Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

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FERVEUR DU PREMIER AMOUR. - LA CITÉ DE L'ÂME INVITE EMMANUEL A VENIR DEMEURER CHEZ ELLE. - EMMANUEL Y CONSENT. - POURSUITE DES DIABOLONIENS QUI SE SONT CACHÉS DANS L'ENCEINTE DE LA CITÉ. - FUITE D'INCRÉDULITÉ. - EMMANUEL DONNE UNE NOUVELLE CHARTE À LA VILLE. - VÊTEMENTS BLANCS. - BONHEUR. - INSENSIBLEMENT L'ÂME SE LAISSE DÉ-TOURNER DE SON PRINCE, ET OUBLIE LA FERVEUR DU PREMIER AMOUR. - EMMANUEL QUITTE LA CITÉ.



Après ces choses, la grande ville de l'Âme se rendit au Camp royal comme un seul homme pour remercier le Prince, lui dire sa reconnaissance, et chanter les louanges de son vainqueur. Puis elle le pria de venir chez elle, et d'y habiter à jamais... Car maintenant que nous t'avons vu, dirent-ils, maintenant que nous avons contemplé ta majesté, nous ne pourrions supporter que tu nous quittes. Nous mourrions certainement. Puis il reste peut-être quelques Diaboloniens dans nos murs. Si tu nous abandonnais, que ne feraient-ils pas. N'essaieraient-ils pas de nous faire retomber sous le joug de Diabolus ?

- Si je m'établis dans vos murs, répondit le Prince, m'aiderez-vous à réaliser les desseins que j'ai dans le Coeur contre mon ennemi et le vôtre ?
- Seigneur, notre faiblesse est extrême..., mais si ta lumière marche devant nous, et si ton amour est notre arrière-garde, si tu nous conduis par ton conseil, tout sera certainement pour le mieux. Viens donc dans la ville, agis comme bon te semblera, mais garde-nous de tomber dans le péché, et fais de nous des serviteurs utiles. »

Alors, Emmanuel répondit de façon favorable : « Il allait s'établir dans la Cité de l'Âme. » À l'ouïe de ces paroles, les citoyens furent transportés de joie. Ils jonchèrent de verdure le chemin que devait suivre le Prince et sa garde d'honneur, ils décorèrent les grandes artères de la Ville et leurs maisons. Le château aussi fut préparé, afin de devenir sa demeure particulière. Le lendemain, au milieu des cantiques de louanges et des cris d'allégresse, le Prince en costume d'apparat et son état-major y pénétrèrent. Les autres chefs et leurs troupes furent répartis chez les habitants.

Ceux-ci ne se lassaient pas de voir leur Roi, d'observer ses manières et sa conduite ; aussi lui demandèrent-ils de venir souvent se promener dans la Cité ; et d'avoir accès à toute heure auprès de lui. Le Prince accorda ce qu'ils désiraient ordonnant que les portes du Palais fussent toujours ouvertes.

Certain jour, Emmanuel fit une grande fête à laquelle il convia toute la ville et il donna un banquet. Il reçut ses invités avec des mets délicats qui venaient du ciel. À chaque nouveau plat qui était passé, les conviés se demandaient les uns aux autres : « Qu'est ceci ? » Car ils ne savaient ce que c'était. Et tandis qu'ils goûtaient à la nourriture des anges et prenaient du miel découlant du Rocher, une musique céleste se faisait entendre.

La fête terminée, Emmanuel proposa à ses conviés certaines énigmes et il leur expliqua les choses qui le concernaient. Ils comprirent alors, en contemplant leur Roi, ce qui était resté obscur pour eux jusque-là ; ils virent en lui la substance de ce qu'annonçaient les symboles. C'était Lui l'Agneau, le Sacrifice, le Rocher, Lui qui portait le péché : Lui la Porte, et le Chemin.

De retour dans leurs maisons et occupés aux besognes quotidiennes, les invités pensaient encore aux affaires d'Emmanuel ; et ils chantaient ses louanges jusque dans leur sommeil.

