Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

AVANT-PROPOS

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JOHN BUNYAN (1628-1688)

«La Sainte Guerre», titre cinglais de l'allégorie de J. Bunyan que nous publions aujourd'hui, parut en 1682, quatre ans après la première partie du «Voyage du Chrétien » (1678), dont la seconde partie ne parut qu'en 1684.
Voici le titre original et complet de l'allégorie : « La Sainte Guerre que fit Shaddaï à Diabolus pour ressaisir la Métropole du Monde, ou « Comment la Ville d'Ante d'Homme fut perdue et reprise. »

Nous avons introduit dans ce travail une division du sujet en chapitres, ce' qui en facilite la lecture. Nous avons abrégé certains passages un peu longs ou supprimé des répétitions, qui auraient pu fatiguer le lecteur ; modifications que Bunyan aurait probablement introduites lui-même s'il avait publié son livre en ce vingtième siècle.

L. BRUNEL.

Cléebourg-Metz 1928.




John BUNYAN 1628-1688

Courte esquisse biographique

L'auteur du « VOYAGE DU PÈLERIN » et de l'allégorie que nous publions sous ce titre : « LA CITÉ DE L'ÂME », naquit en l'an 1628 dans le petit village d'Elstow, village situé à une demi-heure de Bedford. C'est aussi à Elstow que sa mère, Marguerite Bentley, était née. Le père, Thomas Bunyan, rétamait les casseroles. Nous ne savons pas grand'chose sur les parents, hors ceci : ils étaient très pauvres, et firent apprendre un métier à tous leurs enfants.

John fut envoyé à l'école de Bedford où il apprit à lire et à écrire. Le père avait décidé qu'il lui succéderait, et le jeune garçon fut bientôt appelé à l'aider dans son travail. De très bonne heure il s'engagea sur la route facile qui mène à la perdition. Dans le récit de sa vie qu'il a écrit, Bunyan confesse qu'il devint rapidement le chef des garnements du village pour la maraude et la contrebande, et qu'il jurait et mentait mieux qu'aucun d'entre eux. A plusieurs reprises, il eut maille à partir avec la justice et fut châtié. Bien qu'il n'y parut pas à sa conduite, John Bunyan reconnaît que sa conscience lui reprochait ses fautes, et que jamais le sentiment religieux ne mourut en lui. La pensée de l'au-delà et de l'enfer le troublait, le poursuivait jour et nuit, et jusque dans ses rêves.

Le jeune homme était d'une nature courageuse, téméraire, violente même, et de constitution robuste, vigoureuse ; bientôt, faisant taire tous remords, il étouffa sa conscience dans les débordements de sa fougueuse jeunesse. Loin de craindre le danger, il semblait le braver. A deux reprises, il risqua de se noyer : une fois dans la rivière de Bedford, une autre fois dans la mer. Un jour, trouvant une vipère, il lui ouvrit la gueule avec un bâton et, de sa main, lui arracha les crochets à venin sans se blesser. Fait qui prouve et son courage et sa dextérité. En 1642, il s'engage dans l'armée des Parlementaires qui tient campagne contre celle de Charles I. Au siège de Leicester, il est désigné comme sentinelle. Un camarade insiste pour occuper le poste confié à Bunyan, on le lui accorde et il y est tué. A nouveau, la vie de John Bunyan était miraculeusement préservée. Il ne semble pas que cela ait amené le jeune homme à réfléchir.

A vingt ans, il quitte l'armée, et, suivant le conseil d'amis qui espéraient que le mariage le sauverait d'une vie de désordre, il épousa une orpheline. Elle était si pauvre qu'elle n'apportait dans le ménage qu'une soupière, une cuillère et deux livres, qu'elle tenait de son père, un puritain. L'un de ces livres était intitulé : « La Pratique de la Piété », l'autre : « Le chemin de l'homme droit vers le ciel ». Leur lecture était le seul délassement du ménage à la fin d'une journée de labeur. Souvent alors, la jeune femme parlait aussi à son mari de son père, homme craignant Dieu, et de la vie qui avait été la sienne. Ceci eut une certaine influence sur Bunyan qui reprit l'habitude d'assister aux services divins deux fois par dimanche.

