils sont imprécis et vides.
Vraiment, il est impossible d'en déduire, en toute conscience, même une supposition.

Eusèbe, celui que l'on a appelé « le père de l'Histoire ecclésiastique », et sans qui nos connaissances sur les trois premiers siècles de l'Eglise se réduiraient à bien peu de chose, n'ose s'engager. Résumant ces documents, il parle seulement d' « opinion possible ».
Or, c'est sur le témoignage d'Eusèbe que s'appuie surtout la tradition qui fait aller St Pierre à Rome en l'an 42, et l'y fait mourir, après vingt-cinq ans de pontificat...
L'opinion, - rapportée par Eusèbe (IVe siècle) qui l'attribue à Papias, évêque d'Hiérapolis (IIe siècle), mais dont Irénée (IIe siècle) ne parle pas - que, en l'an 44, St Pierre serait accouru à Rome sur les traces de Simon le Magicien, pour le confondre, une telle opinion, adoptée par bon nombre d'auteurs catholiques (Mgr Duchesne n'y fait, lui, aucune allusion) est, avons-nous vu, et nous le verrons mieux encore, absolument controuvée par les données de l'Écriture.

Il ne reste plus que l'hypothèse extrême, dernier espoir de ceux qui veulent absolument que St Pierre soit allé mourir à Rome :
Jésus, on le sait, avait dit à l'apôtre, peu de temps avant de monter au ciel : « Quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas ». Il disait cela, indiquant par quelle mort Pierre devait glorifier Dieu (St Jean XXI. 18, 19).
Ceci doit assurément s'entendre du supplice infligé à Pierre sur la fin de sa vie, en suite duquel l'apôtre est mis dans l'impossibilité de faire l'usage qu'il veut et de ses yeux, et de ses pieds et de ses mains. Dans ces conditions, absolument indépendantes de sa volonté, l'apôtre pourrait avoir été traîné à Rome, et, finalement, mis à mort là-bas.

Mais alors, comment aurait-il pu, en de telles conjonctures, fonder l'Eglise de Rome, puisqu'elle existait depuis longtemps déjà, ou exercer un pontificat quelconque dans la capitale ?
On voit combien est vague et fragile cette hypothèse, et avec quelle réserve nous devons l'accueillir.
- « On ne trouve, dit Eusèbe, dans son Histoire de l'Eglise, Chap. 1er, pour les temps écoulés depuis le Sauveur, que des relations particulières, faibles lueurs qui paraissent de loin en loin et qui découvrent le chemin au milieu de la nuit » (Ch. Lagrange ; Histoire de l'Eglise ; tableau 62 ; voir Appendice A).
Oui, nous sommes bien au milieu de la nuit...

En définitive, on ne sait, d'une façon absolument certaine, ni où St Pierre eut sa résidence, ni où, exactement, ni comment, il mourut.
Il semble que Dieu ait voulu que l'on perdît ses traces et qu'un voile s'étendit sur les dernières années de sa vie. Cela est bien significatif. Comme pour son serviteur Moïse, le Seigneur se serait ainsi opposé à ce que le corps de l'apôtre pût, un jour, devenir une idole.
Et puisqu'il est établi que l'on ne peut honnêtement prouver, pas plus par la tradition que par l'histoire, que St Pierre ait passé à Rome les vingt-cinq dernières années de sa vie, il serait singulièrement intéressant de rechercher, maintenant, dans les Textes sacrés eux-mêmes, s'il est possible d'acquérir une certitude sur une question d'aussi capitale importance.




CHAPITRE IX

Le départ de Saint Pierre pour Rome (2)

 

Un éminent catholique, autrefois professeur à l'Université de Berlin, Ellendorf, a établi, après de rigoureux calculs, que la conversion de St Paul a dû avoir lieu l'an. 39 de l'ère chrétienne.
Nous avons là un précieux point de repère.

Nous trouvons ensuite, dans l'Épître de St Paul aux Galates, un autre renseignement non moins clair et précis :
- « Trois ans après - l'apôtre vient de parler de sa conversion - je montai à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas », c'est-à-dire de Pierre. (Galates I. 18 à 19.)
Et ceci nous reporte à l'an 42, au moins, puisque l'apôtre. parle d'un voyage effectué en Arabie, d'abord, à Damas ensuite, entre sa conversion et son voyage à Jérusalem. (v. 17.)
De sorte qu'en cette année 42, deuxième année du règne de l'empereur Claude, l'apôtre St Pierre ne pouvait se trouver à Rome, puisqu'il était à Jérusalem où St Paul passa quinze jours en sa compagnie. (Galates I. 18.)

A-t-il pu s'y rendre aussitôt après cette entrevue ?
Le Livre des Actes des Sts Apôtres - qu'il convient de tenir sous les yeux, si l'on veut suivre avec fruit cette étude, va nous renseigner.
Il y est dit, au Chapitre IX, v. 31 à 35, qu'après le voyage de Paul à Jérusalem, il arriva « que Pierre, visitant les saints de ville en ville, descendit aussi vers ceux qui habitaient Lydda... »

Après son entrevue avec l'apôtre Paul, St Pierre ne prend donc pas la direction de Rome, mais celle de Lydda, petite ville à une trentaine de kilomètres de Jérusalem, non sans avoir, auparavant, parcouru toute la contrée d'alentour, ainsi qu'il vient de nous être dit.

