Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

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SÉCURITÉ CHARNELLE FAIT UN FESTIN. - CRAINTE DE DIEU ÉLÈVE LA VOIX. -- IL REPROCHE L'OUBLI D'EMMANUEL. - LA VILLE TOMBE DANS LA LANGUEUR. - LES ENNEMIS EN SON ENCEINTE CONSPIRENT CONTRE ELLE. - ILS ENVOIENT CHERCHER DIABOLUS. - LE COMPLOT EST DÉCOUVERT. - AVERTIE, ÂME D'HOMME S'HUMILIE, SE REPENT. - DÉFAILLANCE DES SEIGNEURS VOLONTÉ ET PENSÉE. - DIABOLUS SE PRÉPARE À L'ASSAUT.



Il demeurait dans la ville de l'Âme un monsieur, Crainte de Dieu, ce qui déplaisait fort à Sécurité charnelle. Il aurait bien voulu le débaucher lui aussi et en faire l'un de ses adeptes. Mais jusque-là, Crainte de Dieu se tenait à l'écart et Sécurité charnelle sentait bien qu'il n'avait aucune prise sur lui. Il résolut de l'inviter à un grand festin avec plusieurs autres de ses voisins, dans le but de le circonvenir, de le débaucher si possible, d'en faire sa dupe comme il l'avait fait avec les seigneurs de la Cité.

Tous vinrent, tous se livrèrent à la joie, burent et mangèrent à l'exception de Crainte de Dieu qui se tenait sur la réserve, ce dont l'amphitryon s'aperçut : - Seriez-vous malade ? Malade de corps ou d'esprit ? ou des deux ? demanda-t-il ironiquement à son invité. » - Je vous remercie pour votre intérêt plein de courtoisie, répondit Crainte de Dieu. Mais j'ai un mot à dire aux gens de la ville : aux chefs et aux anciens. Et se tournant aussitôt vers eux, il dit : Vous Chefs, vous Anciens, n'est-il pas extraordinaire que vous soyez si joyeux et si loquaces pendant que la ville de l'Âme est réduite en un état si misérable ? »

Sécurité charnelle se dressa d'un bond et cria tout aussitôt : « Mais cet homme ne sait ce qu'il dit ; il a besoin de sommeil. Reposez-vous, Monsieur, pendant que nous continuerons à festoyer. »

Si votre Coeur était droit et sincère, reprit Crainte de Dieu, pourriez-vous continuer votre oeuvre néfaste, M. Sécurité ?

Et que voulez-vous dire, Monsieur ?

Ne m'interrompez point. Il est vrai que Ville d'Âme était imprenable, mais vous l'avez affaiblie à ce point qu'elle est maintenant exposée à toutes les entreprises ennemies. Est-ce un temps pour flatter, ou rester silencieux ? C'est vous, M. Sécurité charnelle qui avez abattu ses tours, brisé ses portes et ses barres. Depuis que les seigneurs de la Ville de l'Âme sont devenus si puissants et que vous, M. Sécurité, vous êtes devenu si grand, la Cité a oublié son Prince, la miséricordieuse attente de celui-ci s'est lassée, et maintenant il s'est retiré de la Ville. C'est sa Présence qui faisait la force de notre Cité. »

- Fi ! Fi ! Monsieur, interrompit Sécurité ! Que vous êtes timoré ! Ne vous déferez-vous jamais de cette pusillanimité ? Avez-vous peur d'être tué par un moineau ? Qu'est-ce qui vous blesse ? J'en tiens pour vous. Je veux être votre ami, et vous vous me tenez à l'écart, vous m'accusez ! Et puis est-ce l'heure d'être triste ? Un festin, c'est pour qu'on se réjouisse. En ne devriez-vous pas avoir honte d'apporter ici le trouble et la mélancolie quand vous devriez manger, boire, et être heureux comme tout le monde ?

