Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre III

LA REVANCHE

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 Le Verné.

Au cours des semaines qui suivirent ces tragiques Pâques piémontaises, la revanche des Vaudois se prépara lentement dans un obscur village du val d'Angrogne, le Verné. Brunies par les siècles, les maisons du Verné s'étagent dans un pittoresque désordre sur la pente d'un coteau escarpé. De chaque côté se creuse un large ravin qui semble être là pour le protéger. Noble et lumineux paysage que celui de ce val d'Angrogne, étroit et profond, que domine d'une part la chaîne majestueuse des Alpes, avec le Grand Truc, le Roux le Cournour, le Vandalin : d'autre part au second plan, la ligne lointaine du Manzol, du Granepo et du Frioland. Au sud, le val débouche dans la vallée plus large du Pellice. Par sa position, le Verné, si bien protégé par la nature devint un point stratégique d'où l'on pouvait poursuivre avec succès des opérations militaires.

Vers le milieu de mai 1655, pendant le court repos de Janavel au Dauphiné, on vit surgir nombreux au Verné des groupes de Vaudois qui, pour échapper au massacre, s'étaient réfugiés dans la vallée du Cluson alors occupée par la France. Ils y accouraient dans la ferme intention de reconquérir leurs Vallées par les armes. Une commune aspiration les y poussait sans qu'aucun mot d'ordre eût passé.
Aussi, groupe après groupe, et faisant fi du danger, entendaient-ils revenir à leur nid désert.

Le 15 mai, survint le capitaine Barthélemy Jahier, de Pramol. Déjà, le mois précédent, il s'était fait connaître par sa défense énergique de la colline de la Tour et, plus tard, réunissant au Val Cluson quelques centaines de réfugiés, il avait hardiment chassé l'ennemi du Val Saint-Martin. Barthélemy Jahier - accompagné de Jacques, son frère cadet - entendait établir au Verné son quartier général pour mener la lutte contre les bandes de Pianezza.

À la tête de leurs groupes respectifs, les capitaines Belin, de la Tour, Paul Genolat, de Saint-Jean, Michel Bertin, d'Angrogne, Jean Podio, de, Bobbio, Jean Albarea, du Villar étaient aussi présents. Enfin l'on vit se joindre à eux le capitaine François Laurens, des Clos, secondé par le lieutenant Peyronel, ainsi que le capitaine Benet de Saint-Germain. Agiles et vigoureux, excellents tireurs, rompus aux fatigues de la montagne, c'étaient des gens honnêtes, moraux, de convictions inébranlables et de plus passionnément attachés à leur terre. Pour la reconquérir, ils étaient résolus aux plus grands efforts et même au suprême sacrifice. Voici comment Léger présente la noble personnalité de Barthélemy Jahier qu'il connut de près : « Ce grand capitaine, certainement digne de mémoire, d'autant plus qu'il a toujours montré un grand zèle pour le service de Dieu et le soutien de sa cause, sans prouver jamais être ébranlé ni par promesses ni par menaces, ayant un courage de lion et cependant humble comme un agneau, rendait toujours à Dieu toute la louange de ses victoires, extrêmement versé dans les Saintes Écritures, entendant parfaitement les controverses et homme de grand esprit... ».

Sur tes entrefaites, le 20 mai, Janavel repassa les Alpes avec deux cents compagnons bien armés pourvus de vivres et de munitions. Bien qu'ignorant la concentration de leurs coreligionnaires au Verné, ils avaient été, comme eux, poussés par l'irrésistible besoin de revoir et de reconquérir le sol natal. Durant son exil temporaire, un plan d'action avait germé dans le cerveau de Janavel : la brève et violente campagne de Rora ne l'avait-elle pas rapidement formé au métier des armes ? Aussi bien, son expérience d'une guerre de montagne valait-elle celle d'un soldat de carrière. Conscient de ses propres forces, il connaissait les aptitudes de ses compagnons d'armes sans méconnaître d'ailleurs la valeur et les méthodes de l'ennemi. En un mot, le chef et ses troupes étaient prêts à l'action.



LE HAMEAU DU VERNE

Sitôt franchie la haute vallée du Pellice, les Vaudois revenus de France gagnèrent un alpage, la Pela des Geymets, où quelques misérables chaumières forment un hameau non loin de la crête qui sépare le vallon de Liussa de celui de Rora. C'était un lieu d'accès difficile, mais d'où 'ils pourraient fondre d'un trait sur l'ennemi.

Sans coordonner son action avec celle des contingents du Verné, Janavel ouvrit les hostilités dès le lendemain, 21 mai. Après avoir traversé les vallons de Rora et de la Luserne (que de souvenirs doux et terribles ne dut-il pas évoquer en franchissant ces pentes désolées d'où l'on pouvait apercevoir de loin sa maisonnette de Liorato !) le chef et ses hommes débouchant des bois qui séparent Luserne de Bibiana, attaquèrent brusquement le bourg de Lusernette. De Luserne, où il avait ses quartiers principaux, le marquis Amédée Manfredi, chef des troupes ducales, voulut, en suivant le fond de la vallée, leur couper la route de retour. Une brève échauffourée s'ensuivit. Bien que chargés de butin les Vaudois réussirent à regagner la montagne, ne comptant dans leurs rangs qu'un blessé : Josué Janavel. Atteint d'une balle à la jambe, il n'en regagna pas vivres et de munitions. Bien qu'ignorant la concentration de leurs coreligionnaires au Verné, ils avaient été, comme eux, poussés par l'irrésistible besoin de revoir et de reconquérir le sol natal. Durant son exil temporaire, un plan d'action avait germé dans le cerveau de Janavel : la brève et violente campagne de Rora ne l'avait-elle pas rapidement formé au métier des armes ? Aussi bien, son expérience d'une guerre de montagne valait-elle celle d'un soldat de carrière. Conscient de ses propres forces, il connaissait les aptitudes de ses compagnons d'armes sans méconnaître d'ailleurs la valeur et les méthodes de l'ennemi. En un mot, le chef et ses troupes étaient prêts à l'action.

