Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

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LE SIÈGE DE LA VILLE DE L'ÂME CONTINUE SOUS LA DIRECTION D'EMMANUEL. - LUI-MÊME SE PRÉSENTE MAINTENANT A LAME. - IL LA FAIT ENVIRONNER DE TOUTES PARTS PAR SES ARMÉES ET LUI OFFRE LA PAIX. - À L'INSTIGATION DE DIABOLUS, LA GRANDE VILLE DE L'ÂME REJETTE LES AVANCES D'EMMANUEL. - L'ASSAUT. - LES PROPOSITIONS DE DIABOLUS QUI OFFRE LE PARTAGE DE L'ÂME ; IL SE CONTENTERAIT D'Y GARDER UNE TOUTE PETITE PLACE. - REFUS D'EMMANUEL. - NOUVEL ASSAUT. - VICTOIRE ET DÉLIVRANCE.



 Le moment du départ d'Emmanuel approchait. Il choisit comme officiers de l'armée sous ses ordres, cinq vaillants chefs ; chacun commandait à dix mille hommes. C'étaient les capitaines Confiance, Espérance, Charité, Innocence et Patience. Les couleurs du premier chef portées par l'enseigne Promesse étaient rouges et avaient comme écusson un agneau et un bouclier d'or ; celles du second chef portées par l'enseigne Attente étaient bleues et l'écusson avait trois ancres d'or ; celles du troisième portées par Pitié étaient vertes et avaient en écusson trois orphelins nus ; celles du quatrième chef portées par l'enseigne Inoffensif étaient blanches et l'écusson portait trois colombes d'or ; enfin celles du capitaine Patience étaient noires ; portées par l'enseigne Long-Support, elles avaient comme écusson trois flèches transperçant un coeur. Emmanuel lui-même était à la tête de la nouvelle armée. Son armure était d'or pur et resplendissait comme le soleil ; celles des chefs étaient d'acier et avaient des reflets éblouissants. Sur l'ordre du Père, l'armée était munie de quarante-quatre béliers et de douze frondes ; celles-ci d'or pur. Lorsque, enfin, l'armée se mit en marche, lorsque les trompettes sonnèrent, et quand les bannières déployées flottèrent au vent, ce fut un spectacle unique, magnifique. Le voyage fut assez long, et la joie fut grande lorsque l'Armée de secours ne fut plus qu'à une lieue des murs de la Ville d'Âme. Alors elle s'arrêta, et les chefs de l'armée assiégeante vinrent donner à Emmanuel les dernières nouvelles. Puis on se remit en marche, et les soldats qui avaient fait la campagne saluèrent les nouveaux arrivants avec des hourras d'allégresse. Ces cris, ces vivats sortant de milliers de poitrines ébranlèrent l'air et jusqu'à la terre, et Diabolus en ressentit une frayeur épouvantable.

L'armée d'Emmanuel vint jusqu'aux murs de la Cité et l'environna de toutes parts, alors que la première armée n'avait fait qu'assiéger les portes. Où qu'Anne d'homme tournât les yeux, c'était un déploiement de forces. Des travaux avaient été édifiés de deux côtés : d'un côté le mont Faveur, de l'autre le mont Justice. Des terrassements de moindre envergure étaient menés de front : l'avancée de la Vérité, les terrasses de Point de Péché. On y plaça plusieurs frondes. Cinq des plus puissants béliers furent placés sur le mont Écoutez qui se dressait en face la porte de l'Ouïe pour l'obliger à s'ouvrir. Témoins de tous ces préparatifs, les citoyens remplis de terreur ne savaient plus que faire ni à qui recourir.

