Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

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LE ROI SHADDAÏ ET SON FILS LE PRINCE EMMANUEL, DOULOUREUSEMENT FRAPPÉS PAR LA DÉFECTION ET LA RUINE DE LA CITÉ DE L'ÂME, DÉCIDENT DE LA SECOURIR ET DE LA RAMENER SOUS LEUR AUTORITÉ EN LUI FAISANT DES PROPOSITIONS DE PAIR. - L'ARMÉE DE SECOURS LUI EST ENVOYÉE SOUS LA CONDUITE DES CHEFS BOANERGÈS, CONVICTION, ESPÉRANCE, JUGEMENT. - DIABOLUS SE PRÉPARE À FAIRE ÉCHOUER LE PLAN DIVIN. - IL PRÉPARE LA CITÉ DE L'ÂME À LA RÉSISTANCE. - SIÈGE DE LA CITÉ. - ÂME HUMAINE RÉVEILLÉE EST JETÉE DANS LA TERREUR, MAIS REFUSE DE RETOURNER À SON ROI. - SUGGESTIONS DE DIABOLUS QUI VEUT LA GARDER PRISONNIÈRE. - LES APPELS DES CAPITAINES DE SHADDAÏ SONT REJETÉS.



 Longtemps avant que les choses fussent arrivées au point que nous avons dit dans le chapitre précédent, le roi Shaddaï avait été averti de ce qui se passait, et il savait comment la grande ville de l'Âme dans le continent de l'Univers avait été assiégée et conquise par le géant Diabolus, autrefois l'un de ses serviteurs. Lorsque certain jour, l'un des messagers vint se présenter à la Cour et qu'il dit devant Shaddaï et son Fils, les hauts dignitaires, les capitaines, les nobles et toute la cour réunie tous les détails de l'agression par ruse, le succès de Diabolus, l'état d'abjection dans lequel il avait réduit la Cité, lorsqu'il expliqua que Diabolus avait fait élever et armer des forts, dressant ainsi l'Âme contre son véritable Roi, la douleur et le deuil s'étendirent sur tous les visages, et ce fut une grande lamentation à cause de la misère et de la corruption dans lesquelles l'Ennemi avait plongé la noble Cité de l'Anse. Seuls le Roi et son Fils avaient eu la prescience des événements et déjà avaient pourvu à la délivrance de la Cité, délivrance qui devait s'accomplir au moment choisi par Shaddaï. Tous deux laissèrent voir aussi leur douleur, ainsi que le grand amour et la compassion qu'ils ressentaient pour la Ville de l'Âme.

Puis Shaddaï et son Fils se retirèrent en leur appartement privé, et là, examinèrent la résolution prise anciennement : ils souffriraient pour un temps que la Cité fut perdue, mais ils en feraient à nouveau la conquête, et cela de telle manière qu'ils en acquerraient un renom et une gloire éternels. À la suite de cette rencontre, le Fils fit cette promesse au Roi : « Je serai ton Serviteur et je te ramènerai la Cité de l'Âme. » Le Fils alliait en sa Personne la Grandeur et la Douceur. Il aimait très particulièrement les affligés, et n'avait qu'une inimitié au coeur, et Diabolus en était l'objet. Il fut donc décidé qu'au moment déterminé par la Sagesse suprême, le Fils se rendrait dans la contrée de l'Univers, et que là de façon juste et équitable, en faisant amende pour les folies de la Cité de l'Âme, il poserait les fondements d'une parfaite délivrance du joug de Diabolus et de sa tyrannie.

De plus, Emmanuel résolut de faire la guerre à Diabolus tant qu'il régnerait encore sur la Cité de l'Âme et de le chasser des retraites qu'il habitait. Le chef des secrétaires dressa le procès-verbal des décisions prises, et fut chargé de faire connaître celles-ci dans tous les coins et recoins de l'Univers. Nous en donnons ci-après un court résumé :

« Que tous ceux que cela concerne sachent que le Fils de Shaddaï le grand Roi s'est engagé par convention avec son Père à lui ramener la ville de l'Âme ; et à cause de son amour incomparable, il placera celle-ci dans des conditions meilleures plus heureuses que celles qui étaient siennes avant qu'elle fut prise par le géant Diabolus. »

Cette déclaration fut publiée en tous endroits, ce qui provoqua des représailles de la part de Diabolus. « Maintenant je vais être attaqué, songeait-il, et mon habitation me sera enlevée... » Il faut empêcher que ces bonnes nouvelles arrivent aux oreilles de mes esclaves. S'ils apprenaient que leur ancien roi Shaddaï et Emmanuel n'ont pour eux que des pensées d'amour, que pourrais-je espérer d'autre qu'une révolution ? »

Il appela donc le Seigneur Volonté lui recommandant de veiller jour et nuit aux portes de l'Oeil et de l'Oreille, car, dit-il, j'ai entendu parler d'un certain projet : nous serions tous considérés comme traîtres, et Âme d'homme serait ramenée à son premier état d'esclavage. J'espère que ce sont là histoires en l'air ; cependant veillez à ce qu'elles ne pénètrent pas dans la ville ; cela ne pourrait que troubler le peuple. Ces nouvelles ne sauraient vous réjouir Seigneur Volonté pas plus qu'elles ne me réjouissent moi-même. Prenez garde aux marchands qui viennent de loin, arrêtez-les, questionnez-les ; ne laissez le trafic libre que pour ceux qui nous sont favorables. Avez des espions dans tous les coins de la Cité, qu'ils surveillent les habitants surprennent les conversations, et qu'ils aient le pouvoir de supprimer et détruire tous ceux qui tremperaient en quelque complot, ou qui parleraient des prétendus desseins de l'ex-Shaddaï et d'Emmanuel. »

Le Seigneur Volonté s'empressa de déférer aux désirs de Diabolus, lequel décida d'autre part d'imposer aux citoyens un serment de fidélité : « ils devaient le reconnaître lui, Diabolus, comme seul roi, et s'élever contre tout prétendant au gouvernement de la Ville d'Âme. » D'une seule voix les pauvres insensés prononcèrent le serment imposé ; ce qui ne sembla pas leur peser beaucoup plus que ne ferait un sprat dans le gosier d'une baleine. Diabolus, lui, se félicitait de ce qu'il venait d'obtenir. Shaddaï pourrait-il jamais absoudre le peuple de cette alliance avec la mort, de cette convention avec le sépulcre ?

Enfin, l'Usurpateur résolut de faire tomber encore plus bas dans le mal les malheureux citoyens de l'Âme ; et il fit annoncer par M. Ordure que chacun pouvait s'adonner à ses convoitises sans aucune restreinte. Par là il voulait affaiblir davantage ses esclaves, les rendre plus incapables de saisir les bonnes nouvelles et d'espérer encore si celles-ci arrivaient jamais jusqu'à eux. Car le raisonnement de l'intelligence naturelle est celui-ci : Plus un pécheur est enfoncé dans la perdition, moins il peut espérer en la miséricorde.

