LE SIÈGE. - DIABOLUS SOMME LA VILLE DE SE
RENDRE. - SILENCE DE LA VILLE, QUI REPOUSSE
SOMMATIONS ET ASSAUTS. - LE SECRÉTAIRE ROYAL
REFUSE SES CONSEILS. - LES CHEFS DE LA VILLE
LAISSÉS A EUX-MÊMES. - LES PORTES DE
LA VILLE FORCÉES PAR LES DIABOLONIENS. - LE
CHÂTEAU-FORT RESTE IMPRENABLE. - NOUVELLE
TACTIQUE DES DIABOLONIENS. - GRANDE BATAILLE. -
RETOUR D'EMMANUEL ET VICTOIRE. - NOUVEL ASSAUT DES
DIABOLONIENS. - NOUVELLE VICTOIRE
D'EMMANUEL.
Effectivement, la Ville fut bientôt
cernée par des forces redoutables, et
l'Âme plongée dans la terreur.
Diabolus, furieux de ne pas trouver dans la ville
le concours sur lequel il comptait, dut se retirer,
après avoir inutilement essayé de
forcer la porte de l'Oreille.
Alors, il se retrancha, fit
élever des terrasses autour de la
Cité, y plaça toutes les forces de
l'enfer pour faire tomber la ville de l'Âme
par la terreur. Mais l'armée du Prince
laissée dans la ville combattit avec tant de
vaillance que l'ennemi fut repoussé.
Ensuite, Diabolus fit hisser un immense
étendant noir sur le mont qui portait son
nom. En couleur feu, sur ce fond sombre, un
brasier ; et au milieu de la fournaise :
l'Âme. Puis il envoya son Tambour, qui chaque
nuit faisait un vacarme infernal, pour terrifier et
lasser les assiégés et les forcer
à capituler. Ces roulements de tambour
étaient vraiment effroyables et faisaient
trembler les habitants, les plongeant dans la
terreur. Enfin, certain soir, le Tambour fit savoir
qu'il avait un message pour la ville ;
« Son maître offrait la vie sauve
à quiconque se rendrait. » Tous
les habitants s'étaient déjà
réfugiés dans la Citadelle, de sorte
que personne ne lui répondit.
Alors, Diabolus envoya comme messager la
nuit suivante le Sépulcre. Il ordonnait
qu'on lui ouvrît les portes de la
ville ; n'était-il pas son
véritable Maître ? Si la ville de
l'Âme persistait dans sa rébellion,
elle serait exterminée.
La ville ne répondit pas un mot.
Mais après une réunion
générale où assistaient
quelques officiers, elle décida d'aller
exposer toutes choses au Secrétaire Royal.
Peut-être pourrait-Il la tirer de cette
situation extrême, ou l'aider à
formuler une requête au Prince
Emmanuel ? Mais après avoir
examiné leur requête, le
Secrétaire répondit qu'ayant
abandonné leur Prince et
négligé les conseils du Consolateur,
il était bon pour eux d'être
laissés à leurs seules ressources.
Ils avaient la loi du Prince et pouvaient la
consulter. Cette réponse tomba sur le Coeur
des habitants comme une meule de moulin. Ils en
furent quelque temps comme
écrasés.
En quelle lamentable
extrémité ils se trouvaient
réduits : l'ennemi à la porte et
prêt à les exterminer, à
l'intérieur le Consolateur refusant de les
guider ! Mais le Maire, M. Conscience, sans se
laisser décourager, étudia la
réponse du Conseiller royal, puis,
s'adressant au peuple, il lui dit :
« Les paroles du Conseiller royal
signifient que nous devons encore pendant quelque
temps récolter le fruit de notre
péché. Mais les paroles comportent
aussi l'espoir que nous serons secourus et
délivrés ; encore quelque temps
d'angoisse et Emmanuel viendra nous
secourir. » Tous furent encouragés
par la lueur d'espoir que permettaient les paroles
du Secrétaire royal.
Un nouvel assaut des troupes de Diabolus
fut repoussé. À la requête du
Maire, les cloches furent sonnées en signe
d'allégresse, et les remerciements de la
ville furent portés au Secrétaire
royal, dont les paroles [impliquant la
délivrance pour une date
indéterminée] avaient
réconforté et fortifié
l'armée et les citoyens.
