Les pays protestants de langue française ont commémoré le centenaire
de Félix Neff, le pionnier du Réveil de 1825 sur les deux versants des
Alpes Cottiennes. Il est donc naturel que nous nous efforcions
d'associer nos lecteurs à cette célébration, en rappelant sommairement
ce qu'a été et ce qu'a fait cet homme, dont le souvenir est encore
béni dans les vallons déshérités du Queyras et de Freissinière, où il
s'est dépensé sans compter et où il a usé sa robuste constitution par
un zèle dévorant et une activité infatigable.
Félix Neff naquit à Genève en 1798 et montra, dès son
enfance, une âme profondément religieuse en même temps qu'une vive
intelligence et une mémoire très sûre, Cependant le métier des armes
l'attirait et, à 17 ans, il s'enrôla dans l'artillerie, au moment où,
par la chute de Napoléon, Genève venait d'être réunie à la Suisse.
Mais c'était aussi l'époque où le souffle du Réveil commençait à
agiter le protestantisme, engourdi par un siècle de philosophie
sceptique et de religion naturelle. Neff fréquenta les réunions du
Bourg de Four, où la rigidité des prédicateurs lui fit surtout
envisager Dieu comme un juge. Ce fut la lecture de la Bible et
l'opuscule de Wilcock, intitulé Le Miel découlant du Rocher qui
est Christ, qui lui révélèrent le pardon et la grâce en Christ.
Dès 1818, il se libéra du service militaire, dans le but
de se donner au Saint-Ministère. Il aurait aimé suivre des cours
réguliers de théologie, mais son zèle de néophyte l'amena à se donner
tout de suite à l'évangélisation des campagnes dans la Suisse romande.
Il passa ainsi les années de 1819 à 1821, généralement bien reçu par
les pasteurs, car, n'ayant rien de sectaire, il ne cherchait pas à
fonder des églises séparées, mais uniquement à réveiller les âmes et à
les conduire à Christ.
En 1821, il fut placé à Mens, en Dauphiné, comme évangéliste,
sous la direction du pasteur André Blanc, natif du Briançonnais. C'est
ainsi que Neff entendit parler des Vaudois de Freissinière et du
Queyras, qui étaient, depuis plus d'un siècle, comme des brebis sans
berger. Retirés dans les hameaux reculés - S. Véran, Fontgillarde et
Pierregrosse, la Chalp et Brunissard, Dormillouse, Vars - ils
n'avaient reçu que de rares visites des Pasteurs du Désert, qui
parcouraient les montagnes au péril de leur vie. Le zélé évangéliste y
fit une tournée en 1823 et obtint ensuite d'y être placé
officiellement.
Les pasteurs de passage n'avaient jamais pu s'occuper de
l'instruction religieuse ; aussi Neff, constatant l'extrême
ignorance de ces montagnards, se hâta d'organiser une classe de 80
catéchumènes, âgé de 15 à 30 ans. Il ouvrit aussi plusieurs écoles en
vue de l'instruction élémentaire après avoir lui-même préparé les
maîtres pour leur tâche.
Grande était aussi la misère matérielle de ces
populations, que les distances mettaient hors de contact avec le monde
civilisé. Neff dut prêcher d'exemple, mettant le premier la main aux
travaux des bâtisses, à creuser des ruisseaux d'irrigation pour
fertiliser les prés alpestres, à l'introduction de cultures nouvelles
et de nouvelles méthodes de cultivation.
Avec ça, il parcourait, infatigable et toujours à pied,
les bassins de la Biaïsse, de la Durance et du Guil, et trouvait
encore le temps de sortir de son immense paroisse pour visiter le
petit troupeau de la Grave, perdu derrière le massif du Pelvoux.
Il faut lire le récent et beau volume Sur le Roc, de
Benjamin Vallotton, pour se faire une idée de l'oeuvre profonde qu'il
accomplit dans les âmes et de la trace bénie qu'il y laissa.
Lors de la Révocation de l'Édit de Nantes et de la
démolition des temples, un presbytère et une chapelle catholique
avaient été érigés dans le hameau reculé de Dormillouse. Un prêtre y
avait résidé quelque temps, mais sans avoir jamais un seul auditeur,
ni d'autre participant à la messe, que sa Perpétue. Il ne fut pas
remplacé et ces locaux restèrent inoccupés pendant un siècle. Au temps
de Neff, ce temple se remplit d'âmes ayant faim et soif de justice,
quoiqu'il soit placé bien loin des principaux hameaux. Neff, à l'aide
d'amis chrétiens, réussit à bâtir aux Violins, au
centre du vallon de Freissinière, un temple neuf. À l'inauguration,
qui eut lieu en 1825, intervint, au nom de l'Eglise Vaudoise, le
pasteur David Mondon, qui, dans sa jeunesse, avait maintes fois visité
ces populations abandonnées, non sans danger pour sa liberté. Il était
accompagné par son paroissien Antoine Blanc, frère d'André, bien connu
à Neff. Les entretiens qu'eurent ces trois hommes décidèrent l'ardent
évangéliste à franchir le col de la Croix pour visiter les Vaudois du
Piémont. Malgré la brièveté de ce séjour, c'est ce qui provoqua, il y
a tout juste un siècle, le réveil dans nos Vallées.
Moins de deux ans plus tard, après avoir en vain lutté
contre son état physique, délabré par les fatigues, les marches
excessives et par la nourriture grossière et irrégulière, Félix Neff
dut quitter ces Hautes Alpes auxquelles il s'était donné tout entier.