En agissant ainsi, Diabolus pensait aussi à la sainteté d'Emmanuel. Celui-ci ne reculerait-il pas d'horreur devant semblable abîme de souillure ? Ne se repentirait-il pas d'avoir résolu la rédemption d'êtres tombés aussi bas ? Enfin pour parer aux effets redoutables que pourrait avoir la proclamation de la Délivrance dans la Cité de l'Âme, l'Usurpateur résolut de prendre les devants. Il dit donc que certains bruits étaient parvenus jusqu'à lui, bruits donnant comme certaine une entreprise de Shaddaï pour délivrer la Cité d'Âme humaine. Pour cette raison, il allait prononcer un grand discours sur la place du Marché, et invitait tous les citoyens à venir l'entendre. Voici un résumé de ce discours :

Diabolus rappela d'abord au peuple rassemblé, tout ce qu'il lui avait donné avec la liberté, et combien était grand son amour pour la Cité de l'Âme. Certes, s'il ne pensait qu'à lui, et si les nouvelles de la venue d'Emmanuel étaient exactes, il lui serait bien facile de s'en aller ! Mais non ; il voulait lier son sort à celui des habitants. Et eux, voudraient-ils l'abandonner ? - D'une seule voix, ils répondirent : « Qu'il meure, celui qui voudrait t'abandonner. » - C'est bien inutilement, continua Diabolus, que nous espérerions quelque quartier de Shaddaï ; Shaddaï ne sait pas ce que c'est que de faire quartier : Aussi ne croyez pas une syllabe de tout ce qu'il pourrait vous faire dire en vous offrant le pardon, et en mettant en avant sa miséricorde. Ce serait uniquement pour vaincre plus facilement votre résistance. Prenons donc la résolution de résister jusqu'au bout, et de n'écouter aucune proposition de pardon. C'est du côté de la porte de l'Ouïe que je discerne le danger. Et puis si vous écoutiez Shaddaï, s'il pénétrait dans la ville, s'il faisait quartier à quelques-uns ou même à tous, de quoi cela vous servirait-il ? Continueriez-vous de vivre dans les plaisirs comme vous le faites maintenant ? Non pas ! Vous seriez liés par des lois qui vous rendraient la vie insupportable, et devriez faire ce que, maintenant, vous jugez haïssable : Je suis pour vous, si vous êtes pour moi ; mieux vaut mourir vaillamment que de mener une vie d'esclave !... J'ai des armes pour vous tous. Venez à mon château-fort, vous y serez bien reçus, et vous y trouverez l'armure nécessaire au combat.

1° Je vous recommande mon casque. Le casque de l'espoir que tout est pour le mieux, quoi que vous fassiez. C'est le casque de ceux qui assurent jouir de la paix même en marchant dans l'iniquité et en ajoutant l'ivresse à la soif. Cette pièce de l'armure a fait ses preuves. Tant que vous portez ce casque, vous ne craignez ni flèche, ni dard, ni épée. Il détourne les coups. Veillez donc à toujours le garder.

2° Voici ma cuirasse : une cuirasse de fer forgée en mon pays. Elle consiste en un coeur aussi dur que le fer, aussi insensible que la pierre, que rien ne peut plus toucher ou émouvoir. Avec cette cuirasse, aucune parole de paix ou de pardon ne pourra vous atteindre, non plus que la terreur d'un jugement. Cette pièce de l'armure est très nécessaire à qui veut combattre Shaddaï et s'enrôler sous ma bannière.

3° Mon épée est une langue animée du feu de l'enfer et qui peut se plier à dire du mal de Shaddaï, de son Fils, de ses décisions, de son peuple. Quiconque la possède et en fait l'usage que j'indique, ne se laissera jamais abattre par mon ennemi.

4° Mon bouclier : c'est l'incrédulité. Jetez le doute sur toutes les paroles de Shaddaï. L'incrédulité paralyse sa puissance. Il peut arriver qu'il soit brisé. Cependant ceux qui ont fait le récit des guerres d'Emmanuel contre mes serviteurs assurent qu'en certains endroits il ne put faire de miracle à cause de l'incrédulité. Pour bien le manier refusez de croire les choses même véritables, quelles qu'elles soient, et quelle que soit la personne qui les dit, Si Emmanuel parle de jugement, ne craignez pas ; s'il parle de miséricorde n'écoutez pas. Même s'il promet par serment de ne faire que du bien à l'Âme, ne vous inquiétez pas de ce qu'il dit ; mettez tout en doute. C'est de cette façon qu'il faut manier le bouclier de l'incrédulité. Celui qui fait autrement ne m'aime pas ; il est mon ennemi.

5° Enfin une autre pièce de mon excellente armure, c'est un esprit muet qui ne s'abaisse jamais à implorer la miséricorde et à prier. En plus de tout ce que je viens d'énumérer, j'ai aussi des maillets, des dards empoisonnés, des traits enflammés, des flèches, la mort, armes excellentes qui fauchent l'armée ennemie. »

Tous les habitants de la Cité de l'Âme furent armés de pied en cap et reçurent des munitions abondantes. Ceci fait, Diabolus déclara que si vraiment Shaddaï attaquait la ville, et si celle-ci supportait victorieusement le premier choc, nul doute qu'avant longtemps le monde entier ne lui fût soumis, à lui Diabolus. Alors il ferait des citoyens de l'Âme, des rois, des princes, et des capitaines. La garde fut doublée aux portes, les citoyens s'exercèrent au combat, les chants de guerre retentissaient, chants qui exaltaient le tyran, et le courage des guerriers.

L'avant-garde des armées du roi Shaddaï forte de quarante mille hommes, tous fidèles, et conduits par quatre capitaines choisis parmi les plus vaillants se préparait à partir pour la grande ville de l'Âme. Il avait semblé préférable à Shaddaï de ne pas envoyer immédiatement son Fils, mais de laisser aller d'abord ses serviteurs pour qu'ils prissent contact avec la Cité rebelle. Généralement, dans toutes ses guerres, Shaddaï envoyait cette avant-garde dont les chefs étaient braves et vaillants, Habitués à la dure, ils avaient sous leurs ordres des hommes de la même trempe qu'eux. Chacun des Chefs reçut une bannière qui devait rester déployée pour indiquer l'excellence de la cause du roi Shaddaï et ses droits sur la Cité de l'Âme. La bannière du Chef Boanergès était portée par l'enseigne Tonnerre dont les couleurs étaient noires ; sur l'écusson : trois éclairs flamboyants. Le nom du porte-enseigne du Chef Conviction était M. Tristesse. Ses couleurs étaient pâles et l'écusson représentait le livre de la Loi ouvert d'où jaillissait une flamme.
Le porte-enseigne du général Jugement se nommait M. Terreur, il portait les couleurs rouges et son écusson était une fournaise ardente. Le porte-enseigne du général Exécution était un M. Justice qui portait aussi la livrée rouge et dont l'écusson était un arbre sans fruit avec une cognée plantée dans les racines. Chacun des chefs avait dix mille hommes sous ses ordres. Certain jour officiers et soldats furent appelés par Shaddaï, chacun individuellement, pour se mettre en campagne ; et chacun reçut l'équipement qui convenait à son grade et à son service. Quand le Roi eut rassemblé ses forces pour l'expédition résolue, il donna ses ordres aux chefs et à l'armée, ordres que tous devaient fidèlement exécuter. Voici ce que dit Shaddaï à son généralissime Boanergès : « O toi Boanergès, l'un de mes fougueux et vaillants capitaines qui commande à 10.000 hommes vaillants et fidèles, va en mon nom jusqu'à la misérable Cité de l'Âme : tu lui offriras d'abord la paix, et lui ordonneras de rejeter le joug et la tyrannie du méchant Diabolus puis de revenir à moi qui suis son Prince et Seigneur ; les habitants extirperont tout ce qui est diabolonien et toi tu veilleras à l'exécution de ces ordres. Tu veilleras à ce que la soumission soit véritable. Ensuite tu feras en sorte de m'établir une garnison dans la ville de l'Âme. Veille à ne faire aucun mal à aucun des indigènes ; s'ils veulent se soumettre, traite-les comme des amis, comme des frères, car je les aime. Dis-leur qu'en temps opportun j'irai vers eux et qu'ils sauront que je suis miséricordieux. Mais si, malgré tes sommations et bien que tu produises tes lettres de créance, ils refusent de t'écouter, emploie tous les moyens en ton pouvoir pour les réduire en mon obéissance. Bon voyage. »

Au jour fixé, après un nouveau discours de Shaddaï, l'armée avec ses bannières déployées se mit en marche. Le trajet était long jusqu'à la ville de l'Âme. Partout où elle passait, l'armée royale était en bénédiction.