Après ce nouvel échec,
Diabolus décida de changer de
tactique : il n'enverrait plus devant lui son
tambour, ce qui ne faisait que jeter dans la
terreur, il ne se servirait plus du capitaine
Sépulcre, mais lui-même irait à
l'Âme avec de douces paroles et des offres de
paix :
« Ah ! leur dit-il,
qu'il
l'aimait sa chère ville de
l'Âme ! Que de nuits il avait
passé dans les veilles en songeant à
son sort ! Que de pas et de démarches
à cause d'elle, dans la pensée de lui
faire du bien. Loin de moi l'idée de vous
nuire ! Je ne désire pas continuer la
guerre. Mais livrez-vous à moi ; vous
n'aurez pas à le regretter. Vous savez bien
que vous êtes à moi et que sous mon
règne rien ne vous a manqué
Jamais vous n'avez traversé de
période aussi sombre que celle que vous
connaissez maintenant ; aussi bien ne
jouirez-vous plus jamais de la paix que lorsque
vous m'appartiendrez. Acceptez mes offres ; et
les Diaboloniens seront vos serviteurs.
Allons ! Renouvelons connaissance, soyons
amis ! Excusez-moi de vous parler si
longuement. Mais j'ai pour vous un si grand amour
'. Ne m'obligez donc pas à faire la guerre
plus longtemps ; épargnez-vous des
terreurs. Je vous aurai de toutes
façons : ou librement ou par force. Ne
vous faites pas d'illusion sur vos forces ou sur un
secours problématique qu'enverrait Emmanuel.
J'ai une puissante armée, commandée
par (les chefs aussi rapides que des aigles, aussi
forts que des lions, plus désireux de tomber
sur une proie que les loups du soir. Donc,
rendez-vous sans plus attendre. »
Alors, le Maire de la Cité se
présenta pour lui répondre et
dit : « O Diabolus, prince des
ténèbres, maître ès
ruses, flatteries et mensonges, nous ne te
connaissons que trop, ayant déjà
goûté à ta coupe
d'étourdissement : Pourrions-nous nous
laisser séduire à nouveau ? Et
si nous te suivions, Emmanuel ne nous
rejetterait-il pas de façon
définitive ? L'endroit qu'il t'a
préparé pourrait-il être pour
nous un lieu de repos ? Mieux vaut mourir en
combattant que d'être à nouveau
victime de tes flatteries et de tes
séductions. »
Démasqué, voyant ses ruses
découvertes, Diabolus se retira plein de
rage, bien décidé désormais
à faire à l'Âme une guerre sans
merci. Il plaça ses chefs les plus cruels
tout autour de la Cité, et de part et
d'autre on combattit avec acharnement. Il y eut des
blessés et des morts. Mais les avantages
étaient pour la ville, qui reprenait chaque
jour plus de vigueur et de courage. On entendait
dans ses murs le chant des psaumes et des
cantiques, et celui des requêtes. Forts de
leur victoire, ils décidèrent de
faire une sortie contre l'ennemi, mais ils
commirent l'erreur de choisir la nuit pour cette
opération, au lieu de l'accomplir le jour.
Or, la nuit est l'heure propice par excellence pour
Diabolus. Qu'arriva-t-il ? Quand les
assiégés sortirent, ils furent
immédiatement assaillis ; il semblait
que l'ennemi eût été averti et
que les Diaboloniens les attendissent, tout
prêts au combat. L'affaire fut chaude. Il y
eut beaucoup de blessés et de morts de part
et d'autre. Voyant qu'ils n'obtiendraient point
d'avantages sérieux, ceux de la ville se
retirèrent en emmenant leurs blessés.
Pendant cette rencontre, les Diaboloniens qui se
cachaient dans Âme d'Homme sortirent de leurs
retraites, pensant tuer les indigènes,
puisque l'armée était sortie. Mais le
seigneur Volonté tomba sur eux à
l'improviste, et il en fit un grand
carnage.