Sitôt franchie la haute vallée du Pellice, les Vaudois revenus de France gagnèrent un alpage, la Pela des Geymets, où quelques misérables chaumières forment un hameau non loin de la crête qui sépare le vallon de Liussa de celui de Rora. C'était un lieu d'accès difficile, mais d'où 'ils pourraient fondre d'un trait sur l'ennemi.

Sans coordonner son action avec celle des contingents du Verné, Janavel ouvrit les hostilités dès le lendemain, 21 mai. Après avoir traversé les vallons de Rora et de la Luserne (que de souvenirs doux et terribles ne dut-il pas évoquer en franchissant ces pentes désolées d'où l'on pouvait apercevoir de loin sa maisonnette de Liorato !) le chef et ses hommes débouchant des bois qui séparent Luserne de Bibiana, attaquèrent brusquement le bourg de Lusernette. De Luserne, où il avait ses quartiers principaux, le marquis Amédée Manfredi, chef des troupes ducales, voulut, en suivant le fond de la vallée, leur couper la route de retour. Une brève échauffourée s'ensuivit. Bien que chargés de butin les Vaudois réussirent à regagner la montagne, ne comptant dans leurs rangs qu'un blessé : Josué Janavel. Atteint d'une balle à la jambe, il n'en regagna pas moins avec les autres le lointain alpage de la Pela ; mais, faute d'avoir été extrait. à temps le projectile demeura dans sa chair jusqu'à la fin de sa vie.

Cette soudaine apparition des Valdesi ne manqua pas de répandre à Luserne et dans tous les bourgs catholiques des alentours une terreur panique. Tous ceux qui avaient participé au massacre des Vaudois et aux récents pillages n'étaient pas sans avoir entendu parler du héros de Rora comme d'un chef redoutable. Aussi, craignant sa vengeance, commencèrent-ils à trembler. Dans leur effroi, ils appelèrent à l'aide. Sans délai, de Luserne à Bibiana, de Bricherasio à Cavour, tous les villages furent aussitôt fortifiés et dotés de garnisons.

Deux documents intéressants témoignent de l'effroi qui régnait alors. Le premier est une lettre du marquis de Pianezza (écrite le 22 mai, jour qui suivit l'incursion des Vaudois) au marquis Amédée Manfredi de Luserne, lettre dans laquelle, le premier, au moment de confier au second la défense du bourg, lui conseille vivement de ne pas perdre courage et de relever le moral des habitants visiblement abattus. Il y déclare que les Vaudois « ne sont enfin ni des démons, ni plus que des hommes comme les autres, pour ne pas céder à notre vaillance » (sic). Le second est un édit daté du surlendemain, 23 mai, dans lequel on met à ban les chefs vaudois en offrant pour leur tête un prix considérable : six cents ducats pour Jahier, qui dirigeait au Verné la troupe la plus nombreuse et trois cents ducats pour Janavel. Sur le marché officiel des autorités ducales, le taux d'estimation de ces pauvres montagnards atteignait un prix qui témoigne éloquemment de leur valeur personnelle.

En dépit de quoi, un accord tendant au développement de l'action commune devait s'établir promptement entre les deux chefs ainsi menacés. Le matin du 27 mai, Janavel arrivait avec ses hommes au Verné et, dès lors, le haut village alpestre du Val d'Angrogne passait au rang de quartier général des Vaudois pour la reconquête de leur patrie.


Principes et instructions de combat.

Sur le chemin qui traverse le Verné s'ouvre un étroit passage conduisant à une cour de forme irrégulière. À droite de celle-ci s'élève une maison à deux étages où de larges balcons superposés, soutenus par deux gros piliers quadrangulaires, courent sur toute la façade. Au rez-de-chaussée, sous l'avant-toit formé par le premier balcon, s'ouvrent les portes de l'écurie et du bûcher. Plus à gauche, un étroit couloir conduit à une sombre cave voûtée. Selon la tradition, c'est là que fut établi le poste de commandement de Janavel et des autres capitaines vaudois. Sur le mur extérieur est gravée la date de 1596, mais, lors d'une réparation, cette pierre a été placée à l'envers. Tout dans ce lieu, cour et maison, conserve un air de rusticité et de pittoresque tel qu'il est aisé d'y situer l'héroïque épopée qui s'y déroula voici trois siècles.

