Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES HISTORIENS VAUDOIS


Les historiens de la Débâcle et ceux de la Rentrée.

L'année sanglante et désastreuse de la Débâcle et de la captivité (1686-87) n'a pas eu d'historien vaudois contemporain. Neuf pasteurs étaient en prison où trois moururent ; deux autres accompagnèrent les exilés en Brandebourg, où l'un d'eux ne tarda pas à succomber. Restait Arnaud. Occupé à parcourir les divers cantons suisses pour maintenir l'union vaudoise en dépit de la dispersion, et les pays protestants afin d'en obtenir l'intervention, il n'eut pas le loisir de mettre la main à la plume pour raconter les dernières luttes et l'agonie de son peuple, Les seuls laïques qui l'aient fait, le notaire Daniel Forneron, de Prarustin, et Barthélemy Salvagiot, de Rora, ne relatent que les événements dont ils ont été les témoins oculaires. Le Bulletin d'Histoire Vaudoise a publié leurs mémoires.
Il a de même inséré le récit de Forni, qui accompagna les troupes de Victor Amédée dans tous les faits d'armes qui eurent lieu au Val Luserne.

Tessier, secrétaire de l'ambassade suisse auprès du duc de Savoie, a publié la relation de cette intervention généreuse, qui obtint la libération de la plupart de ceux qui avaient survécu au régime infect des cachots.
Mais le seul historien qui avait donné une idée d'ensemble des préliminaires diplomatiques, des combats et des massacres dans les deux vallées, de la captivité et de la délivrance, c'est Boyer. Il fut fait deux tirages de cette publication. Le premier n'indique pas les personnes qui risquaient encore d'être compromises ; le deuxième les nomme en toutes lettres. Ainsi Arnaud, pasteur de Pinache, n'est désigné dans la première édition que par des astérisques. Sans attaches avec les Vallées, il interrogea sans doute les réchappés et réussit ainsi à amasser des données nombreuses et précieuses, bien que les noms propres de lieux et de personnes soient trop souvent estropiés dans cet ouvrage d'ailleurs rare et précieux.
Par contre, l'entreprise épique de la Rentrée a eu ses chroniqueurs et son historien.
Trois de ses héroïques combattants ont consigné par écrit les faits et gestes de l'expédition : Reynaudin, Huc et Robert.

Paul Reynaudin, de Bobi, interrompit les études de théologie, qu'il poursuivait à Bâle, pour suivre Arnaud. Comme Xénophon, pour les 10.000 Grecs, le jeune étudiant a consigné les étapes de la marche, ainsi que les incidents les plus saillants de la traversée de la Savoie et des luttes acharnées qui furent livrées dans tous les recoins des Vallées. Les Vaudois s'étaient partagés après la déroute du Villar, Reynaudin ne relate, pour cette deuxième période, que les combats du corps qui occupait le bassin du Pélis. Enfin, contraints de se nicher dans les grottes de l'Aiguille de Giaussarand, les Vaudois l'évacuèrent de nuit, le 6 novembre 1689, dans la crainte d'être cernés. Dans le désordre de cette retraite, Reynaudin oublia son manuscrit, qui fut trouvé le lendemain par un officier des troupes ducales. Leur commandant, le marquis de Parelle, crut que c'étaient les notes de voyage d'Arnaud lui-même, d'autant plus qu'elles furent prises en même temps qu'une robe de pasteur et la nappe de fine toile de Hollande, qui servait pour la Communion. Le récit s'arrêtait au 17/27 octobre. Il fut porté à la Cour de Turin. « Ce journal, dit Arnaud, après avoir passé en plusieurs mains, parvint enfin en original, par une voie inconnue, en celles d'un homme de lettres de Genève, lequel, l'ayant reconnu de la main de Sieur Reynaudin, en régala Josué Janavel, peu de jours avant sa mort », c'est à dire qu'il lui en fit la lecture, ainsi qu'il est dit dans les Mémoires de Mondon. Janavel mourut le 5 mars suivant.