Après un long voyage on aperçut de loin la Cité ; et discernant aussitôt en quel état misérable le joug de Diabolus l'avait réduite, les troupes de Shaddaï ne purent retenir leurs lamentations. L'armée arriva enfin devant la ville, se massa près de la porte de l'Oreille, dressa ses tentes, creusa des tranchées. - Lorsqu'ils aperçurent le corps expéditionnaire royal, ses brillants uniformes, ses armes étincelantes, ses bannières, les gens de la ville ne purent s'empêcher de venir jusqu'aux remparts pour admirer le spectacle que donnait cette armée si parfaitement disciplinée et si bien équipée. Mais le vieux renard Diabolus pris de crainte que, s'ils étaient sommés de le faire, les gens de la ville n'ouvrissent les portes de la Cité, sortit en hâte de son château-fort, donnant l'ordre au peuple de quitter les remparts sans plus tarder et de se replier au centre de la ville. Et là il leur fit un discours tout entremêlé de mensonges comme à son habitude et de reproches : « Eh quoi. Quel manque de prudence chez ceux que je considère comme mes loyaux sujets, dit-il ! ... Savez-vous d'où viennent ces gens, et pourquoi ils se retranchent devant notre Cité ? Ce sont ceux dont je vous ai parlé depuis longtemps, et contre lesquels je vous ai armés. Pourquoi n'avez-vous pas allumé le signal et sonné l'alarme lorsque vous les avez vus ?... Que de soins n'ai-je pas pris pour rendre la ville imprenable et pour endurcir vos coeurs ! Ai-je tant travaillé en vain ? Et n'ai-je en définitive sous mes ordres qu'une compagnie d'innocents, bons tout au plus à regarder du haut des remparts leurs plus mortels ennemis ? Préparez-vous donc au combat, et que personne, sans un ordre émanant de moi, n'ose plus passer la tête par-dessus les murs. »

À l'ouïe de ce discours, les habitants furent comme pris de panique, ils coururent de-ci, de-là par les rues, appelant au secours, et disant que les hommes qui mettaient le monde sens dessus dessous s'étaient rangés en bataille devant leur Cité...
« J'aime mieux les voir ainsi, dit Diabolus, quand on vint lui annoncer en quel état son discours avait jeté les habitants. »

Avant la fin du troisième jour, le généralissime commanda à son trompette d'aller jusqu'à la porte de l'Oreille pour sommer la Cité de l'Âme de donner audience à l'envoyé du grand roi Shaddaï. Le trompette obéit, fit retentir l'appel, mais personne ne se présenta, car Diabolus l'avait défendu. L'envoyé revint donc rendre compte de sa mission à Boanergès et de son échec. Il fut envoyé une seconde fois ; à nouveau sans résultat. Enfin la troisième fois, le trompette reçut l'ordre d'avertir la ville que si elle refusait l'audience demandée, tous les moyens seraient employés pour la ramener à l'obéissance de Shaddaï. Cette fois, enfin, le Seigneur Volonté, gouverneur de la ville, se présenta et demanda d'un ton rogue : « Pourquoi tout cet horrible bruit ? Qu'étaient toutes ces paroles menaçantes contre la ville de l'Âme ? Qui était l'individu ? D'où venait-il ? » - Le trompette répondit alors : « Je suis le serviteur du plus noble des chefs, le général Boanergès qui commande les armées du roi Shaddaï contre lequel toi et ta Cité vous vous êtes rebellés. Mon maître a un message pour la Cité de l'Âme, pour toi aussi puisque tu en fais partie. - Je m'en vais transmettre tes paroles à mon Maître, dit le Gouverneur, et nous verrons ce qu'il ordonnera. - Notre message n'est pas destiné à Diabolus, répondit le Trompette, mais à la misérable Cité de l'Âme... Nous sommes ici pour la soustraire à l'épouvantable tyrannie de Diabolos et la ramener à son véritable possesseur, l'excellent roi Shaddaï. - Je porterai ton message à la ville, répondit le Gouverneur.
- Prends garde de ne point nous tromper ; si vous vous soumettez nous vous offrons la paix, sinon c'est la guerre. Et comme preuve de ce que je te dis, vous verrez demain flotter sur la montagne, la bannière noire avec ses éclairs. »

Lorsque le temps accordé fut écoulé, Boanergès envoya à nouveau son trompette, décidé à faire connaître à la ville le message du Roi. Cette fois les citoyens se présentèrent, mais ils prirent soin de fortifier autant qu'ils le purent la porte de l'Oreille, avant de venir aux remparts. Le capitaine Boanergès demanda à parler au Maire ; alors ce fut le Seigneur Incrédulité qui se présenta. « Ce n'est pas lui, dit le Capitaine. Où est le Seigneur Intelligence, l'ancien maire de cette ville ? » À cette question, Diabolus en personne, car il était là, se présenta pour répondre : - « M. le Capitaine, dit-il, voici au moins la quatrième sommation de se rendre que vous faites à la Cité. Vous voulez qu'elle se donne à votre Roi. Au nom de quelle autorité je vous prie ? Je n'en sais rien et ne m'en préoccupe point !... » Mais Boanergès ne répondit rien à Diabolus, et s'adressant aux citoyens de la Cité de l'Anse dit : « Sache, Cité malheureuse et rebelle que le grand Shaddaï m'a envoyé vers toi avec cet ordre de te ramener à son obéissance. Et en même temps Boanergès présentait à la vue de tous le sceau royal. Si vous répondez à mon appel, j'ai l'ordre de vous traiter comme des amis ou même comme des frères ; mais si vous refusez d'écouter et de vous soumettre si vous persévérez dans votre révolte, je dois essayer de vous réduire par tous les moyens en mon pouvoir. »

Dès que Boanergès eut cessé de parler, le chef Conviction se leva à son tour et s'adressant aux citoyens, dit : « O malheureuse Cité d'Aine d'Homme autrefois réputée pour ton innocence, tu es maintenant tombée dans le mensonge et l'hypocrisie. Écoute ce que t'a dit le chef Boanergès, accepte les conditions offertes, conditions de paix, de compassion, alors que tu as si gravement offensé le Roi qui pourrait te réduire en pièces. Si tu prétends que tu n'as pas péché, que tu ne t'es pas rebellée contre ton Roi, tout ton passé est là, toutes tes actions sont là depuis le jour que tu t'es détournée de Lui (ce qui fut le commencement de ton péché) et témoignent contre toi. Tu as écouté la voix du Tyran, tu l'as accepté comme roi, tu as rejeté les lois de Shaddaï et accepté celles de Diabolus, tu te mets sur la défensive et tu fermes tes portes devant nous, envoyés et fidèles serviteurs du Roi. Qu'est-ce que tout cela, que signifie tout cela, sinon péché et révolte ? Ah ! accepte l'invitation qui t'est faite, ne méprise pas le temps de la Grâce. Accorde-toi au plus tôt avec la partie adverse. Ne permets pas que les séductions flatteuses du Diable t'entraînent dans le malheur et te ferment les portes de la Grâce. Le misérable séducteur essayera de te faire croire que nous cherchons quelque gain personnel venant à toi, mais sache que nous sommes ici de par les ordres du Roi, et parce que nous voulons ton bonheur.