C'est dans ces constructions à demi-détruites, dans les granges, dans les prés, un peu partout, que s'étaient établies les troupes vaudoises. Les soldats armés en général d'un fusil, portaient à la ceinture un pistolet et un poignard ; les plus jeunes n'avaient que des frondes. Un groupe d'élite était muni d'arquebuses, fusils particulièrement longs et pesants, d'une portée plus grande et plus précise que les autres, dont le canon, pendant le tir, était soutenu par une fourche fichée en terre. Grand était le disparate des costumes qu'on ne peut qualifier d'uniformes. Les officiers vivaient avec les soldats sur le pied d'une fraternelle communauté, chose bien naturelle, puisque les supérieurs étaient nommés par leur subordonnés. Ainsi s'établissait une forte solidarité tempérée par un sens spontané de l'ordre et de la discipline. La compagnie devenait un corps solide et cohérent. L'identité des risques, du but à atteindre, et l'esprit qui les animait rendaient les uns comme les autres capables d'extraordinaires efforts.

De préférence le soir, et souvent deux fois par jour, les Vaudois se réunissaient pour un culte en commun. Cet usage, auquel ils tenaient particulièrement, fortifiait les sentiments religieux qui inspiraient tous les exercices. Dans les Instructions par lesquelles, trente ans plus tard, il résumera ses expériences de guerre, Janavel insiste d'une manière toute spéciale sur la nécessité du culte et du facteur spirituel dans la vie militaire :

« Premièrement », dit-il, « il faut, tous tant que vous êtes, mettre les genoux à terre, lever les yeux et les mains au ciel, le coeur et l'âme à Dieu par des ardentes prières afin qu'il vous donne son Saint-Esprit... Le soir étant venu, vous vous rassemblerez tous pour adresser votre prière à Dieu... Nos péchés sont la cause de nos malheurs ; il faut donc s'humilier tous les jours devant Dieu et lui demander pardon de bon coeur de tant de péchés que nous avons commis et commettons contre sa sainte majesté, se réconciliant toujours à Lui... ».

Une prière que les troupes vaudoises prononçaient dans leur culte nous a été aussi conservée : « Seigneur notre grand Dieu et Père de miséricorde, nous nous humilions devant ta face, pour te demander pardon de tous nos péchés au nom de Jésus-Christ, notre Sauveur... Nous te rendons aussi nos très humbles actions de grâce de ce qu'il t'a plu de nous avoir conservés jusqu'à présent contre toutes sortes de dangers et de malheurs et te supplions humblement de nous continuer à l'advenir ta sainte protection et bonne sauvegarde contre tous nos ennemis de la main desquels nous te prions aussi de nous délivrer et garantir. Et puisqu'ils attaquent là vérité pour la combattre, bénis nos armes pour la soutenir et la défendre... ».
Mais s'ils restaient fidèles à la pratique de leur foi, les Vaudois n'en observaient pas moins strictement leurs devoirs militaires. À cet effet, placées sur les hauteurs ou gardant tous les passages, des sentinelles ne cessaient de scruter l'horizon pour y déceler l'approche de l'ennemi.

Les capitaines se retrouvaient entre eux, probablement dans la cave indiquée par la tradition. Léger, notre principal informateur, mentionne ces conseils de guerre dans lesquels, d'un commun accord, on préparait la tactique de l'assaut, assignant à chacun une tâche particulière. Et c'est à cette occasion que s'exerçait l'ascendant de Josué Janavel.

Le but était clair : chasser l'ennemi des Vallées, reconquérir la terre natale, réinstaller le peuple vaudois dans sa patrie, y rétablir le culte de l'Évangile, ou, pour employer l'expression des chefs, « allumer le flambeau de la vraie lumière de l'Évangile dans le lieu de notre, naissance », afin d'y remettre en honneur le devoir sacré de l'adoration, mission fondamentale du peuple vaudois. Janavel devait être non seulement le promoteur et l'organisateur de cette campagne, mais son réalisateur principal. Sans prétendre au commandement de la petite armée, il acquit de suite auprès de ses collègues une autorité indiscutée. Et c'est ainsi que, dès son arrivée au Verné, l'on vit se développer les éléments d'une solide organisation militaire et que toutes les initiatives successives portent l'empreinte très nette de son génie.

C'est de l'examen des faits qu'il tirait les lignes directrices de son action : l'ennemi étant infiniment plus nombreux et mieux armé, il convenait d'attaquer par surprise les différents corps de troupe, de les harceler jusque dans leurs réduits de la plaine, de l'inquiéter, pour ne pas dire le terroriser, par de continuelles entreprises militaires et civiles, de chercher refuge et défense dans les rochers imprenables des montagnes, de tenir bon désespérément, jusqu'au jour où le Duc se déciderait à traiter et à concéder aux Vaudois, avec la paix, la reconnaissance de leurs droits.

Pour réaliser ce plan, on s'en tint à la tactique déjà employée dans les combats de Rora : division de la troupe en petites compagnies de vingt à trente soldats, extrême légèreté et rapidité de marche et de déplacement ; progression par groupes détachés, attaque impétueuse et inopinée de l'adversaire, de face ou de flanc. C'est ainsi que pourrait être compensée la grande infériorité numérique des montagnards et que l'ennemi pris de terreur, perdrait ses chances de résistance et se réfugierait dans la fuite. Une semblable tactique impliquait naturellement pour le chef cette minutieuse connaissance du terrain, cette promptitude d'observation et d'exécution, ce courage équilibré et confiant qui étaient les dons spécifiques de Janavel ; de même, elle sous-entendait chez les subordonnés une entière acceptation de la discipline cette autonomie dans les mouvements, cet esprit d'intelligente compréhension et de collaboration, ce sens du sacrifice, cette foi inébranlable, qui sont qualités naturelles aux troupes vaudoises.

