Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

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LE SIÈGE. - DIABOLUS SOMME LA VILLE DE SE RENDRE. - SILENCE DE LA VILLE, QUI REPOUSSE SOMMATIONS ET ASSAUTS. - LE SECRÉTAIRE ROYAL REFUSE SES CONSEILS. - LES CHEFS DE LA VILLE LAISSÉS A EUX-MÊMES. - LES PORTES DE LA VILLE FORCÉES PAR LES DIABOLONIENS. - LE CHÂTEAU-FORT RESTE IMPRENABLE. - NOUVELLE TACTIQUE DES DIABOLONIENS. - GRANDE BATAILLE. - RETOUR D'EMMANUEL ET VICTOIRE. - NOUVEL ASSAUT DES DIABOLONIENS. - NOUVELLE VICTOIRE D'EMMANUEL.



Effectivement, la Ville fut bientôt cernée par des forces redoutables, et l'Âme plongée dans la terreur. Diabolus, furieux de ne pas trouver dans la ville le concours sur lequel il comptait, dut se retirer, après avoir inutilement essayé de forcer la porte de l'Oreille.

Alors, il se retrancha, fit élever des terrasses autour de la Cité, y plaça toutes les forces de l'enfer pour faire tomber la ville de l'Âme par la terreur. Mais l'armée du Prince laissée dans la ville combattit avec tant de vaillance que l'ennemi fut repoussé. Ensuite, Diabolus fit hisser un immense étendant noir sur le mont qui portait son nom. En couleur feu, sur ce fond sombre, un brasier ; et au milieu de la fournaise : l'Âme. Puis il envoya son Tambour, qui chaque nuit faisait un vacarme infernal, pour terrifier et lasser les assiégés et les forcer à capituler. Ces roulements de tambour étaient vraiment effroyables et faisaient trembler les habitants, les plongeant dans la terreur. Enfin, certain soir, le Tambour fit savoir qu'il avait un message pour la ville ; « Son maître offrait la vie sauve à quiconque se rendrait. » Tous les habitants s'étaient déjà réfugiés dans la Citadelle, de sorte que personne ne lui répondit.

Alors, Diabolus envoya comme messager la nuit suivante le Sépulcre. Il ordonnait qu'on lui ouvrît les portes de la ville ; n'était-il pas son véritable Maître ? Si la ville de l'Âme persistait dans sa rébellion, elle serait exterminée.

La ville ne répondit pas un mot. Mais après une réunion générale où assistaient quelques officiers, elle décida d'aller exposer toutes choses au Secrétaire Royal. Peut-être pourrait-Il la tirer de cette situation extrême, ou l'aider à formuler une requête au Prince Emmanuel ? Mais après avoir examiné leur requête, le Secrétaire répondit qu'ayant abandonné leur Prince et négligé les conseils du Consolateur, il était bon pour eux d'être laissés à leurs seules ressources. Ils avaient la loi du Prince et pouvaient la consulter. Cette réponse tomba sur le Coeur des habitants comme une meule de moulin. Ils en furent quelque temps comme écrasés.

En quelle lamentable extrémité ils se trouvaient réduits : l'ennemi à la porte et prêt à les exterminer, à l'intérieur le Consolateur refusant de les guider ! Mais le Maire, M. Conscience, sans se laisser décourager, étudia la réponse du Conseiller royal, puis, s'adressant au peuple, il lui dit : « Les paroles du Conseiller royal signifient que nous devons encore pendant quelque temps récolter le fruit de notre péché. Mais les paroles comportent aussi l'espoir que nous serons secourus et délivrés ; encore quelque temps d'angoisse et Emmanuel viendra nous secourir. » Tous furent encouragés par la lueur d'espoir que permettaient les paroles du Secrétaire royal.