C'est ainsi que, certain jour, il entendit un sermon de Christophe Hall, sermon qui fit sur lui une profonde impression ; le prédicateur y parlait du Dimanche, de la profanation du jour du Seigneur, et il condamnait les choses que Bunyan aimait le plus, le jeu et la danse très particulièrement. Durant plusieurs heures Bunyan fut en proie au remords, sa conscience parlait avec force. Malgré cela, le soir, il retournait s'asseoir à la table de jeu. A peine y était-il, que la lutte intérieure recommença. Il prit parti contre sa conscience et retomba lourdement dans le mal. Un mois après, tandis qu'il se laissait aller à jurer grossièrement près de la fenêtre d'un voisin, une femme qui cependant ne jouissait pas d'une bonne réputation, lui reprocha vertement les jurons qu'elle venait d'entendre, lui représentant que par sa conduite il pouvait entraîner au mal la jeunesse de l'endroit. Ces reproches venant de si bas le touchèrent au vif, et de ce jour il prit la résolution de ne plus jurer ; il réussit à la tenir et triompha de ce vice.

C'est alors qu'il fit la connaissance d'un homme très pauvre, un ami chrétien qui attira son attention sur la nécessité de la lecture des Saintes-Écritures et sur le service de Dieu. Il se mit à lire la Bible ; une révolution s'opéra en lui et sa conduite s'améliora au point que les voisins le remarquèrent et en furent étonnés. Après une année de, combat il renonça même à la danse ; il lui en coûta beaucoup. Bien que converti, John Bunyan avait encore une religion de propre justice ; il ignorait la Grâce.

Mais son métier de rétameur le conduisit à Bedford chez des darnes d'une réelle piété qui s'étaient converties à la voix de John Gifford. Elles respiraient la joie et Bunyan en fut étonné. Elles lui parlèrent de la résurrection, de la misère de ceux qui comptent sur leurs propres forces et non sur la grâce de Christ. Ceci retint son attention, il comprit le bonheur de ces chrétiennes et se mit à relire les Écritures à la lumière de la vérité qu'elles lui avaient communiquée. Dorénavant, il relut de préférence les épîtres, alors qu'autrefois il préférait les livres historiques. Il eut l'occasion de rencontrer John Gifford lui-même : ses sermons pleins d'humilité et de force, empreints de repentir et de grâce, firent sur Bunyan une impression profonde. Le prédicateur provoqua en lui un véritable enthousiasme pour le Seigneur, une grande attirance vers le Christ. Gifford qui s'était converti comme Bunyan après les années d'une jeunesse orageuse, était particulièrement qualifié pour guider celui-ci.

C'est en 1653 que Bunyan vint s'installer à Bedford où, durant deux ans, il connut encore des luttes intérieures. Mieux il comprenait la grâce, plus son péché lui semblait odieux ; il craignit durant quelque temps d'avoir commis le péché contre le Saint-Esprit et ne pouvait trouver la paix. Enfin il connut l'assurance du salut que Dieu donne et put écrire ces lignes sur sa délivrance : « Maintenant les entraves tombent vraiment de mes pieds ; elles ont été ôtées ; je suis délivré de mes tristesses, de mes chaînes ; mes tentations disparaissent ; et ces' terribles passages bibliques : Marc III : 28, 29, Hébreux XII, 16, 17, ne m'angoissent plus. Je m'en vais joyeux vers ma demeure éternelle me réjouissant de la grâce et de l'amour de Dieu. »

John Bunyan avait vingt-sept ans, lorsque, en 1655, il reçut enfin cette assurance du salut après laquelle il soupirait. Il devint alors membre actif de l'église baptiste, fut baptisé une seconde fois et communia.

Jusqu'au moment de sa conversion, les gens de son entourage ne voyaient guère en Bunyan qu'une sorte de bohémien ; par la suite, ils eurent de l'estime pour lui, et sa situation s'améliora. Dans la chaumière d'Elstow deux enfants étaient nées : En 1650, Marie, sa fille aveugle qu'il aimait tendrement et en 1654 Elisabeth. C'est à Bedford en 1655 qu'il commença de prêcher ; plus tard, il devait être nominé prédicateur baptiste de l'endroit.

Même alors, il continua son métier, allant de village en village travaillant et prêchant. Les gens. venaient nombreux pour l'écouter. Il dressait sa chaire partout: dans les forêts, dans les granges, dans les prairies, parfois aussi dans les églises. Effectivement, sous Cromwell, les baptistes étaient autorisés à se servir des églises qui, jusque-là, étaient réservées au seul culte anglican.