Comment ne serais-je pas triste quand Emmanuel n'occupe plus le trône de l'Âme, répondit Crainte de Dieu. Et c'est toi qui l'as chassé, Sécurité mauvaise. Maintenant, Messieurs de la Ville, car mon discours est pour vous, vous qui avez été l'objet d'un si grand amour, d'un si grand pardon, vous avez négligé le Prince, vous ne l'avez plus cherché, vous avez ignoré ses appels ! Alors, il s'est tenu à l'écart, et vous ne vous en êtes même pas aperçus ! Si vous vous étiez humiliés pour votre froideur et votre oubli, Il aurait sans doute pardonné, mais quand Il vit que personne ne pensait plus à lui, que personne ne répondait à ses invitations, et que vous vous imaginiez vous suffire à vous-mêmes, il a quitté la ville, et avec lui est parti ce qui faisait votre force. Que votre fête soit changée en deuil, et votre joie en lamentations. »

À l'ouïe de ces paroles, M. Conscience que le Prince Emmanuel avait promu à la charge de prédicateur, sous les directions du Secrétaire royal venu de la cour de Shaddaï pour enseigner le peuple de la Cité de l'Âme dans toute la Vérité, M. Conscience se sentit touché au vif, et il dit aux convives : « Mes frères, j'ai bien des raisons de croire que M. Crainte de Dieu vient de nous dire la vérité. Personnellement, il y a bien longtemps que je n'ai pas vu le Prince. »

Je sais que tu ne le verras pas, reprit Crainte de Dieu, et c'est de votre faute à vous, les chefs, s'il est parti, vous qui en reconnaissance de la grâce dont vous avez été l'objet, montrez maintenant la plus honteuse ingratitude. »

À l'ouïe de ces paroles, tous les convives changèrent de couleur, et même on put craindre que M. Conscience ne tombât à la renverse. Quant à M. Sécurité charnelle, il jugea prudent de quitter la chambre. Les choses prenaient un vilain tour, ce qu'il était bien loin d'avoir prévu. Les paroles d'Emmanuel, ses avertissements contre les faux prophètes en habits de brebis, se présentaient avec force dans le coeur des convives. Ah ! certes, Sécurité Charnelle était bien l'un de ceux contre qui le Maître avait essayé de les mettre en garde. Sortant de sa maison, les conviés y mirent le feu, brûlant celle-ci sur le propriétaire qui y était caché, car il était un Diabolonien. Ensuite, ils partirent chercher le Prince, nourrissant encore quelque espoir de le trouver. Hélas ! Leur recherche fut vaine. Ils ne le trouvèrent pas. Alors ils se condamnèrent sévèrement et se repentirent de leur langueur spirituelle. Ils décidèrent d'aller frapper à la porte du Seigneur-Secrétaire, celui qui était venu les appeler de la part du Prince sans qu'ils daignassent répondre à l'invitation. Peut-être pourrait-il leur dire où était le Prince Emmanuel ? Ils frappèrent en vain à la porte de son palais, sans pouvoir obtenir de réponse.

Et maintenant, Âme d'Homme traversait des heures d'épreuve, des jours sombres ; elle se rendait compte de sa folie et voyait où l'avaient menée les flatteries et les vaines paroles de Fausse Sécurité. M. Conscience tonnait en chaire contre le péché des grands, contre ses propres transgressions, contre la ville. Il s'humiliait, lui, prédicateur, de s'être laissé entraîner au mal.

C'est à cette époque qu'une épidémie fit son apparition dans la Cité, frappant les habitants de langueur. L'armée en fut aussi touchée ainsi que ses chefs. On ne rencontrait plus dans la ville que malades et gens épuisés. Les vêtements blancs donnés par Shaddaï étaient devenus souillés, ils étaient déchirés et il semblait que les morceaux dussent rester attachés au premier buisson rencontré.

M. Conscience fit décréter un jour de jeûne et demanda au chef Boanergès de prêcher. Celui-ci accepta et prit pour texte : « Coupe-le, pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? » Puis, aidé des conseils de Crainte de Dieu, Conscience décida d'envoyer une supplique à Emmanuel, et le Maire fut choisi pour la porter à la Cour de Shaddaï et du Prince, son fils. Mais le messager d'Aine d'Homme ne fut pas admis en leur présence. « Ils m'ont tourné le dos quand j'appelais, dit Emmanuel, et maintenant qu'ils sont dans la peine, ils m'appellent au secours '. Qu'ils cherchent le secours auprès de Sécurité charnelle, le Guide de leur choix. Ils m'ont oublié au temps de leur prospérité et maintenant, dans l'adversité, ils m'appellent. »

