Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V

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L'ÂME DÉLIVRÉE DU JOUG DE SATAN SE TOURNE VERS EMMANUEL. - LE SENTIMENT DE SON PÉCHÉ L'ACCABLE. - ELLE IMPLORE LA PITIÉ. - SILENCE DU PRINCE. - LA CITÉ DE LAME S'HUMILIE ET SE REPENT. - LES SEIGNEURS INTELLIGENCE, CONSCIENCE, VOLONTÉ APPELÉS EN JUGEMENT PAR LE PRINCE PLAIDENT : « COUPABLES ». LE PARDON DU PRINCE. - IL LES RENVOIE CONSOLÉS ET VÊTUS DE JOIE.



La grande ville de l'Âme était désormais délivrée de l'épouvantable esclavage de Diabolus, et elle se tournait vers son Roi. Mais Lui, son oeuvre achevée, s'était retiré en son pavillon royal hors des murs de la Cité, laissant les chefs Boanergès et Conviction chez le seigneur Conscience. L'apparence de ces chefs était empreinte de majesté, leurs visages resplendissaient de force et de décision, leurs paroles rappelaient le mugissement des grandes eaux. Tout ce qu'ils faisaient ou disaient remplissait de crainte et de terreur les habitants. L'incertitude du lendemain, le remords du passé pesaient lourdement sur la ville de l'Âme. Pendant longtemps, il lui fut impossible d'avoir aucun repos ou tranquillité, ni de goûter aucun sentiment de paix, ou d'espérance.

Certain jour, Boanergès reçut du prince Emmanuel l'ordre de rassembler les citoyens dans la cour du Château, et là, sous leurs yeux, de se saisir des seigneurs Intelligence, Conscience et Volonté et de les jeter en prison, en chargeant les habitants eux-mêmes de les garder. Cet ordre, aussitôt exécuté, ne fit qu'aviver la douleur et la terreur des habitants. Ceci semblait confirmer les craintes qu'ils avaient éprouvées de voir la Cité de l'Âme complètement détruite. À quel genre de mort seraient-ils condamnés ? Combien de temps auraient-ils à souffrir ? Ces pensées les préoccupaient, et ils redoutaient par-dessus tout d'être envoyés dans cet abîme qui effrayait l'Usurpateur Diabolus, car ils savaient bien qu'ils avaient mérité un châtiment. D'ailleurs, il était dur aussi d'avoir à supporter la disgrâce dans laquelle ils se sentaient maintenus, et il aurait été dur d'avoir à mourir sous l'épée d'un prince aussi excellent qu'Emmanuel. L'emprisonnement des seigneurs Intelligence, Conscience et Volonté jetait aussi la Cité de l'Anne dans le désarroi. C'étaient eux qui avaient toujours gouverné la ville : les exécuter ce serait la décapiter. Longtemps, les citoyens repassèrent ces pensées en leur coeur. Chaque jour, leur incertitude et le silence du Prince semblaient plus difficiles à supporter ; enfin, aidés des prisonniers, ils décidèrent d'envoyer une pétition à Emmanuel et choisirent pour porter celle-ci un monsieur « VOUDRAIT VIVRE ». La dite pétition contenait des louanges pour le Prince victorieux, puis la Cité de l'Âme s'humiliait et demandait son pardon en faisant appel à la grandeur de la Miséricorde royale. « Que nous vivions devant ta face, ajoutaient-ils, et nous serons tes serviteurs... Âmen. »

Le Prince prit la pétition des mains du messager, il la lut, puis renvoya son porteur sans mot dire.

Que faire ! Il n'y avait plus qu'à prier le Prince, ou à mourir. Âme d'Homme continua donc de le supplier, et cette fois demanda au capitaine Conviction d'être son messager. Il répondit qu'il ne voulait point et n'osait pas servir d'intermédiaire à des traîtres, ni se faire l'avocat de rebelles. « Cependant, notre Prince est miséricordieux, ajouta-t-il ; envoyez l'un de vous comme messager, mais qu'il se présente comme il convient, avec une corde autour du cou, et qu'il n'implore rien d'autre que la compassion du Prince. » Après d'assez longs délais, la ville envoya chercher un pauvre homme nommé Coeur réveillé ; il habitait une chaumière. On lui fit savoir ce qu'on attendait de lui et il partit accompagné de tous les voeux de ses concitoyens. Je vous laisse à penser avec quelle impatience son retour fut attendu.