Cet engagement nocturne avait
encouragé Diabolus qui, le jour suivant,
s'avança avec hardiesse sous les murs de la
ville, demandant l'ouverture des portes.
« Tu n'auras rien que ce que tu prendras
de force, répondit le Seigneur Maire. Aussi
longtemps que le Prince vivra, la ville
n'appartiendra à personne d'autre
qu'à lui. » Et le Seigneur
Volonté fit aussi une réponse dont
nous donnons ci-après une partie :
« Quand nous ne te connaissions pas, tu
as pu nous prendre comme des oiseaux au
piège ; mais maintenant nous sommes
passés des ténèbres à
la lumière, de la puissance de Satan
à celle de Dieu ; et bien que tu nous
fasses une guerre cruelle, nous harcelant sans
relâche, jamais nous ne nous rendrons ;
jamais nous ne déposerons les armes pour
devenir les esclaves d'un tyran aussi implacable
que toi. La mort plutôt ! D'ailleurs,
nous espérons toujours que le Roi viendra
à notre secours. »
Diabolus se retira à nouveau,
plein de fureur, et résolut de faire une
nouvelle attaque, mais cette fois une attaque de
nuit, qui, dans sa pensée, devait être
décisive. Hélas ! elle devait
l'être partiellement. La porte choisie par
lui pour y porter l'effort de ses armes, celle des
Émotions, n'était plus très
résistante ; à
l'intérieur, les principaux chefs
étaient blessés ; elle
céda et l'ennemi pénétra dans
la ville. Ce fut un épouvantable
massacre ; la cruauté des Diaboloniens
se donna libre cours et les habitants furent
torturés, brûlés,
écrasés. Le Maire et le Seigneur
Conscience eurent très
particulièrement à souffrir des
vainqueurs. Si Shaddaï ne les avait soutenus,
certainement ils fussent morts l'un et l'autre.
Quant au seigneur Volonté, il avait eu le
temps de gagner le Château, en même
temps que les Chefs et l'Armée du Prince, et
de s'y enfermer avec eux. S'il avait
été pris, il eût
été taillé en pièces,
Diabolus ayant donné un ordre à cet
effet à son sujet. Les Capitaines et
l'Armée d'Emmanuel s'étaient
enfermés dans la Citadelle pour leur propre
sécurité, 2° pour sauver la
Ville de l'Âme, qui ne pouvait être
asservie aussi longtemps que tenait le Coeur de la
Cité, 3° pour conserver à
Emmanuel ses prérogatives royales sur
l'Âme.
Les maisons et les biens étaient
réquisitionnés par les Diaboloniens,
et la plupart des indigènes, pour
échapper aux exactions de leurs ennemis,
avaient disparu, se réfugiant dans les
cavernes et les rochers.
Abandonnée aux envahisseurs, la
ville était devenue un repaire de brigands.
Cela dura plus de deux ans et demi, mais le
château-fort, au Coeur de la Cité,
tenait toujours.
Bien que réduits en cette
extrémité, et que l'ennemi fût
dans la place, les habitants réussirent
à communiquer entre eux, et sur les conseils
de M. Crainte de Dieu, ils prièrent M. le
Conseiller royal de rédiger une supplique au
Prince en leur faveur, ce qu'Il fit. M. Crainte de
Dieu leur avait dit effectivement que les autres
requêtes n'avaient pas été
inspirées par le Conseiller royal, c'est
pourquoi le Prince n'avait pu y
répondre.
Dans cette dernière supplique,
ils confessaient leur iniquité et leur
indignité : « Nous ne sommes
plus dignes de t'appartenir ; tu pourrais
flous rejeter à jamais ; mais ne le
fais pas à cause de ton Saint Nom. À
cause de notre extrême misère,
lève-toi et agis en notre faveur. L'ennemi
nous enveloppe de toutes parts et nos
transgressions se dressent contre nous. L'ennemi
parcourt les rues de notre Cité. Seule, ta
Grâce peut nous sauver. À qui
irions-nous qu'à Toi ?