Il dut se retirer en mai 1827, se rendit aux eaux de
Plombières sans y trouver de soulagement, et vint mourir à Genève, le
12 avril 1829. Il n'avait que 31 ans.
Pendant toute sa maladie, il ne cessa de se tenir en
relations avec son troupeau, par des lettres débordantes d'affection,
en même temps que riches en expérience et en sagesse chrétiennes.
Freissinière se prépare à célébrer, en août prochain (1),
le centenaire du temple des Violins, qui sera
restauré par les soins d'un Comité, dont l'âme est B. Vallotton, et
qui compte fournir à cette paroisse déshéritée les moyens d'instituer
des oeuvres sociales de jeunesse et de culture, auxquelles sont depuis
longtemps habituées les églises des villes.
Les Vaudois du Piémont sont depuis sept siècles en
relation avec ceux de Freissinière ; c'est de là que la
persécution a poussé chez nous les Baridon, les Giraud, les Roux et
maintes autres familles. Aussi notre peuple et notre Église ne peuvent
manquer de suivre avec intérêt cette célébration, dont se réjouissent,
à juste titre, nos frères du Briançonnais.
oberto d'Azeglio, l'avocat Audifredi, Cavour et d'autres Piémontais,
honneur du parti libéral, peuvent être nommés parmi ceux qui, par la
parole, par la plume ou par l'action, préparent le mouvement des
esprits qui amena le roi Charles-Albert à signer l'Édit d'Émancipation
des Vaudois.
Mais il est juste de réserver une place parmi eux à un
pasteur vaudois, qui sut mettre à profit le poste qui lui avait été
confié, pour informer ceux qui approchaient le souverain, des besoins,
des aspirations et des droits des habitants des Vallées.
Fils et petit-fils de pasteurs, d'une famille originaire
de Pramol, Amédée Bert naquit à Sainte-Marguerite (La Tour), le 9
février 1809. Il fit ses études à l'École Latine de son pays natal,
puis au Collège et à l'Académie de Genève. Consacré en 1832, il fut
envoyé à Rodoret. C'était au temps où les jeunes pasteurs devaient, au
début de leur carrière, faire leur tour de montagne, c'est-à-dire
desservir d'abord une des paroisses alpestres de Pral, Rodoret et
Massel. Cette mesure, qui a été abandonnée depuis de longues années,
aurait encore souvent sa raison d'être aujourd'hui.
Au reste, dès l'année suivante, Amédée Bert était appelé
à remplacer son beau-frère, J. Pierre Bonjour, comme chapelain des
ambassades d'Angleterre, de Prusse et de Hollande, près de la Cour de
Turin. C'est là que se poursuivit toute son activité pastorale,
jusqu'en 1864, alors que le transfert de la capitale à Florence amena
la suppression de ce poste. Amédée Bert y déploya une grande activité,
une charité inlassable, une largeur de vues qui lui permit d'établir,
dans le monde catholique au sein duquel il vivait, des relations qui
devinrent très utiles à tout le peuple vaudois.
Il était sévèrement défendu d'admettre aucun catholique
au culte de l'ambassade ; par contre, la colonie vaudoise et
suisse de Turin, déjà assez nombreuse, le fréquentait assidûment. Bert
fit publier, à son intention, un recueil de chants qui
eut plus d'une édition. Pour éviter les conversions in extremis,
que le zèle aveugle des prêtres et nonnes recherchait, et recherche
encore aujourd'hui dans les hôpitaux, il ouvrit, annexé à son propre
appartement, un petit refuge, qui fut le noyau de l'Hôpital de
la Rue Berthollet. Amédée Bert en fut, non seulement le directeur,
mais souvent aussi l'infirmier, en même temps qu'il savait trouver,
auprès de ses amis fortunés, les moyens de subvenir à cette oeuvre de
piété.
Les écoles publiques étaient alors sous la tutelle
étroite du clergé, et les prières latines et la dottrinella
étaient ce qu'il importait le plus d'y enseigner. Bert ouvrit,
toujours dans sa maison, l'école protestante qui, pendant un
demi-siècle, offrit une instruction solide et une éducation soignée à
des milliers d'enfants.
Il dut aussi souvent intervenir auprès des autorités en
faveur des Vaudois auxquels on ne garantissait pas même les quelques
libertés que les lois leur assuraient. Il mit à profit, pour cela,
l'ascendant qu'il avait acquis sur les ambassadeurs, surtout sur celui
du roi de Prusse, zélé défenseur des évangéliques opprimés.
Lorsque, obsédé par l'évêque de Pignerol, Charles-Albert
eut accordé le décret d'arrestation du pasteur Alexis Muston, parce
que, au terme de ses études, il avait publié à Strasbourg sa thèse sur
l'origine des Vaudois, le Roi en avertit le comte Waldburg-Truchsess,
qui en informa à son tour son chapelain.
C'était le 8 janvier 1835. Amédée Bert voyagea toute la
nuit et arriva le matin du 9, par 15 degrés sous zéro, à Rodoret,
qu'il trouva enseveli sous un épais manteau de neige. Muston, qui en
était le pasteur, était absent, s'étant rendu à Bobi auprès de ses
vieux parents. Prévoyant cette possibilité, Bert lui avait envoyé
depuis Pignerol un homme de confiance. C'est ainsi que Muston put
passer le Col de la Croix cette même nuit, et qu'il commença sa vie
d'exilé. La hâte de Bert n'était pas excessive : en redescendant
l'Eicialeiras, il rencontra les gendarmes porteurs du mandat
d'arrêt !