Chaque matin, souvent dans la nuit noire, on partait du Verné pour des reconnaissances. Si longues et si dures qu'elles fussent, les Vaudois conservaient intacte leur vigueur physique, la fraîcheur de leurs sentiments, l'élan de leur action. Une fois les plans établis, ils étaient impitoyables à l'égard de l'ennemi déclaré. Comme ils avaient subi la triste expérience de sa férocité et se rappelaient le cruel massacre des leurs, on les voyait abattre sans hésitation tout ennemi armé. Ils n'épargnaient que les prisonniers dont on pouvait par échange ou rançon tirer quelque avantage. De même que leurs maisons et leurs biens avaient été pillés et brûlés, de même ils pillaient et brûlaient maison sons et bien des adversaires, se procurant de la sorte vivres et munitions. Au cours de chaque expédition, ils retrouvaient ci reconnaissaient des objets, des ustensiles, des instruments de travail ou des bestiaux qui leur avaient été volés lors du grand massacre. Aussi estimaient-ils légitime cette récupération un peu rude. Mais ils épargnaient toujours les êtres faibles, désarmés et non combattants. En dépit des massacres dont leurs familles avaient été victimes, ils ne touchaient jamais aux enfants, aux vieillards ou aux femmes. Une seule d'entre elles tomba au cours de l'assaut de Saint Second, et ce fut par suite d'une méprise ; ils en exprimèrent leur regret. N'allons pas en déduire qu'ils n'aient jamais entraîné de prisonnières. Mais on verra plus tard Janavel insister très fermement sur ce point dans ses Instructions : « Vous prendrez bien garde, en toutes rencontres et combats, de réserver le sang innocent, soit ceux qui sont incapables de vous faire du mal, afin, que Dieu n'en soit offensé et pour n'être pas obligés d'en répondre devant son tribunal au jour du jugement »...

Certes, les Vaudois combattaient durement, mais, dans l'ardeur même de la lutte, ils sentaient la présence de Dieu et conservaient intactes l'honnêteté, l'austérité des moeurs, la loyauté de la pensée. Janavel le répétera sans cesse :
- « Soyez ardents à la prière, surtout dans le combat, afin que, si Dieu vous retire par cas et accident subit, il vous reçoive en grâce... Ayez toujours votre âme élevée à Jésus-Christ ».
Cette lutte armée était pour eux non un acte de vengeance ou de cupidité mais l'accomplissement d'un inexorable devoir.



AU VERNÉ - LE QUARTIER GÉNÉRAL DE JANAVEL

Vingt jours de guerre.

L'action des Vaudois du Verné, qui, nous l'avons entrevu, avait été jusqu'alors assez désordonnée, prit, dès l'arrivée de Janavel, une tout autre allure. Déjà dans l'après-midi de ce même 27 mai, on tenta une expédition dans la plaine. Descendant des Portes d'Angrogne par le vallon de la Ciamugna, les montagnards passèrent entre Bricherasio et Saint-Second, et, après une marche d'une dizaine de kilomètres, assaillirent la grosse bourgade agricole de Garzigliana, située dans une plaine fertile au confluent du Pellice et du Cluson. Ils la trouvèrent fortement défendue et prête à la résistance; dès leur apparition les cloches commencèrent à sonner et des contingents de fantassins, de cavaliers mêmes, survinrent des villages voisins, de sorte que les Vaudois durent se retirer, mais sans pertes appréciables, entraînant avec eux quelques prisonniers et un nombreux bétail.

Le lendemain, ils décidèrent une attaque cette fois sur Saint-Second, où se trouvait un fort noyau de soldats du Duc, ceux-là mêmes qui s'étaient montrés particulièrement cruels lors des Pâques Piémontaises. On aura ici un exemple probant de la tactique de Janavel. Des Portes d'Angrogne, contournant le haut du vallon de la Ciamugna jusqu'au coteau des Plans de Prarustin, ses hommes se lancèrent brusquement à l'attaque, dépassant, dans leur impétueux élan les défenses très solides du bourg. Quelques centaines de mercenaires irlandais s'étaient enfermés dans le fort, à l'est du village. Après avoir roulé devant eux de gros tonneaux remplis de foin, dans l'épaisseur desquels se perdaient les projectiles ennemis, les Vaudois boutèrent le feu à des fascines accumulées contre la porte d'entrée. Réfugiés dans une vaste salle, les Irlandais s'y étaient entassés au point de ne pouvoir faire usage de leurs armes : tous furent passés au fil de l'épée. Mettant ensuite le bourg à sac, maison par maison, Janavel et sa troupe retrouvèrent dans la plupart d'entre elles, des objets qui leur avaient appartenu. Pour finir, Saint-Second fut incendié. Léger indique exactement les pertes de la journée : huit cents Irlandais tués, ainsi que six cent cinquante Piémontais ; du côté vaudois, sept morts et six blessés.