N'est-ce pas une grâce extraordinaire que Shaddaï s'abaisse comme il le fait pour toi, qu'Il daigne par nous essayer de te persuader par la douceur ? A-t-il besoin de vous, comme vous avez besoin de lui ? Non, non, mais il est miséricordieux, et ne veut pas que tu périsses, mais que tu te repentes et vives. »

Le Chef Jugement se leva ensuite et prenant la parole dit : « O habitants de la Cité de l'Âme qui avez si longtemps vécu dans la révolte et pratiqué la trahison, nous ne sommes pas ici de notre propre mouvement, avec le message de nos propres pensées, ou pour vider une querelle personnelle. Non, c'est le Roi qui nous envoie pour vous ramener à son obéissance : par la douceur si vous acceptez sa clémence, par la force, si vous la rejetez. N'imaginez pas, et ne laissez pas le séducteur vous persuader que le roi Shaddaï n'a pas les moyens de vous réduire. « C'est Lui le Commencement et le Créateur de toutes choses ; c'est Lui qui touche les montagnes et elles fument. » Le jour de la clémence ne durera pas toujours ; devant le Roi s'avance sûrement le jour embrasé de la Colère pour tous les rebelles.

« Est-ce peu pour toi, Cité de l'Âme, que mon Roi te tende le sceptre d'or malgré toutes les provocations ? Saisis-le, et vis... Aucune rançon ne pourrait te racheter : ni tes richesses, ni ton or, ni tes forces. Si tu rejettes la clémence de ton Roi, le jugement t'atteindra ; il vient avec le feu, avec des chariots comme des tourbillons, tu connaîtras le poids de sa colère ; il vient avec des flammes de feu pour juger et rien ne pourra te sauver du juste châtiment. [Tandis que parlait le Chef Exécution, quelques personnes observèrent que Diabolus tremblait]. « O malheureuse cité de l'Âme, dit encore le Chef Jugement, n'ouvriras-tu pas la porte aux envoyés du Roi, à ceux qui se réjouiraient de te voir vivre... Boirais-tu comme on boit du vin nouveau, et jusqu'au fond, la coupe de sa colère qui est préparée pour le Diable et ses anges ? Réfléchis pendant qu'il en est temps. »

Alors se leva le noble capitaine Exécution et il dit : « O toi, Ville de l'Âme, autrefois fameuse, aujourd'hui comme un buisson stérile, autrefois les délices du Roi, aujourd'hui le repaire du Diable. Écoute aussi ce que j'ai à te dire au nom de Shaddaï : « Voici, la cognée est posée à la racine des arbres, tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » Cité de l'Âme tu n'es plus que buissons et épines, et tu ne portes plus que des fruits pleins d'amertume. Tu t'es rebellée contre le Roi, et nous, force de Shaddaï, sommes la cognée qui est posée à la racine. Repens-toi ! Ou bien devrai-je me résoudre à frapper ? La cognée est d'abord posée à la racine, puis elle frappe : la menace, puis l'exécution. Entre l'une et l'autre, il y a la repentance. Repens-toi ! C'est tout ce qui t'est demandé ; c'est maintenant le moment du repentir. Ne t'y refuse point ! Serais-je obligé de frapper ? En ce cas tu serais abattue. Rien ne te sauvera de l'exécution que de te donner à notre Roi. Si la miséricorde ne peut prévaloir en ta faveur, à quoi pourrais-tu servir qu'à être coupée et jetée au feu.

« O Âme, la patience, le support ne sont que pour un temps, un an, deux ans, trois ans..., or, ta rébellion dure depuis plus longtemps que cela. « Tu couperas », a dit le Roi. T'imaginerais-tu qu'il n'y a ici que des menaces ? et qu'il n'a pas le pouvoir d'exécuter sa Parole ? Tu découvriras que les paroles de notre Reine sont pas seulement des menaces, mais un feu dévorant pour le pécheur qui les méprise.

« Tu as embarrassé le sol assez longtemps inutilement. Voudrais-tu persévérer dans cette mauvaise voie.. Ton péché a amené cette armée sous tes remparts. Entraînera-t-il aussi une exécution dans la ville ? Tu as entendu la voix des capitaines, et cependant tu gardes tes portes, fermées. Ne veux-tu pas ouvrir ? Ne veux-tu pas, enfin, accepter les conditions de paix ? »

La ville de l'Anse refusa de se laisser vaincre par les pressantes sollicitations des nobles capitaines de Shaddaï. Cependant quelque chose avait atteint la Porte de l'Oreille ; un coup terrible lui avait été porté et l'avait ébranlée, même si elle ne s'était pas ouverte. Après réflexions, la ville fit savoir qu'elle réclamait du temps pour préparer sa réponse. « - Oui, nous accorderons ce délai, si vous jetez par-dessus les murs Méchante Pause, afin que nous puissions le punir comme il le mérite, répondirent les Chefs, car nous savons bien qu'aussi longtemps qu'il sera dans la ville aucune décision salutaire ne pourra être prise et que toute considération favorable à votre salut sera bafouée.

Diabolus qui était toujours présent et ne désirait pas perdre son orateur, pensa d'abord répondre lui-même, puis il commanda au Seigneur Incrédulité de le faire.
- Messieurs, dit celui-ci, vous êtes venus troubler notre prince, menacer notre ville, et même vous avez établi votre camp sous nos murs. D'où venez-vous ? Nous ne voulons pas le savoir. Qui êtes-vous ? Nous ne croyons pas ce que vous dites. Vous dites bien dans vos terribles discours que vous tenez votre autorité de Shaddaï ; mais de quel droit vous donne-t-il des ordres nous concernant ? Cela nous voulons l'ignorer.

« Agissant de par cette autorité, vous ordonnez à la ville d'abandonner son seigneur, et de recourir à la protection du grand Shaddaï votre Roi, assurant avec de flatteuses promesses, qu'il passera l'éponge sur le passé.

« De plus, vous jetez la ville dans la terreur en la menaçant de destruction si elle refuse de se plier à vos volontés.

« Et maintenant, Capitaines, d'où que vous veniez, et même si vos motifs sont excellents, sachez que ni Monseigneur Diabolus, ni moi son serviteur Incrédulité, ni notre brave ville de l'Âme nous ne voulons prendre en considération vos personnes, votre message, le Roi qui, dites-vous, vous a envoyés. Nous ne craignons ni sa puissance, ni. sa grandeur, ni sa vengeance, et nous ne céderons pas devant vos sommations.

« Vous nous déclarez la guerre ; nous allons donc nous défendre aussi bien que possible, et sachez que nous sommes en état de vous défier. Pour terminer, car je ne veux pas vous fatiguer, je vous dirai que nous vous prenons pour des vagabonds, pour une bande de fuyards, vous vous êtes probablement révoltés contre votre Roi, et vous vous êtes rassemblés allant de lieu en lieu, dans l'espoir de conquérir une ville ou un pays pour en faire votre habitation après avoir réduit ses possesseurs légitimes à la fuite par vos menaces ou vos flatteries. Mais ce n'est pas la Ville de l'Âme qui tombera dans vos pièges.