Un nouvel assaut des troupes de Diabolus fut repoussé. À la requête du Maire, les cloches furent sonnées en signe d'allégresse, et les remerciements de la ville furent portés au Secrétaire royal, dont les paroles [impliquant la délivrance pour une date indéterminée] avaient réconforté et fortifié l'armée et les citoyens.

Après ce nouvel échec, Diabolus décida de changer de tactique : il n'enverrait plus devant lui son tambour, ce qui ne faisait que jeter dans la terreur, il ne se servirait plus du capitaine Sépulcre, mais lui-même irait à l'Âme avec de douces paroles et des offres de paix :

« Ah ! leur dit-il, qu'il l'aimait sa chère ville de l'Âme ! Que de nuits il avait passé dans les veilles en songeant à son sort ! Que de pas et de démarches à cause d'elle, dans la pensée de lui faire du bien. Loin de moi l'idée de vous nuire ! Je ne désire pas continuer la guerre. Mais livrez-vous à moi ; vous n'aurez pas à le regretter. Vous savez bien que vous êtes à moi et que sous mon règne rien ne vous a manqué

Jamais vous n'avez traversé de période aussi sombre que celle que vous connaissez maintenant ; aussi bien ne jouirez-vous plus jamais de la paix que lorsque vous m'appartiendrez. Acceptez mes offres ; et les Diaboloniens seront vos serviteurs. Allons ! Renouvelons connaissance, soyons amis ! Excusez-moi de vous parler si longuement. Mais j'ai pour vous un si grand amour '. Ne m'obligez donc pas à faire la guerre plus longtemps ; épargnez-vous des terreurs. Je vous aurai de toutes façons : ou librement ou par force. Ne vous faites pas d'illusion sur vos forces ou sur un secours problématique qu'enverrait Emmanuel. J'ai une puissante armée, commandée par (les chefs aussi rapides que des aigles, aussi forts que des lions, plus désireux de tomber sur une proie que les loups du soir. Donc, rendez-vous sans plus attendre. »

Alors, le Maire de la Cité se présenta pour lui répondre et dit : « O Diabolus, prince des ténèbres, maître ès ruses, flatteries et mensonges, nous ne te connaissons que trop, ayant déjà goûté à ta coupe d'étourdissement : Pourrions-nous nous laisser séduire à nouveau ? Et si nous te suivions, Emmanuel ne nous rejetterait-il pas de façon définitive ? L'endroit qu'il t'a préparé pourrait-il être pour nous un lieu de repos ? Mieux vaut mourir en combattant que d'être à nouveau victime de tes flatteries et de tes séductions. »

Démasqué, voyant ses ruses découvertes, Diabolus se retira plein de rage, bien décidé désormais à faire à l'Âme une guerre sans merci. Il plaça ses chefs les plus cruels tout autour de la Cité, et de part et d'autre on combattit avec acharnement. Il y eut des blessés et des morts. Mais les avantages étaient pour la ville, qui reprenait chaque jour plus de vigueur et de courage. On entendait dans ses murs le chant des psaumes et des cantiques, et celui des requêtes. Forts de leur victoire, ils décidèrent de faire une sortie contre l'ennemi, mais ils commirent l'erreur de choisir la nuit pour cette opération, au lieu de l'accomplir le jour. Or, la nuit est l'heure propice par excellence pour Diabolus. Qu'arriva-t-il ? Quand les assiégés sortirent, ils furent immédiatement assaillis ; il semblait que l'ennemi eût été averti et que les Diaboloniens les attendissent, tout prêts au combat. L'affaire fut chaude. Il y eut beaucoup de blessés et de morts de part et d'autre. Voyant qu'ils n'obtiendraient point d'avantages sérieux, ceux de la ville se retirèrent en emmenant leurs blessés. Pendant cette rencontre, les Diaboloniens qui se cachaient dans Âme d'Homme sortirent de leurs retraites, pensant tuer les indigènes, puisque l'armée était sortie. Mais le seigneur Volonté tomba sur eux à l'improviste, et il en fit un grand carnage.