Le 3 juin, nouvelle incursion dans la région, mais du côté de Bricherasio. Trouvant l'endroit fortifié et les défenseurs prêts à la riposte, ils se bornèrent à piller les fermes et hameaux des alentours. Tandis que Jahier dirigeait l'action, Janavel, posté à l'entrée du Val Pellice, contenait les troupes qui, de la Tour et de Luserne, accouraient au secours des leurs. Combat âpre et long à travers les champs et les vignes de la colline de Saint-Jean. Enfin, Jahier survenant, l'ennemi fut complètement battu : il laissait cent cinquante hommes sur le terrain.

Les jours suivants, tandis que, de rechef, Jahier organisait une attaque contre Luserne, attaque partiellement réussie, Janavel entreprit avec hardiesse une tournée d'exploration dans la haute vallée du Pellice. Plusieurs heures durant, il bloqua et détruisit en partie un convoi, ennemi fortement escorté. Ensuite, sur l'alpage de la Pela des Geymets, il rencontra les Vaudois qui, ayant abjuré, pendant les massacres, avaient été groupés au Villar sous la direction de quelques moines et d'une poignée de leurs séides. Ils étaient à peu près sept cents. Avec énergie, Janavel les convainquit de le suivre, de sorte qu'après avoir dispersé les catholiques, il resta maître de toute la haute vallée.

De retour au Verné, il lança, les 10 et 11 juin, deux furieux assauts contre la Tour. Sans pouvoir en ébranler les solides défenses, on le vit cependant infliger à l'ennemi des pertes considérables que Léger évalue à trois cents hommes au moins. C'est au cours, de cette rencontre, que se distinguèrent tout particulièrement les tireurs d'arquebuse, postés sur la rive gauche du torrent d'Angrogne, au lieu dit la colline des Monnets. De là, ils décimèrent l'ennemi sans être eux-mêmes atteints par son tir. Chaque jour voyait une expédition nouvelle.

Le 12 juin, action de représailles, dans la haute vallée du Pô au pied du Mont Viso jusqu'au village de Crissolo dont les habitants avaient largement participé aux massacres des Pâques piémontaises : longue marche de nuit, jusque sur la crête du Frioland, à l'aube, passage du col des Portes et descente rapide sur le point désigné. En toute hâte, les habitants se réfugièrent dans la vaste et profonde caverne de Rio Martin, ce qui permit aux Vaudois de piller et de brûler en toute tranquillité les maisons des Crissoliens où ils trouvèrent en abondance le matériel qui leur avait été dérobé. C'est ainsi que, chargés de butin et poussant devant eux un millier de têtes de bétail, ils regagnèrent leurs quartiers.

Le 17 juin, tandis que Jahier s'était rendu au Val Pragela, sur terre de France, pour y revendre une partie de ce butin, Janavel, à la tête des trois cents hommes restés avec lui, bloqua de nuit le bourg de Luserne et, à l'aube, l'assaillit violemment. Il réussit à passer le mur d'enceinte, en abattant les premières gardes. Mais, à ce moment, survint un régiment entier de troupes ducales aux ordres du colonel de Marolles, lequel, la veille, avait assumé la conduite des opérations. Fort adroitement, Janavel parvint à se dégager et à se retirer sans pertes.

Jusqu'alors, l'ennemi n'avait eu ni le temps, ni les moyens d'entreprendre une attaque d'ensemble contre le quartier général des Vaudois. À peine avait-il tenté le 12 juin, alors qu'ils allaient jusqu'à Crissolo, un faible assaut aisément repoussé. Dès qu'il eût appris l'absence du gros des forces vaudoises conduites par Jahier, il décida de marcher contre le Verné tous contingents réunis.

À l'aube du 18 juin, tandis que les Valdesi, harassés des efforts accomplis les jours précédents, étaient encore plongés dans le sommeil et le village enveloppé de quiétude, trois, mille soldats ducaux, aux ordres de Marolles, montaient silencieusement de quatre côtés différents, c'est-à-dire de la Tour, de Saint-Jean, de la Ciamugna et de Prarustin : ainsi le Verné allait être entouré d'un cercle de fer. Déjà le corps du centre avait dépassé le contrefort des Sonnaillettes, et s'apprêtait à occuper la hauteur des Portes d'Angrogne, lorsque soudain, l'alarme fut donnée par l'ennemi lui-même qui, trop tôt, fit sonner l'attaque générale.
Brusquement arraché à son sommeil, Janavel réunit ses soldats et voulut qu'un instant encore ils se recueillissent dans la prière habituelle du matin. Puis, au pas de course, il les entraîna par la rude montée qui mène au sommet des Barioles. Là, ils s'établirent rapidement en position de défense, car, de cet endroit, l'on dominait les différents corps ennemis. Combattant et manoeuvrant sans arrêt pour tirer parti de tous les avantages du terrain, il réussit à contenir les forces adverses, à repousser tous assauts, à frapper inlassablement et à infliger aux soldats du Duc des pertes toujours plus sensibles. Grâce à quoi, ils purent résister jusqu'au début de l'après-midi. Le combat avait duré huit heures. Pour finir, les assaillants, plusieurs fois repoussés comprirent l'inanité de leurs efforts et esquissèrent un mouvement de recul. Alors, les Vaudois se mirent à les presser avec énergie. Bientôt la retraite se transforma en fuite, la fuite devint une chasse et, sur la pente escarpée, à travers les broussailles et les ravins, s'annonça la déroute. Cinq cents soldats ennemis avaient payé de leur vie cette attaque manquée. Au moment où, pour éviter qu'ils ne tombassent dans quelque embûche, Janavel s'occupait à réunir les vainqueurs au sommet de la colline, on vit arriver sur la route de la Collette de Prarustin, Jahier et sa nombreuse troupe. Pareille rencontre ne pouvait que donner aux uns et aux autres un nouvel élan. Tandis qu'au loin l'ennemi regroupait ses forces et cherchait à les réorganiser, sans perdre un instant et bien qu'ils fussent à jeun, les deux capitaines vaudois se précipitèrent sur lui et lui infligèrent de nouvelles pertes. Ils arrivèrent de la sorte au Chabas, sur les ruines du Temple.