Puis Emmanuel s'occupa de fortifier la Cité, il fit élever des tours sur les remparts et y fit placer les Frondes apportées du Palais de Shaddaï. Il inventa aussi un engin redoutable. Placé au Coeur de la Ville, dans le Château, il envoyait par la Porte de la Bouche des projectiles auxquels rien ne pouvait résister. Cet instrument était sous la garde et à la disposition du Capitaine Confiance.

Ensuite, le Prince manda M. Volonté et lui donna la garde des portes des remparts et des tours. De plus, il le chargea de la sécurité de la ville et mit la milice sous ses ordres. Il lui fut très spécialement recommandé de faire tous ses efforts pour surprendre tous Diaboloniens qui se seraient cachés dans la Cité et de les tuer sur place ou de les déférer à la Cour de Justice.

Puis le Seigneur Intelligence fut mandé et rétabli en sa charge. Emmanuel lui dit de se construire un palais près de la Porte de l'Oeil. Ce palais devait affecter la forme d'une tour pour être, le cas échéant, facile à défendre. Enfin, le Prince lui recommanda de lire avec soin chaque jour le livre de la Révélation, afin d'en être éclairé et de pouvoir s'acquitter de sa charge avec sagesse et fidélité.

M. Connaissance fut nominé Archiviste, Emmanuel réservant au Seigneur Conscience un autre emploi. Toute effigie de Diabolus, toute image des Diaboloniens devaient être détruites, arrachées, mises en poudre. Seule, celle de Shaddaï devait être gravée en lettres d'or au Coeur même de la Ville de l'Âme, c'est-à-dire dans le Château. Trois Diaboloniens de marque devaient être très particulièrement recherchés, pourchassés, traqués et saisis : les deux maires, Incrédulité et Convoitise Charnelle et l'Archiviste : « Oublie le Bien ». Plusieurs conseillers et bourgeois furent aussi désignés aux poursuites et, par la suite, pris par le Gouverneur : MM. « Athéisme », Coeur Endurci », Fausse Paix », « Pas de Vérité », Sans Piété », « Orgueil », etc... Emmanuel donna l'ordre de démolition des forteresses qu'avait fait élever Diabolus. Tous les matériaux devaient être jetés hors de la ville. Ce fut un long travail.

Enfin une Cour de Justice fut convoquée pour juger les prisonniers qu'avait faits le Gouverneur ; et plus particulièrement, des Diaboloniens de marque. Les assises durèrent longtemps. À entendre les inculpés, ils étaient tous innocents, tous avaient agi par amour de la ville et pour son bien. Nous ne citerons ici que l'argumentation de « M. Assurance Trompeuse », un Diabolonien de renom. Comme l'accusation lui reprochait d'avoir travaillé insidieusement et diaboliquement à calmer les remords de la ville désobéissante et rebelle, l'enracinant ainsi dans la révolte contre son Roi, en l'entraînant toujours plus bas dans la misère et la honte, il répondit comme suit :
- « Messieurs de la Cour, et vous tous nommés présentement pour être mes juges, il est vrai que je me nomme Assurance ; mais Assurance Trompeuse ?

Jamais ! Recherchez diligemment auprès de ceux qui me connaissent bien quel est mon vrai nom, ils vous diront : « Assurance. » Tel mon nom véritable, tel je suis ! J'ai toujours aimé la tranquillité, et je suppose que les autres l'aiment aussi. Aussi quand je voyais mes voisins dans l'angoisse, je m'employais à les réconforter.

1° Ainsi lorsque Cité de l'Âme se fut détournée de Shaddaï, quelques-uns en eurent du remords, de l'angoisse. Moi les voyant si malheureux, j'ai fait tout mon possible pour les rassurer.

2° Quand les coutumes de Sodome prévalurent dans la Cité, si pour quelque cause, les citoyens étaient molestés, je m'y opposais, travaillant à ce que chacun se sentit libre d'agir à sa guise en toute tranquillité.

3° Quand la guerre éclata entre Shaddaï et Diabolus et qu'Âme d'Homme vivait dans la terreur redoutant la destruction, je travaillai par divers moyens à ramener la paix en son sein.