Cet engagement nocturne avait encouragé Diabolus qui, le jour suivant, s'avança avec hardiesse sous les murs de la ville, demandant l'ouverture des portes. « Tu n'auras rien que ce que tu prendras de force, répondit le Seigneur Maire. Aussi longtemps que le Prince vivra, la ville n'appartiendra à personne d'autre qu'à lui. » Et le Seigneur Volonté fit aussi une réponse dont nous donnons ci-après une partie : « Quand nous ne te connaissions pas, tu as pu nous prendre comme des oiseaux au piège ; mais maintenant nous sommes passés des ténèbres à la lumière, de la puissance de Satan à celle de Dieu ; et bien que tu nous fasses une guerre cruelle, nous harcelant sans relâche, jamais nous ne nous rendrons ; jamais nous ne déposerons les armes pour devenir les esclaves d'un tyran aussi implacable que toi. La mort plutôt ! D'ailleurs, nous espérons toujours que le Roi viendra à notre secours. »

Diabolus se retira à nouveau, plein de fureur, et résolut de faire une nouvelle attaque, mais cette fois une attaque de nuit, qui, dans sa pensée, devait être décisive. Hélas ! elle devait l'être partiellement. La porte choisie par lui pour y porter l'effort de ses armes, celle des Émotions, n'était plus très résistante ; à l'intérieur, les principaux chefs étaient blessés ; elle céda et l'ennemi pénétra dans la ville. Ce fut un épouvantable massacre ; la cruauté des Diaboloniens se donna libre cours et les habitants furent torturés, brûlés, écrasés. Le Maire et le Seigneur Conscience eurent très particulièrement à souffrir des vainqueurs. Si Shaddaï ne les avait soutenus, certainement ils fussent morts l'un et l'autre. Quant au seigneur Volonté, il avait eu le temps de gagner le Château, en même temps que les Chefs et l'Armée du Prince, et de s'y enfermer avec eux. S'il avait été pris, il eût été taillé en pièces, Diabolus ayant donné un ordre à cet effet à son sujet. Les Capitaines et l'Armée d'Emmanuel s'étaient enfermés dans la Citadelle pour leur propre sécurité, 2° pour sauver la Ville de l'Âme, qui ne pouvait être asservie aussi longtemps que tenait le Coeur de la Cité, 3° pour conserver à Emmanuel ses prérogatives royales sur l'Âme.

Les maisons et les biens étaient réquisitionnés par les Diaboloniens, et la plupart des indigènes, pour échapper aux exactions de leurs ennemis, avaient disparu, se réfugiant dans les cavernes et les rochers.

Abandonnée aux envahisseurs, la ville était devenue un repaire de brigands. Cela dura plus de deux ans et demi, mais le château-fort, au Coeur de la Cité, tenait toujours.

Bien que réduits en cette extrémité, et que l'ennemi fût dans la place, les habitants réussirent à communiquer entre eux, et sur les conseils de M. Crainte de Dieu, ils prièrent M. le Conseiller royal de rédiger une supplique au Prince en leur faveur, ce qu'Il fit. M. Crainte de Dieu leur avait dit effectivement que les autres requêtes n'avaient pas été inspirées par le Conseiller royal, c'est pourquoi le Prince n'avait pu y répondre.

Dans cette dernière supplique, ils confessaient leur iniquité et leur indignité : « Nous ne sommes plus dignes de t'appartenir ; tu pourrais flous rejeter à jamais ; mais ne le fais pas à cause de ton Saint Nom. À cause de notre extrême misère, lève-toi et agis en notre faveur. L'ennemi nous enveloppe de toutes parts et nos transgressions se dressent contre nous. L'ennemi parcourt les rues de notre Cité. Seule, ta Grâce peut nous sauver. À qui irions-nous qu'à Toi ?