L'homme de lettres en question est, Vincent Minutoli, théologien genevois, qui nous l'apprend dans une lettre du 15 décembre 1690, adressée à son ami, le célèbre Bayle et comprise dans la correspondance inédite de ce dernier, publiée en 1890, à Copenhague, où sont conservés les originaux.

« La prévention d'amitié, écrit-il, a porté M. Arnaud à vouloir déterminément que je fusse son historiographe, et je puis vous assurer que je tiens cette commission à plus de gloire que si j'étais chargé de décrire les exploits de Charlemagne ou de Charles Quint. Je prétends pourtant de ne faire que l'ébauche et tracer le canevas, espérant que vous M.rs, ses amis et les miens, ferez toute la brodure. Vous ne sauriez croire la peine qu'il y a à déchiffrer les petits brimborions, sur quoi ces pauvres gens ont écrit avec du papier et de l'encre tels que vous pouvez vous figurer et, après les avoir touchés, mes mains sentent deux heures le salpêtre, le soufre et la poudre à canon.

Bien m'en prend, pour m'aider à sortir de ce labyrinthe, que j'avais dès l'hiver passé un Journal qui leur fut pris dans un poste où on les força, et qui vint en original entre mes mains, par un commerce indirect ou de réflexion que j'avais en cette cour là et qui a fait que, cinq ou six mois durant, j'ai été le seul de ce pays qui savait leurs aventures, pendant que leurs directeurs hors du lieu n'en recevaient aucunes nouvelles et qu'eux mêmes ne savaient rien de ce qui se passait dans le reste du monde. Toutes mes lettres pendant ce temps là étant venues sous les yeux du Prince, par le moyen d'une espèce de Benting, qui ne les avait qu'après un autre, ces inductions de détour ont fait plus de la moitié de l'adoucissement, où l'on est venu pour les Vaudois ».

C'est en partie mot à mot ce qui est dit dans la Glorieuse Rentrée d'Arnaud : « Ce Journal ayant été écrit fort fidèlement et avec beaucoup d'exactitude, et ayant fourni plusieurs bons mémoires pour cette histoire, on a toujours été bien aise, non seulement de l'avoir recouvré, mais même qu'il ait porté si miraculeusement des nouvelles des Vaudois où on ne savait quoi que ce soit d'eux, de même qu'eux ne savaient aussi rien de ce qui se pouvait passer dans le reste du monde ».
À peine qu'il put le faire, Reynaudin retourna à Bâle reprendre ses études théologiques, qu'il acheva en 1695, en soutenant des thèses en latin sur l'antiquité des Vaudois. Il fut ensuite pasteur aux Vallées jusqu'à sa mort en 1734.

Il ne semble pas s'être autrement inquiété de son Journal de la Rentrée. Ce dernier a cependant été conservé, nous ne savons comment, pendant un siècle et demi, pour tomber enfin entre les mains de l'historien Alexis Muston qui le relia, avec d'autres manuscrits, dans un volume, dont il fit don à la Société d'Histoire Vaudoise, peu de jours avant sa mort, en 1887. Il a remarqué que, seules les dernières notes sont prises au jour le jour, tandis que le récit de la marche épique, jusqu'au combat du Villar, est rédigé au passé et d'une manière suivie. Ce seraient donc peut-être les loisirs forcés de l'Aiguille qui l'auraient décidé à écrire ce précieux document. Il porte ce titre, probablement dû à Minutoli : Journal de l'expédition des Vaudois, trouvé à l'Eguille le 13 de novembre 1869 par Monsieur le Comte de Blegnac. Cette date inexacte est due à la confusion entre les calendriers julien et grégorien.
La Société d'Histoire Vaudoise l'a inséré dans son Bulletin de 1888, de la page 11 à la page 34 et en a fait un tirage à part.



Le Capitaine Robert.