Quand tous ces travaux furent achevés, et la ville complètement cernée, le Prince fit hisser le drapeau blanc sur le mont Faveur pour bien montrer aux habitants de la Cité qu'Il avait le pouvoir et la volonté de pardonner. S'ils refusaient à nouveau le pardon offert, leur péché était plus que jamais sans excuse. Trois jours durant le signal resta dressé, mais aucune réponse ne vint de la ville. Il semblait que cette offre de clémence eût laissé les citoyens de l'Âme indifférents. Alors le Prince fit hisser le drapeau rouge sur le mont Justice, celui du capitaine Jugement, dont l'écusson était une fournaise ardente. Plusieurs jours ce drapeau flotta sans qu'aucune réponse vînt de la ville. Alors le Prince ordonna de hisser le drapeau noir... même silence.

Quand le Prince vit que rien ne touchait le coeur des habitants ni les offres de clémence, ni la crainte du jugement et de l'exécution de la sentence, il se sentit douloureusement ému et dit : « Sans doute, la ville ignore les us et coutumes de la guerre, de là son silence ; celui-ci ne signifie certainement pas qu'elle met en doute nos offres de clémence ou qu'elle déteste la vie... » Il envoya donc une estafette à la ville pour lui expliquer ce que comportaient les trois couleurs qu'on avait successivement hissées. Cette démarche aussi resta sans succès. Les portes restèrent verrouillées, barrées, fortifiées : « Que choisissaient-ils ? La clémence ou le jugement ? » La garde fut doublée et l'Usurpateur essaya de ranimer le courage de ses sujets. Toutefois les citoyens dirent à Emmanuel qu'ils ne pouvaient rien sans l'autorisation de leur roi Diabolus ; sans lui ils ne pouvaient décréter la guerre ni faire la paix ; ils pouvaient tout au plus lui envoyer une pétition pour le prier de se présenter aux remparts et de répondre ; cette pétition, ils allaient la rédiger et l'envoyer sans retard. » Le Prince comprenant la profondeur de leur esclavage et la force de leurs chaînes [choses dont ils ne semblaient pas autrement souffrir] en fut extrêmement affligé.

Averti que le Prince attendait une réponse et que les citoyens de l'Âme le priaient de la donner lui-même, Diabolus commença par regimber et protester, car il ressentait une grande frayeur à la pensée de rencontrer le Prince. Toutefois il s'y décida et descendit jusqu'à la porte de la Bouche ; là il s'adressa au Prince Emmanuel en une langue qu'ignoraient ses vassaux. Il dit :

- « O Toi Emmanuel, Seigneur de l'Univers, je te connais. Tu es le Fils du puissant Shaddaï. Pourquoi es-tu venu me tourmenter avant le temps et me chasser hors de mes possessions ? Tu le sais, cette ville m'appartient doublement par droit de conquête d'abord, et maintenant de son plein gré... elle rejette ta loi, ton nom, tes offres de clémence... Or, tu es juste et saint. Retire-toi donc de moi, et laisse-moi vivre en paix dans mon héritage. » Ne comprenant pas son langage, les citoyens ne devinèrent pas qu'il implorait Emmanuel. Au contraire, croyant à la puissance de Diabolus, ils le croyaient invincible.

- « Ah ! misérable séducteur, répondit le Prince ; tu n'as rien conquis que par ruse et mensonge. Si ces pratiques sont admises à la Cour du roi Shaddaï où tu dois être jugé, alors tu as vraiment droit de conquête sur la ville. Mais quel démon, quel tyran ne pourraient comme toi, faire de cette manière, des conquêtes sur l'Innocence... Tu as représenté mon Père comme un menteur et un méchant, tu l'as odieusement calomnié, tu as entraîné l'Âme à ta suite en lui promettant le bonheur, la dressant contre Shaddaï, contre ses envoyés, contre moi. Or tu savais par ta propre expérience que tu l'entraînais à sa ruine ! Tu as vilipendé mon Père. N'est-ce rien que tout cela ? Je suis venu pour venger le tort que tu as fait au roi Shaddaï, pour punir les blasphèmes dans lesquels tu as entraîné les citoyens de la ville. Que tout ceci retombe sur ta tête !