Quand il fut conduit devant Emmanuel, il tomba à ses pieds et dit en suppliant : « Oh Que la Cité de l'Âme vive devant ta Face ! » Le Prince se détourna quelque temps très ému et pleura, puis il dit au messager : « Lève-toi, retourne chez toi, j'examinerai ta requête. » À peine Coeur réveillé fut-il dans la ville, que de toute part on accourut vers lui : « Comment le Prince l'avait-il reçu ? Qu'avait-il dit ? Quoi, toujours rien ? Aucune précision ? » Considérant qu'il était convenable de rendre compte de sa mission aux chefs d'abord, le messager se dirigeait vers le château où il raconta aux prisonniers tous les détails de l'entrevue. Il dit aussi la gloire et la beauté du Prince qu'on ne pouvait voir sans le craindre et l'aimer tout aussitôt.

L'attitude du Prince fut expliquée différemment dans la Ville : « Elle était un indice de clémence, disaient les uns. - Non, non ! c'était une marque de sévérité, assuraient les autres. Il fallait se préparer à mourir, etc., etc... » Perplexité et doutes firent place rapidement à la terreur, un grand trouble tomba sur la Cité. Mieux valait la mort que cette incertitude, que ces terreurs planant sur eux jour et nuit. Dans leur misère, ils résolurent d'envoyer une troisième supplique au Prince.

Dans celle-ci ils louaient d'abord la grandeur du Prince et sa bonté, puis ils confessaient leur iniquité : « Nous ne sommes plus dignes d'être considérés comme tes sujets, nous méritons l'Abîme. Si tu décides de nous faire passer au fil de l'épée, certes nous déclarerons que ta sentence est équitable ; si tu nous condamnes, ce n'est que justice. Mais, oh ! Seigneur ! laisse agir ta Grâce, sauve-nous, pardonne nos transgressions, et nous chanterons à jamais ta bonté et tes jugements miséricordieux. Âmen. » La question du messager se posa de nouveau. Plusieurs voix proposèrent Bonnes Oeuvres ; mais l'Archiviste s'opposa énergiquement à ce choix : « Quoi « Bonnes Oeuvres » comme messager, quand toute notre requête crie : « Miséricorde ! » Si le Prince lui demande son nom et qu'il le décline, Emmanuel répondra : « Quoi, Bonnes Oeuvres vit encore dans la Cité de l'Âme ? Eh bien ! que les Bonnes Oeuvres vous sauvent de la détresse où vous êtes. » On se rallia aux paroles de M. Conscience et on mit Bonnes Oeuvres de côté. Coeur réveillé fut à nouveau choisi et, à sa demande, on lui adjoignit M. Détresse, ainsi nommé parce qu'il versait beaucoup de larmes de repentance sur lui-même et sur ses compatriotes. Tous deux partirent la corde au cou, les mains liées.

Ils s'excusèrent en arrivant à la cour de venir à nouveau importuner le Prince, mais à cause de leurs péchés ils n'avaient plus de repos ni jour ni nuit. Ils remirent la supplique de la Cité et attendirent prosternés la décision du Prince, qui, après avoir lu le manuscrit, leur posa plusieurs questions sur leur naissance et leur situation. Sans doute celles-ci étaient très hautes, puisqu'on les avait choisis comme députés ? - Non, ils étaient au contraire gens du commun, répondirent-ils, et ils ne s'expliquaient pas le choix de leurs concitoyens. Que le Prince ne prît pas offense de leur bassesse ! Oh ! pardonne nos transgressions, et ne te retiens pas plus longtemps d'avoir pitié ; n'éloigne pas plus longtemps l'instant de la Grâce, et la gloire qui t'en reviendra ! »

Le Prince commanda qu'ils se tinssent debout, ce qu'ils firent. Alors, il montra la grandeur de l'iniquité de la Cité de l'Âme rejetant son Père comme Roi, pour mettre à la place un tyran, un menteur, un rebelle. « Lié de chaînes et déjà condamné à l'Abîme, il est venu vous offrir ses services et vous l'avez accepté ! Nous, nous sommes venus pour chasser l'Usurpateur, et qu'avez-vous fait ? Vous avez pris parti pour lui, fermant vos portes et faisant la guerre contre nous... Maintenant que j'ai vaincu le Tyran, vous venez implorer ma faveur ! Pourquoi n'avoir point pris fait et cause pour moi ? Pourquoi ne m'avoir pas aidé à chasser le « puissant »

Cependant, et malgré tout, je lirai votre pétition, et j'y répondrai comme il convient à ma gloire.

« Allez ! Vous direz de ma part aux chefs Boanergès et Conviction de m'amener demain au camp les prisonniers ; aux chefs Jugement. et Exécution de rester au Château et de veiller à la tranquillité de la ville jusqu'à nouvel ordre. » Ayant dit, le Prince regagna le pavillon royal.