J'ai donc toujours été un homme vertueux, procurant la paix à l'âme tourmentée. Et puisque celui qui procure la paix est proclamé béni et heureux par quelques-uns, je vous prie, Messieurs les Juges, vous qui êtes réputés pour votre équité et votre justice dans la Ville de l'Âme de reconnaître que j'ai été poursuivi et emprisonné sans cause ; veuillez donc ordonner ma mise en liberté, et l'arrestation de ceux qui m'ont accusé indignement. »

À les entendre, tous étaient blancs comme neige, ils justifiaient leur infâme conduite, et même ils accusaient ! Mais les témoins furent appelés ; la culpabilité, les mensonges et les crimes des accusés furent surabondamment prouvés, et la peine capitale fut prononcée. Les habitants de la ville de l'Âme furent chargés de l'exécution de la sentence pour le lendemain.

Que se passa-t-il ? Comment cela se fit-il ? Cette même nuit Incrédulité réussit à briser ses chaînes et à s'enfuir. Le geôlier fit son rapport au Gouverneur, et des recherches furent entreprises, mais inutilement.

Après avoir erré quelque temps autour de la Cité, Incrédulité se décida à rejoindre Diabolus. Un Monsieur « Voit Bien » assurait l'avoir aperçu traversant à grands pas les endroits désertiques en s'éloignant de la ville. Incrédulité rencontra son Prince sur une colline dominant la Porte (le l'Enfer, et il lui raconta tout ce qui s'était passé dans Âme d'Homme depuis qu'elle appartenait à Emmanuel. À l'ouïe de ces nouvelles, Diabolus fut pris d'un épouvantable accès de rage et jura de se venger.

Revenons à la Cité. Il lui incombait de crucifier elle-même, ses ennemis : les Diaboloniens saisis dans ses murs et condamnés. Mais au moment de l'exécution, ceux-ci se démenèrent si énergiquement que les citoyens n'en seraient pas venus à bout si le Secrétaire de Shaddaï qui était présent n'était venu à leur secours en entendant leurs appels. Il posa ses mains sur les leurs pour les vivifier et ranimer leur vigueur ; de sorte que la Ville de l'Âme put venir à bout de sa tâche et crucifier ceux qui avaient entraîné la Cité à sa ruine.

Heureux des marques d'obéissance et de fidélité données par la ville qui avait exécuté ses ordres, le Prince vint lui-même dans la Cité et la réconforta avec des paroles selon son Coeur. Elle avait montré par son obéissance, son amour pour la Personne de son Prince. Emmanuel allait lui donner une marque de sa faveur en nommant un nouveau capitaine, un citoyen de la Cité, nommé Expérience, qui, jusque-là était au Château, attaché à la personne du Capitaine Confiance. Il était intelligent, entendu, circonspect, et aimé de ses concitoyens qui eurent une grande joie de sa nomination.

Le Prince retourna ensuite au Palais, où les Chefs et les Anciens de la Ville se rendirent aussi pour lui rendre hommage, et le remercier de ses soins, de son amour, de sa garde.

Emmanuel leur annonça en cette occasion qu'il allait renouveler la Charte de la Cité et leur donner un nouveau Testament. Un jour fut fixé pour la lecture du document dont voici la teneur :

« Moi, Emmanuel, Prince de Paix, grand Ami de l'Âme, je lègue, au nom de mon Père et au mien, à ma chère Cité

Premièrement : Un pardon gratuit complet, éternel, pour son iniquité, les offenses et péchés commis contre mon Père, contre moi, contre ses voisins, contre elle-même.

Deuxièmement : Je lui donne ma sainte Loi et mon Testament avec tout ce qu'ils contiennent pour son réconfort et sa consolation éternels.

Troisièmement : Je lui donne une portion de la Grâce même et de l'Amour même qui est dans le Coeur du Père et dans le mien.

