Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PERSONNAGES ET ÉPISODES DU XVII SIÈCLE


Le Bars de la Taillola.

Castelus, énorme rocher aux contours élégants, forme le principal ornement du pittoresque fond de tableau devant lequel s'étagent La Tour et sa colline. Il est en même temps comme le point central autour duquel s'est déroulée l'histoire, tant légendaire que religieuse, de toute la vallée du Pélis.

Au temps où les Vaudois, obligés par leur multiplication à se créer de nouvelles ressources, mais empêchés de s'étendre vers la plaine, étaient au contraire refoulés vers les hauteurs, le Vandalin offrait un aspect plus hospitalier qu'aujourd'hui. Le haut était boisé, comme l'indique le nom de Sapé donné à la région centrale ; Rabeiril et les Picarelle supportaient des bouts de champs et l'on comptait jusqu'à quinze tas de gerbes du blé recueilli au Chio de Castelus. Là du moins les pillards ne pouvaient atteindre ces dernières ressources des habitants pourchassés. Deux seules voies d'accès, l'une et l'autre malaisées et facilement interceptées, amènent du bas sur la roche, par l'Oïssa et le Përtus. Par contre, du Chio de Castelus partent des sentiers permettant de se rendre rapidement sur les hauteurs du Villar et d'Angrogne ; c'est par là qu'en 1561 la Compagnie Volante accourait, de la Combe du Villar, sa résidence, au secours des communes menacées. Plus bas, au pied de la paroi du Bars, passait un chemin parcourant à mi-côte toute la vallée et que le comte de la Trinité comparait à ceux que les Suisses avaient fait pour se porter secours d'un canton â l'autre.

À ces souvenirs guerriers s'ajoute celui de Janavel, (dont la tradition voit le hardi profil se dessinant sur le haut de Castelus), armé de sa formidable couleuvrine et surveillant les mouvements de l'ennemi, du Villar à St-Jean, de Pian Pra à la Sea.
D'autres souvenirs encore hantent la région : ce sont ceux des vieillards, des femmes, des enfants qui, fuyant leurs demeures incendiées et leurs campagnes ravagées, ont cherché un refuge dans les anfractuosités de la montagne. C'est dans la caverne de Costa Chiosa que le capitaine Reymondet, du Cougn, cacha sa famille en 1560 ; d'autres fugitifs se glissèrent dans la profonde Barma l'Oudet encore inexplorée. Une jeune fille des Bonnets se hissa avec son aïeul dans un repli de la paroi sud de Castelus, avec une chèvre, dont le lait les nourrissait. Découverts par les massacreurs, le vénérable vieillard, âgé de 103 ans, fut égorgé ; la jeune fille, pour sauver son honneur, se jeta dans le précipice et y trouva la mort, en poussant un cri, dont les montagnards écoutent encore, le soir, l'écho plaintif s'élevant vers le ciel.
On appelle cette cachette la Barma de la bella Giana.

Près de là, au-dessus du rocher qui porte l'empreinte de la Peà dar Diaou, une autre cachette recelait des documents précieux de l'Eglise Vaudoise.
Cette paroi de Castelus, dont chaque roche, chaque repli a son histoire, domine une pente rapide et parsemée de buissons, qui termine brusquement au haut d'une autre paroi. C'est dans celle-ci que se cache le Bars de la Taillola.

Au-dessus de la roche, la légende indique le Mariôu, c'est à dire la place, d'où un vénérable patriarche des siècles avant que la civilisation ou le christianisme eussent introduit les cérémonies du mariage, sanctionnait, de sa bénédiction paternelle, l'union conjugale des membres de sa tribu.