« Tu refuses de reconnaître mes droits sur la ville de l'Âme Tu sais cependant qu'elle m'appartient, que mon Père l'a construite et que je suis son héritier. Elle m'appartient de ce chef ; 2° Mon Père me l'a donnée ; 3° Je l'ai rachetée à grand prix. La ville avait transgressé la loi de mon Père et méritait la mort. Or si les cieux et la terre passent, la Parole de mon Père ne peut être révoquée. Aussi lorsque les temps furent accomplis, je me suis donné en rançon pour la ville. J'ai livré mon corps à la mort en sa faveur, j'ai donné mon âme pour que la sienne vive, et mon sang fut versé pour elle. C'est ainsi que j'ai racheté ma ville bien-aimée. Ainsi sont accomplies la Loi et la Justice de mon Père, et j'ai son approbation pour la délivrance et la guérison de la Cité de l'Âme... J'ai aussi un message pour elle... »

À peine le prince Emmanuel avait-il dit ces mots que la garde des portes fut renforcée. Il donna quand même son message à la Corporation, message d'amour, de compassion, d'appel, d'avertissement aussi... « Je ne veux en aucune manière te causer aucun dommage Cité de l'Âme, dit le Prince en sa péroraison. Pourquoi fuis-tu celui qui t'aime et te réfugies-tu auprès de ton ennemi ? Il est vrai que je voudrais voir en toi des sentiments de repentance. Mais ne désespère pas de la vie ; ma puissance ne veut pas s'employer à te nuire, mais à briser tes chaînes, ton esclavage, à te ramener à mon obéissance. La guerre, je la fais au Diable et aux Diaboloniens. C'est lui l'homme fort que je veux lier, pour partager son butin. Ma puissance pourrait l'abattre d'un seul coup et l'obliger au départ ; mais j'agirai avec lui selon les lois de la guerre »

L'appel du Prince resta sans réponse. Alors il se prépara à livrer l'assaut et envoya les sommations d'usage. Cette fois on tint un conseil de guerre dans la ville de l'Âme, et on décida la reddition de la Cité à certaines conditions que fut chargé d'exposer M. Col roide, un Diabolonien dur et hautain qui avait déjà rendu de grands services à son Maître.

M. Col roide vint donc au camp d'Emmanuel, une audience lui fut accordée, et après les cérémonies d'introduction, l'ambassadeur de Diabolus exposa le message dont il était chargé : « Auguste Seigneur, dit-il en s'adressant au Prince, tous connaîtront désormais quelle est la bonté naturelle de mon Prince et Maître. Il m'envoie dire à Sa Seigneurie que plutôt que de continuer la guerre, il livrera la moitié de la ville de l'Âme entre ses mains.
Le tout m'appartient, répondit Emmanuel ; je ne puis en abandonner une moitié.
Mais, continua l'ambassadeur, mon Maître accorde que vous deveniez nominalement le seul Seigneur de la ville, si seulement il en peut conserver une petite parcelle.
Tout m'appartient, dit Emmanuel, je suis le seul possesseur.
Cependant, Seigneur, voyez quelle est la condescendance de mon Maître ; Il accepterait que vous lui assigniez vous-même une petite place où il pourrait continuer de vivre dans la Cité, comme un simple particulier. Vous seriez Seigneur de tout le reste.
Tout ce que le Père m'a donné est à moi, dit le Prince, et je ne laisserai rien perdre de ce qu'Il m'a confié. Nul coin ni recoin de la Cité de l'Âme ne pourraient donc être abandonnés à son ennemi.
Supposons Seigneur, que mon maître vous abandonne toute la Cité avec cette seule provision qu'il y pourra venir de temps à autre pour visiter quelques amis et y faire un petit séjour ?
Impossible, répondit Emmanuel. Votre Maître ne vint qu'en passant chez David, et cependant David faillit perdre son âme. Je ne consentirai jamais à ce qu'il ait ici le moindre pied-à-terre.
Seigneur, votre dureté semble extrême. Supposons que mon Maître accepte toutes vos conditions ; ses amis, du moins, auront je pense l'autorisation de demeurer dans la ville et de continuer leur commerce ?
Ceci est contraire à ce que veut mon Père. Tous les Diaboloniens perdront leurs biens, leurs libertés, et leurs vies, si on les trouve dans la Ville.
Mon maître ne pourrait-il d'aucune manière garder quelque attache avec la Cité ? Par des lettres, par quelque voyageur, quelque occasion de passage, ne pourrait-il entretenir des relations d'amitié ?
Non ! Absolument pas ! Toute attache, toute relation d'amitié avec lui entraînerait à nouveau l'Âme dans la corruption.