Non moins de quatre Robert, de Saint-Germain, sont connus pour avoir eu part à la préparation ou à la réussite de la Rentrée.

Jean, probablement un des 80 héros de 1686, était à Neuchâtel avec Arnaud, pensionnés par la ville, dès l'automne 1686. Après la tentative de 1688, « le gouvernement commande à Arnaud ministre et capitaine Robert, avec femmes et enfants de vider promptement la ville ». Robert émigra à Bâle, puis en Allemagne, où, en 1689, on le voit quitter Schaumburg, avec six autres, en vue de la Rentrée. Arrivé trop tard, il prit part à l'expédition Bourgeois. Quand celui-ci en eut vu la malheureuse réussite, c'est au capitaine Robert qu'il remit sa bannière. Il est signé le premier dans la déclaration que les officiers de l'expédition rédigèrent le 29 octobre, en faveur de Bourgeois.

Pierre est à Bâle, en 1688, avec ses trois filles. Arrêté par les Français, sans doute parmi ceux qui s'endormaient de fatigue après le combat de Salbertrand, il fut condamné à Grenoble, en octobre 1689, avec le chirurgien Muston et plusieurs autres. Enchaîné sur la galère l'Invincible, il mourut à la peine le 27 janvier suivant.

Jacques était à Bâle en 1688 avec Marie, sa femme, et trois enfants, dont le cadet n'avait que 6 mois. Lors de la formation des compagnies, après le passage du lac, il fut reconnu comme capitaine de Saint-Germain et Pramol. Il périt en combattant, au Mont Cervin, le 6 septembre 1689. Il fut sans doute remplacé par

Daniel, qui était à Bâle, en 1688, avec Marthe, sa femme. Il était le frère cadet de Jean et de Michel, qui fut aussi capitaine. Daniel prit part à tous les événements de la Rentrée, à la défense de la Balsille et aux combats, qui suivirent, contre les Français, après que Victor Amédée eut fait la paix avec les Vaudois, en 1689 et 1690.

Lorsque Milord Schomberg vint en Piémont pour prendre le commandement des régiments de réfugiés au service de l'Angleterre et de la Hollande, Robert entra comme lieutenant dans le régiment De Loche, qui continua à se signaler par maints exploits. Quand la guerre cessa en Piémont, Robert suivit son régiment en Hollande, cette république n'ayant signé la paix avec la France qu'en 1713.
C'est probablement alors que, sur la demande de ses amis hollandais, il se mit à écrire sa Relation de ce qui se passa de plus remarquable dans les Vallées de Luserne, en l'année 1689 et 1690.

En 1716, se trouvant à Voorburg, il remit son manuscrit à un ami, dont nous ignorons le nom, qui y ajouta une longue préface, destinée à faire ressortir l'héroïsme et le zèle religieux des Vaudois, ainsi que l'intervention de la Providence en leur faveur. Le tout, recopié de la même écriture, parvint, de main en main, entre celles de M. Scheurleer, de la Haye, collectionneur de manuscrits. Ceux-ci ayant été mis en vente après son décès, M. N. C. Kist, de Leyde, reconnut dans cette relation un récit authentique de la Rentrée. Il le publia à Leyde, en 1846, en français, précédé d'une notice historique et suivi d'une étude sur la littérature vaudoise, en hollandais.

Le Bulletin du Bicentenaire, de la Société d'Histoire Vaudoise, en a reproduit la partie concernant le siège de la Balsille. Le numéro de mai 1891 a inséré la première partie du récit, en promettant de donner le reste « dans le prochain Bulletin ». Cette promesse n'a pas été maintenue. C'est dommage, car le livre de Kist est rare et la relation de Robert est d'autant plus intéressante qu'elle n'a pas pu servir à Arnaud, pour son Histoire publiée en 1710.