Quatrièmement : Je lui donne et lui lègue gratuitement le monde et tout ce qui s'y trouve pour son bien ; elle dominera sur le monde comme il convient pour l'honneur de mon Père, pour ma gloire et pour son réconfort. Je lui donne les bénéfices de la vie et de la mort, des choses présentes et des choses à venir. Privilèges dont aucune autre cité, ville ou corporation n'a joui avant elle.

Cinquièmement : Je lui donne libre accès en ma présence ; en tous temps j'entendrai ses requêtes et j'interviendrai en sa faveur lorsqu'on lui fera du tort. .

Sixièmement : Je lui donne autorité et puissance pour rechercher, poursuivre et exterminer tous Diaboloniens qui toujours font la guerre à l'Âme.

Septièmement : Tous ces privilèges et immunités sont uniquement pour les citoyens de la ville de l'Âme. Les Diaboloniens en sont exclus et tous autres étrangers. »

Au jour marqué, la nouvelle charte fut lue par M. Connaissance, sur la place du Marché, devant tous les habitants de la Cité, puis elle fut gravée en lettres d'or sur les portes du château, au Coeur de la ville, afin qu'ils ne l'oubliassent jamais et que leur amour et leur joie en fussent augmentés. La proclamation de cette nouvelle constitution fut l'occasion de grandes réjouissances dans toute la ville de l'Âme.

Ensuite, le Prince convia au Château les principaux et les Anciens de la Cité pour les entretenir d'un ministère nouveau qu'Il voulait instituer au milieu d'eux : celui du Secrétaire en chef de la Cour de Shaddaï : dont le nom est aussi « le Consolateur », le Saint-Esprit, qui les guiderait dans toute la Vérité et leur enseignerait toutes choses. Il appartenait à la Maison du Père et partageait la nature de Shaddaï et celle de son Fils. Lui, serait le premier Conseiller de la Ville de l'Âme ; Il devait donc avoir la première place dans l'affection de la Cité. « Ses paroles sont vivantes ; elles sont accompagnées de force. II communique aussi la force et la vie intérieures, Il mettra la vie dans vos Coeurs, Il vous aidera à formuler vos requêtes. Mais veillez à ne point le contrister... »

Le Prince fit alors appeler l'ancien archiviste,

M. Conscience, et lui dit : « Tu es versé dans les lois de la Cité et tu seras mon ministre pour l'enseignement de la morale, des lois civiles et naturelles. Mais en même temps, et bien que maître toi-même, tu deviendras l'élève du Secrétaire royal, du Saint-Esprit. C'est à Lui que tu dois recourir pour qu'Il t'enseigne ; il y a un esprit en l'homme mais c'est Lui qui peut l'éclairer et l'inspirer saintement. Sois humble ! Souviens-toi des Diaboloniens qui ont rejeté leur premier état et qui sont aujourd'hui prisonniers de l'Abîme. Et comme tu as vieilli et que tu t'es affaibli et corrompu durant les années d'oubli de ton Roi, je t'autorise à boire librement du sang de mes grappes. Ton Coeur et tout ton être en seront purifiés, tes yeux en seront éclairés, ta mémoire fortifiée, et tu pourras garder soigneusement les enseignements du Consolateur. »

Emmanuel s'adressa aussi à tous les habitants de la Cité et leur annonça la nomination du Consolateur et celle de M. Conscience comme prédicateurs et instructeurs. Le premier leur révélerait les choses célestes et éternelles, le second devait les guider dans les choses terrestres, les questions touchant à la morale. Quant au nouvel archiviste : M. Connaissance, lui aussi devait se soumettre au Saint-Esprit et se garder de tout ce qui n'émanait pas de cette source unique.

Emmanuel avertit aussi les habitants qu'il laissait parmi eux les capitaines : Confiance, Espérance, Charité, Patience. « Assistez-les, chérissez-les. Ils vous défendront comme des lions lorsque l'ennemi vous attaquera. Mais si, de quelque manière, vous les oubliiez, si vous les délaissiez, ils en seraient aussitôt affaiblis. Si de quelque manière mes Capitaines étaient affaiblis, la ville de l'Âme ne saurait être forte.