C'est alors que survint la catastrophe :
Tandis qu'il entraîné les siens avec son habituelle impétuosité, Janavel est frappé en pleine poitrine d'un projectile qui le traverse de part en part. Il tombe tout ensanglanté et on le croit perdu. Consternation générale. On le pense rapidement, après l'avoir étendu sur une civière improvisée. Par bonheur, le blessé conserve toute sa présence d'esprit, toute son énergie spirituelle. À Jahier qui, désolé, demeure à ses côtés, il pourra encore donner les indications nécessaires aux opérations prochaines, lui conseillant de s'abstenir, au moins pour ce soir-là, de toute nouvelle action, en raison de l'effort extraordinaire accompli par ses hommes. Puis, à la nuit tombante, quelques-uns de ses plus fidèles compagnons de lutte, mus par une affectueuse sollicitude, le transporteront jusqu'au delà du Cluson qui marquait alors la frontière entre le Piémont et la France. Au village de Pinache, il sera fraternellement accueilli et soigné. Mais, au même moment, un autre malheur devait frapper les Vaudois. Le lendemain, alors que Janavel était encore entre la vie et la mort on apprit avec stupeur et consternation que le Capitaine Jahier venait de tomber cette même nuit, avec cinquante de ses compagnons, victimes d'une embuscade près du village d'Osasco, où, contrairement aux conseils de Janavel, il s'était laissé entraîner.

La victoire.

Pinache ou Pinasca, localité située sur la rive gauche du Cluson, le long de la grande route de Sestrière, était alors le centre d'une florissante paroisse vaudoise que la persécution déchaînée par Louis XIV devait, trente ans plus tard, entièrement détruire. À cette époque toutefois, la domination française assurait aux protestants la liberté religieuse et c'est pour cela que des centaines de Vaudois au nombre desquels étaient surtout des femmes et des enfants s'y étaient réfugiés pour fuir les massacres. Tous attendaient là anxieusement le résultat de la lutte soutenue dans la Vallée du Pellice. Pour se remettre de sa grave blessure, Josué Janavel demeura cinq semaines dans ce lieu de refuge. Grâce à Dieu, sa robuste constitution triompha du mal. Lentement les forces lui revinrent. On possède peu de détails sur ce temps de repos forcé mais on peut imaginer l'impatience et les angoisses qu'impliquait cette longue réclusion, augmentée des préoccupations qui étaient siennes au sujet de sa famille, de ses compagnons et du sort de la guerre !

Pendant ce temps, rentrés au Verné le soir de ce fatal 18 juin, et bien que fort affligés de la perte de leurs deux chefs, les Valdesi n'avaient pas perdu courage. On les avait vu reconstituer sans retard leur commandement en nommant comme capitaines François Laurent, des Clos, et Jacques Jahier, frère du défunt. Ne se sentant plus en sécurité dans le village, ils avaient jugé prudent de se retirer plus haut, au col de la Vachère, sur la crête qui sépare Angrogne de Pramol. Au bord des pentes abruptes, ils s'étaient solidement fortifiés, dressant de tous côtés des barricades et des bastions faits de terre et de rochers, utilisant au mieux les accidents de terrain, Presque aussitôt, ils avaient été assaillis par l'ennemi, qui, venu en force, comptait les trouver abattus par la disparition de leurs capitaines : mais, dans un combat acharné, les vaillants défenseurs l'avaient rejeté avec pertes.

D'autres assauts successifs devaient être vigoureusement repoussés. Toutefois, en l'absence de Janavel, leur tactique de guerre avait complètement changé l'offensive, elle était devenue défensive. Plus d'incursions hardies en territoire ennemi, plus d'impétueuses agressions, plus d'actes d'intimidation : nul n'affirmait sa volonté de vaincre. Les buts de la guerre étaient restés les mêmes ; on en pouvait dire autant des qualités des soldats et de leurs capacités d'action. Mais l'entraîneur manquait. Aussi bien, s'étaient-ils retirés en position d'attente, se bornant à consolider leurs fortifications et à veiller à leur sécurité.
Ainsi passèrent une douzaine de jours.