Les messagers allèrent directement à la prison pour rendre compte de leur mission aux chefs et donnèrent une partie du message : « Le Prince avait dit que sa réponse serait en rapport avec sa gloire. » - « Est-ce là tout, demanda un vieux N. Inquisitif ? » - « Pas tout à fait », avouèrent-ils ; et ils dirent alors toutes les paroles du Prince. Les prisonniers remplis d'angoisse crièrent dans leur douleur, et leur cri monta jusqu'au ciel. Puis ils se préparèrent à mourir. Quant à ceux de la ville, ils se dirent qu'à quelques jours de distance, eux aussi devraient expier leur iniquité par la mort ; ils prirent des habits de deuil et allèrent sur les remparts.

Le lendemain, en vêtements de deuil, la corde au cou, chaînes aux pieds, se frappant la poitrine et sans oser lever les yeux, les prisonniers prirent le chemin du Camp d'Emmanuel. Boanergès et la garde, bannière déployée, allaient devant ; puis les prisonniers ; enfin l'arrière-garde avec sa bannière, sous la conduite du Capitaine Conviction. Quand ils arrivèrent au Camp du Prince, la vue de sa gloire, de sa grandeur ne fit qu'augmenter la détresse des prisonniers qui ne purent retenir leurs larmes et, leurs lamentations. Arrivés à la porte du Pavillon du Prince, ils se prosternèrent jusqu'en terre.

Averti de la présence des prisonniers, Emmanuel monta les degrés du Trône et s'y assit ; puis, après leur avoir dit de se relever, il les questionna en disant :

- Êtes-vous de ceux qui, autrefois, serviez Shaddaï ? - Oui, Seigneur, répondirent-ils.
- Et vous avez accepté d'être gouvernés par Diabolus qui a travaillé à vous corrompre et à vous souiller ?
- Oui Seigneur ! Plus que cela, nous l'avons choisi.
- Auriez-vous aimé de vivre sous son joug jusqu'à la fin ?
- Oui Seigneur. Ses lois satisfaisaient nos désirs charnels, et nous avions oublié notre premier état.
- Et quand je suis venu pour vous secourir, vous avez souhaité du fond du Coeur que je fusse vaincu ?
- Oui Seigneur !
- Quelle punition méritez-vous ?
- La mort et l'Abîme.
- Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ?
- Rien Seigneur ! Tu es juste ! Et nous avons péché.
- Pourquoi ces cordes à votre cou ?
- Pour être liés à la place d'exécution s'il ne te plaît pas d'avoir pitié.
- Cette confession est-elle faite aussi au nom des habitants d'Âme d'Homme ?
- Oui, au nom de tous les indigènes, Seigneur ! Mais nous ne sommes pas les porte-paroles des Diaboloniens. »

Alors le Prince ordonna qu'un héraut fut amené, lequel fut chargé de proclamer par tout le camp que le Prince, Fils de Shaddaï, avait remporté une parfaite victoire sur la Cité de l'Âme. La proclamation devait être faite avec l'accompagnement des sonneries de trompettes, les prisonniers devaient suivre le héraut et dire lorsqu'il avait achevé la proclamation : Âmen. Il fut fait comme Emmanuel avait commandé. Alors une musique mélodieuse retentit dans les lieux célestes, les chefs poussèrent des cris de joie, et les soldats entonnèrent des chants de triomphe et les louanges du Prince. Les bannières déployées claquaient au vent. L'allégresse débordait de toutes parts. Cependant elle n'habitait pas encore dans le coeur des prisonniers.

Ensuite Emmanuel fit venir ceux-ci, et lorsqu'ils furent en sa présence, le Prince prononça ces paroles : « Mon Père m'a donné le pouvoir et le commandement de pardonner à la ville de l'Âme ses péchés, ses offenses, son iniquité. J'accorde donc un pardon général et voici le parchemin scellé des sept sceaux où le dit pardon est exposé. Vous le lirez demain à vos compatriotes une fois le soleil levé. »

Puis Emmanuel ôta les habits de deuil des prisonniers maintenant libérés et les revêtit de gloire, il donna l'huile d'allégresse au lieu de cendres, un vêtement de louanges au lieu d'un esprit abattu. Des joyaux, des chaînes d'or et des pierres précieuses au lieu des cordes du condamné.