« De plus, nos chefs sont affaiblis et dans la langueur ; mais nos ennemis relèvent la tête. Ils sont forts, eux ! Ils se vantent, ils s'enorgueillissent et nous menacent d'extermination. Nous sommes submergés par leur armée du Doute. Notre sagesse, notre force c'était Toi ! Et tu nous a quittés. À nous la honte et la confusion de face. Mais prends pitié de nous, Seigneur ! Prends pitié de la misérable ville de l'Anne et sauve-nous ! »

Cette requête fut portée à la Cour par le Capitaine Confiance lui-même.
Et cette fois Emmanuel entendit et répondit.
Mais Diabolus apprenant qu'une requête de la ville était allée jusqu'au Roi Emmanuel, fut rempli de terreur et de rage ! « Qu'on redouble de sévérité et d'exaction contre la ville, commanda le tyran. Voici, Diaboloniens, je vous la livre. Ah ils continuent leurs pétitions et leurs prières ! Je leur en ferai passer le goût. »

Puis il se dirigea sur le château, donnant l'ordre d'ouvrir les portes, sinon il exercerait sur la Ville de l'Âme de cruelles représailles. Mais le portier, M. Crainte de Dieu refusa, puis ajouta ces paroles : « Quand la ville aura encore un peu souffert elle sera rendue parfaite, elle sortira de l'épreuve fortifiée et sera définitivement rétablie. - Eh bien, demanda le tyran, qu'on me livre ceux qui ont fait une pétition et particulièrement le chef Confiance. Qu'on me livre ce valet, lui seul, et je me retire de la ville. » Cette requête essuya un nouveau refus. Diabolus reprit alors : « Vous envoyez des messages à Emmanuel comme si votre méchanceté n'était pas comme liée à votre cou ! Comment pourriez-vous prier avec des lèvres pures ? Comment pourriez-vous subsister ? Je ne suis pas venu de mon propre' chef, c'est Lui qui m'envoie contre vous. Comment donc espérez-vous échapper ? »

- Notre Prince a dit : « Je ne mettrai pas dehors celui qui viendra à moi », répondit Crainte de Dieu. Sa Parole nous suffit. Il a aussi dit que toutes sortes de péchés et de blasphèmes seront pardonnés aux hommes. Nous ne voulons pas désespérer ; bien au contraire, nous espérons, nous attendons toujours la délivrance. » Dépité, furieux, Diabolus se retira et convoqua sur-le-champ un conseil de guerre.

Peu après son départ, le Capitaine Confiance se présentait à la porte du château rapportant plusieurs messages du Prince : pour le Seigneur Maire, le Seigneur Volonté, le Prédicateur Conscience, pour M. Crainte de Dieu, enfin pour tous les citoyens de la Ville. La teneur de ces diverses lettres faisait voir qu'Emmanuel était parfaitement au courant de tout ce qui se passait dans la Cité, et de la conduite particulière des uns et des autres. Ils en furent réconfortés ; et ne se sentirent plus si seuls. Le Capitaine Confiance fut alors appelé par le Conseiller royal qui le promut au grade de Lieutenant général de la Cité de l'Âme. Tous les autres chefs et l'Armée étaient placés sous ses ordres, ainsi que tous les habitants. « C'est toi qui as la direction suprême dans la guerre contre Diabolus, dit-il ; toi qui feras sortir l'armée, toi qui la feras rentrer. »

Le conseil de guerre des Diaboloniens fut assez laborieux : les Chefs furent consultés ; l'avis général fut qu'il n'y avait pas de victoire tant que le Château-fort tenait, et qu'il tiendrait aussi longtemps que d'aussi braves capitaines s'y trouveraient renfermés. Puisque la crainte et la terreur ne faisaient que renforcer leur obstination et leur volonté de résister jusqu'au bout, pourquoi ne pas essayer d'autres armes qui avaient toujours si bien réussi aux puissances des Ténèbres ? Les Diaboloniens feraient mieux de quitter la ville, puis ils veilleraient à la remplir de biens, de choses désirables, et grâce à leurs créatures laissées en arrière, l'Anse serait entraînée à pécher. Qui est fidèle à Shaddaï dans l'adversité, l'oublie vite dans l'abondance ; l'expérience est constante. La séduction des richesses étouffe ceux qui les possèdent. Quand un Coeur se laisse prendre par lés vanités et les soucis de la vie, quand un homme se laisse aller aux plaisirs de la table, à l'attrait des vins, c'en est fait de lui ; ces choses le maîtrisent vite.