Ce récit en étant indépendant des autres, ne fait qu'en confirmer l'exactitude. Nous ne croyons cependant pas de pouvoir dire, avec Kist, qu'il a été « rédigé pendant le voyage ». Il n'a rien du journal. Sauf celle du départ, « la nuit du 15 d'Aoust 1689 », il ne mentionne aucune date. Dans sa hâte d'arriver aux Vallées, il ne s'arrête sur la traversée de la Savoie que pour mentionner le passage gardé de Cluse et la pénible montée du Bonhomme. De là, sans tenir compte de l'Iseran et du Mont Cenis, il arrive au Jaillon et à Salbertrand, dont il décrit le combat en quelques traits pleins de précision et de vie.

Après la déroute que les Vaudois subirent au Villar et qui les divisa en deux bandes, Robert fit partie du camp volant destiné à maintenir les communications entre eux. Mais sa compagnie se défendit, la plupart du temps, sur les hauteurs du Villar et de Bobi. Aussi sa relation se rapproche-t-elle moins de celle de Huc que de celle de Reynaudin, qui fut trouvée à l'Aiguille. Après avoir évacué cette position, Robert fut de ceux qui, à travers le Col Julien, passèrent à Pral et, après quelques escarmouches au Val Saint-Martin et à la Pérouse, rejoignirent à la Balsille ceux qui avaient commencé à s'y fortifier.

Sa description du siège de la Balsille est frappante et vivante, ainsi que celle de la fuite à travers les précipices jusqu'à Pramol. L'auteur n'est pas moins intéressant et original lorsqu'il raconte l'arrestation du corps de Clérembault, qui les avait poursuivie, la razzia en Queyras, le prise du fort de St-Michel, au-dessus de Luzerne, ce qui acheva de les rendre maîtres de toute la vallée, les Français s'étant retirés à Pignerol.
« Les Vaudois firent encore après cela plusieurs belles actions. Mais », conclut modestement l'auteur, « les ayant quittée dans ce temps-là, pour entrer dans le régiment De Loche, j'ai cru ne devoir rapporter que celles qui se passèrent pendant que je fus avec eux : où, bien loin d'avoir ajouté quelque chose, il est sûr qu'il m'en est échappé bien des particularités considérables ».
Robert ne semble pas être rentré aux Vallées et sa postérité se trouve peut-être encore parmi les églises wallonnes de Hollande.

Nous avons ainsi achevé de passer en revue les historiens contemporains de la Glorieuse Rentrée.



François Huc et Henri Arnaud

Nous avons vu comment le manuscrit de Paul Reynaudin, perdu à l'Aiguille et porté à la cour de Turin, servit à Vincent Minutoli pour la première rédaction du récit de cette entreprise héroïque. Celle-ci est sans doute l'Histoire du retour des Vaudois dans leur patrie, dont le manuscrit, conservé à Genève par les familles Lombard et de Loriol, a été cédé en 1913 par MM. les libraires Thury et Baumgartner à la Société d'Histoire Vaudoise qui l'a publié intégralement dans son Bulletin N. 31. Une des sources de ce travail furent aussi les notes prises par un autre héros de la Rentrée.

François Hue, du Vigan, avait, à l'époque de la Révocation de l'Édit de Nantes, servi de courrier ou guide aux Huguenots qui émigraient en cachette pour fuir la tyrannie de Louis XIV. Aussi ses biens furent-ils confisqués. On le signale en Angleterre et en Hollande en 1687-88. Se trouvant en Suisse lors du départ des Vaudois, il s'enrôla dans la compagnie des volontaires, dont le capitaine, Turin, mourut au combat du Villar. La compagnie décimée s'étant réorganisée sous le capitaine François Tron, Huc en devint le lieutenant. Arnaud remarque que, tandis que la plupart des autres Français désertèrent, rebutés par les fatigues et les privations, « Huc les a toujours fidèlement servis, en récompense de quoi il fut fait capitaine dans les religionnaires fournis par l'Angleterre et la Hollande. Le bon témoignage qui lui a été rendu par tous ceux qui le connaissaient, de valeur, de zèle et de probité, doit être rappelé avec d'autant plus de justice qu'il est de ceux des papiers duquel on a tiré une bonne partie de ces mémoires ».