Nos historiens ne nomment jamais le Bars de la Taillola, et pour cause, les temps pouvaient revenir où on aurait encore besoin de cette retraite. Mais, s'ils ne le nomment pas, ils ne l'ignorent cependant pas. Voici ce qu'en écrit J. Léger, en 1669: « Sur une pointe de la montagne de Vandelin est une grande caverne en un entre-deux du rocher, toute taillée dans le rocher, et par la nature et par l'art, à peu près ronde et voûtée en forme d'un four, si spacieuse qu'elle peut contenir 300 ou 400 personnes. Même il y a des fentes dans le rocher, qui servent de fenêtres et sentinelles tout ensemble. Il y a quelques chambres, une grande fontaine et même quelques arbres et un four pour cuire du pain. De plus, l'on y voit encore des pièces d'une maits à pétrir, extrêmement vieilles, et des pièces d'armoire. Il est absolument impossible d'y entrer que par un seul trou par le haut, on n'y peut dévaler qu'une seule personne à la fois, qui se coule par cette fente par de petits degrés, coupés dans ce rocher, de sorte qu'une seule personne, y étant dedans seulement avec une pique ou hallebarde, se peut défendre contre une armée toute entière ».

Si cette dernière partie, relative à la manière de pénétrer dans le Bars, est assez exacte, on reconnaît dans les premières données la plume de quelqu'un qui n'a jamais visité la localité, et qui la décrit, du fond de l'exil, par ouï dire. C'est sans doute là que fut martyrisée une pauvre femme que Léger dit avoir été surprise dans une caverne proche de Castelus.

Le nom de Taillola, ou poulie, lui vient de ce qu'un système de cordes et de poulies en aurait jadis facilité l'accès. Il n'en reste aucune trace et, tandis que quelques-uns la placent au-dessus de la roche, d'autres, avec plus de probabilité, croient qu'elle partait du Bars même et qu'elle servait moins à hisser les personnes que les vivres, le bois et autres choses nécessaires.

Le Bars était si peu connu, il y a un siècle, que Gilly, lors de son premier voyage, ne réussit pas à s'y faire conduire ; on ne sut que l'amener sur Castelus, dont il explora vainement tous les recoins. Ce ne fut qu'en 1829 que, guidé par un Chanforan des Bonnets, il y pénétra avec son frère. On y lit encore leurs noms, gravés sur la roche. Un dessin de l'extérieur, dû à Mme Gilly, orne la relation de ce voyage.
Branley-Moore, l'auteur du roman bien connu: Les Six Soeurs des Vallées, l'a visité minutieusement et y a placé un épisode tragique de son récit.

Depuis quelques années, cette localité a reçu d'assez nombreux visiteurs. Elle serait néanmoins demeurée inaccessible à la plupart, sans les travaux qui viennent d'être inaugurés. On ne peut que louer le sens pratique des exécuteurs, qui ont réussi à faciliter l'accès, sans enlever en rien, à la roche, de son aspect et en permettant au visiteur de se rendre compte des difficultés et des dangers que l'on courait auparavant en y pénétrant.

Le nombre des personnes, accourues même des Paroisses voisines pour cette inauguration, malgré : un temps pluvieux, montre que le souvenir des souffrances et de la fidélité de nos pères vibre encore dans les coeurs. Puisse, la vue des lieux témoins de la « patience des saints » nous inciter à être fidèles jusqu'à l'a mort, afin d'héritier, nous aussi, la couronne de vie.



Antoine Bonjour.

Le vénérable pasteur, dont nous retraçons aujourd'hui l'histoire, naquit à Malpertus, hameau de Bobi, vers la moitié du XVIe siècle. Il était le troisième des six fils d'Étienne Bonjour, apparemment le plus gros propriétaire du quartier.
Il fut sans doute, dans ses jeunes années, le témoin des actes héroïques de la guerre contre le comte de la Trinité, il vit l'odieux Castrocaro élever le fort de Mirabouc, qui allait entraver les communications des habitants de son vallon avec leurs alpages du Pra et du Pis. Ce fut probablement le pasteur Humbert Reymond qui remarqua l'intelligence éveillée de son jeune catéchumène. Ce docte ministre qui avait une fois défié un moine à disputer avec lui en latin, grec ou hébreu, à son choix, sut sans doute enflammer le jeune homme du désir d'apprendre.

On peut croire que ce fut lui qui l'initia aux mystères des langues anciennes, en même temps qu'il l'incitait, par son exemple, à devenir le serviteur de Dieu et de ses frères, lorsque maître et disciple, parcouraient ensemble le vaste territoire de la paroisse.