Aux approches de 1848, Amédée Bert déploya une grande
activité de parole et de plume pour faire entendre aux puissants la
voix des aspirations des Vaudois ; ainsi, par un courageux
discours prononcé en 1847, dans un banquet public. Ce discours, qui
fut publié, ouvrit les yeux de plusieurs, et ne fut pas étranger à
l'action, entreprise par Robert d'Azeglio, d'amener le Roi à étendre
aux Vaudois les bienfaits du Statuto.
Ils le savaient bien ceux qui, aux premiers bruits, qui
coururent sur le décret d'Émancipation, se portèrent en grand nombre
sous ses fenêtres et lui, firent une ovation chaleureuse.
La liberté ayant permis d'ouvrir le temple de Turin, sa
congrégation s'y transporta, et on lui envoya des collaborateurs en
vue de l'évangélisation.
Amédée Bert passa les années de sa retraite à La Tour,
remplissant les charges de conseiller communal, juge de paix,
inspecteur scolaire, s'efforçant aussi d'élever le niveau
intellectuel. des ouvriers des fabriques, au moyen de conférences
d'histoire nationale et de sciences naturelles. Il est l'auteur d'un
petit Vocabulaire Italien-Français et d'une Storia dei Valdesi.
Les notes qu'il a laissées ont permis à son fils de publier ses
souvenirs posthumes, en un fort volume de 340 pages, sous le titre de
Gite e ricordi di un bisnonno.
Il fut frappé de mort subite, le 14 mars 1883, à
Sainte-Marguerite, dont la rue centrale porte aujourd'hui son nom. La
foule accourue à ses funérailles montra à quel point il était
populaire et combien de personnes lui devaient de la reconnaissance.
Si, aux approches de l'année 1848, les lois d'exception s'étaient
adoucies et si, en particulier, plusieurs Vaudois avaient pu s'établir
à Pignerol et un plus grand nombre encore à Turin, où ils
fréquentaient les cultes présidés, à l'ambassade prussienne, par
Amédée Bert, ces mêmes lois demeuraient en vigueur et pouvaient être
appliquées. Les rapts d'enfants n'avaient pas entièrement cessé, et
l'évêque Charvaz exerçait toujours son influence réactionnaire sur le
roi Charles-Albert. Cependant, un mouvement se produisait dans
l'esprit des populations, favorable à la liberté et aux droits de
l'homme et du citoyen, proclamés par la Révolution française.
Charles-Albert se sentait poussé, d'un côté, par son
ministre, Solaro della Margherita, conservateur à outrance, de l'autre
par un groupe, dont le nombre allait croissant, de personnages de
marque, épris des idées libérales du temps, tels que Gioberti, Balbo,
Cavour, Brofferio, Borelli, Valerio, et à leur tête les frères
d'Azeglio.
Très pieux, le roi craignait surtout que la liberté
nuisît à la religion, et que les croyances protestantes entamassent le
bloc du romanisme. Il visita La Tour, en 1844, pour l'inauguration de
la nouvelle église, et de la mission qui y fut annexée par l'Ordre des
Saints Maurice et Lazare pour la conversion des Vaudois. À cette
occasion, il reçut de ceux-ci un accueil si chaleureux et sincère, que
ses sentiments à leur égard devinrent de plus en plus bienveillants.
Il écrivait, plus tard, à propos de cette visite : « La
joie universelle, manifestée de plusieurs manières, les sentiments
de respect et d'affection qui se lisaient sur ces visages, tout nous
prouvait que jamais, dans ces coeurs, ne s'étaient affaiblis l'amour
et le dévouement à la Maison de Savoie, par lesquels leurs ancêtres
se sont signalés ».
Après avoir permis de rouvrir le Collège, fermé par son
prédécesseur, Charles-Albert avait aussi autorisé l'ouverture du
Pensionnat pour jeunes filles. Le marquis Robert d'Azeglio vint un
jour le visiter, entra, sans se nommer, pendant une leçon
d'arithmétique, prit la craie des mains du professeur, dont il
continua l'explication, et se retira, satisfait des réponses des
élèves. Il se fit ensuite connaître comme ministre du Roi dans une
lettre élogieuse pour l'Institution.
Cependant, à la fin de 1847, Charles-Albert promulgua
plusieurs réformes, sans rien y Introduire en faveur des Vaudois et
des Israélites.
À un banquet, qui eut lieu à ce propos à Pignerol,
l'avocat Audifredi, de Coni, prononça un toast en faveur des Vaudois,
souhaitant, qu'ils fussent bientôt rendus égaux en tout à leurs
concitoyens, et qu'ils puissent jouir d'une entière liberté. Ces
paroles furent alors considérées comme un acte de courage.
Mais l'action de d'Azeglio eut une plus grande portée. Il
alla droit au but. Connaissant les scrupules religieux, auxquels
étaient dues les hésitations du Roi, il lança une circulaire aux
évêques, en faisant appel à l'exemple du Sauveur et à la charité qui
doit animer ses ministres. Mais la plupart se déclarèrent absolument
contraires, par crainte du prosélytisme vaudois, s'en remettant
d'ailleurs au pape. Puis, à la fin de janvier, ils présentèrent au roi
une protestation formelle et implacable. D'Azeglio y répondit dans le
journal de Cavour, Il Risorgimento, par des paroles indignées,
et concluait en rappelant le proverbe : Chi ha torto non
perdona.