Envoyé en France pour répandre les écrits, que Brousson composait à Lausanne, il servit aussi d'intermédiaire entre les Vaudois et les Cévenols, à l'aide desquels on préparait un soulèvement des Huguenots du Midi. Chargé d'une mission de confiance, il accomplit plus d'une fois ce voyage hérissé de dangers, surtout en 1691. Il fut tué à la tête de sa compagnie de réfugiés, à la bataille de la Marsaille, le 4 octobre 1693.

Bien qu'il ne porte aucun nom d'auteur, son récit est sans doute celui qu'Alexis Muston a conservé dans ses manuscrits sous ce titre : Relation du département des Vaudois pour rentrer dans leur païs du 16 Aoust 1689 et qui commence ex abrupto par ces mots : « Par un samedi au matin l'on mit pied à terre en Savoye le nombre de 1500... ». Cette relation fut publiée avec quelques variantes, pas toujours heureuses, avec des adjonctions successives, à la Haye en 1690-91, sous ce titre : Relation de 1689-91 par un soldat vaudois ; et le sous-titre : Relation en abrégé de ce qui s'est passé de plus remarquable dans le retour des Vaudois au Piémont depuis le 16 Aoust 1689, ce qui a été fidèlement rapporté par des personnes qui ont été eux-mêmes dans diverses actions qui sont ici rapportées. La correction principale est celle qui réduit à 900 le nombre de ceux qui passèrent le lac.

Le livre bien connu sous le nom de Glorieuse Rentrée aurait donc l'origine suivante: Le théologien genevois Minutoli, qu'Arnaud avait prié d'être l'historien de l'entreprise, réussit, par le moyen d'un personnage de la cour de Turin, à recevoir les notes hâtives qu'Arnaud écrivait avec de mauvaise encre sur des chiffons de papier qui sentait la poudre. Au commencement de 1690, pendant que durait le siège de la Balsille, il reçut lé manuscrit que Reynaudin avait perdu à l'Aiguille. En juillet il put avoir entre les mains la première partie du récit de Huc, qui s'arrêtait au 16 juin. Il y ajouta, en guise de conclusion, une lettre d'Arnaud, du 5 juillet. Ce serait là l'Histoire du retour des Vaudois en leur patrie, que la Société d'Histoire Vaudoise a publié avec des notes et des notices biographiques sur tous les héros de la Rentrée, dont les noms avaient pu être retrouvés.

La guerre, qui se prolongea jusqu'en 1697, empêcha Arnaud de publier l'ouvrage, Puis vint l'exil de 1698, qui l'obligea à de longs voyages pour chercher une nouvelle, patrie pour les exilés, en Allemagne, en Hollande et en Angleterre pour leur procurer des subsides. En 1701 éclata la guerre de Succession d'Espagne qui le ramena aux Vallées, sans doute avec l'illusion de pouvoir y finir ses jours. Parti pour un troisième exil, qu'il sentait devoir être définitif, il put enfin donner une dernière retouche au manuscrit de la Rentrée et le livrer à la presse en 1710, vingt ans après sa première rédaction.

Dans l'Introduction à l'Histoire du retour des Vaudois, nous nous sommes appliqués à découvrir en quoi consistait la retouche d'Arnaud et nous avons conclu en disant qu'« en général on y sent plus de préoccupation de ce que pourra dire le grand public ; la crudité des expressions et de certains faits est atténuée, l'auteur s'attribue certains mérites que l'Histoire ignore ou attribue à d'autres ».

Le pasteur Mondon, qui a écrit les souvenirs de son ancêtre, un des capitaines de la Rentrée, va jusqu'à dire qu'« Arnaud employé souvent un style très fanfaron ».