En apprenant leur pardon, en constatant les marques de la faveur du Prince, les prisonniers s'évanouirent presque de joie tant la grâce avait été soudaine. Le seigneur Volonté serait tombé si les bras éternels ne l'avaient enlacé, réconforté, affermi. Emmanuel l'embrassa, l'encouragea il fit de même avec les deux autres. - Que ceci serve de gage de mon amour, de ma faveur et de mes compassions, dit-il, et que M. l'Archiviste ne néglige point de dire à la ville tout ce que vous avez vu et entendu. »

Alors leurs fers volèrent en pièces sous leurs yeux, leur démarche fut libre, et s'inclinant jusqu'en terre ils baisèrent les pieds d'Emmanuel, et éclatèrent en cantiques de louange. Le Prince leur dit de se lever, de retourner à la ville et là, de dire à leurs compatriotes la Grâce dont ils avaient été les objets. De plus, Emmanuel commanda qu'ils fussent précédés d'un musicien avec chalumeau et tambourin, lequel devait jouer tout le long du chemin. Ainsi s'accomplissaient des choses qu'ils n'avaient jamais espérées, et ils possédaient ce que leurs pensées n'avait jamais considéré comme possible. Enfin Emmanuel fit appeler le capitaine Confiance : avec quelques officiers, enseignes déployées et marchant devant les seigneurs libérés, ils devaient précéder ceux-ci jusque dans la Ville. Puis, quand l'Archiviste lirait au peuple réuni le pardon accordé, le chef Confiance entrerait par la Porte de l'Oeil avec ses dix mille hommes et irait jusqu'au château-fort pour y établir garnison, tandis que les capitaines Jugement et Exécution en sortiraient pour retourner au camp du Prince. »

Désormais les jours d'angoisse étaient passés, la Ville de l'Âme ne vivrait plus sous la terreur que faisait peser sur elle les quatre chefs de la première armée.

- Imagine si tu le peux, Lecteur, l'étonnement des citoyens de la grande Cité. Eh quoi ! C'est en cet appareil et entourés de tant de gloire que revenaient les prisonniers ? Ils étaient descendus au camp en vêtements de deuil, ils revenaient vêtus de blanc ! Avec des cordes au cou, et maintenant ils avaient des chaînes d'or ! Avec des fers aux pieds, mais maintenant libres ! Ils marchaient à la mort, et revenaient avec l'assurance de la vie ! Ils étaient partis le Coeur brisé, et revenaient plein d'allégresse, aux accents joyeux de la musique. Lorsqu'ils parvinrent à la porte de l'Oeil, leurs concitoyens éclatèrent en cris de joie dont les échos firent tressaillir les chefs et l'armée du Prince. Ceux qu'ils avaient cru morts, étaient revenus à la vie, et ils revenaient vêtus de magnificence. Il n'était plus question de cognée ni de billot d'exécution. C'étaient la joie et l'allégresse.

- Bienvenus ! Soyez les bienvenus, criait-on. Qu'il soit béni celui qui a épargné vos vies. Tout va bien pour vous ! Mais quel est le sort réservé à la Ville ?

- Nous apportons d'excellentes nouvelles pour la Cité, répondirent MM. Conscience et Intelligence ; puis ils racontèrent en détail tout ce qui leur était survenu au camp. Quant au message pour la ville, un mot le résumait : celui de Pardon ! Mais c'est le lendemain que serait lu le message du Prince, sur la place du Marché. Cependant la joie et l'allégresse étaient telles que personne ne put dormir cette nuit-là. Dans toutes les maisons, on entendait des chants, de la musique, tous débordaient de bonheur, tous exaltaient le grand amour dont ils étaient les objets.

Ceux qui se jugeaient et se condamnaient eux-mêmes en se rendant au devant de leur Juge s'étaient vu acquitter bien que coupables, de par la clémence du Prince. - Était-ce là une coutume de rois que de faire grâce aux traîtres ? - Non ! elle n'appartenait qu'à Shaddaï et à Emmanuel son Fils... »

Lorsque le lendemain M. Conscience commença de lire la sentence de Grâce, l'acte de Pardon, sur la place du Marché, un grand silence plana sur la Ville. Mais quand l'Archiviste arriva à ces paroles : « L'Éternel ! L'Éternel ' Le Dieu miséricordieux et compatissant qui pardonne l'iniquité, le crime et le péché... » Les auditeurs ne purent s'empêcher de sauter de joie, et l'allégresse éclata de toutes parts ; les cloches sonnèrent, et les habitants allant jusqu'aux remparts se prosternèrent sur les murailles en regardant vers le camp d'Emmanuel. De l'armée du Prince s'élevèrent aussi des cris d'allégresse, tandis que le son éclatant des trompettes remplissait l'air de notes joyeuses, et que les couleurs étaient hissées. Dans le château, le capitaine Confiance se fit voir sur la plus haute tour, puis d'une sonnerie de trompette il salua la Cité et le Camp du Prince.

Ce fut ainsi qu'Emmanuel conquit la ville de l'Âme, l'enlevant à la domination et à la puissance du tyran Diabolus.
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