La réponse fut transmise au Maire qui s'en revint désespéré. Qu'allait devenir la ville de l'Âme ? Consulté, M. Crainte de Dieu assura qu'il n'y avait pas lieu de s'étonner de l'attitude d'Emmanuel. C'est ainsi qu'il agissait pour éprouver les dispositions de ceux qui s'adressaient à Lui, et pour développer leur patience. Il n'y avait qu'à attendre l'instant qu'Emmanuel choisirait, mais ils devaient continuer à l'implorer. » Désormais, les suppliques se succédèrent : pas de jour qui ne vît quelque courrier porter de la ville à la cour quelque prière au Prince.

Les Diaboloniens qui étaient restés dans la ville [ce dont les citoyens ne s'étaient pas mis en peine malgré les avertissements d'Emmanuel] avaient quitté leurs retraites, et, profitant de l'état de langueur, d'affaiblissement où était la Cité, ils se mêlèrent aux habitants. Qu'avaient-ils à redouter ? Emmanuel avait quitté la Cité de l'Âme ! Ils se réunirent chez l'un d'entre eux, conspirèrent contre la sécurité de la Ville et décidèrent d'avertir Diabolus que l'heure semblait propice pour son retour ; et que s'il attaquait Âme d'Homme, il avait bien des chances de réussir et de la reconquérir à nouveau.

Quand le message lui parvint, Diabolos trembla de joie. Quelle espérance cette lettre faisait briller à ses yeux ! Il répondit qu'il viendrait assiéger la ville et demandait que les Diaboloniens qui logeaient en ses murs travaillassent par tous les moyens à leur disposition à seconder l'action des envahisseurs, le moment venu. Dés maintenant, ils devaient s'immiscer le plus possible dans la vie des citoyens pour travailler à leur affaiblissement et se renseigner sur tous détails utiles.

Les Diaboloniens se réunirent pour lire la réponse du Prince des Ténèbres ; il leur conseillait trois moyens pour atteindre le but proposé 1° Entraîner la ville dans le relâchement et la vanité : « La corruption, rien de tel pour perdre une âme, avait dit Lucifer au Conseil que Diabolus avait réuni pour formuler la réponse à ses fidèles Diaboloniens ; Probatum est ! » 2° Faire naître en elle le doute et le désespoir. 3° Ou bien faire exploser la Cité avec la poudre d'orgueil. Vu l'état de la Ville, il était évident que le second moyen conseillé était le meilleur. » Mais comment procéder ? Après y avoir réfléchi quelque temps les conspirateurs décidèrent que quelques-uns d'entre eux se déguiseraient et changeraient de nom, puis qu'ils iraient sur la place du Marché et se mêleraient aux indigènes qui désiraient se placer chez les notables de la Cité. Ils prétendraient venir d'une ville éloignée. Ce qui fut dit fut fait, et c'est ainsi que quelques Diaboloniens s'établirent au Coeur même de la Ville. Leur action ne tarda pas à se faire sentir.

L'état de la Cité semblait bien misérable ; Emmanuel restait sourd à toutes les requêtes, la maladie continuait ses ravages, et l'action sournoise et corruptrice des Diaboloniens minait la confiance qui subsistait encore au Coeur des habitants. Ceux-ci négligeaient de se réformer et s'affaiblissaient de jour en jour, de sorte qu'ils devenaient comme la feuille que le vent chasse. Diaboloniens et indigènes semblaient vivre en bons termes ; ces derniers songeaient presque à rechercher l'amitié de leurs ennemis. Ils étaient consumés par la maladie, mais les Diaboloniens, eux, prospéraient ; c'est en vain qu'ils eussent cherché à les exterminer. Mieux valait s'accommoder de ce qu'on ne pouvait empêcher.

L'ennemi observait avec joie cette rapide décadence. L'heure lui semblait venue de frapper le coup qui assujettirait définitivement l'Âme à Diabolus, et ils le lui firent savoir. Dans leur message, ils recommandaient que l'armée survînt un jour de marché alors que les indigènes étaient tous occupés de diverses manières et rassemblés sur la Place. Ce jour-là, la surveillance des portes et des remparts était moindre, forcément, et ils pourraient plus facilement du dedans seconder l'action des assaillants.