« Ma conclusion est celle-ci : nous n'avons pas peur de vous, nous ne vous craignons pas, nous refusons d'obtempérer à vos sommations. Nos portes resteront fermées. Vous n'entrerez pas chez nous, et nous « ne tolérerons pas que vous campiez plus longtemps devant notre Cité. Les citoyens doivent vivre en paix, votre présence est pour eux une cause de trouble ; aussi levez le camp le plus tôt possible. C'est là mon conseil, décampez promptement, armes et bagages, ou l'on tirera sur vous. »

Le Seigneur Volonté ajouta qu'on donnait aux assiégeants trois jours pour plier bagages et disparaître, ou ils apprendraient à leurs dépens que c'était chose grave que de réveiller le lion Diabolus qui s'était installé dans la Cité de l'Âme. » Enfin l'Archiviste M. Oublie le Bien vint à son tour dire son mot à l'armée assiégeante : « Messieurs, dit-il, remarquez avec quelle bonté, quelle douceur nos Seigneurs ont répondu à vos discours sans aménité et pleins d'aigreur. J'entends qu'ils vous laissent libres de partir en paix ! Profitez de leur bonté et décampez. Nous aurions pu vous tomber dessus et vous faire sentir la pointe de nos épées. Mais nous aimons nos aises et la tranquillité, c'est pourquoi nous préférons éviter de molester les autres. »

À l'ouïe de ces réponses, la ville de l'Âme poussa de grands cris de joie, comme si la décision de résistance lui avait apporté de grands avantages. On sonna les cloches, on se livra à des réjouissances, et le peuple se mit à danser sur les remparts.

Diabolus retourna au château, le Maire et l'Archiviste chez eux. Mais le Seigneur Volonté renforça la garde à la porte de l'Oreille et il y plaça un capitaine Prévention, auquel il donna soixante hommes, tous sourds, un très grand avantage, puisqu'ils ignoraient absolument tout ce qu'on pouvait leur dire.

Quand les chefs eurent entendu la réponse des grands et quand ils comprirent qu'ils ne pouvaient arriver jusqu'aux citoyens eux-mêmes, ils se préparèrent au combat ; la troupe fut surtout massée près de la Porte de l'Oreille, car c'est par là uniquement qu'on pouvait pénétrer dans la ville. Le cri de guerre fut donné : « il faut naître de nouveau. » Les trompettes sonnèrent, celles de la ville répondirent, les cris de guerre répondaient aux cris de guerre, les charges se succédaient, la bataille était engagée. Sur la tour qui dominait la porte de l'Ouïe, ceux de la ville avaient dressé deux canons, l'un nommé Fierté, l'autre Entêtement ; ils comptaient beaucoup sur ces pièces lourdes ainsi que sur d'autres pièces de moindre calibre pour harceler le camp de Shaddaï et aider à la garde de la porte de l'Oreille ; mais cette artillerie n'eut pas l'efficacité espérée. L'armée du Roi combattait avec vaillance, tout son effort portant sur la porte de l'Oreille sur laquelle résonnaient les coups puissants des béliers. Les frondes aussi étaient en action et tiraient sans répit sur les habitants et sur les maisons.

La guerre se prolongeait. Plusieurs rencontres s'étaient produites entre les deux armées. Dans l'une d'elles trois individus qui avaient obtenu de se joindre aux armées de Shaddaï furent faits prisonniers. C'étaient les nommés Tradition, Sagesse humaine et Invention d'homme. Ils désiraient être soldats, avaient-ils dit à Boanergès et comme ils semblaient habiles et courageux, le généralissime avait accepté leurs services.

Apprenant que la compagnie du Seigneur Volonté avait fait ces prisonniers, le géant Diabolus s'enquit de l'affaire ; puis il fit comparaître les prisonniers devant lui. Il leur demanda d'où ils étaient et comment il se faisait qu'ils étaient dans l'armée de Shaddaï ? Sa curiosité satisfaite, il les renvoya en prison. Quelques jours après, Diabolus les fit à nouveau appeler, et leur demanda s'ils accepteraient de servir contre leurs anciens Chefs ? » À cette question ils répondirent qu'ils ne vivaient pas tellement de religion que de la fortune des armes. Puisque sa Seigneurie offrait de subvenir à leur entretien, ils le serviraient volontiers. Or il y avait dans la ville un certain capitaine N'importe-quoi, homme très actif, c'est à lui que Diabolus envoya ces trois recrues. Les deux premiers furent promus au grade de sergent ; il garda le troisième pour son service particulier. -

Les assiégeants obtinrent aussi quelques résultats : ils abattirent le toit de la maison du Maire, M. Intelligence, de sorte que celui-ci devint plus accessible ; ils tuèrent presque le seigneur Volonté, et firent un grand carnage de conseillers municipaux : d'un seul coup de canon, ils tuèrent MM. Jurement, Prostitution, Fureur, S'attache-aux-mensonges, Ivresse, Tricherie. Enfin ils démontèrent les deux canons qui dominaient la porte de l'Oreille. Cependant la Cité de l'Âme résistait toujours ; Diabolus la défendait avec rage, bien secondé par les chefs qu'il avait choisis. Il apparaissait que la campagne d'été allait se terminer sans résultat appréciable, sans avantage décisif pour les armées de Shaddaï. Les chefs décidèrent de se retirer en bon ordre et de se retrancher pour prendre leurs quartiers d'hiver. Mais ils le firent de telle manière qu'ils pouvaient encore harceler la Cité de l'Âme, et la jeter dans de terribles paniques.

Désormais les habitants ne surent plus ce que c'était que de s'endormir paisiblement ; ils ne pouvaient plus comme autrefois se livrer à la débauche, en toute tranquillité. Tantôt l'alarme retentissait à la porte de l'Oreille, tantôt à une autre porte de la Ville, ou bien à toutes à la fois. Une nuit c'étaient les trompettes qui faisaient vibrer l'air, et jetaient les assiégés dans l'effroi ; ou bien une pluie de pierres lancées par les frondes s'abattaient sur quelque quartier ; quelquefois dix mille hommes faisaient le tour des remparts en lançant leur cri de guerre. D'autres fois les plaintes des blessés retentissaient et leurs gémissements faisaient trembler les assiégés.

La lassitude commençait de se faire sentir chez les habitants. Quelques-uns disaient : « Impossible de tenir ainsi plus longtemps » Ce à quoi d'autres répondaient que cela finirait bientôt. Enfin certains conseillaient de retourner au roi Shaddaï. - « Mais il refusera de nous recevoir », leur répondait-on. L'ancien archiviste, M. Conscience, recommençait à se faire entendre dans la ville, et ce qu'il disait éclatait comme des coups de tonnerre et plongeait dans la terreur la Cité assiégée. Le bruit de ses paroles, celui des soldats, et les cris des chefs faisaient trembler les habitants.

Enfin les provisions commencèrent à manquer dans la Ville. Le peuple ne pouvait plus se procurer ce après quoi son âme soupirait. Les choses que les citoyens aimaient semblaient frappées par le gel ou la chaleur. Des rides apparaissaient sur les figures et sur bien des visages on voyait déjà se dessiner les ombres de la mort. Ah ! que n'auraient-ils pas donné pour jouir à nouveau de la paix et de la tranquillité d'esprit, même dans la plus misérable des situations !