Par contre, six cents personnages influents du Piémont et
de la Ligurie signèrent la pétition au roi. En tête sont inscrits
d'Azeglio, Cavour et Balbo. Tous les journaux que le souffle de la
liberté faisait naître alors, étaient favorables à l'émancipation des
Vaudois et des Israélites.
D'Azeglio présenta au Roi une demande dans ce sens, digne
et chaleureuse, qui fut suivie de près par celle que la Table lut dans
une audience, accordée par Sa Majesté. Celle-ci répondit :
« Je ferai en votre faveur tout ce qui me sera possible ».
Cette concession devait faire partie d'une Constitution, ou Statuto,
qu'il s'agissait de promulguer, comme l'avaient fait plusieurs autres
Souverains. Le Conseil d'État examina la chose dans sa séance, très
animée, du 7 février. Le lendemain, fut affichée dans les rues la
promesse officielle du Statuto ; mais Vaudois et Israélites en
étaient exclus.
C'est alors que d'Azeglio redoubla de zèle et d'activité.
Dès le 9 février, le Risorgimento publiait une lettre du
pasteur Amédée Bert, que la rédaction du journal appuyait
chaleureusement dans son numéro du 15. Le roi céda enfin et signa, le
17 février, l'Édit d'Émancipation. Il ne fut connu officiellement que
le soir du 24, lorsqu'il parut sur la Gazzetta Piemontese.
Aussitôt des milliers de personnes accoururent sous les
fenêtres du pasteur vaudois pour montrer que la population de Turin
accueillait à bras ouverts ces nouveaux concitoyens. Le dimanche 27
fut, pour la capitale du Piémont, une journée de délire. De tous les
États du Roi étaient accourues des députations nombreuses pour
célébrer la concession du Statuto. D'Azeglic,
président du Comité de la fête, décida que les Vaudois défileraient en
tête de l'immense cortège. en disant : Ils ont été assez
longtemps les derniers, qu'ils soient une fois aussi les
premiers !
Ils étaient au nombre de six cents, parmi lesquels dix
pasteurs. Ils marchaient en bon ordre, divisés en escouades, chacune
avec son chef. En tête allaient une douzaine de petits garçons,
portant fièrement leurs cocardes, et faisant flotter leurs drapeaux.
Ils recueillirent une ample moisson de sourires et de rubans
tricolores.
Suivait un fils du pasteur Bert, arborant une riche
bannière, don des Vaudois de Turin. Un côté portait la croix de Savoie
sur fond de soie rouge, l'autre, sur velours bleu, couleur de la
dynastie, les armoiries royales brodées en argent, avec cette
inscription :
offert le lendemain au roi, par l'entremise de d'Azeglio ; ce drapeau est depuis lors déposé à l'Armeria Reale. En 1889, lors de l'inauguration du Musée de La Tour, l'Eglise Vaudoise de Turin en donna une copie exacte.
« Le soir de la fête », écrit d'Azeglio
lui-même, « ils sont tous venus en corps pour me faire leur
visite. Ils ont occupé toute la façade de la maison et toute la cour,
leurs torches à la main, les pasteurs au milieu, et ils ont entonnée
l'hymne national en interrompant les couplets par des acclamations en
mon honneur, qui certainement ont payé avec usure et sans mesure ma
bonne volonté pour leur cause. Ils m'ont témoigné leur reconnaissance
d'une manière si touchante, que j'en perdais la faculté de leur
parler ».
Vaudois, cette reconnaissance que nos pères ont montrée,
envers le marquis Robert d'Azeglio, montrons-la, nous aussi, en
gardant son souvenir dans nos coeurs, et remettons en honneur les vers
de Tournier, jadis chantés partout dans nos Vallées, aujourd'hui
presque oubliés :
- Audifredi, d'Azeglio, nos vrais frères,
- Soyez bénis par tout un peuple heureux,
et le refrain :
Hippolyte (2) Henri, fils aîné du
pasteur Matthieu Gay et de Caroline Long, naquit en 1842, au
presbytère de Rodoret, où son père était installé depuis deux ans pour
faire son tour de montagne, comme c'était alors l'usage pour les
jeunes. Mais, dès le mois d'octobre 1843, il y fut remplacé par le
pasteur David Buffa qui, après un séjour de trois mois, fut écrasé
avec sa famille par l'avalanche qui fondit sur la maison. Après un
ministère de six ans à Pral, Matthieu Gay accepta l'appel de la
paroisse du Villar, où il se rendit en janvier 1849. Il avait alors
six enfants, qui accomplirent ce voyage dans autant de paniers, portés
par trois mulets. O tempora ! o mores ! Il desservit
cette église jusqu'en 1854, puis celle d'Angrogne jusqu'en 1858,
ensuite celle de Pignerol. Rappelé au Villar en 1867, il y acheva son
ministère actif en 1886.
Pendant ce temps, Henri s'était inscrit au Collège, dont
il fréquenta les huit classes. Les langues mortes n'étaient pas de son
goût ; par contre il s'intéressa vivement à l'étude des sciences,
particulièrement de l'histoire naturelle. Il se fit un musée
d'oiseaux, empaillés par lui-même, qu'il donna ensuite au chirurgien
Fissour, d'où il passa au Collège.
De 1860 à 1862 il fut capitaine de la manoeuvre ;
c'est ainsi qu'on appelait les exercices militaires des collégiens,
qui furent comme les précurseurs de l'instruction prémilitaire.