« De plus, nos chefs sont
affaiblis et dans la langueur ; mais nos
ennemis relèvent la tête. Ils sont
forts, eux ! Ils se vantent, ils
s'enorgueillissent et nous menacent
d'extermination. Nous sommes submergés par
leur armée du Doute. Notre sagesse, notre
force c'était Toi ! Et tu nous a
quittés. À nous la honte et la
confusion de face. Mais prends pitié de
nous, Seigneur ! Prends pitié de la
misérable ville de l'Anne et
sauve-nous ! »
Cette requête fut portée
à la Cour par le Capitaine Confiance
lui-même.
Et cette fois Emmanuel entendit et
répondit.
Mais Diabolus apprenant qu'une
requête de la ville était allée
jusqu'au Roi Emmanuel, fut rempli de terreur et de
rage ! « Qu'on redouble de
sévérité et d'exaction contre
la ville, commanda le tyran. Voici, Diaboloniens,
je vous la livre. Ah ils continuent leurs
pétitions et leurs prières ! Je
leur en ferai passer le
goût. »
Puis il se dirigea sur le château,
donnant l'ordre d'ouvrir les portes, sinon il
exercerait sur la Ville de l'Âme de cruelles
représailles. Mais le portier, M. Crainte de
Dieu refusa, puis ajouta ces paroles :
« Quand la ville aura encore un peu
souffert elle sera rendue parfaite, elle sortira de
l'épreuve fortifiée et sera
définitivement rétablie. - Eh bien,
demanda le tyran, qu'on me livre ceux qui ont fait
une pétition et particulièrement le
chef Confiance. Qu'on me livre ce valet, lui seul,
et je me retire de la ville. » Cette
requête essuya un nouveau refus. Diabolus
reprit alors : « Vous envoyez des
messages à Emmanuel comme si votre
méchanceté n'était pas comme
liée à votre cou ! Comment
pourriez-vous prier avec des lèvres
pures ? Comment pourriez-vous subsister ?
Je ne suis pas venu de mon propre' chef, c'est Lui
qui m'envoie contre vous. Comment donc
espérez-vous
échapper ? »
- Notre Prince a dit :
« Je ne mettrai pas dehors celui qui
viendra à moi », répondit
Crainte de Dieu. Sa Parole nous suffit. Il a aussi
dit que toutes sortes de péchés et de
blasphèmes seront pardonnés aux
hommes. Nous ne voulons pas
désespérer ; bien au contraire,
nous espérons, nous attendons toujours la
délivrance. »
Dépité, furieux, Diabolus se retira
et convoqua sur-le-champ un conseil de
guerre.
Peu après son départ, le
Capitaine Confiance se présentait à
la porte du château rapportant plusieurs
messages du Prince : pour le Seigneur Maire,
le Seigneur Volonté, le Prédicateur
Conscience, pour M. Crainte de Dieu, enfin pour
tous les citoyens de la Ville. La teneur de ces
diverses lettres faisait voir qu'Emmanuel
était parfaitement au courant de tout ce qui
se passait dans la Cité, et de la conduite
particulière des uns et des autres. Ils en
furent réconfortés ; et ne se
sentirent plus si seuls. Le Capitaine Confiance fut
alors appelé par le Conseiller royal qui le
promut au grade de Lieutenant général
de la Cité de l'Âme. Tous les autres
chefs et l'Armée étaient
placés sous ses ordres, ainsi que tous les
habitants. « C'est toi qui as la
direction suprême dans la guerre contre
Diabolus, dit-il ; toi qui feras sortir
l'armée, toi qui la feras
rentrer. »
Le conseil de guerre des Diaboloniens
fut assez laborieux : les Chefs furent
consultés ; l'avis
général fut qu'il n'y avait pas de
victoire tant que le Château-fort tenait, et
qu'il tiendrait aussi longtemps que d'aussi braves
capitaines s'y trouveraient renfermés.