« Il est difficile qu'une ville possède de grandes richesses sans avoir aussi quelques-uns des nôtres à son service. Quel est le riche dans la cité de l'Anse qui n'ait pas parmi ses serviteurs quelques Diaboloniens nommés Profusion ou Prodigalité ou Volupté ou Pragmatisme ou Ostentation ? Eux prendront le château fort par ruse. ».

Cet avis fut déclaré excellent ; on étoufferait l'Âme sous les biens et les vanités de cette vie, après s'être retiré de la Cité.

Tandis que le conseil de guerre se terminait chez les Diaboloniens, dans le château-fort on apportait au Lieutenant général Confiance un pli d'Emmanuel ainsi conçu : « Le troisième jour je te rencontrerai dans la plaine qui s'étend autour de la ville de l'Âme. »

- « Me rencontrer dans la plaine ? » réfléchissait le Lieutenant général ! Que veut dire mon Seigneur ? » Perplexe, il alla soumettre le message au Conseiller royal, qui resta quelques instants silencieux, puis dit ceci : « Après un long conciliabule, les Diaboloniens viennent de décider de partir. Ils veulent amener la ville à pécher et à se détruire elle-même en faisant abonder les richesses en son sein. Quant à eux, embusqués dans les champs, ils observeront de loin ce qui se passera. Prépare-toi, et sois dans la plaine avec les hommes du Prince le troisième jour, comme Il te l'a ordonné, car Il viendra certainement à la tête d'une puissante armée. »

Alors, tout heureux, le Lieutenant général revint et communiqua le message aux chefs qui furent remplis de joie. Puis il commanda aux trompettes de monter sur le chemin de ronde du château, et là de jouer la plus belle musique qu'ils pouvaient inventer. Ceux-ci montèrent au haut du château puis firent retentir une mélodie suave qui jeta la perplexité dans le camp des Diaboloniens. « Qu'est-ce que cela voulait dire ? Qu'étaient-ce que ces accents ? Ce n'était pas un appel aux armes, ni au pillage, ce n'était pas une charge ; qu'était-ce donc ? » Surpris, les indigènes écoutaient aussi, et avaient la conviction que cette musique était pour eux messagère de bonnes nouvelles. Dans le camp des Diaboloniens, quelqu'un suggéra : « Sans doute, leur Prince vient à leur secours... »,

Le lendemain, les. Diaboloniens opéraient leur retraite jusque dans la plaine qui s'étendait autour de la Ville. Attaqués ou non, ils se sentaient plus en sûreté dans la plaine, soit pour se battre, soit pour fuir.

Dans la forteresse, le second jour, chacun se préparait avec ardeur, car le lendemain même on devait rencontrer le Prince. Avant que le soleil fût levé, l'armée sortit de la ville. Le cri de guerre était celui-ci : l'épée du Prince Emmanuel et le bouclier du Capitaine Confiance. Ce qui, dans le langage ordinaire, est ainsi traduit : « la Parole de Dieu et la Foi ». Les troupes commencèrent à encercler le camp de Diabolus. Le capitaine Expérience, gravement blessé et encore insuffisamment remis, était resté dans la ville, mais quand il vit que les capitaines engageaient le combat, il saisit ses béquilles et se hâta de rejoindre l'armée.