L'ambassadeur Col roide suggéra ensuite que peut-être, son Maître aimerait laisser quelque souvenir à ses amis au moment du départ (s'il partait ?) Ceci encore Emmanuel ne pouvait l'accepter. - Il était probable, ajouta l'Ambassadeur, que des citoyens de la Cité de l'Âme réclameraient aussi en certaines occasions les excellents conseils de leur Prince. Auraient-ils le droit de le consulter librement ? - Aucune affaire, aucune chose, aucun cas ne sauraient être de solution trop difficile pour mon Père, répondit Emmanuel. Ne serait-ce pas mépriser sa Sagesse et son Habileté que de recourir aux conseils de Diabolus ? Alors que mon Père demande justement qu'en toutes choses les citoyens de la Ville de l'Âme aillent à lui et qu'ils lui exposent toutes leurs difficultés et tous leurs besoins par prière, et requêtes ! Accorder ce que tu demandes serait laisser ouverte la porte par laquelle pénétrerait inévitablement la destruction de la Cité. »

Alors, l'ambassadeur Col roide se retira pour retourner à celui qui l'avait envoyé. Il exposa devant Diabolus et ses grands, le résultat de sa démarche.

Il fut alors décidé que la Ville résisterait jusqu'au bout, décision qu'on fit porter au camp d'Emmanuel, par Méchante Pause : « Votre Maître n'aura pas la Ville dit-il à ceux qui le reçurent, à moins qu'il ne la prenne par force. Les citoyens ont décidé de tenir ou de tomber avec leur seigneur Diabolus. » Quand le message et ce propos de Méchante Pause furent rapportés au Prince, il dit : « Je vais donc être obligé d'essayer la puissance de mon épée, car il faut que je conquière l'Âme et que je la délivre de celui qui l'a dégradée et asservie. »

Les troupes furent disposées pour la bataille selon les ordres du Prince. Les chefs Boanergès, Conviction, Jugement et Confiance furent placés avec leurs hommes près de la porte de l'Oreille ; Bonne Espérance et Charité prirent place devant la porte de l'Oeil, et les autres chefs reçurent les positions de combat les plus avantageuses. Le cri de guerre fut donné : « Emmanuel ! » L'alarme retentit : béliers et frondes furent mis en action. Diabolus lui-même dirigeait les troupes de la ville assiégée. La bataille fut dure et continua plusieurs jours : de part et d'autre il y eut des blessés et dans le camp de la Cité de l'Âme, des morts. Parmi ceux-ci, relevons les noms des Capitaines Vanterie et Sécurité, celui-ci décapité par le Chef Conviction, lui-même blessé ; aussi Fanfaron, chef de ceux qui jetaient des tisons enflammés et des flèches empoisonnées. L'armée de Shaddaï avait remporté de sérieux avantagés : la porte de l'Oreille était maintenant sérieusement ébranlée et celle de l'Oeil à peu près brisée.

Emmanuel fit alors hisser à nouveau le drapeau blanc. Ce que voyant, et sachant que ce n'était pas à lui que le Prince offrait une trêve, Diabolus résolut d'essayer â nouveau de quelque ruse. Peut-être qu'Emmanuel se contenterait de promesses de réformes et qu'il lèverait le siège de la Ville ?