Ce n'est pas le cas d'insister sur ces détails, qui sont des vétilles dans l'ensemble de l'ouvrage. Si même il reste à peu près prouvé que la part d'Arnaud dans la rédaction de la Glorieuse Rentrée est considérablement réduite, il n'en demeure pas moins vrai qu'il a été l'inspirateur, l'organisateur et le chef de cette entreprise, à laquelle notre peuple doit d'avoir une patrie.

L'édition de 1710, publiée deux autres fois au cours du XIXe siècle, est depuis longtemps épuisée. Mais la Société d'Histoire peut encore disposer de plusieurs exemplaires de l'Histoire du retour, qui a, sur la précédente, l'avantage de la fraîcheur des premières impressions et de la spontanéité du récit de première main. Toute famille vaudoise devrait posséder l'une ou l'autre.



La fuite d'Alexis Muston
(9-10 janvier 1835).

Alexis Muston, après avoir poursuivi ses études théologiques à Lausanne et à Strasbourg, fut placé par le synode à la tête de la paroisse de Rodoret, qui venait d'être détachée de celle de Pral. Il n'y était pas depuis longtemps, lorsqu'un orage inattendu vint fondre sur sa tête. Pour obtenir sa licence théologique il avait publié, à Strasbourg, sa thèse sur l'Origine des Vaudois. Or, bien que la presse cléricale attaquât constamment les Vaudois, il leur était défendu de rien publier sans le consentement de la censure épiscopale. Il semblait qu'une publication faite à l'étranger ne fût pas sujette à cette prohibition. Tel n'était pas l'avis de l'évêque de Pignerol, Charvaz. À peine fut-il en possession du livre incriminé, il recourut au Roi, demandant l'application de la loi contre le coupable.

Charles-Albert donna l'ordre d'arrêter le jeune pasteur ; mais en même temps il avertit de la chose le comte Waldburg-Truchsess, ambassadeur de Prusse et protecteur des Vaudois. Celui-ci en informa son chapelain, Amédée Bert, ami de l'accusé. Sans perdre de temps, Bert partit avec un ami, pour Pignerol. Muston, très attaché à sa mère et à son père, le vénérable pasteur de Bobi, leur rendait de fréquentes visites, en dépit de la distance et des mauvaises routes du haut Val St-Martin. Bert le savait ; aussi de Pignerol envoya-t-il son compagnon de route à Bobi, gardant pour soi la tâche pénible de gagner Rodoret à travers les neiges, le 9 janvier. Ce ne fut pas sans peine qu'il atteignit le presbytère rustique, qu'une avalanche devait emporter, quelques années plus tard, avec le pasteur et sa famille, Muston était absent. Comme Bert redescendait par le dangereux passage de l'Eicialeiras, il rencontra les gendarmes qui montaient avec le mandat d'arrêt. La diligence de l'évêque n'avait guère été moindre que la sienne.

Pendant ce temps, son messager était arrivé à Bobi, y avait trouvé Muston et l'avait pressé de passer la frontière avant le lendemain. Sans hésiter, le jeune Alexis partit avec un compagnon qui, dès qu'il apprit qu'il avait affaire avec la justice, l'abandonna, non toutefois sans lui indiquer la maison d'un Artus, de Villeneuve, habile contrebandier et profond connaisseur de la montagne. Muston a publié un récit vivant de sa traversée des Alpes dans cette nuit glacée du 9 au 10 janvier. Il y décrit le spectacle magnifique de la cascade du Plan du Pis ne formant qu'un bloc de glace, les précautions prises pour s'assurer qu'il n'y eût aucun fonctionnaire à l'auberge du Pra, la rapide descente improvisée sur la Monta dans un éboulement de neige, enfin son arrivée en Queyras, qui représentait pour lut la terre de la liberté.