De part et d'autre on se battait avec rage. Du haut du château, le Conseiller royal fit tirer les frondes par ses hommes, les plus excellents viseurs qui fussent.
Le combat se prolongeait, l'armée du Prince semblait faiblir. Emmanuel ne paraissait pas encore. Pendant quelques minutes de répit, le Lieutenant général Confiance harangua l'Armée : « Messieurs les soldats et mes frères, je suis heureux de constater votre bravoure au service du Prince, et votre amour pour la Ville. Jusqu'ici, vous vous êtes montrés loyaux et courageux. Persévérez ! Nous devons continuer à harceler l'ennemi, car certainement après un second engagement, Emmanuel paraîtra. » De son côté, Diabolus harangua son armée pour la persuader de tenir et de gagner la journée.

Le Lieutenant général n'avait pas achevé son discours que l'estafette Célérité venait annoncer que le Prince arrivait. La nouvelle se répandit de rang en rang, et des chefs jusqu'aux soldats. Ceux-ci, oubliant fatigues et blessures, se levèrent tous d'un bond comme des morts qui sortiraient du tombeau et ils chargèrent à nouveau l'ennemi en faisant résonner le cri de guerre : « La Parole de Dieu et la Foi ! ».

Les Diaboloniens aussi se dressèrent, mais ils semblaient avoir perdu courage et leurs rangs s'éclaircissaient. Le combat avait recommencé depuis une heure à peu près, quand, levant les yeux, le capitaine Confiance vit au loin l'armée d'Emmanuel marcher toutes enseignes déployées. Elle s'avançait avec tant de rapidité que les pieds des soldats semblaient ne pas toucher la terre. Alors, le Lieutenant général Confiance suivi de ses hommes, se tourna vers la Ville, laissant le champ aux Diaboloniens qui se mirent à les poursuivre. Puis, faisant peu après volte-face, ils attaquèrent ceux qui les poursuivaient ; les ennemis d'Aine d'Homme étaient pris entre deux feux. Diabolus se voyant battu et comprenant que la partie était perdue pour lui, recourut à la fuite sans plus se soucier de son armée. Pas un incrédule ne put subsister devant Emmanuel. De tous côtés, ils jonchaient le sol.

Le combat terminé, tous s'approchèrent d'Emmanuel pour le saluer. Il les reçut avec joie et leur dit : « La paix soit avec vous. »

L'entrée dans la ville fut un triomphe. Toutes les portes étaient grandes ouvertes, celles de la Ville et celles du Château. Le chemin avait été semé de lys, de beaucoup d'autres fleurs et de verdure ; les maisons aussi étaient décorées. Partout des chants s'élevaient. Les capitaines Confiance et Bonne-Espérance ouvraient le cortège, suivis du chef Charité et de quelques-uns de ses compagnons. Patience venait ensuite avec les autres capitaines qui tenaient la droite et la gauche du chemin. Au centre s'avançait Emmanuel dont l'armure était d'or fin.

Quand le Prince fut arrivé à la hauteur des portes, les Anciens qui y étaient descendus firent retentir ce cantique : « Haussez-vous, portes éternelles, et le Roi de Gloire entrera. Qui est ce roi de gloire Y C'est l'Éternel puissant dans les combats. Haussez-vous, portes éternelles... » Aux portes du château attendaient les seigneurs de la Ville : le Maire (M. Intelligence), MM. Volonté, Conscience, Connaissance, Pensée et plusieurs autres membres de la noblesse. Ils se prosternèrent devant Emmanuel et baisèrent la poussière de ses pieds, le bénissant et le louant de ce qu'Il avait eu pitié d'eux, de ce qu'il était venu restaurer l'Âme et la délivrer de ses ennemis. Puis, Emmanuel entra dans le Château qui avait été préparé à le recevoir par les soins du chef Confiance et purifié par la présence du Conseiller royal : l'Esprit-Saint.