Le petit fait que nous citons ci-après montre à quel point sa prédication était goûtée. Un jour qu'il était attendu près de Cambridge, une foule de gens avaient envahi le cimetière. Un étudiant qui passait à cheval demanda pourquoi il y avait tout ce concours de peuple ? On lui répondit que John Bunyan, un rétameur de casseroles, allait venir prêcher. Pensant qu'il allait bien s'amuser, le jeune homme mit pied à terre, confia son cheval à un jeune garçon à qui il remit quelques piécettes, et se joignit à ceux qui attendaient Bunyan. Celui-ci prêcha avec tant de puissance que le jeune homme en fut profondément remué. Il saisit par la suite toutes les occasions d'entendre à nouveau le prédicateur, et plus tard, sous Olivier et Richard Cromwell, il annonça à son tour l'Evangile.

Les succès de Bunyan excitèrent l'envie et la jalousie de bien des ecclésiastiques ; il en subit le contrecoup et eut bien des ennuis. Son premier livre : « Éclaircissements sur quelques vérités évangéliques » l'entraîna dans une polémique avec les quakers. C'est à ce moment, en 1660, que Charles II rappelé d'exil, monta sur le trône. A Bréda, en Hollande, il avait lancé une proclamation à son peuple accordant « la liberté aux consciences faibles et délicates. Personne ne devait être inquiété pour ses opinions, pourvu qu'elles ne troublassent pas la paix du royaume ». Dès qu'il fut roi, Charles II oublia ses promesses. Les anciennes lois édictées contre les dissidents entrèrent à nouveau en vigueur, et même furent renforcées.

Les baptistes et leurs prédicants ne purent plus se réunir qu'en secret. Bunyan, certain jour, dut se déguiser en cocher, un fouet à la main, pour pouvoir gagner le lieu de réunion : une grange à l'écart dans la campagne.

La loi ordonnait que la liturgie anglicane fût lue au culte public. Bunyan ignora l'édit, « qui ne le concernait pas », pensait-il. Il fut dénoncé par un traître comme ennemi du gouvernement royal. Le 12 novembre 1660 il devait prêcher à Samsell (Bedfordshire). Le juge Wingate l'apprit, et ordonna secrètement qu'on se saisît du prédicateur insoumis et qu'on le lui amenât. Averti du danger, Bunyan voulut se rendre quand même au lieu de réunion, malgré les supplications de ses amis. Fortifié par la prière, il se rendit à Samsell ; il pensait y prêcher sur ce texte:
« Crois-tu au Fils de Dieu ? » [Jean IX : 25]. A peine avait-il` lu ce passage qu'il fut arrêté. A sa demande, on l'autorisa à dire quelques mots à l'assemblée, puis on l'emmena en prison. Au cours de l'instruction, il fut accusé de fréquenter l'église de façon diabolique et nuisible et de tenir des assemblées et des réunions sans avoir qualité pour cela. Bunyan dit qu'effectivement il tenait des assemblées, et qu'il ne pouvait pas s'engager à ne plus prêcher. Sur quoi le juge lui dit :
« Tu es condamné à rentrer en prison et à y demeurer encore trois mois ; si ensuite tu refuses toujours d'assister aux services de l'église anglicane, tu seras banni du royaume. Et si tu y rentres, sans y être autorisé, tu seras pendu. »
-« Je n'ai rien à ajouter, dit alors Bunyan ; car si je sortais aujourd'hui de prison, demain je prêcherais de nouveau l'Evangile avec le secours de Dieu. »

Bunyan s'accoutuma à l'idée de la mort. Pour lui elle était la seule issue possible puisque il ne pouvait se soumettre à l'interdiction de prêcher. Il prépara le sermon qu'il voulait adresser aux spectateurs de son exécution, qu'il croyait certaine. Cependant les choses ne devaient pas aller jusque-là. Même l'exil lui fut épargné.

Il dut d'abord subir un très sévère emprisonnement dans les cachots de Bedford. Ses amis essayèrent inutilement de le faire élargir. Même l'amnistie promulguée par Charles II en mars 1661 ne put le faire libérer. Pour Bunyan la prison était un lieu terrible; dans son Voyage du Chrétien, il la nomme l'enfer.