Au cours de l'hiver, le trompette du généralissime Boanergès fut envoyé de nouveau à la Cité pour la sommer de se rendre au roi Shaddaï - ce qu'il fit à trois reprises. Âme d'homme se serait volontiers rendue, mais le seigneur Incrédulité veillait, et s'y opposait absolument. Quant au Seigneur Volonté, il ne savait quel parti prendre : un jour il acceptait la reddition, le lendemain il s'y opposait aussi ! Diabolus se livrait à des accès de fureur épouvantables. Quant aux citoyens, tous étaient loin de vouloir la même chose, de sorte qu'ils restèrent dans l'incrédulité et dans la crainte. La première fois, le messager de l'Armée royale était venu avec des paroles de paix. « Les Chefs avaient pitié de sa misère ; ils souffraient de voir la Ville elle-même s'opposer à sa délivrance. Si seulement elle voulait se repentir, s'humilier pour sa défection, le Roi lui pardonnerait et même il oublierait sa conduite passée. Et après quelques mots d'avertissement, il les laissa en disant qu'ils veillassent à ne point empêcher eux-mêmes leur délivrance. »

La seconde fois le message fut plus rude : « L'obstination de l'Âme ne faisait qu'irriter les Chefs qui étaient résolus à conquérir la Ville, ou à mourir sous ses murs. »

La troisième fois, le trompette fut chargé d'un message plein de sévérité parce que les habitants avaient méprisé les offres de clémence. Il devait transmettre un ordre de reddition pur et simple de la part des Chefs, qui se réservaient de décider de leur attitude ultérieure. »

Ces trois sommations et surtout la dernière jetèrent la ville dans l'effroi : elle décida sur l'heure de tenir un conseil. Il y fut décidé que le Seigneur Volonté irait à la Porte de l'Oreille, et là, sonnerait de la trompette pour demander audience aux Chefs de l'Armée assiégeante.

Ainsi fut fait. Tout aussitôt, les chefs à la tête de leurs milliers en armes vinrent se masser près de la porte de l'Ouïe. Les anciens de la Corporation de l'Âme firent alors savoir qu'ils étaient prêts à se rendre à certaines conditions. Les seigneurs Incrédulité, Oublie le Bien et Volonté, gouverneurs de la Ville, du château et des remparts, seraient maintenus dans leurs charges par Shaddaï. - 2° Aucun de ceux qui présentement servaient le géant Diabolus ne serait chassé de sa maison, ou privé de la liberté dont il avait joui jusqu'ici, ou molesté d'aucune autre manière par Shaddaï. - 3° Que les citoyens continueraient de jouir de leurs anciens droits et privilèges, ceux qu'ils avaient acquis et dont ils jouissaient sous la domination de Diabolus, leur seul seigneur et grand défenseur depuis longtemps déjà. - 4° Aucune loi, aucune charge ne seraient instituées sans leurs décision et consentement. Telles sont nos propositions ou conditions de paix. Si elles sont acceptées, nous nous soumettrons à votre Roi. »

Quand les Chefs eurent entendu ces offres misérables de reddition et ces conditions de paix si éhontées, ils firent répondre à la Ville par leur capitaine Boanergès :

« O habitants de la Cité de l'Âme, dit celui-ci, quand j'entendis que vous désiriez une entrevue, j'en fus heureux et quand vous dîtes vouloir vous soumettre au roi Shaddaï, j'en eus encore plus de joie. Mais quand j'entendis vos prétentions et restrictions ridicules qui mettent en relief votre iniquité, ma joie se changea en tristesse. Méchante Pause, l'ancien ennemi de l'Âme, vous aura aidés à rédiger ces propositions ; mais elles sont indignes d'être prises en considération par quiconque prétend servir Shaddaï. Tous les Chefs et moi nous refusons avec dédain et nous rejetons vos misérables propositions que nous considérons comme une honteuse iniquité.

« Mais, ô Cité de l'Âme, si tu veux te rendre à nous, ou plutôt à notre Roi, si tu veux avoir cette confiance qu'il t'imposera les conditions de paix les meilleures, c'est-à-dire celles qui te seront le plus avantageuses, alors nous pourrons te recevoir et faire la paix. Mais si tu ne veux pas te reposer en Shaddaï, si tu refuses de te confier en Lui, alors rien n'est changé, et nous savons ce qu'il nous reste à faire. »

Alors le Maire, M. Incrédulité, se hâta de répondre à Boanergès : « Qui donc, étant libre, serait assez fou pour passer à l'ennemi, et cela sans condition ! Certainement pas moi, dit-il ! Connaissons-nous ton roi, son caractère ? Quelques-uns parlent de sa colère, d'autres de sa sévérité, d'autres assurent qu'il réclame au delà de ce qu'on peut fournir ! » Puis se tournant vers les habitants, il ajouta : « Prends garde, Cité de l'Âme, à ce que tu vas décider. Quelle folie ce serait de te rendre sans conditions ! Si tu cèdes, tu te donnes à un autre, donc tu ne t'appartiens plus. Se donner ainsi à quelqu'un qui prétend exercer une autorité sans limites serait la plus grande des folies. Car aujourd'hui vous pouvez vous repentir, mais vous ne pouvez pas vous plaindre avec justice. Si vous vous donniez à Lui, savez-vous seulement qui serait exécuté, qui aurait la vie sauve, ou si tous, nous serions mis en pièces ? Un autre peuple serait alors transporté dans notre enceinte pour habiter la Cité. »

Ce discours de M. le Maire jetait par terre tout espoir d'un arrangement possible : Les Chefs de Shaddaï retournèrent à leurs tranchées, à leurs tentes et à leurs hommes ; et le Maire de la Cité se rendit au château chez son roi Diabolos. Celui-ci l'attendait :

- « Je vous souhaite la bienvenue Monseigneur, lui dit-il. Et comment sont allées les affaires aujourd'hui ? » Après avoir fait une profonde révérence, Incrédulité raconta ce qui avait été dit et la réponse qu'il avait faite. Alors Diabolus fit l'éloge de son fidèle serviteur : Incrédulité. Que de fois il avait eu recours à ses services et toujours avec les mêmes résultats ! Jamais Incrédulité n'avait fait défaut. Ah ! s'ils remportaient une victoire définitive, Incrédulité serait promu aux plus grands honneurs, et aurait une situation bien supérieure à celle du présent. Gouverneur de l'Univers, Incrédulité dominerait sur toutes les nations ; et si lui, Diabolus, devenait le premier, Incrédulité serait son second. L'entrevue terminée, le Seigneur Incrédulité regagna sa demeure en se rengorgeant d'orgueil au souvenir des flatteuses paroles qu'il venait d'entendre, se considérant comme l'objet d'un grand honneur. En réalité Diabolus l'avait gorgé d'espérances, espérances bien problématiques pour ne pas dire chimériques.