Vains furent les efforts pour faire retirer le décret d'expulsion. Muston finit donc par se fixer à Bourdeaux, dans la Drôme, où il fournit un long ministère, soit comme pasteur, soit comme médecin bénévole.
Au cours de sa sixième année d'exil, il obtint de pouvoir séjourner trois mois auprès de ses vieux parents.
Cependant, chaque été le jeune pasteur, gravissant hardiment le Col de la Vitouna, peu fréquenté et surveillé, traversait rapidement le plateau du Pra pour remonter au Col Barant et arriver, par la Combe des Charbonniers, à la cure de Bobi. Les paroissiens de son père le saluaient à la fois respectueusement et avec joie, et pas un ne le dénonça pendant ces dix années. Le décret d'exil fut révoqué en 1845. En 1846, le même évêque Charvaz, qui l'avait fait exiler à cause d'un livre d'histoire, lui écrivait pour l'encourager à écrire l'histoire de ses pères, le recevait cordialement à l'évêché et lui en ouvrait les archives.

C'est dans son presbytère de Bourdeaux qu'Alexis Muston écrivit ses nombreux ouvrages d'histoire vaudoise, en particulier l'Israël des Alpes. Il y mourut en 1888.



Les armoiries de l'Église Vaudoise.

Souvent déjà, il nous a été demandé, surtout de la part de Vaudois d'origine établis à l'étranger, quel est l'emblème officiel des Églises Vaudoises. La réponse n'est pas facile ; car, si l'on est d'accord sur le motto, les armoiries elles-mêmes varient étrangement selon le goût ou le caprice de l'artiste appelé à les dessiner.

Le modérateur Léger, en les produisant dans son ouvrage monumental, publié en 1669, les appelle Antiquissima convallium insignia. Elles sont, en effet, très anciennes, puisqu'elles remontent en plein Moyen Âge. Elles ont d'abord appartenu à l'illustre maison des comtes de Luserne, seigneurs du bassin du Pélis. L'idée en a été prise du nom même du chef-lieu de leurs domaines, Luserne, qui en piémontais signifie lanterne, et au diminutif, lusërnëtta, luciole, mouche luisante.

Le plus ancien des sceaux de cette famille, découvert à Bagnol, portait en effet une luciole, sans exergue. Plus tard vinrent, d'une part, la lampe des catacombes, restée aux armoiries de la commune de Luserne, d'autre part, le chandelier, passé à l'Eglise Vaudoise. Le motto subit aussi quelques changements. Sur la grille du château de Luserne, on peut lire : Lucerna pedum meorum verbum tuum Domine, c'est à dire : O Seigneur, ta parole est la lampe de mes pieds. La commune de Luserne Saint-Jean conserve la légende : Lux in tenebris lucet, qu'on trouve aussi sur le fronton du palais que le marquis de Rorà - seule branche des seigneurs de Luserne qui existe encore - construisit sur la place Charles-Félix, à Turin. Mais cette famille noble a renoncé depuis longtemps à la luciole, à la lampe et au chandelier, qu'elle a remplacés par des armoiries sans caractère spécial.

Quoi qu'il en soit, les Églises Vaudoises, non seulement de la Vallée de Luserne, mais aussi de celles de Pérouse et Saint-Martin, et même celles du Val Pragela, dépendance du Dauphiné, adoptèrent, on ne sait à quelle époque, le motto légèrement interverti : Lux lucet in tenebris, entourant un chandelier allumé. Les 7 étoiles, qui brillent autour de la flamme, indiquent probablement les sept églises de l'apocalypse. Un artiste du siècle dernier, en peignant ces armoiries dans le temple de Prarustin, a porté à treize, le nombre des étoiles, égal à celui des paroisses des Vallées, tel qu'il était alors, avant l'organisation de celles de Macel et Rodoret.