En 1862, atteint par la conscription, il entra à l'école
de cavalerie de Pignerol, malgré le caractère aristocratique de cette
institution, grâce à l'appui de la comtesse della Rocca, à qui il
avait donné des leçons de littérature française. On lui fit néanmoins
sentir son origine roturière et, bien que ses supérieurs n'eussent
pour lui que des louanges, les commandants de l'école changeaient sans
qu'on lui accordât les épaulettes promises et
méritées, tandis que d'autres, moins anciens, étaient promus parce que
nobles et protégés.
Survint la guerre de 1866. Il fut défendu aux militaires
de demander d'y participer ; il put quand même écrire au
ministère, auquel la comtesse della Rocca présenta sa demande. Son
colonel le laissa partir, mais suspendit sa promotion.
La campagne fut si mal conduite que les caractères
bouillants, comme le sien, virent de la trahison, là où l'on ne voit
aujourd'hui que de l'incapacité des chefs de l'État major. Il
écrit : « J'étais royaliste avant 1866 ; mais après la
campagne je me suis trouvé tout à fait républicain ». La goutte
qui fit verser le vase ce fut la loi, qui, après Custoza et Lissa,
établissait qu'un sous-officier devait encore servir six ans pour
passer officier.
Envoyé comme instructeur dans un régiment de cavalerie à
Rimini, ce séjour dans les Romagnes fortifia encore ses sentiments
républicains. En 1867, Garibaldi recueillit des volontaires sur les
confins des États du pape pour marcher sur Rome, la conquérir et la
remettre au roi d'Italie contre de solides garanties en faveur de
toutes les libertés. H. Gay accourut sous ses drapeaux ; mais le
gouvernement prévint l'expédition et la dispersa, obligeant le chef à
rentrer à Caprera.
Gay, qui avait quitté son régiment, pouvait être
considéré comme déserteur. Il dut donc penser à quitter l'Italie, en
avril 1867. Arrivé à Turin, il y laissa l'uniforme. Son père était
pasteur à Pignerol. Mais le fuyard était trop connu dans la ville pour
s'y attarder. Sa mère et ses cadets étaient à Sainte-Marguerite ;
là aussi il dut se contenter de siffler sous leurs fenêtres pour les
informer de son passage.
Au Villar il se rendit chez son régent, J. P. Soulier,
avec lequel il monta chez Fontane des Ferrands. C'est lui qui leur
servit de guide pour passer le col la même nuit. Comme il avait été
blessé au genou, il dut à plus d'une reprise être porté par ses
compagnons de route. C'est ainsi qu'il franchit le col de la Croix. Il
séjourna quelque temps à Arvieu chez le pasteur Hössli, qui écrivit
ensuite au père de l'exilé ses sentiments de reconnaissance pour avoir
connu son fils.
Arrivé à Londres sans argent, il se fit professeur
jusqu'à ce qu'un jour un inconnu lui remit 10.000
francs de la part de Garibaldi, avec une lettre de celui-ci lui
ordonnant de commencer. Sa mission était de former des Comités de
secours pour l'expédition de Rome, pour laquelle il le nommait
capitaine. Il parcourut toute l'Angleterre, d'août à octobre. Comme la
guerre semblait devoir éclater entre la France et la Prusse, il avait
été décidé qu'on en profiterait pour marcher sur la Ville éternelle.
L'impatience du chef précipita les choses. Le 23 octobre Garibaldi
entrait dans l'État de l'Eglise ; mais le 3 novembre il était
repoussé à Mentana, où les chassepots des soldats français firent
merveille, Gay apprit cette nouvelle en même temps que celle de
l'emprisonnement de son général. Appelé à Genève pour une conférence,
comme les choses traînaient en longueur, il s'y inscrivit à
l'Académie, qu'il fréquenta pendant les mois de novembre et décembre.
L'amnistie ayant été publiée, il s'adressa au consul pour rentrer en
Italie ; mais celui-ci le renvoya au consul de Londres, où il
travaillait à l'époque de l'expédition.
Au nouvel an il se trouvait à Lippe Detmold pour
souhaiter une bonne année à son frère Charles. Il essaya de
s'embarquer à Hambourg, puis dans maint autre port ; mais partout
la glace empêchait la navigation. Il se rendit alors à Calais et put
enfin franchir la Manche. Consuls et ambassadeur lui dirent que, pour
être réadmis dans sa patrie, il devait se rendre à Bologne et y
reprendre la vie de soldat pendant plusieurs années avant d'être
officier, ou bien se payer un remplaçant. Il ne pouvait recevoir
d'aide, ni de Comités romains, ni de Garibaldi, qui continuait à
correspondre avec lui et qui l'attendait au printemps pour
recommencer. Mais désormais il est désabusé. C'est ce qui ressort de
sa lettre, du 24 janvier 1868, écrite à son cousin Gay, de Genève. Il
inclut probablement dans son enveloppe l'autographe de Garibaldi, du
14 janvier, qui est avec le temps parvenu au Musée Vaudois.
Il écrit qu'il ne peut désormais que rester en Angleterre
et se caser quelque part « comme instituteur, professeur,
décrotteur ou quelqu'autre eur » et il termine par ces
mots : « Crois en la bouillante amitié de ton cousin H. H.
Gay ».
Il donna à Brighton des conférences très fréquentées, surtout
par les élèves de la pension Cresseil, dont il épousa la directrice.
Les époux transportèrent cette pension à Paris. Mais, après les revers
de la France dans la guerre de 1870, Henri Gay se présenta à Gambetta
comme capitaine. Celui-ci le nomma colonel et le chargea de former en
Algérie le corps de cavalerie dit de l'Étoile. Cependant, quand
Garibaldi eut passé en France, Gay combattit avec lui à Dijon et à
Lantenay.