Puisque la crainte et la terreur ne faisaient que
renforcer leur obstination et leur volonté
de résister jusqu'au bout, pourquoi ne pas
essayer d'autres armes qui avaient toujours si bien
réussi aux puissances des
Ténèbres ? Les Diaboloniens
feraient mieux de quitter la ville, puis ils
veilleraient à la remplir de biens, de
choses désirables, et grâce à
leurs créatures laissées en
arrière, l'Anse serait
entraînée à pécher. Qui
est fidèle à Shaddaï dans
l'adversité, l'oublie vite dans
l'abondance ; l'expérience est
constante. La séduction des richesses
étouffe ceux qui les possèdent. Quand
un Coeur se laisse prendre par lés
vanités et les soucis de la vie, quand un
homme se laisse aller aux plaisirs de la table,
à l'attrait des vins, c'en est fait de
lui ; ces choses le maîtrisent
vite.
« Il est difficile qu'une
ville possède de grandes richesses sans
avoir aussi quelques-uns des nôtres à
son service. Quel est le riche dans la cité
de l'Anse qui n'ait pas parmi ses serviteurs
quelques Diaboloniens nommés Profusion ou
Prodigalité ou Volupté ou Pragmatisme
ou Ostentation ? Eux prendront le
château fort par ruse. ».
Cet avis fut déclaré
excellent ; on étoufferait l'Âme
sous les biens et les vanités de cette vie,
après s'être retiré de la
Cité.
Tandis que le conseil de guerre se
terminait chez les Diaboloniens, dans le
château-fort on apportait au Lieutenant
général Confiance un pli d'Emmanuel
ainsi conçu : « Le
troisième jour je te rencontrerai dans la
plaine qui s'étend autour de la ville de
l'Âme. »
- « Me rencontrer dans la
plaine ? »
réfléchissait le Lieutenant
général ! Que veut dire mon
Seigneur ? » Perplexe, il alla
soumettre le message au Conseiller royal, qui resta
quelques instants silencieux, puis dit ceci :
« Après un long conciliabule, les
Diaboloniens viennent de décider de partir.
Ils veulent amener la ville à pécher
et à se détruire elle-même en
faisant abonder les richesses en son sein. Quant
à eux, embusqués dans les champs, ils
observeront de loin ce qui se passera.
Prépare-toi, et sois dans la plaine avec les
hommes du Prince le troisième jour, comme Il
te l'a ordonné, car Il viendra certainement
à la tête d'une puissante
armée. »
Alors, tout heureux, le Lieutenant
général revint et communiqua le
message aux chefs qui furent remplis de joie. Puis
il commanda aux trompettes de monter sur le chemin
de ronde du château, et là de jouer la
plus belle musique qu'ils pouvaient inventer.
Ceux-ci montèrent au haut du château
puis firent retentir une mélodie suave qui
jeta la perplexité dans le camp des
Diaboloniens. « Qu'est-ce que cela
voulait dire ? Qu'étaient-ce que ces
accents ? Ce n'était pas un appel aux
armes, ni au pillage, ce n'était pas une
charge ; qu'était-ce
donc ? » Surpris, les
indigènes écoutaient aussi, et
avaient la conviction que cette musique
était pour eux messagère de bonnes
nouvelles. Dans le camp des Diaboloniens, quelqu'un
suggéra : « Sans doute, leur
Prince vient à leur
secours... »,
Le lendemain, les. Diaboloniens
opéraient leur retraite jusque dans la
plaine qui s'étendait autour de la Ville.
Attaqués ou non, ils se sentaient plus en
sûreté dans la plaine, soit pour se
battre, soit pour fuir.
Dans la forteresse, le second jour,
chacun se préparait avec ardeur, car le
lendemain même on devait rencontrer le
Prince. Avant que le soleil fût levé,
l'armée sortit de la ville. Le cri de guerre
était celui-ci : l'épée
du Prince Emmanuel et le bouclier du Capitaine
Confiance. Ce qui, dans le langage ordinaire, est
ainsi traduit : « la Parole de Dieu
et la Foi ». Les troupes
commencèrent à encercler le camp de
Diabolus. Le capitaine Expérience, gravement
blessé et encore insuffisamment remis,
était resté dans la ville, mais quand
il vit que les capitaines engageaient le combat, il
saisit ses béquilles et se hâta de
rejoindre l'armée.
De part et d'autre on se battait avec
rage. Du haut du château, le Conseiller royal
fit tirer les frondes par ses hommes, les plus
excellents viseurs qui fussent.