S'ils étaient malades, c'est que la ville d'Âme les aurait contaminés. Veillez à observer mes ordonnances ; votre bonheur en dépend.

« Je sais à n'en pas douter qu'il reste parmi vous quelques Diaboloniens, et vous-mêmes le saurez bientôt ; ce sont pour vous d'implacables ennemis qui vous ramèneraient sous la domination de Diabolus si vous n'y preniez garde. Ils se sont retirés dans les cavernes, sous les murailles, mais ils existent. Sous aucun prétexte, vous ne traiterez avec eux ; mais vous les pourchasserez et les mettrez à mort. Voici quelques-uns des noms des principaux d'entre eux : Fornication, Adultère, Colère, Meurtre, Vice, Fausseté, Envie, Ivrognerie, Querelles, Sédition, Sorcellerie. Vous les chasserez, vous les détruirez, autrement ce serait eux qui causeraient votre ruine. Veillez.

« J'ai établi sur vous comme guides et comme pasteurs le Consolateur et M. Conscience. Vous avez aussi les quatre capitaines de ma première armée qui vous instruiront en toute saine doctrine. Ils pourront vous faire une lecture chaque jour ou chaque semaine. »

Le Prince Emmanuel instruisit donc la ville de tout ce qui intéressait son développement, sa sécurité et sa prospérité. Il décida de lui donner une nouvelle marque de confiance en lui conférant un signe distinctif parmi les autres peuples tribus et langues habitant l'Univers. Certain jour, les habitants furent invités au château et là, après leur avoir expliqué sa pensée, Emmanuel sortit de son trésor des robes blanches et les en revêtit. « Ainsi le monde saura que vous êtes à moi, dit-il, et ceci vous aidera également à reconnaître les traîtres qui se glisseraient parmi vous. » Tous furent donc revêtus de vêtements appropriés à leur taille et à leur stature ; ils étaient de fin lin, blanc et pur : « Ce vêtement est ma livrée, 'ajouta le Prince. Portez-le par amour pour moi, et pour que le monde sache que vous êtes à moi. »

Alors, la corporation de la Cité de l'Âme resplendit comme le soleil, et son apparence éclatante rappelait celle d'une armée en marche bannières déployées.

Il n'y a que moi dans l'Univers qui puisse donner cette livrée, dit Emmanuel. Aucun autre quel qu'il soit, prince ou potentat, ne peut la donner aussi. Et maintenant écoutez mes paroles :

1 ° Veillez à la porter chaque jour et à toute heure du jour, afin que personne ne puisse jamais douter que vous êtes à moi.

2° Gardez vos vêtements blancs : Des vêtements tachés seraient un déshonneur pour moi.

3° Veillez à ne point les laisser traîner dans la poussière.

4° Veillez à ne point les perdre, de peur que votre honte et votre nudité n'apparaissent.

5° Cependant, si, malgré mes avertissements, vous laissiez salir votre vêtement - ce qui m'attristerait et réjouirait Diabolus - hâtez-vous de faire ce que requiert ma loi pour les blanchir. »

Maintenant, la Cité de l'Âme était comme un signet sur la main droite d'Emmanuel. Aucune autre Cité ne pouvait lui être comparée. Quand son oeuvre fut achevée, Emmanuel ordonna que son étendard fût hissé sur la Citadelle. II allait souvent visiter les habitants ; pas de jour ne se passait qu'Il n'allât voir les anciens ou qu'ils ne vinssent le voir. Ils avaient besoin de parler ensemble des grandes choses accomplies et de celles qui étaient encore en son Coeur pour la Cité. Il allait par les rues, les jardins, les vergers, guérissant les malades, bénissant, disant quelques paroles aimables. Il voyait aussi ses capitaines quotidiennement. Un sourire d'Emmanuel leur donnait force et vigueur plus et mieux que quoi que ce soit d'autre, sous les cieux. Pas de semaine ne se passait que le Prince ne reçût les habitants à sa table, ou qu'Il ne fût reçu chez eux. Tous les jours maintenant étaient jours de banquet spirituel. Et quand ils regagnaient leurs demeures ils emportaient toujours quelque présent royal. Si les Anciens n'allaient pas au château, Emmanuel leur envoyait des vivres de la Cour : du pain et du vin de la table du Père. Si les habitants de la Cité espaçaient leurs visites, Lui allait vers eux, frappait à leurs portes, attendant qu'on lui ouvrît, apportant avec soi quelque marque de son amour et de sa faveur.