Plus tard, à Paris, comme il prenait des notes en
allemand, il fut arrêté et condamné à mort sans autre forme de procès.
Comme on l'emmenait au lieu de l'exécution, des Garibaldiens de
passage, priés d'y assister, le reconnurent, l'enlevèrent et le
portèrent en triomphe. La Commune, qui succéda à la Débâcle
lui offrit un emploi, qu'il refusa.
Dans les années de calme qui suivirent, il publia un
aperçu, très apprécié, sur La Formation de la Cavalerie dans
l'armée de la Loire. En 1878 parut à Paris, chez Sandoz, en 270
pages, son principal ouvrage ; Observations sur les instincts
de l'homme et l'intelligence des animaux, souvenirs de voyages,
riches en remarques et faits intéressants et curieux. Il y annonce,
pour paraître prochainement, deux autres publications : Réformes
nécessaires dans la cavalerie européenne, et Les Français de la
Rivière Rouge et du Nord-Ouest pendant la guerre franco-prussienne.
Nous ignorons si ces ouvrages ont vu le jour.
Mais déjà son humeur voyageuse l'avait repris. Se
trouvant à Londres, il lut au Musée Britannique l'annonce d'un
concours pour une place de professeur au Canada. Il se présenta sans
hésiter et le remporta contre 42 concurrents. Tout en gardant sa
chaire d'enseignement, il fit de fréquents voyages dans les deux
Amériques, se créant partout de nouveaux amis.
C'est ainsi que, lorsque Gonzales fut nommé président de
la république du Mexique, il confia à H. Gay, avec le grade de
général, la présidence d'une commission d'exploration pour l'examen
des terrains et des frontières.
Sa femme le rejoignit alors avec ses meubles, tous frais
payés depuis Paris. Mais, après un an, Gonzales fut abattu et Gay
quitta le pays, d'autant plus que sa femme ne
pouvait en supporter le climat. Ils se rendirent à Chicago, où elle
succomba. Ayant vu la publication d'un concours pour la recherche de
mines au Panama, il s'y présenta et fut chargé de la direction des
travaux sur les 30 premiers kilomètres du tracé du célèbre Canal,
alors en construction. Mais il y contracta la terrible fièvre jaune,
qui l'emporta en trois jours. Tout ce qui lui appartenait, documents
et objets précieux, fut volé pendant sa courte maladie.
C'est ainsi que se termina, en 1886, à 44 ans, la
carrière mouvementée de ce Vaudois au caractère fortement trempé et
qui sut affronter et vaincre des difficultés sans cesse renaissantes.
Il laissait aux États-Unis un fils, qui porte le nom de
son vénérable aïeul Matthieu Gay.
Avant l'édit d'Émancipation, il était défendu aux Vaudois de
travailler lors des nombreuses fêtes établies par l'Eglise romaine. À
la suite de suppliques répétées, ils n'avaient obtenu que de pouvoir
s'occuper à huis clos à un travail qui ne fût pas bruyant. Les
contraventions à cette défense étaient punies si rigoureusement que
des propriétés entières y ont parfois passé. On cite le cas du grand
pré des Troussiers, qui aurait été séquestré à un certain Léger pour
payer l'amende qui lui avait été infligée parce que son ouvrier,
catholique, avait martelé sa faux, assis sur le toit de la maison, un
matin de fête.
C'est pour occuper dignement ces repos forcés, tout en
fuyant le spectacle des vaines pompes qui se déroulaient dans leurs
villages, qu'on institua, il y a un siècle, ces réunions en des sites
alpestres, qui sont devenues chères à tout bon Vaudois.
Les premiers à s'y décider furent les dissidents, ou
mômiers, comme on les appelait. Ils n'y pensèrent cependant que
lorsqu'ils eurent résolu de sortir de Babilone, c'est à dire
de rompre avec l'Eglise Vaudoise.
La saison aidant, ils fixèrent la première réunion pour une
des fêtes les plus en vogue, celle de l'Assomption, 15 août 1834: on
se donna rendez-vous à Rougnousa, sur la douce Séa qui sépare Angrogne
de l'Envers-Portes.
La relation nous en été conservée dans le journal intime
d'Antoine Blanc.
Le soir du 14, la pluie tomba à torrents, ce qui retint
plusieurs personnes, surtout du Val Saint-Martin. Le matin du 15, le
brouillard enveloppait la montagne ; mais le chant des cantiques
servait de point de repère pour ceux qui montaient de divers côtés,
sans connaître le pays. Parfois aussi, les nuages se dissipant, les
groupes arrivés et ceux qui étaient en marche se voyaient à distance
et se saluaient joyeusement. On se trouva enfin au nombre de 80
« frères et soeurs », outre une quinzaine de curieux.
Le sujet central des exhortations, le sermon sur la
montagne, inspira de nombreuses allocutions, entre lesquelles
s'intercalèrent des prières et des chants.
Vers midi le temps se rétablit et le spectacle radieux
des montagnes invita les orateurs à rappeler les combats qui s'y
étaient livrés pour la liberté de conscience et les délivrances
accordées par la puissante main de Dieu.
À deux heures on descendit vers le chalet de B. Odin pour
mettre en commun, auprès de sa fontaine, la nourriture frugale que
chacun avait apportée.
Suivirent encore des entretiens fraternels et l'on se
sépara vers cinq heures, tout en regrettant de devoir déjà interrompre
ce rendez-vous bienfaisant.