La première date précise, concernant Antoine Bonjour, est celle de 1578, alors qu'on le trouve inscrit parmi les habitants de Genève comme étudiant. Le 20 mai 1579, il s'inscrivait au registre de l'Académie, comme Antonius Boniornij Angroniensis stud. theolo. On disait alors les Vallées d'Arigrogne pour indiquer les Vallées Vaudoises en général. Le même jour, s'inscrivait Philippus Brunus Nolanus sacrae theologiae professor, qui pourrait bien être le même que le célèbre et infortuné Giordano Bruno.

Bonjour entra dans le ministère actif dès 1580 ou 1581, mais on ignore tout de lui jusqu'en 1597. Peut-être fut-il placé tout de suite à Pravillelm, église pénible où l'on envoyait de préférence les jeunes. Cette paroisse, s'étendant sur tout l'envers de Paesana, dans la Vallée du Pô, comprenait quatre quartiers dans trois vallons différents. On y comptait 400 âmes en 1603, après les premières mesures de rigueur ; il y en avait sans doute beaucoup plus pendant le ministère de Bonjour, puisque, avant lui, il y avait eu deux pasteurs en même temps, l'un résidant à Pravillelm et ayant aussi la charge de Croesio, près du Pô, l'autre aux Biolets, avec l'annexe de Biétoné.

Bonjour épousa Elisabeth Jordan, dont le père, natif de St-Chaffrey près Briançon, avait été pasteur aux Biolets, puis au Val Pérouse. Une soeur de Madona Elisabeth était la femme du chirurgien Barthélemy Monero, de Croesio. Antoine et Elisabeth n'eurent point d'enfants.

La Vallée du Pô avait été conquise en 1588, avec tout le marquisat de Saluces, par Charles Emmanuel 1er qui laissa aux nombreux réformés de la région la même liberté religieuse que sous les Français, tant qu'il ne fut pas sûr de conserver sa conquête, mais qui se départit, dès qu'il le put, de cette politique de tolérance. Au reste, Pravillelm était la seule église du Marquisat qui eût un pasteur résident. C'est ce que les ennemis ne pouvaient supporter. Un ami ayant prévenu quelques hommes de Pravillelm qu'on se disposait à arrêter leur pasteur, on avisa au moyen de l'en préserver. Dans de semblables occasions, on se retirait au Val Luserne par la Giana, la route par Barge et Bagnol étant peu sûre. Mais les montagnes étaient chargées de neige ; aussi fut-il décidé qu'il se transporterait dans un autre quartier, sans doute aux Biolets. Mais, pour éviter la neige, on se tint au chemin inférieur, qui passe près de Paesana. Comme la petite troupe y passait, en pleine nuit du 27 février 1597, les soldats de la garnison de Revel, qui y étaient en embuscade, surprirent l'escorte et se saisirent du pasteur, qu'ils emmenèrent à Revel. Le gouverneur, comte de Piossasc, l'enferma étroitement ; mais, après quelque temps, il le laissa libre dans toute l'enceinte du château.
Cependant, ses amis agissaient auprès des grands pour obtenir sa libération, et ses parents avaient recueilli une grosse somme pour payer sa rançon. Mais l'Inquisition s'y opposait.

L'été venu, comme le Duc guerroyait en Savoie et le comte de Piossasc en Val Cluson, l'Inquisition obtint de la régence que la Comtesse eût ordre de livrer le ministre. Le chirurgien Monero, beau-frère du prisonnier, en étant informé, vint, comme d'habitude, pour lui faire la barbe et lui dit à l'oreille quel danger le menaçait, en même temps, qu'il lui donnait une corde pour se dévaler en bas de la muraille. C'était le 14 août, vers midi. Les soldats, qui n'étaient pas de garde à la porte, faisaient leur sieste. Bonjour se laissa glisser, non sans dangers, le long du mur et du rocher qui le supporte et, remontant la crête de la colline, il se jeta parmi les arbres et les buissons qui revêtent la colline de Rifreddo, pendant qu'il entendait, autour du château, de grands cris des soldats et l'aboiement des chiens. Il traversa les flancs du Mombrac, passa le Pô inaperçu et atteignit de nuit Pravillelm, où son beau-frère ne tarda pas à le rejoindre. Craignant qu'on ne vînt le relancer, une centaine de ses paroissiens, armés d'arquebuses, l'escortèrent par la montagne jusqu'à Bobi, où il exerça dès lors son ministère jusqu'à la fin de ses jours.