 

LA MAISON OU NAQUIT BUNYAN

Sa première femme était morte d'une bien douloureuse maladie ; il s'était alors remarié. Le plus terrible pour lui, ce fut la séparation d'avec sa femme et ses quatre enfants. La prison de Bedford contenait beaucoup d'autres détenus pour cause de religion. À un moment ils furent soixante. Bunyan en profita pour les exhorter et pour prier avec eux.
Il avait obtenu de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Il faisait des travaux au crochet, du ruban, des cordons qui étaient vendus à la porte de la prison par sa fille aveugle.
À la longue, sa détention s'adoucit ; et le gardien lui permit de temps à autre de prêcher dans les bois des alentours. Beaucoup de gens se convertirent à l'occasion de ces prédications nocturnes.

Libéré en 1666, il fut de nouveau arrêté au moment qu'il allait parler à Londres dans une assemblée, et condamné à l'emprisonnement. Il fut traité avec plus de rigueur que la première fois ; et comme il avait transpiré quelque chose des faveurs que lui avait accordées le portier durant le premier emprisonnement, on le surveilla étroitement. Un inspecteur fut envoyé à Bedford avec l'ordre de savoir au juste ce qu'il en était, et de visiter la prison au milieu de la nuit sans prévenir personne.
Or, cette même nuit, Bunyan avait obtenu l'autorisation de l'aller passer chez lui, mais ne pouvant dormir et sans doute sous l'influence de quelque pressentiment, il était retourné en prison ; dérangeant ainsi à une heure tardive le portier, qui en fut fort irrité. Mais peu après, nouveau dérangement : c'était l'enquêteur qui arrivait de Londres : « Tous les prisonniers sont-ils ici demanda-t-il ?
- Oui, dit le portier.
- John Bunyan est-il là ?
- Certainement.
- Je désire le voir.

Bunyan fut appelé, et l'inspecteur venu de la capitale s'en alla tranquillisé. Lorsqu'il fut parti, le portier dit à Bunyan : « Tu peux sortir quand cela te plaira, tu sais mieux que moi quand tu dois revenir »

John Bunyan fut retenu en prison jusqu'en 1672. C'est dans le silence de sa cellule qu'il écrivit. Durant ses années d'incarcération, il rédigea soixante livres d'édification très renommés. La critique assure que c'est pendant le second emprisonnement qu'il prépara son oeuvre la plus lue : Le Voyage du Pèlerin (1) dont la première partie ne parut qu'en 1678. Pour sa composition, il ne se servit que de la Bible et du Livre des Martyrs de Fox. Il lisait à ses compagnons de captivité ce qu'il écrivait et leur demandait leur avis. En 1892, il publia « La Sainte Guerre », l'allégorie que nous avons traduite et ne donna qu'en 1684, la seconde partie du « Pilgrim's Progress » (Voyage du Pèlerin). Le sous-titre de La Sainte Guerre était : « Comment la Cité d'Âme d'Homme fut perdue et reconquise. » [Ce sous-titre nous a donné le titre de notre traduction. Nous avons craint une confusion possible entre la « Sainte Guerre » et la « Guerre aux Saints. »

Bunyan dut son élargissement en 1672 à l'intervention de personnes influentes de Bedford. Le 17 mai, il était établi dans sa charge de pasteur de l'endroit et obtenait que les baptistes de Bedford et comtés limitrophes plissent tenir librement leurs assemblées.
Vingt-cinq prédicateurs furent alors choisis, qui avaient à leur disposition trente-et-une salles de réunions. Bunyan fut le chef spirituel des Baptistes de son pays, ce qui lui valut le surnom d'évêque Bunyan. Cependant il continuait de raccommoder les chaudrons, gagnant ainsi son pain quotidien, partiellement du moins.
Il continua d'habiter une pauvre demeure semblable à celle d'un ouvrier. Sa chambre d'étude était à peine plus grande que la cellule d'une prison. Il se nourrissait des Saintes Écritures, lisait aussi les Pères de l'Eglise et les oeuvres de Luther : il aimait très particulièrement sa traduction de l'épître aux Galates.