Ne semble-t-il pas de lire, dans des proportions
réduites, ce qu'ont été depuis les autres Quinze Août ?
Les dissidents continuèrent à se retrouver à Rougnousa
les années suivantes, et plus d'une fois des amis étrangers se
joignirent à eux.
Aux approches des temps de liberté, l'intolérance eut
encore un réveil. En 1845, le curé de Saint-Germain fit une verte
algarade aux Vaudois, qui osaient passer pendant la procession. En
1846, un décret rappela à un rigoureux chômage les jours de fêtes, ce
qui contribua à rendre plus nombreuses les réunions du Quinze Août. De
jeunes pasteurs, qui avaient connu en Suisse la piété profonde et
éclairée des hommes du Réveil, se mêlèrent à cette
célébration, d'autant plus que les mômiers des Vallées s'étaient bien
relâchés dans leur séparatisme outré. Citons parmi ces pasteurs le
bouillant, en même temps qu'irénique, Matthieu Gay.
Les assemblées à Rougnousa durèrent jusqu'en 1854. Mais
déjà, en 1853, l'Union Vaudoise de Saint-Jean avait provoqué une
réunion plus générale, qui eut lieu à Sibaoud le 1er septembre,
« pour resserrer les liens qui doivent nous unir, nous raffermir
dans la foi en Jésus-Christ et, rendre gloire au Dieu de nos
pères ». Plus de 2.000 personnes s'y trouvèrent.
Dans une circulaire imprimée, en date du 10 juillet 1854,
la même Union annonçait d'avoir, d'accord avec celles de La Tour,
Angrogne et Villar, fixé le 15 août suivant pour une fête à la
Balsille.
On y vit plusieurs amis étrangers, quelques-uns desquels
prirent la parole, de même que le professeur Niccolini, patriote
toscan proscrit, récemment amené à l'Évangile.
La Table était toute présente, ainsi que la plupart des
pasteurs. P. Lantaret y lut la poésie d'Alexis Muston : Le retour
de l'exil, qui, mise en musique par Bost, est devenue un de nos
hymnes nationaux.
Les présents, au nombre de plus de 3.000, venus même de
Rorà, se séparèrent à 3 heures.
Les Unions avaient publié une feuille intitulée Récits
et Chants, etc., qui fut distribuée avant la réunion, permettant
à chacun de connaître les faits qui s'étaient passés là, et de prendre
part au chant des cantiques.
Cette initiative excellente, qui ne serait pas hors de
saison de nos jours, fut continuée pour les réunions, tout aussi
solennelles, du Pradutour (1855), de la Sarra (sic) (1856), Roccia
Maneout (1857), Ciampet (1858), Pral (1859), Piampra (1860), Vachère
(1861), les Pians (1862).
Puis l'enthousiasme général se refroidit quelque peu. Les
habitants du Val Luserne se réunirent à part, à tour dans chaque
commune ; le Val Pérouse et le bas du Val Saint-Martin, à Las
Arà ; Maneille, Macel, Rodoret et Pral, à la Collette des
Fontaines.
La fête de 1880, aux Stringats d'Angrogne, eut une importance
spéciale, à l'occasion du centenaire des écoles du dimanche, ainsi que
celle de 1881, à la Pradera (La Tour), où Français Coillard fit
entendre un vibrant appel en faveur des Missions.
Le deuxième centenaire des événements de 1685-1690 fit
renaître le désir de réunir les trois Vallées, d'où les assemblées
solennelles et extrêmement nombreuses de 1885 à Las Arà, 1886 à la
Vachère, 1888 à Pramol, pour la dédicace du nouveau temple, 1889 à la
Balsille, Pral et Sibaoud, 1890 au Chiot d'Angrogne.
Puis on en vint à n'avoir une réunion générale que tous
les cinq ans, sur la chaîne centrale des Vallées, à la Vachère ou non
loin de là, à Pragiassaut.
Depuis quelques années, la réunion de l'après-midi est
particulièrement réservée à la jeunesse.
Une surveillance, confiée aux Jeunes Gens des Unions,
avec l'appui des autorités communales, a fait cesser les inconvénients
causés, en marge de l'assemblée, par les débitants de boissons
alcooliques.
C'est ainsi qu'une réunion, provoquée à l'origine par
l'intolérance, a donné naissance à une célébration devenue chère à
tout le peuple vaudois.
La première moitié du XVIIIe siècle fut pour les Vallées une époque
de grande misère matérielle. C'est à grand'peine qu'à travers les
guerres presque incessantes nos pères avaient pu relever les ruines
accumulées en 1686 et remettre en culture les terrains tombés en
friche pendant l'exil.
Les impôts étaient écrasants. Mais ce qui finit de
réduire aux abois ces populations alpestres ce furent une suite de
mauvaises récoltes et de terribles intempéries. Une trombe d'eau, qui
fondit en août 1728 sur les hautes vallées, grossit tous les torrents
à tel point que le Villar et Bobi subirent des ravages terribles,
inutilisant ; pour longtemps les terrains les
meilleurs. Ce dernier village ne fut même pas protégé contre la furie
des eaux par son rempart séculaire.
À l'ouïe de ces nouvelles, la charité des protestants
étrangers s'émut, surtout en Suisse, en Angleterre et en Hollande.