Le combat se prolongeait, l'armée
du Prince semblait faiblir. Emmanuel ne paraissait
pas encore. Pendant quelques minutes de
répit, le Lieutenant général
Confiance harangua l'Armée :
« Messieurs les soldats et mes
frères, je suis heureux de constater votre
bravoure au service du Prince, et votre amour pour
la Ville. Jusqu'ici, vous vous êtes
montrés loyaux et courageux.
Persévérez ! Nous devons
continuer à harceler l'ennemi, car
certainement après un second engagement,
Emmanuel paraîtra. » De son
côté, Diabolus harangua son
armée pour la persuader de tenir et de
gagner la journée.
Le Lieutenant général
n'avait pas achevé son discours que
l'estafette Célérité venait
annoncer que le Prince arrivait. La nouvelle se
répandit de rang en rang, et des chefs
jusqu'aux soldats. Ceux-ci, oubliant fatigues et
blessures, se levèrent tous d'un bond comme
des morts qui sortiraient du tombeau et ils
chargèrent à nouveau l'ennemi en
faisant résonner le cri de guerre :
« La Parole de Dieu et la
Foi ! ».
Les Diaboloniens aussi se
dressèrent, mais ils semblaient avoir perdu
courage et leurs rangs s'éclaircissaient. Le
combat avait recommencé depuis une heure
à peu près, quand, levant les yeux,
le capitaine Confiance vit au loin l'armée
d'Emmanuel marcher toutes enseignes
déployées. Elle s'avançait
avec tant de rapidité que les pieds des
soldats semblaient ne pas toucher la terre. Alors,
le Lieutenant général Confiance suivi
de ses hommes, se tourna vers la Ville, laissant le
champ aux Diaboloniens qui se mirent à les
poursuivre. Puis, faisant peu après
volte-face, ils attaquèrent ceux qui les
poursuivaient ; les ennemis d'Aine d'Homme
étaient pris entre deux feux. Diabolus se
voyant battu et comprenant que la partie
était perdue pour lui, recourut à la
fuite sans plus se soucier de son armée. Pas
un incrédule ne put subsister devant
Emmanuel. De tous côtés, ils
jonchaient le sol.
Le combat terminé, tous
s'approchèrent d'Emmanuel pour le saluer. Il
les reçut avec joie et leur dit :
« La paix soit avec
vous. »
L'entrée dans la ville fut un
triomphe. Toutes les portes étaient grandes
ouvertes, celles de la Ville et celles du
Château. Le chemin avait été
semé de lys, de beaucoup d'autres fleurs et
de verdure ; les maisons aussi étaient
décorées. Partout des chants
s'élevaient. Les capitaines Confiance et
Bonne-Espérance ouvraient le cortège,
suivis du chef Charité et de quelques-uns de
ses compagnons. Patience venait ensuite avec les
autres capitaines qui tenaient la droite et la
gauche du chemin. Au centre s'avançait
Emmanuel dont l'armure était d'or
fin.
Quand le Prince fut arrivé
à la hauteur des portes, les Anciens qui y
étaient descendus firent retentir ce
cantique : « Haussez-vous, portes
éternelles, et le Roi de Gloire entrera. Qui
est ce roi de gloire Y C'est l'Éternel
puissant dans les combats. Haussez-vous, portes
éternelles... » Aux portes du
château attendaient les seigneurs de la
Ville : le Maire (M. Intelligence), MM.
Volonté, Conscience, Connaissance,
Pensée et plusieurs autres membres de la
noblesse. Ils se prosternèrent devant
Emmanuel et baisèrent la poussière de
ses pieds, le bénissant et le louant de ce
qu'Il avait eu pitié d'eux, de ce qu'il
était venu restaurer l'Âme et la
délivrer de ses ennemis. Puis, Emmanuel
entra dans le Château qui avait
été préparé à le
recevoir par les soins du chef Confiance et
purifié par la présence du Conseiller
royal : l'Esprit-Saint.