Le peuple vint alors au château pour s'humilier de son péché. Tous les habitants se prosternèrent dans la poussière, tous se lamentèrent et implorèrent leur pardon. « Ne pleurez pas, dit Emmanuel, mais levez-vous et réjouissez-vous ; faites un festin et envoyez des portions à ceux qui sont pauvres. La joie de l'Éternel sera votre force. Je reviens à vous avec de grandes compassions, mon nom sera établi parmi vous, exalté et glorifié. » Puis il les embrassa et les serra contre son Coeur. Enfin, il fit des présents aux anciens, aux officiers et à leurs familles. Ensuite il dit : Vous irez laver vos habits à la fontaine ouverte pour Juda et Jérusalem, puis vous mettrez vos ornements et reviendrez au château. »

Désormais, la joie, les chants, les danses remplirent la ville. Dans les jours qui suivirent, le seigneur Maire donna des ordres pour que les morts qui jonchaient la plaine fussent enterrés. Des hommes partirent sous la direction des chefs Crainte de Dieu et Droiture pour s'acquitter de cette besogne. Là, dans la plaine, gisaient tous les sceptiques, tous ceux qui refusent de croire en l'Élection, la Vocation, la Grâce, la persévérance, la résurrection, ceux qui mettent en doute le Salut et la Gloire à venir. Là gisaient les capitaines Rage, Cruauté, Damnation, Insatiable, Soufre, Tourment, Sépulcre, Sans espérance. Quant aux grands chefs diaboloniens ils s'étaient tous enfuis à la suite de Diabolus, quand ils avaient vu que la bataille était perdue.

Hélas ! Diabolus n'est pas encore enchaîné dans l'Abîme. Aussi longtemps qu'il garde quelque liberté d'action, il l'emploiera toujours à attaquer la ville de l'Anse ; toujours, il refusera de s'avouer définitivement vaincu. Ainsi, après cette défaite, il s'empressa de lever une nouvelle armée. Mais, au lieu de la composer uniquement des soldats du Doute, il n'en prit que dix mille et leur adjoignit quinze mille sanguinaires avec leurs chefs dont les noms suivent : Caïn, Nemrod, Ismaël, Ésaü, Saül, Absalon, Judas, Pape ; tous avaient leurs couleurs, bannières et écussons. Les couleurs du chef Pape étaient rouges, et les armes brodées sur sa bannière représentaient un bûcher, une flamme et une victime dans la flamme. Diabolus donna à chaque armée des chefs choisis avec soin, puis revint encercler la ville de l'Âme menaçant de l'incendier si elle ne se rendait pas. L'ordre de reddition fut transmis au Prince avec ces lignes qu'avait ajoutées la Ville : « Seigneur, sauve-nous des hommes sanguinaires et cruels. »

Emmanuel prit en considération la requête de la Ville et donna des ordres pour sa défense. Lui-même plaça les chefs Foi et Patience du côté où se trouvaient massés les hommes sanguinaires. Du côté des Douteurs, il plaça les chefs Espérance, Charité et le seigneur Volonté. Quant au chef Expérience, il devait instruire les recrues sur la place du Marché. Ensuite, Emmanuel fit hisser ses couleurs sur le château.

Cette guerre dura longtemps, et mit à l'épreuve la foi, l'espérance et l'amour de l'Âme ; elle donna aussi l'occasion au jeune chef Renoncement, nouvellement promu, de se distinguer.

Enfin, certain jour, Emmanuel fit deux bandes de ses troupes : l'une devait poursuivre l'armée du Doute, et la passer au fil de l'épée. L'autre devait combattre les Sanguinaires mais les saisir vivants.

Un matin, au temps marqué, les chefs et l'armée sortirent : les capitaines Espérance, Charité, Innocence et Expérience marchèrent sur le camp des Douteurs. Ceux-ci songeant à la défaite récemment subie par les leurs, prirent la fuite. L'armée les poursuivit, beaucoup furent tués mais beaucoup aussi échappèrent.