Les Pays-Bas avaient pris à coeur les intérêts des
Vaudois tôt après les massacres de 1655 et depuis lors cet intérêt ne
s'était pas démenti, en particulier dans les églises wallonnes,
auxquelles s'étaient rattachés les nombreux réfugiés huguenots, parce
qu'elles célébraient leur culte en français. C'est ainsi qu'en 1727 le
synode wallon votait 9000 florins pour les Vaudois qui étudiaient à
l'étranger en vue du ministère ; ce subside fut porté plus tard à
12.000. Mais les désastres causés par l'inondation de 1728 émurent les
âmes charitables à tel point que, la même année, 50.000 florins furent
collectés dans les Provinces Unies. Trente mille furent tout de suite
envoyés aux Vallées et distribués aux sinistrés pour les arracher à
leur dénûment et leur permettre de relever les ruines. Les autres
vingt mille furent constitués en un fonds de secours permanent. Chaque
église expédiait ses dons à part ; ainsi, encore en 1728, Namur
fit parvenir aux Vallées 516 florins, Amsterdam en envoya 697 en 1729.
Michel Léger, pasteur à Genève et petit-fils d'Antoine,
modérateur et pasteur de Saint-Jean expulsé en 1644, fut délégué aux
Vallées pour examiner les conditions des Vaudois. Une copie du
rapport, qu'il écrivit en 1730 sur son enquête, fut envoyé en Hollande
et fit connaître les difficultés matérielles que traversaient les
familles des pasteurs et des régents, ainsi que la nécessité de
soutenir l'instruction élémentaire. Cette même année une nouvelle
collecte, faite en Hollande, produisit 20.000 florins, que Léger fut
chargé de distribuer lui-même. D'autres secours furent envoyés les
années suivantes, jusqu'à ce que le synode wallon de 1734 délégua
l'administration du Fonds Vaudois aux quatre églises qui avaient
contribué avec plus de générosité. C'étaient celles d'Amsterdam, la
Haye, Delft et Rotterdam. À la suite d'un nouveau synode, les quatre
commissaires se réunirent à Amsterdam, le 9 septembre 1735, et se
constituèrent en Comité Wallon. Le capital qui fut confié à leur administration
s'élevait alors à 21.015 florins, produisant un revenu de 704 florins,
qui furent dès lors envoyés annuellement aux Vallées.
En 1744 le secours hollandais permit d'élever et de
prolonger le vieux rempart, qui n'avait pas suffi à garantir la Ville
de Bobi contre l'inondation de 1728. Il a encore été allongé
récemment, à la suite de l'alluvion de 1920.
Tout en contribuant à relever les honoraires mesquins des
pasteurs, des régents paroissiaux, et des veuves de ces ouvriers de
l'église, les commissaires wallons pourvurent à augmenter le nombre
des écoles de quartier, pour obvier à l'ignorance, compagne de la
misère. En 1740 on comptait 32 de ces « petites écoles »,
dont la moitié au Val Luserne, 7 au Val Pérouse et 9 au Val
Saint-Martin. Portées plus tard au nombre de 38, elles reçurent, au
XIXe siècle, une nouvelle impulsion énergique grâce à l'ambassadeur de
Prusse Waldbourg-Truchsess et au général Beckwith.
Des dons spéciaux furent aussi souvent envoyés pour des
besoins particuliers ou à l'occasion de mauvaises récoltes causées par
la grêle, d'avalanches ou d'inondations.
En 1760 et 1762 le Comité rédigea des Mémoires sur l'état
des Vallées, qui provoquèrent de nouvelles collectes. En 1763 ils
fixèrent à 4000 francs la somme annuelle à atteindre ;
l'Angleterre devait en outre fournir 260 livres sterling, la Suisse
160 florins. On put ainsi augmenter de 300 livres la somme attribuée
aux maîtres d'école et porter de 400 à 900 celle qui était destinée
aux pauvres.
L'église de Middelburg ayant concouru à la collecte avec
un élan particulier, son pasteur fut appelé à faire partie du Comité,
qui s'adjoignit aussi un ancien en qualité de trésorier.
À partir de 1767 le Comité Wallon maintint aux Vallées
l'École Latine, qu'il ne ferma qu'en 1836, après que le Collège, fondé
par Gilly et Beckwith, eut été solidement organisé.
Le Président ou le Secrétaire fut tour à tour la cheville
ouvrière du Comité, en entretenant une correspondance très active,
avec la Table Vaudoise. De leurs lettres ressort une connaissance
approfondie des besoins des Vallées. Les étudiants en théologie
étaient suivis avec un intérêt particulier.
Quelques jeunes pasteurs, admirateurs de Voltaire, étant
rentrés aux Vallées avec des sentiments rationalistes, dont leur
prédication se ressentait, le Comité intervint en 1767 pour imposer la
signature d'un Acte d'Uniformité, afin de garantir la pureté de la
doctrine. Ceux qui refuseraient de le signer seraient privés du
subside.
Depuis la fondation des Hôpitaux, et plus tard de
l'Orphelinat, ces établissements bénéficièrent aussi de ces envois
d'argent, ainsi que l'enseignement de la Bible et de la langue
française.
L'espace limité ne nous permet pas d'insister davantage
sur les nombreux sujets de gratitude que les Vaudois ont envers le
Comité Wallon.
Nous nous limiterons à nommer les amis de notre Église,
qui ont successivement eu en mains la direction de cette
administration. Ce sont Samuel Chatelain (1735-75), H. Certon et
Samuel Robert (1775-1810), P. Mounier (1810-43), J, Daniel Revel, de
Saint-Jean, pasteur à la Haye (1843-55), P. Mounier (1855-82), puis
Louis Bresson comme secrétaire et A. Perk comme président, enfin P.
Reyss secrétaire, A. Arnal président.
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