On peut objecter que ce voyage ne prit pas toute une année, et que l'apôtre a pu se trouver à Rome vers la fin de 42.
C'est ce que va éclaircir encore le Livre des Actes. Il nous apprend, quelques lignes plus loin, « qu'il y avait à Joppé parmi les disciples, une femme nommée Tabitha, en grec Dorcas. Elle était riche en bonnes oeuvres et faisait beaucoup d'aumônes. Elle mourut... Les disciples ayant appris que Pierre se trouvait à Lydda, envoyèrent deux hommes vers lui, pour le prier de venir... »
St Pierre se rendit donc à Joppé, et il ressuscita Dorcas.

Tous ces événements prennent du temps. Les semaines succèdent aux semaines, et cela finit par faire des mois. Et Pierre nous est-il dit, v. 43, « demeura quelque temps à Joppé ».
Est-ce après ce séjour qu'il partit pour Rome ?

En ce temps-là, poursuit le Livre des Actes, Chap. X, vivait à Césarée, petit port de mer à une cinquantaine de kilomètres de Joppé, un officier de l'armée romaine, nommé Corneille homme pieux et bon. Et Pierre, poussé par le Saint-Esprit, se rendit auprès de lui, afin de lui annoncer l'Évangile.
Il remplit sa mission apostolique, puis, il passa plusieurs jours avec eux (v. 48).

Mais la conversion du païen romain Corneille, et son baptême, avaient ému les esprits, à Jérusalem. Certains des Judéo-Chrétiens, scandalisés que l'apôtre Pierre eût pu entrer chez un incirconcis, lui adressèrent des reproches et le convoquèrent d'urgence pour rendre compte de ses actions. (Actes XI. 2. 3.)
St Pierre obéit (notons en passant que, d'habitude, les papes commandent, au lieu d'obéir, qu'ils demandent des explications, au lieu d'en donner) - et ses éclaircissements calmèrent les fidèles de l'Eglise qui, est-il dit, approuvèrent sa conduite.

À cette époque, les voyages ne se faisaient qu'avec une extrême lenteur, surtout quand on était pauvre, comme St Pierre ; comment peut-il donc être possible qu'en cette même année 42, l'apôtre ait pu accomplir toutes ces missions, effectuer toutes ces longues pérégrinations, visiter toutes ces contrées, et, se trouver malgré tout à Rome avant l'année 43 ?
Nous ne sommes d'ailleurs pas seul à nous récrier devant pareille invraisemblance. Les Pères Dominicains (Bibliothèque sacrée de 1822), dom Calmet et d'autres encore, contestent, précisément à cause de ces données du Livre des Actes, la présence de St Pierre à Rome en l'an 42.
Pour ces hommes, évidemment, l'inspiration des Saintes Écritures avait un sens précis et pratique. La Parole de Dieu faisait autorité, pour eux, et devant semblables contradictions leur conscience était mal à l'aise. La nôtre le serait-elle moins ?
Car enfin, le Livre des Actes occupe, dans le Nouveau Testament, une place extrêmement importante, et nous avons vu qu'il s'inscrit en faux contre l'opinion que St Pierre ait pu se trouver à Rome dès l'an 42, et à plus forte raison y exercer le pontificat.
Récuserait-on l'autorité d'un livre canonique ? Ce serait grave.

Nous avons donc laissé, vers la fin de 42, Sinon au commencement de 43, St Pierre à Jérusalem. Le verrons-nous ensuite prendre la direction de Rome ?
Il nous est dit, Actes XI. 19, qu'à l'occasion de la première persécution contre les Chrétiens à l'instigation du roi Hérode, ceux-ci se dispersèrent, à l'exception des apôtres qui, eux, demeurèrent à Jérusalem !
Le récit sacré ajoute qu'Hérode fit mourir par l'épée St Jacques, frère de St Jean, et, comme cela était agréable aux juifs, il fit jeter St Pierre en prison ; - en prison à Jérusalem, il va de soi.

Du temps se passe. L'Eglise, en prière, ne cesse d'intercéder auprès de Dieu en faveur de l'apôtre. Une nuit, un ange pénètre silencieusement dans sa prison, réveille Pierre en le frappant au côté, fait tomber ses chaînes, ouvre toutes les portes devant lui et ne le quitte qu'une fois dans la rue. Pierre était libre. (Actes XII.)
- C'est précisément à ce moment-là, a-t-on dit, que St Pierre se mit en route pour Rome. N'est-il pas écrit, en effet, au verset 17 de ce Chapitre XII : Pierre s'en alla dans un autre lieu ?
Un autre lieu !... Comment, il nous faudrait admettre que c'est par une telle expression que serait désignée la Métropole impériale, siège de la puissance, presque illimitée, des Césars ?

On nous demande, vraiment, de faire preuve d'une complaisance exagérée. Comment, des localités minuscules telles que Lydda, Joppé, Césarée, des hameaux, en comparaison de la grande Capitale assise sur les sept collines, auraient été nommées en toutes lettres, tandis que la Cité dont Pierre va changer si prodigieusement la destinée, par le seul fait qu'il y aura établi sa résidence, Rome, enfin, serait appelée : Un autre lieu !...
Ce serait trop invraisemblable.


1. Selon quelques auteurs, St Pierre aurait écrit son Épître d'une ville située en Égypte, au lieu où est maintenant le grand Caire, et appelée également Babylone. 

2. La très suggestive étude, signée F. Sciarelli, parue dans les N° 6 à 9, année 1923, du Testimonio (Rome, 35 Piazza in Lucina) nous a donné de précieuses suggestions au cours des chapitres 9 à 12. Cuique suum. 
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