Donc, un soir, longtemps après le coucher du soleil, il se présenta à la porte de l'oreille et annonça qu'il désirait parler au Prince Emmanuel. Lorsque celui-ci fut venu, il lui dit : « Comme en hissant ce drapeau blanc, tu manifestes des dispositions paisibles, il m'a semblé convenable de t'avertir que nous étions prêts à accepter la paix à des conditions que tu accepteras certainement.

« Tu aimes la piété et la sainteté ; en faisant cette guerre, tu désires amener Âme d'homme à la sainteté. Eh bien, retire tes troupes, et moi je courberai Âme d'homme et l'amènerai à être ce que tu veux qu'elle soit. Je ferai cesser toute hostilité contre toi ; et je te servirai autant que je t'ai combattu jusqu'ici. Je leur montrerai à quel point ils se sont éloignés de toi et, les ramènerai à l'observance de tes commandements. »

O Séducteur ! répondit le Prince. Maintenant que tu as échoué en te faisant voir sous tes vraies couleurs, tu veux te déguiser en ange de lumière et en ministre de la justice ? Aucune de tes propositions ne saurait être prise en considération. Tu parles de réformes, toi ? d'améliorations ? Et tu serais le Réformateur ? Tout ce qui procède de toi n'est que ruse et corruption, et tu le sais bien ! Beaucoup te discernent quand tu te présentes sous tes vraies couleurs. Mais bien peu savent te reconnaître lorsque tu te revêts de vêtements blancs ou que tu te pares de lumière. Non, non, tu ne te joueras pas ainsi de la ville de l'Âme ; elle m'est extrêmement chère malgré son égarement.

Tu te trompes si tu supposes que je suis venu lui commander de faire des bonnes oeuvres pour vivre. Non ! Je suis venu pour la réconcilier avec mon Père, bien qu'elle ait grièvement péché et méprisé sa loi. Et tu t'offres pour l'assujettir au bien ! Qui donc t'en chargerait ? Je la conduirai moi-même par des chemins nouveaux, avec des lois nouvelles et l'amènerai à une telle conformité avec mon Père que son coeur en sera parfaitement réjoui. La Cité de l'Anse vivra pour la gloire de l'Univers. »

Se voyant démasqué, et rempli de confusion, Diabolus se retira pour préparer la ville à de nouveaux combats. Toutefois, désespérant d'avoir le dessus, il donna à ses officiers les ordres de destruction les plus cruels. Quand il deviendrait apparent que la Cité allait tomber, on devait passer au fil de l'épée hommes, femmes, enfants, et réduire la ville en un monceau de ruines. Mieux valait détruire la ville et empêcher ainsi qu'Emmanuel en fît sa demeure. De son côté, Emmanuel prévoyant que le siège touchait à son terme, recommanda à son armée de faire quartier aux citoyens de la Ville, mais d'être sans pitié pour Diabolus et les Diaboloniens.

Effectivement, lors de l'assaut qui suivit, la porte de l'Oreille déjà fortement ébranlée fut brisée. Alors les sons éclatants des trompettes résonnèrent, et l'armée d'Emmanuel poussa des cris de joie. Le Trône d'Emmanuel fut aussitôt dressé sur l'emplacement même de la porte de l'Ouïe. Alors l'effort du combat se porta sur le château-fort où Diabolus et ses chefs s'étaient retranchés ; et comme la maison de l'ancien Archiviste y était adossée, Emmanuel envoya les chefs Boanergès, Conviction et Jugement à M. Conscience pour qu'il ouvrît les portes de sa demeure. Or celui-ci s'était retranché chez lui, ne sachant trop ce qui allait lui arriver ; mais sous les coups répétés des béliers, il vint jusqu'à la porte et tout tremblant, demanda ce qu'on lui voulait ? - L'entrée, répondit Boanergès ; prendre possession de ta maison au Nom du Prince qui veut s'installer chez toi. » M. Conscience ouvrit. Les troupes du Roi entrèrent et prirent possession de la maison, ce qui leur conférait une situation très favorable pour l'attaque du château. Aussitôt, la nouvelle de l'occupation du palais de M. Conscience par les troupes royales se répandit dans la ville, et la dite nouvelle fit boule de neige. Or vous savez que celle-ci ne perd rien en roulant. On vint donc voir M. Conscience et les nombreux visiteurs remarquèrent qu'il était effrayé et tremblant. « Vous savez bien leur expliqua M. Conscience que nous sommes des traîtres, que nous avons méprisé Emmanuel dont la gloire et la puissance éclatent aujourd'hui. Que pourrions-nous donc attendre d'autre aujourd'hui que le châtiment ? » D'autre part, il était évident que les chefs se tenaient sur la réserve avec M. Conscience. De sorte que le bruit se répandit que la ville ne pouvait espérer autre chose du Prince que châtiment et destruction.