Or, Shaddaï n'avait jamais tout à fait abandonné la ville de l'Âme, même si celle-ci ne s'en apercevait point, à cause du nuage qu'élevaient sa défection son manque d'amour ses doutes sa langueur ses péchés, nuage dont elle était comme enveloppée. Il y avait dans la Cité un M. Étroite Surveillance, dont les soins vigilants s'exerçaient jour et nuit, car il pressentait ce qui se passait effectivement. Une nuit qu'il passait près de la Colline d'infamie, il entendit un bruit de voix sortant d'une maison qui servait aux Diaboloniens pour leurs rencontres. Il s'approcha avec précaution et entendit ainsi toutes les précisions du complot une fois la victoire remportée, les indigènes et les chefs de l'armée seraient passés au fil de l'épée quant aux soldats, ils seraient jetés hors de la ville.

Immédiatement, Étroite Surveillance alla prévenir le Maire, qui envoya chercher le Prédicateur M. Conscience. Celui-ci convoqua immédiatement les indigènes, en faisant sonner la cloche qui appelait aux réunions. Dès que l'assemblée fut réunie, il communiqua les graves nouvelles : lettres échangées entre Diaboloniens et Diabolus, conspiration contre la ville de l'Âme ; levée d'une armée dans les enfers puis, il appela M. Surveillance, le priant de dire lui-même les propos que sa vigilance avait surpris. Ensuite, M. Conscience se leva et dit :

« Nous avons abandonné notre Roi ; quoi d'extraordinaire que notre cruel ennemi relève la tête au dedans et au dehors ; et qu'au dedans la trahison n'attende que l'instant favorable pour ouvrir les portes et livrer la ville. Nous avons laissé vivre nos ennemis mortels et même nous sommes en bons termes avec ceux qu'Emmanuel nous avait dit d'exterminer. Aussi sommes-nous réduits aujourd'hui en cette cruelle extrémité. »

Alors, les auditeurs s'humilièrent et versèrent beaucoup de larmes. Avertis, les chefs de l'Armée doublèrent les gardes aux portes de la ville ; ils décrétèrent qu'on ferait subir un sérieux examen à tous ceux qui entreraient et sortiraient. De plus, ils allaient faire de minutieuses recherches dans toutes les maisons de la Cité pour y arrêter les Diaboloniens ou ceux qui leur auraient donné asile. Un jour pour le jeûne, l'humiliation et la prière, fut choisi. Tous ceux qui ne se rendraient pas à la maison de prières seraient considérés comme ayant pactisé avec l'ennemi et traités en conséquence. Des remerciements furent votés à M. Surveillance, qui fut promu au grade d'Inspecteur en Chef de la Sûreté.

Toutes ces résolutions furent mises à exécution sans retard, car l'Inspecteur en Chef avait averti la Ville que l'armée ennemie était presque prête. Il était allé effectivement se renseigner aux sources les meilleures, et il savait à n'en pas douter qu'avant longtemps l'ennemi serait aux portes de la Cité.

La chasse aux Diaboloniens fit découvrir deux d'entre eux chez les Seigneurs Pensée et Volonté. De leurs vrais noms, ils s'appelaient Convoitise et Impudicité, mais pour entrer chez les Seigneurs susnommés ils s'étaient déguisés et avaient pris comme noms d'emprunt : Prudente Économie et Joie Innocente. Ces Diaboloniens et plusieurs autres furent incarcérés et mis à mort. Ceux qui les avaient reçus par manque de vigilance firent une confession publique et amende honorable.

Il était temps ! Diabolus avait mis son armée sur pied : une armée de 30.000 incrédules, sous les ordres du général Incrédulité et des chefs Rage, Fureur, Damnation, Insatiable, Soufre, Tourment, Agitation, Sépulcre, Sans Espérance.

Sous leurs ordres, des incrédules de toutes teintes, de tous plumages, ceux qui doutent, ceux qui nient les affirmations de Shaddaï, et mettent des points d'interrogation devant les déclarations de Sa Parole, ceux qui doutent de la foi, de la persévérance, du salut, de la résurrection, de la gloire promise.

En bon ordre, l'armée s'avançait jusque sous les murs de la Cité.

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