Chaque année, il faisait une tournée de prédication qui le menait jusqu'à Londres. Dans cette ville comme en beaucoup d'autres endroits, la chapelle ne pouvait contenir la moitié des personnes qui venaient l'entendre. Certain jour d'hiver, à Londres, c'était en semaine, plus de douze cents auditeurs se trouvèrent réunis pour un service qui avait lieu à sept heures du matin. Une autre fois ce furent trois mille personnes. Ces auditoires se recrutaient dans toutes les classes de la société. John Owen - le fameux docteur en théologie - aimait à entendre Bunyan. Comme le roi Charles II lui demandait un jour comment un homme aussi cultivé que lui pouvait trouver quelque plaisir à écouter un rétameur de casseroles, le docteur en théologie répondit : « Majesté, je donnerais volontiers tout mon savoir pour posséder son éloquence ! »

À plusieurs reprises, on essaya de décider Bunyan à se fixer à Londres. Il le refusa. Un traitement plus avantageux, des possibilités d'activité plus grande, rien ne put l'amener à quitter Bedford.

Les épreuves ne lui manquèrent pas. L'Angleterre traversait des temps troublés au double point de vue religieux et politique. À nouveau Bunyan fut jeté en prison. Grâce à la double intervention du D' Owen - le chapelain de Cromwell - et de l'évêque Lincoln, il fut remis en liberté, mais exilé du comté pour quelque temps. Sous Jacques II, qui monta sur le trône en 1675, il subit de nouvelles persécutions.

Souvent sa vie fut en péril ; souvent on confisqua le peu qu'il possédait. Ce n'est qu'en 1687, par l'Acte d'Indulgence, que la liberté religieuse fut complètement octroyée à l'Angleterre. Mais il ne devait pas jouir longtemps de cette ère de paix. En 1688 il tomba gravement malade. À moitié remis, il part à cheval pour Reading pour voir le père mourant d'un de ses voisins, un jeune gentilhomme qui le lui demandait et que son père déshéritait. Bunyan fut assez heureux pour réconcilier le père avec le fils.

De Reading, il se rendit à Londres ; c'est une distance de cinquante kilomètres à peu près. En route il fut surpris par une forte pluie et il arriva transpercé dans la maison d'un ami. Le dimanche 19 août, il prêcha à Londres ; le jeudi suivant il fut saisi par une fièvre violente, et quelques jours après, le 31 août, il mourait à l'âge de soixante ans. Voyant la fin prochaine, ceux qui l'entouraient pleuraient. Bunyan s'adressant à eux leur dit alors : « Ne pleurez point sur moi mais sur vous-mêmes. Je vais auprès du Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui - bien que je sois un grand pécheur - me recevra à cause de son Fils bien-aimé. J'espère que nous nous retrouverons là-haut pour être bienheureux pendant l'Éternité, et chanter le cantique nouveau. » Ce furent là ses dernières paroles.

Le corps fut transporté au cimetière de Finsbury ; une grande foule l'accompagna au champ de repos. C'est aussi là que se trouvent les cendres de Watt, d'Owen et de Wesley. Une pierre funéraire sur laquelle sa statue est couchée, orne son tombeau.

Encore un peu, très peu de temps, celui qui doit venir viendra, il ne tardera pas. Or, le juste vivra par la foi. (Hébreux XI : 37, 38).