Le peuple vint alors au château
pour s'humilier de son péché. Tous
les habitants se prosternèrent dans la
poussière, tous se lamentèrent et
implorèrent leur pardon. « Ne
pleurez pas, dit Emmanuel, mais levez-vous et
réjouissez-vous ; faites un festin et
envoyez des portions à ceux qui sont
pauvres. La joie de l'Éternel sera votre
force. Je reviens à vous avec de grandes
compassions, mon nom sera établi parmi vous,
exalté et glorifié. » Puis
il les embrassa et les serra contre son Coeur.
Enfin, il fit des présents aux anciens, aux
officiers et à leurs familles. Ensuite il
dit : Vous irez laver vos habits à la
fontaine ouverte pour Juda et Jérusalem,
puis vous mettrez vos ornements et reviendrez au
château. »
Désormais, la joie, les chants,
les danses remplirent la ville. Dans les jours qui
suivirent, le seigneur Maire donna des ordres pour
que les morts qui jonchaient la plaine fussent
enterrés. Des hommes partirent sous la
direction des chefs Crainte de Dieu et Droiture
pour s'acquitter de cette besogne. Là, dans
la plaine, gisaient tous les sceptiques, tous ceux
qui refusent de croire en l'Élection, la
Vocation, la Grâce, la
persévérance, la résurrection,
ceux qui mettent en doute le Salut et la Gloire
à venir. Là gisaient les capitaines
Rage, Cruauté, Damnation, Insatiable,
Soufre, Tourment, Sépulcre, Sans
espérance. Quant aux grands chefs
diaboloniens ils s'étaient tous enfuis
à la suite de Diabolus, quand ils avaient vu
que la bataille était perdue.
Hélas ! Diabolus n'est pas
encore enchaîné dans l'Abîme.
Aussi longtemps qu'il garde quelque liberté
d'action, il l'emploiera toujours à attaquer
la ville de l'Anse ; toujours, il refusera de
s'avouer définitivement vaincu. Ainsi,
après cette défaite, il s'empressa de
lever une nouvelle armée. Mais, au lieu de
la composer uniquement des soldats du Doute, il
n'en prit que dix mille et leur adjoignit quinze
mille sanguinaires avec leurs chefs dont les noms
suivent : Caïn, Nemrod, Ismaël,
Ésaü, Saül, Absalon, Judas,
Pape ; tous avaient leurs couleurs,
bannières et écussons. Les couleurs
du chef Pape étaient rouges, et les armes
brodées sur sa bannière
représentaient un bûcher, une flamme
et une victime dans la flamme. Diabolus donna
à chaque armée des chefs choisis avec
soin, puis revint encercler la ville de l'Âme
menaçant de l'incendier si elle ne se
rendait pas. L'ordre de reddition fut transmis au
Prince avec ces lignes qu'avait ajoutées la
Ville : « Seigneur, sauve-nous des
hommes sanguinaires et cruels. »
Emmanuel prit en considération la
requête de la Ville et donna des ordres pour
sa défense. Lui-même plaça les
chefs Foi et Patience du côté
où se trouvaient massés les hommes
sanguinaires. Du côté des Douteurs, il
plaça les chefs Espérance,
Charité et le seigneur Volonté. Quant
au chef Expérience, il devait instruire les
recrues sur la place du Marché. Ensuite,
Emmanuel fit hisser ses couleurs sur le
château.
Cette guerre dura longtemps, et mit
à l'épreuve la foi,
l'espérance et l'amour de l'Âme ;
elle donna aussi l'occasion au jeune chef
Renoncement, nouvellement promu, de se
distinguer.
Enfin, certain jour, Emmanuel fit deux
bandes de ses troupes : l'une devait
poursuivre l'armée du Doute, et la passer au
fil de l'épée. L'autre devait
combattre les Sanguinaires mais les saisir
vivants.
Un matin, au temps marqué, les
chefs et l'armée sortirent : les
capitaines Espérance, Charité,
Innocence et Expérience marchèrent
sur le camp des Douteurs. Ceux-ci songeant à
la défaite récemment subie par les
leurs, prirent la fuite. L'armée les
poursuivit, beaucoup furent tués mais
beaucoup aussi échappèrent.