Pendant l'entrevue du Palais, le peuple discutait dans la Ville ce qui venait de se passer ; et la réponse faite par le maire Incrédulité aux vaillants capitaines de Shaddaï était blâmée. L'ancien maire M. Intelligence, et l'ex-archiviste M. Conscience, mis au courant de l'attitude et du discours d'Incrédulité, allèrent au peuple, lui démontrant que les demandes des Chefs étaient fort raisonnables. Mais qu'attendre encore, après le discours d'Incrédulité ! Celui-ci mettait la ville en bien mauvaise posture devant les messagers du Roi : les paroles en étaient irrespectueuses ; Incrédulité accusait les Chefs ainsi que leur Roi de fausseté et de fourberie, car c'était bien cela qui ressortait de son discours, de cette supposition de destruction, alors que le Chef avait parlé de clémence et de pardon à plusieurs reprises. »

Convaincue d'avoir été desservie par son Maire, la foule commença de se rassembler sur les places et dans les rues. Les gens murmurèrent d'abord, puis parlèrent ouvertement, puis se mirent à aller de ci, de là en chantant la louange des Chefs de l'Armée royale. Ah s'ils étaient seulement gouvernés par de telles personnalités et par Shaddaï »

Quand le Seigneur Incrédulité entendit dire que l'émeute grondait dans la ville, il se hâta de sortir pensant apaiser les citoyens avec la seule majesté de sa présence. Mais quand on l'aperçut, on se précipita sur lui et on lui aurait sans doute fait passer un mauvais quart d'heure, s'il ne s'était réfugié dans une maison. Les insurgés essayèrent d'abattre celle-ci, mais elle était trop solide et ils n'y purent réussir. Rassemblant son courage, M. Incrédulité s'avança à une fenêtre et s'adressa au peuple pour connaître la raison de la révolte ?

Le Seigneur Intelligence répondit qu'elle provenait de son attitude envers les braves officiers de Shaddaï. Il avait commis trois fautes :

1° En n'admettant ni M. Conscience ni lui-même à l'entretien avec le messager du Roi ;

2° En faisant des ouvertures absolument inacceptables, réclamant pour la Cité de l'Âme la possibilité de continuer à' vivre dans la dissolution et la vanité ; il offrait ainsi à Shaddaï une situation subalterne : Prince de nom, tandis que Diabolus restait le véritable Roi ;

3° En empêchant par son insolent discours la clémence de s'exercer en faveur de la Cité. »

Dès que M. Intelligence eût achevé de parler, Incrédulité cria : « Trahison, Trahison ! Aux armes ! Aux armes ! Vous les fidèles sujets de Diabolus dans la Cité, à moi ! »

Donnez à mes paroles le sens que vous voulez, répondit Intelligence, mais j'affirme que les officiers d'un si grand Roi méritaient d'être plus civilement traités.

Cela ne va guère mieux, répondit Incrédulité. Moi, quand j'ai parlé, j'ai parlé pour mon Prince, pour son gouvernement, pour le peuple que, maintenant, vous excitez à la révolte.

M. Conscience intervint alors pour reprocher à Incrédulité sa manière de répondre à M. Intelligence. Il était évident que ce dernier avait dit la vérité, et qu'Incrédulité était un ennemi de la Ville de l'Âme ; soyez certain que votre discours impertinent a fait du mal à la ville, et qu'il a attristé les chefs de Shaddaï. Si vous aviez accepté leurs conditions, nous n'aurions plus à redouter le son de la trompette et les frayeurs de la guerre ; celle-ci aurait cessé. Mais ce terrible bruit de la trompette continue, et le manque de sagesse de votre discours en est la cause.

Si je vis, dit Incrédulité, je transmettrai votre message à Diabolus, Monsieur ; et c'est lui qui vous répondra. En attendant, nous cherchons le bien de la ville et nous ne demandons pas vos conseils.

Vous et votre Prince, vous êtes des étrangers dans la Cité de l'Âme, dit Intelligence. Sommes-nous certains que votre gouvernement ne va pas nous conduire en de plus grandes épreuves et nous réduire en une plus grande extrémité ? Puis quand vous verrez la partie perdue, qui nous garantit que vous ne nous abandonnerez pas, ne songeant qu'à votre seule sécurité. Peut-être recourrez-vous à la fuite en incendiant la ville et en profitant de la fumée ou de la flamme de son embrasement, qui nous réduira en un monceau de ruines et de cendres.

Vous oubliez Monsieur que je suis le Gouverneur, répondit Incrédulité, que vous n'êtes que sujet, et que votre conduite est inconvenante. Monseigneur Diabolus ne vous saura point gré de vos prétendus soucis. »

Alors que cet échange de propos se faisait, le seigneur Volonté survint accompagné de M. Prévention, de Méchante Pause, de quelques conseillers et bourgeois nouvellement créés, et ils s'enquirent de la raison du tumulte. Tout le monde répondait à la fois, et ordre fut donné de faire silence. Alors le vieux renard « Incrédulité » se hâta de prendre la parole : « Monseigneur, dit-il en s'adressant à Volonté et en désignant Intelligence et Conscience, ces deux impertinents personnages donnant cours à leurs méchantes dispositions et sous l'influence de M. Mécontentement, ont assemblé le peuple contre moi, et essayé de l'entraîner à des actes de rébellion contre notre Prince. »

Alors tous les Diaboloniens présents affirmèrent que le rapport d'Incrédulité était exact. Quand les indigènes virent que les seigneurs Intelligence et Conscience étaient en péril, la force étant contre eux, ils entourèrent aussitôt ceux-ci, et deux puissants partis se formèrent. Les Diaboloniens voulaient qu'on mît en prison Intelligence et Conscience ; le parti adverse s'y opposait. Les uns chantaient les louanges d'Incrédulité, d'Ingratitude [de nouveaux conseillers] et du grand Diabolus ; les autres célébraient Shaddaï, ses lois, sa miséricorde, faisaient les éloges de ses capitaines, de leurs conditions et de leur conduite. Des paroles on en vint aux mains. Les coups pleuvaient dans toutes les directions. Le cher vieux gentilhomme M. Conscience fut à deux reprises jeté par terre par un diabolonien : « Engourdissement » ; M. Intelligence risqua d'être tué d'un coup d'arquebuse, mais le diabolonien qui le visait mit à côté.

L'autre parti fut aussi sérieusement touché : M. Raison démolit le cerveau de M. Tête imprudente, un diabolonien ; et je ne pus m'empêcher de rire en voyant comment M. Prévention était frappé et roulé dans la boue. Bien qu'il eût été promu capitaine et mis à la tête d'une compagnie de Diaboloniens pour le plus grand dommage de la Ville d'Âme, je vis que ses propres troupes le piétinaient, et que le parti de M. Intelligence ne l'épargnait pas davantage. M. N'importe quoi fut aussi fort malmené par les deux partis malgré sa brillante conduite, car il n'était fidèle à personne. Il eut une jambe cassée, et celui qui fit cet exploit regretta que ce ne fût pas le cou plutôt qu'une jambe. Il y eut bien d'autres blessés de part et d'autre mais ce qui étonna beaucoup, ce fut de voir l'inaction de M. Volonté. Il semblait indifférent à ce qui se passait ; on s'aperçut même qu'il souriait en voyant Prévention recevoir des horions de tous côtés ; et il ne donna aucune attention à son Capitaine N'importe quoi.

Quand l'émeute fut calmée, Diabolus fit saisir les Seigneurs Intelligence et Conscience, comme ayant provoqué le désordre et les fit jeter en prison où ils furent durement traités. Il aurait bien voulu s'en défaire tout à fait, mais les circonstances étaient défavorables : la guerre sévissait à toutes les portes de la Cité.