Il fut le dernier pasteur en titre des Vaudois de la Vallée du Pô. Ce ministère était si dangereux que, depuis lors, on n'envoyait que des ministres en tournée, qui tenaient en secret de petites assemblées de culte.



Antoine Bonjour, pasteur à Bobi.

Nous avons vu Antoine Bonjour s'évader du château de Revel et se retirer à Malpertus, sa patrie, en 1597. Le synode le nomma pasteur de Bobi, et c'est là qu'il termina ses jours, après un long et fidèle ministère. Il y fut suivi par son beau-frère, le chirurgien Monero, qui avait été l'instrument de sa délivrance et était par conséquent compromis auprès des autorités malveillantes.
La paroisse fit un excellent accueil à son nouveau conducteur, échappé aux tenailles des Inquisiteurs. Elle était probablement vacante depuis quelques mois, le pasteur Augustin Grosso ayant été transféré à Angrogne en 1596.
C'est sans doute en honneur de Bonjour que fut bâti, ou tout au moins restauré à fond, le presbytère, où l'on lit encore, sur la pierre d'angle, la date 1597.

De cette résidence centrale, Bonjour rayonnait dans les nombreux hameaux composant sa vaste église, grimpait à la Sarsenà, parcourait les trois vallons, alors très peuplés, et prêchait quatre fois par semaine, au temple du centre, et à ceux de l'Armaillî pour la Combe de Giaussarand, des oeueyrus pour celle de la Ferrière, et de la Roumana pour le Valguichard.
En été, quand des paroissiens occupaient les huit alpages, du Pis à Julien, barbe Antoine les visitait et leur faisait un culte sous la voûte du ciel.

En juillet 1601, le duc de Savoie, assuré par le traité de Lyon de pouvoir conserver le marquisat de Saluces, leva soudain le masque de tolérance, qu'il avait gardé jusqu'alors, et décréta l'expulsion des réformés. Ceux de Pravillelm obtinrent bientôt de pouvoir rentrer. Néanmoins, cette concession était si précaire, que plusieurs se fixèrent à Bobi, auprès de leur ancien ministre. Ce fut le cas de deux familles Berton, d'où sortirent deux jeunes gens que le pasteur encouragea à étudier. L'un devint ministre et mourut de la peste. C'est de l'autre, qui fut chirurgien, que descendent ceux qui portent encore ce nom à Bobi.

Il s'y trouvait déjà les nobles familles que la persécution de 1565 avait chassées de Coni, Carail, du comté de Nice. Chaque nouvelle vague de persécution poussait de nouveaux réchappés vers cette commune qui, étant la plus reculée de la vallée, semblait devoir offrir un asile plus sûr. Ainsi en 1602 Bobi servit de refuge à quelques familles de Bubiane. Non, cependant, que ce séjour fût à l'abri des ennemis de la foi.
En effet, le 1er juillet 1603, le capitaine Gallina, de garnison à Luserne, survint à l'improviste avec sa compagnie, sous prétexte de rechercher des bannis, et commença à maltraiter et blesser ceux qu'il rencontrait. Mais, comme il traversait le bas de la ville sans s'arrêter, on devina qu'il cherchait le pasteur, la cure étant au haut du village. Bonjour, averti, put se retirer vers les vignes, pendant que les habitants s'armaient et que le tocsin appelait à la rescousse ceux de toute la vallée. On se trouva bientôt si nombreux que Gallina, se voyant cerné, changea de ton, demanda pardon de ses excès et n'osa se retirer que sous bonne escorte.

Bonjour put continuer en paix son ministère. On le voit pacifiant les discordes pour empêcher qu'elles dégénérassent en procès ruineux, visitant les malades, assistant les mourants jusque dans les hameaux les plus reculés.
De 1612 à 1614 fut placé auprès de lui, soit pour l'aider dans sa tâche pénible, soit pour faire son stage, son disciple, le jeune pasteur Jean Berton.