Pendant que certains chefs continuaient le siège du Château, des troupes poursuivaient dans la ville les avantages acquis. Capitaine Exécution avait fort à faire. Il pourchassait le seigneur Volonté et ses officiers de lieu en lieu, Volonté traqué de toutes parts fut heureux de disparaître dans un trou noir ; plusieurs de ses chefs furent tués et il y eut un grand carnage de Diaboloniens. Malgré cela, il n'en restait encore que trop dans la ville.

C'est alors que l'ancien archiviste, M. Conscience, le seigneur Intelligence, et autres chefs de la Cité de l'Âme s'avisèrent qu'il serait bon d'envoyer une pétition au Prince Emmanuel, dans laquelle pétition ils confesseraient leur iniquité, imploreraient son pardon et demanderaient la vie sauve. La requête fut expédiée et resta sans réponse. Ils en furent fort troublés.

Certain jour enfin, sous les coups répétés des béliers, un passage fut ouvert dans la forteresse où Diabolus s'était retranché, et tout aussitôt les Chefs le firent savoir au Prince. Les trompettes firent résonner la bonne nouvelle par tout le camp, ce qui fut l'occasion d'une grande allégresse. Car maintenant on pouvait envisager la fin de la guerre et l'heure de la Délivrance de la Cité allait sonner.

Revêtu d'une armure d'or, précédé de son étendard, entouré de sa garde, le Prince traversa la ville et vint jusqu'au château-fort. Tous se pressaient sur son passage, tous se sentaient attirés vers lui, mais tous remarquaient aussi son attitude réservée, et y voyaient l'indication qu'un châtiment sévère allait atteindre la ville rebelle. Arrivé au château, Emmanuel commanda à Diabolus de se rendre. Rampant, se tordant, implorant la pitié, celui-ci se présenta : « Ne me précipite pas dans l'abîme avant le temps, suppliait-il, laisse-moi sortir de la Cité en paix. » Il fut lié sur l'ordre du Prince, et conduit sur la place du Marché, dépouillé de l'armure dont il se glorifiait, exposé en spectacle, afin que la Cité de l'Âme pût voir la ruine de celui en qui elle avait mis sa confiance. Puis lié de chaînes aux roues du char d'Emmanuel, qui traversa la ville de part en part, il fut conduit jusqu'à la porte de l'Oeil pour de là gagner le camp. Ce fut un grand cri d'allégresse dans le camp de Shaddaï lorsqu'on vit Diabolus lié et réduit à l'impuissance, un cantique de louanges s'éleva pour le Prince : « II a mené captif, celui qui retenait captif, il a dépouillé les principautés et les puissances, les exposant en spectacle. À la pointe de son épée, il a vaincu Diabolus... » Des choeurs mélodieux se firent entendre qui atteignirent jusqu'aux demeures célestes.

Emmanuel chassa ensuite Diabolus. L'heure n'était pas encore sonnée qui devait le voir jeter dans l'Abîme; et il lui ordonna expressément de ne plus jamais s'emparer de la Ville de l'Âme.


LA PRISON OU BUNYAN ÉCRIVÎT:
"Le voyage du Pèlerin"
La Cité de l'Âme", etc...

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