Le motto vaudois rappelle aussi d'assez près celui de la ville de Genève, qui était au Moyen Âge : Post tenebras spero lucem, mais qui, à la lumière de la Réformation, devint : Post tenebras lux.
Il ne reste rien, antérieurement à l'exil, des documents officiels de l'Église : tout à été détruit ou dissipé. Le plus ancien exemple connu est représenté pax les armoiries, qui ornent le frontispice du traité De la Régénération, publié à Genève, en 1642, par François Guérin, pasteur de Bobi, chez l'imprimeur Jean de Tournes. Le chandelier est posé, sans autre, sur un sol raboteux; il est flanqué de trois étoiles par côté. Le haut, où est généralement placée la septième étoile, est tout rempli par la flamme et ses rayons. Au reste, on ne voit pas de chandelle, la mèche sort du creux du chandelier, qui est d'une structure très compliquée. Sans le donner comme le sceau officiel, l'auteur, dans son Exhortations aux Églises du Piémont, fait de fréquentes allusions au chandelier, disant en particulier : Que notre lumière luise parmi les ténèbres, comme porte céte devise

IN TENEBRIS LUX

qui est celle du frontispice.


L'Histoire Vaudoise, par J. Léger, publiée en Hollande en 1669, présente trois types différents :

1° Sur une gravure hollandaise, datée de 1663, et qui se trouve sur peu d'exemplaires, le chandelier rappelle celui de Guérin, mais le motto est, comme aujourd'hui, Lux lucet in tenebris. On n'y voit aussi que 6 étoiles ;

2° En reproduisant, d'après Morland, la belle carte des Vallées, dessinée par le pasteur Valère Gros, Léger y a ajouté le chandelier autour duquel les 7 étoiles apparaissent clairement sur le fond sombre. Au-dessous : Convallium Antiquissima Insignia. Il en est ainsi sur la même carte, publiée en Hollande à la même époque, bien que non datée ;

3° Au frontispice du livre, la septième étoile est placée immédiatement au-dessus de la flamme, et c'est d'elle que partent les rayons, qui atteignent les 6 autres, tandis que, vers le haut, s'en dégage un éventail, un faisceau de lumière, qui monte se confondre avec le soleil. Au-dessus du médaillon on lit : Antiqua convallium insigna. Le tout est reproduit, rapetissé, dans la traduction allemande de Léger, qui a paru en 1750.

Le premier sceau officiel des Églises Vaudoises, que l'on puisse citer actuellement, orne une attestation du 1er août 1699, dressée à Angrogne et signée par les pasteurs des Vallées. Plutôt petit, ce sceau porte un chandelier assez simple, les 7 étoiles et le motto habituel. Plus tard, auteurs ou artistes, ont transformé ou déformé ces armoiries de vingt manières différentes. L'adjonction principale qui est souvent faite est une Bible fermée, sur laquelle est posé le chandelier. Une médaille assez rare, frappée en 1691, appartenant au Musée Vaudois, mais qui est actuellement (1) déposée à l'Exposition de Turin, représente les quatre Puissances de la Ligue d'Augsbourg contre la France et, sur la gauche, un soldat vaudois arborant un drapeau avec le chandelier et les 7 étoiles. Ce médaillon, tout simple, a servi de modèle pour les armoiries de la Brigata Regina qui remonte au régiment organisé avec des soldats vaudois par le Comte de Briquéras, le vainqueur de l'Assiette.

Les drapeaux des écoles vaudoises portaient naguère de belles armoiries sur fond bleu foncé, représentant une nuit sereine. Il en est de même de celles qu'une heureuse initiative, venue de Milan, a reproduites comme ornement d'épingles ou de broches.

La Table, ou le Synode, ne ferait pas mal, nous semble-t-il, d'adopter un type unique, colorié ou non, selon les cas, que l'on puisse citer comme les armoiries officielles de l'Eglise Vaudoises. Le plus simple est peut-être le meilleur, en même temps que le plus fidèle aux origines :

Sur un fond bleu foncé, un chandelier, quelque peu élégant, en or, chandelle blanche, flamme en or, le tout entouré de 7 étoiles en or, et du motto : LUX LUCET IN TENEBRIS, ou bien, si l'on tient à l'archaïque : LVX LVCET IN TENEBRIS. 


(1) Année 1928. 
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