Bonjour prenait aussi une part active à la vie ecclésiastique du peuple vaudois. Ainsi, il était Modérateur au synode de 1615, « presiedeva il vecchio Messere Antonio Bongiorno », nous apprend Rorengo. Malgré son âge, il se rendit encore au synode de Pral en 1625, et y fut nommé Adjoint.

Ses dernières années furent assombries par le deuil, la maladie et les divers fléaux qui s'abattirent sur les Vallées. C'est vers cette époque qu'il perdit la fidèle compagne de ses dangers et de ses travaux, Elisabeth, fille du pasteur Bertrand Jordan. L'année suivante, il fit son testament, dans une pièce de l'étage supérieur de la cure, « nella camera disopra il portico della casa della comunità, abitazione del testatore », où il se trouvait malade. Il est assisté par le pasteur du Villar et par le chirurgien, sans doute pour l'immanquable saignée. Il remercie Dieu de l'avoir appelé au nombre de ses élus, et de l'avoir fait son ministre pour prêcher sa Sainte Parole, ce qu'il a fait depuis plus de 45 ans, et il lui demande de pouvoir persévérer dans la foi et dans sa charge jusqu'à la fin de ses jours.

Se trouvant seul et avancé en âge, il avait épousé en seconde noces, en décembre 1625, madona Constance, veuve Michelin. Il lui lègue 40 écus par an de pension, pour se suffire et avoir même une domestique, si elle en a besoin. S'il s'achète une maison pour y vivre pendant son éméritation, elle en aura l'usufruit ; sans cela, les héritiers lui donneront 3 écus par an pour l'aider à payer son loyer.

Ces héritiers sont ses quatre frères, mais il fait des legs particuliers à chacun de ses neveux et nièces, celles-ci mariées Rostagnol, Billour, Geymonat, Giraudin. À remarquer le legs spécial qu'il fait, de 50 écus, pour aider son neveu, sieur Jean Bonjour, étudiant, mais seulement s'il veut étudier la théologie et exercer le ministère. Il lui laisse en outre le tiers de ses livres, de théologie et d'humanités.

Le vénérable vieillard se releva de sa maladie, mais sa constitution ébranlée ne lui permit plus de reprendre entièrement ses fonctions. Lé synode dut y aviser, d'autant plus que c'était alors que le prieur Rorengo travaillait activement pour placer des moines dans chaque commune. On lui adjoignit au moins dès les premiers mois de 1627, le pasteur Valère Grosso, tout en lui laissant l'usage d'une partie du presbytère.
Des actes de février 1629 le montrent incapable de faire sa signature per tremor e debolezza delle mani. La 19 de ce mois, assis sur une chaise, il dicta un codicille, établissant que les legs mentionnés dans son testament ne seraient payés qu'après le décès de sa veuve.

Le 22 août, un acte parle de lui comme très malade. Or c'est précisément le lendemain matin qu'eut lieu la trombe d'eau par laquelle le Pélis, le Cruel et le Coumbal de Guerra, réunis, surmontèrent le rempart et se jetèrent sur la ville, obligeant tous les habitants à s'enfuir. On peut juger dans quelles conditions le vieux pasteur dut chercher son salut vers la colline, sous la pluie torrentielle.
quatre jours plus tard, rentré dans son logis, il dicte un nouveau codicille où reconnaissant la très grande fatigue et les soins pénibles, que sa longue infirmité cause à sa femme, et au gendre de celle-ci, Michel Michelin, il assigne 300 florins à l'une et 100 à l'autre.

En septembre, il fit un effort pour se trouver au synode du Villar. Gilles le nomme au premier rang, comme « ministre reposant honorablement pour l'extrême vieillesse ». La paroisse était alors confiée à un jeune ministre, Daniel Rosello.
Des seize pasteurs qui se trouvèrent réunis, quatorze allaient être moissonnés dans peu de mois.