L'HÔTEL OU FUT JUGÉ BUNYAN




PRÉFACE DE JOHN BUNYAN AU LECTEUR


Je trouve étrange que ceux qui aiment à raconter Les choses d'autrefois, et qui surpassent
Leurs égaux en historiographie,
Laissent de côté les guerres de l'Âme ; qu'ils les ignorent !
Pour eux ce sont de vieilles fables, choses inutiles Dont le lecteur ne saurait retirer avantage :
Alors que les hommes quoi qu'ils puissent acquérir S'ignorent, aussi longtemps qu'ils ne les connaissent pas.
Des histoires, je le sais, il y en a de bien des sortes ; Les unes viennent de l'étranger, d'autres sont nationales, et les récits
Sont présentés selon que l'imagination guide les auteurs.
[Les livres font connaître leurs compositeurs]. Quelques-uns imaginant ce qui n'a jamais été Et ne sera jamais [et cela sans but]
Supposent des faits, élèvent des montagnes, racontent des choses
À propos des hommes, des lois, des pays et des rois. Et leur histoire semble si raisonnable,
Un tel sérieux revêt chaque page
Qu'ils font des disciples
Bien qu'ils avertissent en frontispice, que le tout n'est qu'invention.
Mais, lecteur, j'ai bien autre chose à faire,
Qu'à te troubler avec de vaines histoires,
Ce que je dis ici, certaines personnes le savent si exactement
Qu'elles en pourraient faire le récit, entremêlé de larmes et d'allégresse.
La ville de l'Âme, beaucoup la connaissent bien, Aucun ne met en doute ses tribulations,
De ceux qui connaissent les récits
Exposant son anatomie et ses conflits.
Prête donc l'oreille à ce que je vais te dire
Touchant la Ville et son état. Écoute
Comment elle fut perdue, faite prisonnière, réduite à l'esclavage,
Comment elle s'éleva contre Celui qui venait pour la sauver.
Oui, comment elle lui manifesta de l'hostilité s'opposant
À son Seigneur en faisant un pacte avec l'ennemi : Car elle est fidèle ; celui qui la reniera
Devait nécessairement l'amener à mépriser
Et rejeter la plus extraordinaire clémence.
Quant à moi, moi-même, j'étais dans la Ville Quand elle fut construite, puis démolie,
Je vis Diabolus en sa possession,
Je la vis sous sa domination.
J'étais là quand elle le reconnut comme seigneur Et se soumit à lui d'un seul accord.
J'étais là quand elle foula aux pieds lès choses divines Se vautrant dans la fange comme la truie.
Quand elle prit les armes
Pour combattre Emmanuel, méprisant ses charmes. J'étais là ! Et je me réjouissais de voir ainsi Diabolus et l'Âme parfaitement unis.
Que personne donc ne voie en moi un diseur de fables Et ne mêle mon nom ou mon crédit
À ses moqueries. J'ose dire que ce que j'expose ici Est - je le sais pertinemment - véritable.
J'ai assisté à l'arrivée des armées du Prince,
J'ai vu ses troupes, ses milliers, assiéger la Ville ; J'ai vu les capitaines, j'ai entendu les trompettes sonner,
J'ai vu l'armée couvrir tout le terrain,
Je l'ai vue se préparer au combat
Et je m'en souviendrai jusqu'à mon dernier jour. J'ai vu les bannières flotter au vent
Tandis que dans l'enceinte de la Ville on décidait Sa ruine, et de supprimer sa raison d'être sans délai. J'ai vu autour de la Cité les forts s'élever,
J'ai vu comment les frondes y furent placées, J'entendis le sifflement des pierres qui passaient à mes côtés,
[Souvenir plus durable que celui de la crainte] Je les vis tomber, je vis leurs ravages
Et la mort couvrir de son ombre
La Cité de l'Âme. Et je l'entendis s'écrier :
« Malheur à moi ! Je vais mourir »
Je vis les béliers à l'oeuvre
Pour forcer la porte de l'Oreille à s'ouvrir.
Et je craignais que non seulement cette Porte, mais toute la Ville
S'écroulât sous leurs coups.
J'ai vu les combats, j'ai entendu le cri de guerre des Chefs
Et je vis dans chaque bataille les forces se mesurer : Je vis les blessés et les morts
Et ceux qui, après avoir été morts, revenaient à la vie ;
J'entendis les cris de ceux qui étaient touchés (Alors que d'autres luttaient comme des hommes affranchis de la peur)
Tandis que résonnait le cri : Tue ! Tue !
Les ruisseaux débordaient, non point de sang, mais de larmes,
Il est vrai que les capitaines ne livraient point bataille sans cesse,
Mais ils nous molestaient nuit et jour.
Ils criaient : « Debout ! À l'assaut ! Prenons la Ville ! » Nous empêchant de dormir ou même de nous étendre !