Au début de juillet, commencèrent à arriver des Huguenots de France désireux d'apporter à leurs coreligionnaires des Vallées l'aide efficace de leurs bras. À travers toute l'Europe protestante, une active et ardente propagande avait été faite en faveur des Vaudois persécutés, spécialement par le Modérateur Jean Léger. Elle avait suscité un vif intérêt, qui se traduisait par une aide généreuse, soit en subsides, soit en renforts. Le soir du 11 juillet était survenu sur les hauteurs de la Vachère, le Modérateur lui-même, accompagné d'un officier suisse bien connu, le colonel Andrion, de Genève, qui, pendant de longues années, avait donné des preuves de sa valeur au service des rois de France et de Suède. Les arrivants se rendirent compte promptement des défectuosités de l'organisation militaire des Vaudois et cherchèrent à y remédier. Le jour suivant, nouvel et puissant assaut de l'ennemi sous les ordres du colonel de Marolles ; des trois côtés à la fois, les Piémontais s'étaient ébranlés au nombre de plusieurs milliers ; bien des heures durant, on combattit avec acharnement et, finalement, les Vaudois réussirent à repousser une fois encore les agresseurs. C'est à cette occasion que l'on entendit ce mot significatif du pordestat de Luserne, Baptiste Bianchi, lorsqu'il vit rentrer découragés et abattus des soldats naguère assurés de la victoire :
- « Autrefois les loups mangeaient les barbets (1), mais le temps est venu où les barbets mangent les loups »



LE TEMPLE DES COPPIERS

Le 17 juillet lut une grande journée au camp de la Vachère, grâce à l'intervention de deux autres personnages qui devaient y apporter, de façon bien différente, une contribution décisive. Le premier était le colonel Descombies, officier huguenot réputé pour ses exploits. Il fut immédiatement désigné pour prendre le commandement des troupes qui, augmentées de volontaires du pays et d'ailleurs, dépassaient les deux mille hommes. Cette désignation fut certainement une erreur. Les méthodes de guerre que voulait introduire le nouveau commandant gênaient les mouvements libres et spontanés de ces montagnards. Elles furent un obstacle plutôt qu'une aide : on s'en aperçut bientôt.
C'est alors que fut rendu à son peuple Josué Janavel.

Certes il n'était pas encore entièrement remis de sa grave blessure : mais comment demeurer plus longtemps éloigné du théâtre des opérations ? La nostalgie du combat auquel il avait donné forme et élan, le poussa à entreprendre la longue et fatigante ascension de la Vachère. Là il retrouva, avec joie, ses anciens compagnons d'armes. Naturellement, la faiblesse physique l'empêchait d'assumer un commandement direct, mais, de suite, il se sentit vive par l'ardeur de la lutte.

L'offensive, suspendue depuis le jour de sa retraite forcée, reprit immédiatement. Il en fut l'irrésistible inspirateur. Preuve en soit ce fait significatif que, le jour même de son arrivée au col, on décida, pour le lendemain 18 juillet, un assaut contre la Tour, la position que l'ennemi avait fortifiée avec le plus de soir.

Après avoir fourbi leurs armes, les Vaudois gagnèrent de nuit la vallée du Pellice et s'y établirent à proximité du bourg. Sans exercer de commandement, Janavel était de la partie. Qu'à cet instant il eût donné l'assaut, et sans, doute aucun village, aucun fort n'eussent été épargnés. Ainsi le remarque Léger, qui était personnellement présent à l'action. Mais alors que tout le monde attendait anxieusement le signal de l'attaque. Descombies, qui venait de recevoir des informations, précises sur les forces de l'ennemi et ses défenses reconnues formidables, craignit d'exposer ses troupes à un échec et sonna la retraite.

C'est par de très vives protestations que les Vaudois accueillirent un ordre qui leur paraissait absurde. Il y eut un moment de grande agitation. Tandis que, d'un côté, une partie des assaillants, spécialement les huguenots, obéissaient aux ordres du chef, de l'autre, les troupes catholiques, réveillées en, sursaut, avaient donné l'alarme. Déjà les cloches sonnaient à toute volée, appelant au secours ceux de Luserne et d'ailleurs. Frémissant d'impatience et de dépit, les capitaines Belin, de la Tour et Peyronel, de Riclaret, s'écrient alors :
« Qui nous aime, nous suive ! ».

Et les voici lancés sur le flanc ouest du bourg, car ils savent le mur d'enceinte plus facile à escalader de ce côté-là. La plupart des Vaudois les suivront à la course. Bien que faible encore, Janavel les accompagne. Très certainement, il a approuvé et probablement suscité cet élan audacieux qui correspond de façon si exacte à ses propres méthodes.
Mais, vu son état, il ne peut prendre une part effective à la lutte et reste sur un coteau voisin, prêt à signaler aux siens l'approche toujours possible de renforts ennemis.

L'assaut des Vaudois sera impétueux, irrésistible, selon le vieux style de Janavel. Ils franchissent facilement la muraille, et culbutent les défenseurs, Tout près de là, dans un petit couvent de capucins, des civils et des soldats se trouvent barricadés en grand nombre. La résistance est énergique, mais rapidement écrasée. En même temps, d'autres groupes d'assaillants se répandent, comme un ouragan par les rues et les places, abattent tous ceux qui font opposition. En un instant, le bourg est en feu. Toute résistance brisée, déjà ils se préparent à attaquer le petit fort récemment construit près de l'Angrogne, déjà ils en approchent en roulant devant eux de gros tonneaux comme ils ont fait à Saint-Second, lorsque retentit le signal d'alarme par lequel Janavel doit annoncer l'approche imminente de renforts ennemis. Aussitôt, ils se retirent en bon ordre vers le Val d'Angrogne, avec le butin et les prisonniers qu'ils ont faits, parmi lesquels les deux capucins du couvent. Au camp de la Vachère, Descombies, saluant les Vaudois revenus de l'expédition, leur exprime son étonnement, sa pleine admiration et aussi un profond regret de son excessive prudence. Comme le rapporte Léger, il observe « qu'il croioit que les Vaudois fussent des hommes et combattissent comme des hommes et non pas qu'ils fussent des lions et plus que des lions ».