La peste éclata en Piémont avec une violence extrême. Bobi y échappa quelque temps, plus à cause de son isolement que grâce aux remèdes qu'on avait fait venir de Grenoble, à grands frais. Quand la contagion s'y déclara, elle y fit autant de ravages qu'ailleurs. Des familles. entières, même nombreuses, disparurent sans laisser de traces. La seconde femme de Bonjour, madona Costanza, fut une des premières victimes. Le pasteur Rosel prit alors soin de son vénérable collègue, autant que le lui permettait son ministère, réclamé de toutes parts. Le 20 septembre, Rosel lui-même ressentit les premières atteintes du mal. Il chercha alors à qui confier le pauvre infirme ; aucun de ses parents de Malpertus, eux aussi décimés par la peste, ne put s'en charger. Enfin Michel Michelin se décida à le prendre chez lui. C'est ce que nous apprend un acte du 23 septembre, fait devant la maison Michelin, car on entrait le moins possible dans les habitations. Bonjour annule son testament et ses codicilles ; décrépit et presque incapable de se mouvoir, il fait donation totale de ses biens, livres, etc., à Michelin, réservant cependant 50 fl. pour chacun de ses neveux et 100 pour la Bourse des pauvres. Michelin, de son côté, le soignera jusqu'à la fin et le fera ensevelir honorablement, si possible.

Ne pouvant s'approcher les uns des autres, contractants et témoins, au lieu de prêter serment sur les Écritures, le faisaient en levant la main, vrais précurseurs du fascisme. Michelin signa seul, sans doute parce qu'il avait déjà eu la peste et en était guéri, non gli altri per il dubio del mal contagioso.
Six jours plus tard, le pasteur Rosel succombait. Au commencement d'octobre, il n'y avait plus aux Vallées que trois pasteurs survivants, outre Antoine Bonjour « reposant et malade ».

Ce mois d'octobre fut des plus meurtriers. C'est au sein de cette désolation effroyable que le vénérable vieillard mourut, le dernier jour du mois, probablement de faiblesse et de marasme, « après avoir heureusement continué son ministère environ 50 ans ». C'est par ces mots que Pierre Gilles, dans son Histoire, prend congé de cette figure si attachante.
Son neveu, l'étudiant Jean Bonjour, animé d'un beau zèle, avait déclaré qu'il était prêt à renoncer à l'héritage de ses parents plutôt qu'à ses études, et avait cédé ses droits à ses frères contre une modique somme d'argent. Mais la peste le moissonna avant la mort de son oncle, détruisant toutes les espérances fondées sur lui.



Jean Vincent Gosio
le grand-père maternel d'Henri Arnaud.

La vallée de la Maira, comme celle de la Stura, avait connu la doctrine des Vaudois dès le XIII.me siècle, par les fuyards réchappés de la croisade contre les Albigeois. Il en resta des traces pendant tout le Moyen Âge, si bien que, quand éclata la Réformation, des Communes entières, comme Acceglio, ou en majorité, comme Dronero, embrassèrent ses croyances. Un des chefs de la florissante église de Dronero, au XVIe siècle, fut Jean Vincent Pollottol qui était en même temps à la tête des affaires civiles de sa patrie, dans ces temps difficiles. Sa fille, épousa Geronimo Gosio, autre concitoyen influent et riche. De ces époux naquirent, entre autres, Jean Vincent et Jean Baptiste Gosio, qui reçurent une solide éducation chrétienne et firent l'un et l'autre de fortes études dans des universités célèbres; c'est ainsi qu'ils devinrent l'un médecin, l'autre docteur en droit, in utroque iure. Lorsque le duc Charles Emmanuel I eut obtenu, par la paix de Lyon (1601), que la France renonçât à ses prétentions sur le Marquisat de Saluces, oubliant les promesses qu'il avait faites de respecter les libertés de ses nouveaux sujets, il défendit de professer la religion évangélique, ce qui provoqua l'exil de milliers de personnes. Ceux qui restèrent au Marquisat se laissèrent induire à fréquenter la messe, jusqu'à ce que, en 1615, se produisit un réveil de ces consciences timorées. À la tête de la congrégation renaissante de Dronero les deux frères Cosio se firent bientôt remarquer. Aussi furent-ils parmi les cinq que S. A., pressée par les adversaires de l'Évangile, obligea à se transférer à La Tour. On les appela Goz, quoique leur famille n'eût rien de commun avec les Gosso ou Goss, établis à St-Jean depuis des siècles.