L'armée qui sortait contre les
Sanguinaires s'apprêta à les
encercler. Les troupes diaboloniennes n'apercevant
pas Emmanuel avec l'armée en conclurent
qu'il n'était pas non plus dans la
ville ; et observant la manoeuvre de ceux qui
venaient contre eux pensèrent que
c'était là l'une de ces façons
de faire extravagantes des serviteurs d'Emmanuel,
et loin de les redouter, ils les
méprisèrent. Mais ils furent
promptement encerclés. À ce
même moment, les chefs qui revenaient de la
poursuite des Douteurs vinrent prêter
main-forte aux troupes de la Ville, et lorsque les
Sanguinaires prirent l'alarme, il était
déjà trop tard. Eux aussi auraient
fui s'ils l'avaient pu, car s'ils sont cruels et
pleins de méchanceté quand ils ont la
victoire, ils n'ont plus que des Coeurs de poulet
lorsqu'ils se voient vaincus.
Ils furent amenés devant le
Prince qui leur fit subir un interrogatoire pour
savoir d'où ils venaient. Les uns
appartenaient au pays des aveugles, d'autres au
district du zèle aveugle, d'autres au
comté de la malice et de l'envie. Quand les
premiers eurent les yeux ouverts, virent où
ils étaient et contre qui ils avaient
combattu, ils tremblèrent de frayeur et
implorèrent la pitié. Tous ceux qui
le firent eurent la vie sauve ; le Prince leur
toucha les lèvres de son sceptre
d'or.
Ceux qui faisaient partie du second
groupe : « le zèle
aveugle » n'implorèrent pas la
pitié, et même ils prétendirent
justifier leur conduite : parce que,
disaient-ils, les lois et les coutumes de la Ville
de l'Âme sont inacceptables et
diffèrent totalement de celles de tous les
autres pays environnants. Peu se laissèrent
convaincre d'avoir agi méchamment. Mais ceux
qui reconnurent leur erreur et leur iniquité
et qui implorèrent la miséricorde du
Prince, l'obtinrent.
Quant à ceux qui venaient du
district de la méchanceté, ils ne
pleurèrent pas et n'essayèrent pas de
justifier leur conduite. Mais ils
tremblèrent de rage inassouvie à la
pensée qu'ils ne pourraient pas tirer
vengeance de la Cité de l'Âme, comme
ils l'avaient espéré. Tous
ceux-là furent liés de chaînes
sur l'ordre du Prince pour attendre le jour du
Jugement du grand Roi Shaddaï.
Plusieurs Douteurs de ceux qui avaient
été battus par les troupes de la
Cité de l'Âme, au lieu de retourner en
leur pays, se mirent à rôder aux
environs de la Ville. On les apercevait par bandes
de cinq, sept, et même davantage. Ensuite,
ils s'enhardirent et
pénétrèrent dans la Ville
où ils furent reçus par des
Diaboloniens qui s'y trouvaient encore,
malgré les recherches jamais lassées
du Seigneur Volonté. Il les traquait de jour
et de nuit, aidé de son second, M Diligence.
Grâce à eux, beaucoup tombèrent
sous l'épée de la Justice. Le
capitaine Renoncement apprenant qu'Amour de soi se
promenait encore de par la ville et qu'il
était en faveur auprès de certains
habitants déclara que si ses concitoyens
supportaient encore la présence de semblable
vilain, il n'avait plus qu'à rendre son
épée au Prince. Et s'avançant,
il saisit dans la foule Amour de soi »,
il le fit encercler par ses soldats et tuer sur
place. Il y eut bien quelques murmures parmi le
peuple, mais personne n'osa trop élever la
voix car Emmanuel était dans la
ville.
Le Prince apprenant de quel zèle
le capitaine Renoncement avait fait preuve,
l'anoblit. Le Seigneur Volonté reçut
aussi les marques de la haute approbation
d'Emmanuel.
Une fois que la ville fut à peu
près débarrassée de ses
ennemis, le Prince annonça que certain jour,
Il parlerait aux habitants sur la place du
Marché ; Il leur parlerait de choses
qui, si elles étaient observées,
concourraient à leur sécurité
et à leur confort, en même temps
qu'à la destruction et à la
condamnation des Diaboloniens nés dans la
Cité.
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