J'étais là, quand les portes s'ouvrirent,
Et je compris qu'il n'y avait plus d'espoir pour la Cité. Je vis les capitaines s'y avancer
Et comme ils combattaient, taillant en pièce les ennemis,
J'entendis le Prince commander à Boanergès (l'aller Jusqu'au Château, et là, de l'Usurpateur s'emparer ; Je vis celui-ci et ses compagnons saisis,
Liés de chaînes de mépris et traînés dans la ville. Je vis Emmanuel lorsque fut en sa possession
La Cité de l'Âme, et quelles bénédictions reposèrent Sur la chère Cité d'Emmanuel
Quand elle obtint le pardon de son Prince, et vécut sous sa loi ;
Quand les Diaboloniens furent pris, jugés, exécutés, J'étais là ; j'étais là tout près
Quand la Ville de l'Âme crucifia les rebelles. Je vis aussi la Cité sous ses draperies blanches
Et j'entendis le Prince dire qu'Il faisait d'elle ses délices.
Je le vis la couvrir de joyaux ; de chaînes d'or, De bagues, de bracelets, superbes ornements.
Que dirai-je encore ! J'entendis les cris du peuple,
Et je vis le Prince essuyer les larmes de tous les yeux. J'entendis les gémissements, et je vis la joie de plusieurs.
Vous dire toutes choses, je ne le veux, ni ne le puis, mais par ce que j'ai décrit, vous aurez la pleine persuasion
Que ces guerres sans pareilles livrées à l'Anse ne sont pas des fables.
L'Âme est l'objet des désirs de son Fondateur et de l'Usurpateur.
Ce dernier veut garder sa conquête, Emmanuel conquérir ce qu'il a perdu.
Diabolus crie : « La ville est à moi. »
Emmanuel rappelle qu'Il a des droits divins Sur l'Âme. Et la bataille commence.
L'Âme alors s'écrie : Ces luttes me tueront.
L'Âme humaine jamais ne voit la fin de ses combats : Perdue pour l'un elle devient le prix du vainqueur, Et le vaincu de la veille refuse d'en être dépossédé,
Il jure de la reconquérir, sinon de la mettre en pièces. L'Âme est le terrain même des combats,
C'est pourquoi ses tribulations surpassent celles
De ceux qui ne font qu'entendre le bruit des batailles, De ceux qui redoutent le seul choc des épées, Et ne connaissent que de petites escarmouches Durant lesquelles l'imagination guerroye contre la pensée.
Âme d'homme a vu les épées des combattants rouges de sang,
Elle a entendu les cris de douleur des blessés, Aussi ses frayeurs surpassent de beaucoup
Celles des personnes qui, à distance, restent :
Elles entendent bien le roulement du tambour mais n'en ressentent point
Cette terreur qui chasse hors de la maison, loin du foyer.
Non seulement Âme humaine entendit le son de la trompette,
Mais elle vit ses chevaliers mordre la poussière.
Ne supposons donc pas qu'elle aurait pu se confier En ceux dont le plus grand sérieux se hausse au seul badinage,
En ceux qui se querellent sous la menace des grandes batailles
Et terminent toutes choses en palabres, en joutes oratoires.
Non ! Car les guerres terribles qui se livrent en l'Âme Entraînent pour celle-ci joie ou douleur aux siècles des siècles.
Aussi y est-elle complètement absorbée ; infiniment plus,
Que ceux dont l'effroi ne dure qu'une journée
À qui ne peut survenir dans le combat
De dommage plus grand que la perte d'un membre ou de la vie,
C'est là ce que tous sont prêts à admettre, qui, comme moi
Habitent l'Univers et comme moi pourraient écrire cette histoire.
Ne me comptez donc pas avec ceux qui pour étonner Les gens, les convient à regarder les étoiles Insinuant avec la plus grande assurance
Que chacune d'elles est présentement la résidence De quelques braves créatures. Oui, ils affirment qu'un monde
En chaque étoile se trouve, bien que cela dépasse leur habileté
D'en faire la preuve pour aucun homme
Qui a sa raison, et peut compter ses doigts. Mais je t'ai trop longtemps retenu sur le seuil
Te gardant loin du soleil, à la lueur d'une torche. Maintenant avance ! Franchis la porte
Et tu découvriras cinq cents fois plus de choses
De toutes sortes, choses de l'Âme extrêmement rares et curieuses,
Qui nourrissent la pensée et rassasient les yeux
Du chrétien. Lui comprend que ces choses, loin d'être D'importance secondaire, sont au contraire capitales. Ne te mets pas à l'oeuvre sans ma clef.
(Dans les mystères, aisément, les hommes perdent leur chemin).
Tourne-là du bon côté si tu veux comprendre Mon rébus, et « labourer avec ma génisse ».
La clef est là sur le rebord de la fenêtre ; Adieu ! L'instant, qui vient, je puis avoir à sonner pour toi la cloche des trépassés.
John BUNYAN.

1 Après la Bible et l'imitation de Jésus-Christ, c'est le livre le plus répandu dans le monde. Il a été traduit en une soixantaine de langues ou dialectes. 
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