L'armée qui sortait contre les Sanguinaires s'apprêta à les encercler. Les troupes diaboloniennes n'apercevant pas Emmanuel avec l'armée en conclurent qu'il n'était pas non plus dans la ville ; et observant la manoeuvre de ceux qui venaient contre eux pensèrent que c'était là l'une de ces façons de faire extravagantes des serviteurs d'Emmanuel, et loin de les redouter, ils les méprisèrent. Mais ils furent promptement encerclés. À ce même moment, les chefs qui revenaient de la poursuite des Douteurs vinrent prêter main-forte aux troupes de la Ville, et lorsque les Sanguinaires prirent l'alarme, il était déjà trop tard. Eux aussi auraient fui s'ils l'avaient pu, car s'ils sont cruels et pleins de méchanceté quand ils ont la victoire, ils n'ont plus que des Coeurs de poulet lorsqu'ils se voient vaincus.

Ils furent amenés devant le Prince qui leur fit subir un interrogatoire pour savoir d'où ils venaient. Les uns appartenaient au pays des aveugles, d'autres au district du zèle aveugle, d'autres au comté de la malice et de l'envie. Quand les premiers eurent les yeux ouverts, virent où ils étaient et contre qui ils avaient combattu, ils tremblèrent de frayeur et implorèrent la pitié. Tous ceux qui le firent eurent la vie sauve ; le Prince leur toucha les lèvres de son sceptre d'or.

Ceux qui faisaient partie du second groupe : « le zèle aveugle » n'implorèrent pas la pitié, et même ils prétendirent justifier leur conduite : parce que, disaient-ils, les lois et les coutumes de la Ville de l'Âme sont inacceptables et diffèrent totalement de celles de tous les autres pays environnants. Peu se laissèrent convaincre d'avoir agi méchamment. Mais ceux qui reconnurent leur erreur et leur iniquité et qui implorèrent la miséricorde du Prince, l'obtinrent.

Quant à ceux qui venaient du district de la méchanceté, ils ne pleurèrent pas et n'essayèrent pas de justifier leur conduite. Mais ils tremblèrent de rage inassouvie à la pensée qu'ils ne pourraient pas tirer vengeance de la Cité de l'Âme, comme ils l'avaient espéré. Tous ceux-là furent liés de chaînes sur l'ordre du Prince pour attendre le jour du Jugement du grand Roi Shaddaï.

Plusieurs Douteurs de ceux qui avaient été battus par les troupes de la Cité de l'Âme, au lieu de retourner en leur pays, se mirent à rôder aux environs de la Ville. On les apercevait par bandes de cinq, sept, et même davantage. Ensuite, ils s'enhardirent et pénétrèrent dans la Ville où ils furent reçus par des Diaboloniens qui s'y trouvaient encore, malgré les recherches jamais lassées du Seigneur Volonté. Il les traquait de jour et de nuit, aidé de son second, M Diligence. Grâce à eux, beaucoup tombèrent sous l'épée de la Justice. Le capitaine Renoncement apprenant qu'Amour de soi se promenait encore de par la ville et qu'il était en faveur auprès de certains habitants déclara que si ses concitoyens supportaient encore la présence de semblable vilain, il n'avait plus qu'à rendre son épée au Prince. Et s'avançant, il saisit dans la foule Amour de soi », il le fit encercler par ses soldats et tuer sur place. Il y eut bien quelques murmures parmi le peuple, mais personne n'osa trop élever la voix car Emmanuel était dans la ville.

Le Prince apprenant de quel zèle le capitaine Renoncement avait fait preuve, l'anoblit. Le Seigneur Volonté reçut aussi les marques de la haute approbation d'Emmanuel.

Une fois que la ville fut à peu près débarrassée de ses ennemis, le Prince annonça que certain jour, Il parlerait aux habitants sur la place du Marché ; Il leur parlerait de choses qui, si elles étaient observées, concourraient à leur sécurité et à leur confort, en même temps qu'à la destruction et à la condamnation des Diaboloniens nés dans la Cité.

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