Forts de cette approbation et d'un tel succès, les montagnards se préparaient à une nouvelle campagne lorsque parvint l'étonnante nouvelle :
- La guerre est suspendue ; un armistice est conclu, et l'on est sur le point d'entrer en négociations de paix !


La paix
.

Las, en effet, de la tenace résistance de ses sujets des Vallées, résistance qui semblait vraiment irréductible, pressé par les Puissances protestantes, - Suisse, Prusse, Hollande ou Angleterre - lesquelles, par d'insistants messages et diverses ambassades, avaient soutenu la cause des persécutés, le gouvernement ducal avait été heureux d'accepter l'offre d'arbitrage de Louis XIV. Le Roi de France - chose assez inattendue -, venait par des lettres personnelles, d'exprimer ses doléances pour les tourments infligés aux Vaudois et de manifester son désir de les voir réintégrés dans leurs droits. Une trêve fut conclue. Le 3 août, dans la ville voisine de Pignerol, occupée alors par les Français, s'ouvrit la conférence de la paix. L'ambassadeur du Roi, Servient, en était président ; y assistaient à titre d'arbitres les ambassadeurs suisses des cantons protestants, Salomon Hirzel, de Zurich, Charles de Bonstetten., de Berne, Benoît Socin, de Bâle, Jacques Stockart, d'Appenzell, fidèles soutiens et amis de leurs coreligionnaires vaudois.

Les délégués de Hollande et d'Angleterre ne purent arriver à temps. Non sans morgue allaient et venaient les représentants du Duc de Savoie, le comte Truchi, le marquis de Pianezza, le comte de Grézy, le baron Perrachino, auxquels s'étaient ajoutés le comte de Luserne et le prieur Marc-Aurèle, Rorengo, excitateurs les plus directs et grands responsables des massacres et de la guerre. À l'opposé, on voyait les délégués vaudois, prêts à discuter et à traiter d'égal à égal. Ils étaient dix-huit, représentant les différentes communautés des Vallées. Le Modérateur Jean Léger les présidait. Mais Janavel n'était pas des leurs : homme d'action plus que de verbe, il avait préféré rester au camp, prêt à reprendre les armes si la chose devenait nécessaire. En revanche son fidèle lieutenant Étienne Revel était là, ainsi que le capitaine Jacques Jahier, qui tous deux représentaient dignement ses idées et ses aspirations.



LE PASTEUR JEAN LÉGER

Cette assemblée devait présenter un spectacle peu commun en face des nobles délégués du Duc et des États les plus puissants d'Europe siégeaient, pairs parmi les pairs, ces dix-huit agriculteurs aux frustes allures, aux vêtements grossiers, représentants d'une poignée de proscrits, d'un petit noyau de combattants fermement attachés à leurs montagnes. Et c'est ce noyau-là qui constituait une puissance politique et militaire, battant en brèche le pouvoir d'un souverain ! Réellement, ces montagnards des Vallées étaient une puissance d'un genre tout particulier : la puissance des droits de la conscience, de la liberté spirituelle dressée en face des prétentions les plus hautaines.

La conférence fut laborieuse et compliquée. Certains droits que les Vaudois considéraient comme indispensables furent âprement contestés. En dépit de tout, le 18 août, fut enfin conclu le traité de paix connu sous le nom de Patentes de grâces, qui mit fin à la persécution et à la guerre. Les anciens droits religieux et civils des Vaudois y furent en général reconnus ; une importante exemption d'impôts fut accordée, ainsi qu'une large amnistie incluant la levée des bans dont avaient été frappés Janavel et ses compagnons. La permission fut accordée à ceux qui avaient abjuré sous la menace, de professer à nouveau la foi de leurs pères ; l'échange des prisonniers eut lieu. Deux douloureuses restrictions furent cependant ajoutées : défense aux Vaudois de résider à Luserne, à Bibiana et dans les communes de la plaine, avec obligation d'aliéner leurs propriétés sises en ces régions dans l'espace de trois mois, et interdiction de posséder un lieu de culte à Saint-Jean, commune qu'ils avaient pourtant le droit d'habiter.

Ainsi, Josué Janavel put savourer avec une satisfaction profonde les résultats de la victoire. L'historien Léger déclare que ses contemporains reconnurent sans conteste la part qu'il avait prise à ce grand résultat, dû essentiellement à ses capacités militaires, à son habileté de chef, à sa complète abnégation de croyant.
« Certainement », dit cet auteur, « Janavel s'est trouvé un instrument d'élite dans les mains de Dieu, pour la défense de sa cause, la conservation et consolation de plusieurs persécutés et même pour le recouvrement de sa patrie totalement perdue ».

Ainsi les durs sacrifices du lion de Rora avaient atteint leur but : la délivrance de son peuple, la reprise de ses Vallées, la réintégration des anciens droits de liberté de conscience, enfin le rétablissement du culte évangélique, expression suprême de la consécration des Valdesi au service de Dieu.


(1) le Barbet était le nom populaire des Vaudois. Il venait des Barbes leurs pasteurs. 
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