Une fois de retour au camp, les capitaines de Shaddaï avaient convoqué un Conseil de guerre pour décider ce qu'il y avait lieu de faire. Les uns conseillaient de tomber sur la ville et de l'attaquer de toutes parts ; d'autres, le plus grand nombre, conseillaient une nouvelle sommation ; il leur semblait pour autant qu'ils avaient pu s'en rendre compte que la Cité de l'Âme était plus favorable à leurs ouvertures qu'au début. Une action précipitée pourrait faire dissiper ces sentiments naissants ; mieux valait user encore de mansuétude. On décida donc d'envoyer un nouveau messager à la ville. Celui-ci fut appelé ; on lui dit exactement ce qu'il devait prononcer, puis on l'envoya en lui souhaitant la bénédiction de Dieu. Peu d'heures après, il se mettait en route. Une fois arrivé à la porte de l'Oreille, il sonna de la trompette et quand ceux de l'intérieur furent venus, il prononça ces paroles :

« Malheureuse ville de l'Âme, au coeur endurci, combien de temps encore t'attacheras-tu au péché, combien de temps, dans ta simplicité, prendras-tu tes délices dans le mépris, et refuseras-tu les offres de paix et de délivrance ? Combien de temps refuseras-tu l'or des promesses de Shaddaï pour t'attacher aux mensonges et à l'hypocrisie de Diabolus ? Quand Shaddaï aura remporté la victoire, penses-tu que tu ne seras pas malheureuse en te souvenant de ton attitude actuelle ? Penses-tu l'effrayer comme tu effrayerais une fourmi ? Ta force surpasserait-elle la sienne ? Lève les yeux ; considère les étoiles ; mesure leur hauteur ! Arrêterais-tu le soleil dans sa course ? Empêcherais-tu la lune de répandre sa lumière ? Peux-tu compter les étoiles, ou fermer les écluses des cieux ? Peux-tu appeler les eaux de la mer et en couvrir la terre ? Peux-tu voir les orgueilleux et les abaisser, et les lier en secret ? Telles sont quelques-unes des oeuvres du Roi au nom duquel nous nous adressons à toi en ce jour, afin de t'amener sous son autorité. En son Nom, nous te sommons à nouveau de te rendre à ses capitaines. »

À l'ouïe de ces paroles, les habitants de la Cité de l'Âme (les indigènes) ne surent que dire. C'est pourquoi Diabolus se présenta pour répondre lui-même, ce qu'il fit en s'adressant à ses sujets : « Messieurs, dit-il, si tout ce que nous venons d'entendre est vrai, la grandeur de Shaddaï est écrasante. La terreur que vous auriez de lui vous réduirait en esclavage ; vous ramperiez devant lui. Maintenant, à distance, la pensée de sa puissance vous écrase, comment pourriez-vous supporter sa Présence ? Avec moi, votre Prince, vous pouvez vous amuser comme avec une fourmi. Considérez donc bien ce qui vous est le plus profitable et souvenez-vous des immunités que je vous ai conférées.

« De plus, si tout ce que ce messager a dit est vrai, comment se fait-il que tous les sujets de Shaddaï soient tellement asservis en quelque lieu qu'ils se trouvent ? Dans tout l'Univers, personne n'est plus malheureux ni plus écrasé qu'ils ne le sont.

« Réfléchis bien, Cité de l'Âme. Je voudrais que tu redoutasses de m'abandonner, autant que moi je crains d'avoir à le faire. Réfléchis ; le boulet est encore à ton pied ; tu as la liberté si tu sais t'en servir. Tu as aussi un roi si tu veux l'aimer et lui obéir. »

Ce discours ne fit qu'endurcir encore le coeur de la malheureuse Cité : la grandeur de Shaddaï l'écrasait effectivement, et le sentiment de sa sainteté la jetait dans le désespoir. Alors les Diaboloniens, après avoir tenu conseil, firent dire au messager des Capitaines que pour ce qui les concernait, ils resteraient fidèles à Diabolus, que jamais ils ne capituleraient devant Shaddaï, qu'il était donc bien inutile de leur envoyer de nouvelles sommations. Plutôt que de se rendre, ils mourraient sur place. » L'horizon s'obscurcissait de plus en plus ; il semblait qu'Âme humaine fût irrémédiablement perdue. Cependant les Capitaines connaissaient les ressources royales et refusaient la défaite. Ils envoyèrent donc d'autres sommations dont la teneur était toujours plus sévère. Mais plus Âme humaine était pressée de se donner à Shaddaï, plus elle s'éloignait de lui.

Devant cette attitude, les Capitaines résolurent de cesser les sommations et de recourir à un autre moyen. Réunis en conseil, ils examinèrent ce qui pourrait le mieux atteindre le but : conquérir la Cité de l'Âme et l'arracher à la tyrannie de Diabolus. Après plusieurs autres, le Capitaine Conviction se leva pour parler : « A son avis, il fallait continuer de harceler la ville jour et nuit, ce qui abattrait son esprit de rébellion ; 2° Il lui semblait nécessaire d'envoyer une pétition au Roi Shaddaï qui relaterait les faits de guerre, les sommations, leur résultat, l'état de rébellion où Âme d'Homme était encore. L'épître s'achevait ainsi : « Qu'il te plaise ô Roi des Rois de pardonner l'inutilité de nos efforts ; qu'Il te plaise aussi de nous envoyer de nouvelles troupes et un Chef capable, lequel serait tout à la fois aimé et craint des citoyens de la ville rebelle. Ce n'est pas que nous voulions abandonner notre poste ; nous sommes prêts à mourir sous les murs de la Cité, mais il nous tarde que tu rentres en possession de la Cité de l'Âme, et de pouvoir te servir en quelque autre lieu que tu décideras. » Une fois la pétition rédigée, écrite, scellée, elle fut expédiée en toute hâte au Roi Shaddaï par un courrier très sûr : « Amour des Âmes ».

Le prince Emmanuel reçut la pétition des mains du messager, il en prit connaissance, l'amenda sur certains points, y ajouta quelques lignes puis la porta lui-même au Roi.
Le Roi fut heureux de lire le message de ses Capitaines, combien plus en constatant que son fils l'appuyait. Le Roi fit donc appeler Emmanuel qui répondit aussitôt : « Me voici ô Père ! » Le Roi et son Fils parlèrent des conditions de la Ville, des desseins royaux pour la Cité, du rachat opéré par Emmanuel. « Et maintenant va jusqu'au Camp, ajouta Shaddaï : tu réussiras, tu prévaudras, tu vaincras la grande ville de l'Âme. » Emmanuel répondit : « Ta loi est écrite en mon coeur, ô Dieu je prends mes délices à faire ta volonté... J'ai longtemps désiré ce jour... Revêts-moi de la force et de la sagesse nécessaires pour accomplir l'oeuvre que tu me donnes à faire. Rien ne me coûtera trop pour la Cité de l'Âme, je te bénis mon Père de ce que tu m'as choisi pour être le Capitaine de son salut. »

La nouvelle du départ d'Emmanuel pour la conquête d'Aine d'Homme se répandit à la cour de Shaddaï avec la rapidité de l'éclair ; tous parlaient des desseins royaux ; tous, du plus puissant au plus humble auraient aussi voulu partir sous les ordres d'Emmanuel.

Il avait été décidé qu'on enverrait au camp la nouvelle de la venue du Prince Lui-même. Lorsque les Chefs et l'Armée reçurent le message ils poussèrent de tels cris de joie que la terre en trembla. Les montagnes firent écho à cette explosion d'allégresse et Diabolus manqua d'en perdre l'équilibre dans son palais. Ses espions qui parcouraient l'Univers vinrent lui annoncer la venue d'Emmanuel, et il en fut rempli d'effroi, car il ne redoutait personne autant que le Prince.

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