On n'entendait plus que cantiques de louanges dans la Ville. Tout était allégresse, bonheur, tranquillité. Emmanuel avait installé un nouveau Chef dans la Cité : la Paix de Dieu. Plus de disputes, de querelles, tout était harmonie, joie, santé. Cet état de chose dura tout l'été.

Mais il se trouvait dans la ville un individu nommé Sécurité charnelle, il entraîna les habitants en un triste esclavage. Diabolonien par son père, il était par sa mère, Lady Ne craint rien, petit-fils du Seigneur Volonté. Il y avait eu tant d'alliances entre ceux de la ville et les Diaboloniens, qu'il semblait à peu près impossible d'exterminer tous les ennemis de l'Âme.

Lorsque Diabolus fut capturé et chassé, Sécurité charnelle disparut, pensant qu'il serait prudent de se faire oublier. C'était là un sage raisonnement :

Après une absence prolongée, il sortit de sa retraite avec précautions. Il fut très prudent et, d'abord, ne se mêla qu'au peuple, vantant la gloire et la puissance de la ville qu'il déclarait imprenable désormais. Ses discours plurent, et il en éprouva une grande satisfaction. Il se mit ensuite à chanter la valeur des capitaines, la puissance des armes, la solidité des fortifications de la Ville, à chanter la bonté d'Emmanuel qui avait promis un bonheur éternel à la Cité. Ensuite, il essaya de gagner la faveur des particuliers de marque. Et, bientôt, toute la Ville se laissa prendre aux beaux discours qui résonnaient si agréablement à ses oreilles. Elle éprouva à son tour ces sentiments de sécurité charnelle qui endorment la vigilance, vigilance d'autant plus nécessaire que des Diaboloniens étaient toujours dissimulés et actifs en son enceinte. Les habitants firent des festins que ne présidait plus Emmanuel, bien qu'il habitât toujours dans la ville. Les gouverneurs aussi se laissèrent prendre au babillage incessant et flatteur de « Sécurité charnelle » qui chatouillait agréablement leurs oreilles. Cependant tous avaient entendu les avertissements répétés d'Emmanuel. Il leur avait dit que la force de l'Âme ne résidait pas tellement dans ses fortifications que dans son attachement et sa fidélité à son Prince, lesquels retenaient Celui-ci dans le palais intérieur, au Coeur de la Cité.

Leur devoir immédiat, c'était de lapider l'impudent Diabolonien. Au lieu de cela, ils se laissèrent prendre à ses pièges, s'attachant à lui au point d'en oublier le Prince et ses instructions.

Oh ! S'ils avaient toujours écouté Emmanuel ! Leur paix eût débordé comme un fleuve !

Emmanuel, constatant que la politique de M. Sécurité et sa diplomatie avaient le plus grand succès se retira de la ville de l'Âme qui ne le recherchait plus, ne se souciait plus qu'il vînt ou non la visiter, ne venait plus à la sainte Table, bien qu'il la dressât encore et les invitât au festin. Il se retira parce que la Ville de l'Âme - ne recherchait plus ses conseils se croyant invincible et hors de la portée de l'ennemi, parce qu'elle refusait d'écouter la voix du Saint-Esprit qu'Il lui avait envoyé.

Laissant la Citadelle, Il alla d'abord jusqu'à la porte de la Ville, puis quitta tout à fait la place, y laissant cependant le ministère du Saint-Esprit, bien que la Cité de l'Âme négligeât d'entendre ses directions. En même temps que s'en allait Emmanuel « la Paix de Dieu » se retirait aussi de la Cité.

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