Possédant une fortune assez considérable, ils prirent pied dans la vallée de Luserne et acquirent maintes propriétés, tant à La Tour qu'à Luserne St-Jean et au Villar. Leur piété leur valut aussi des charges honorables dans l'Eglise et des missions de confiance de la part des Vaudois. Jean Vincent est rappelé avec honneur dans la Biblioteca medica du Piémont, à cause de ses publications scientifiques. Sa renommée était telle que l'on venait de loin le consulter. Ce fut surtout le cas pendant la terrible épidémie de peste de 1630, alors que, nous dit l'historien Gilles, pasteur de cette Paroisse, grand nombre de familles de Pignerol et plusieurs officiers supérieurs de l'armée française, qui occupait le Piémont, se retirèrent de préférence à La Tour pour s'assurer les soins du médecin Gosio. Tandis que d'autres se cachaient pour échapper au fléau, Jean Vincent demeura courageusement sur la brèche, prodiguant ses soins dans toute la vallée et même plus loin, partout où il était appelé, sans distinction de religion, ni de condition sociale. Malgré cette belle et noble conduite, l'animosité de ceux qui l'avaient déjà fait expulser de sa ville natale, ne désarma pas. Le danger passé, en 1633, les moines missionnaires obtinrent que le nouveau duc, Victor Amédée, mandât Jean Vincent auprès de lui, pour essayer de le vaincre, par des promesses ou des menaces. S. A. lui offrit, pour lui et pour son frère, des situations honorables et lucratives s'ils voulaient s'établir à Turin ou dans telle autre ville, à la condition de renoncer à leurs croyances. Gosio répondit que, tant lui que son frère étant résolus de vivre et mourir dans la religion réformée, ils ne sauraient habiter en aucun lieu où ils n'auraient pas cette liberté. Le Duc dit alors qu'il n'entendait pas les contraindre à changer de religion ; mais, puisque leur demeure à La Tour n'était pas agréable à quelques-uns, ils lui feraient plaisir en changeant de résidence pour quelque temps.

Deux fois exilés, les frères Gosio partirent munis de témoignages honorables des seigneurs de la vallée, des fonctionnaires de la justice et de nombreux autres personnages influents des deux religions, qui les voyaient, avec un regret sincère, s'éloigner de leurs parages.
Ils s'établirent au Dublon, alors possession française, et acquirent bientôt dans la vallée de Pérouse la même influence et considération dont ils avaient joui dans celle de Luserne. On ne tarda pas à les rappeler à La Tour ; mais ils n'en voulurent rien entendre. Au reste, l'obscurantisme ne les perdait pas de vue. Jean Vincent ayant demandé au collège des médecins de Turin, auquel il avait appartenu, un témoignage relatif au temps où il avait été avec eux, l'inquisition défendit de le lui accorder, sous peine d'excommunication.
Jean Baptiste épousa Catherine Pastre de Mentoulles, chez laquelle il s'établit.

Jean Vincent mourut au Dublon, vers 1650. Sa femme, Lucrèce, l'avait précédé dans la tombe. Trois filles leur survécurent. Marguerite, épouse, vers 1640, de François Arnaud d'Embrun, fut la mère d'Henri Arnaud qui put encore connaître son noble aïeul. Adrienne, épousa en 1644 François Laurent, de Ristolas, Docteur ès loi. À la même date, sa soeur Anne devenait l'épouse de Joseph Einaudo, dont le père s'était réfugié à Luserne, de S. Michel en Val Maira. Restée veuve, elle se remaria en 1655 avec Pierre Rostain, de Vars, établi à La Tour ; c'est d'eux que sont descendus les pasteurs Rostan ou Rostaing, dont la mémoire est encore vivante à Bobi, à Villesèche, à Prarustin et ailleurs.

En venant à La Tour pour leurs premières études, Henri Arnaud et son frère Daniel y trouvaient donc de nombreux parents ; ils possédaient même, de par leur mère, des maisons et des terres dans plus d'une des communes de la vallée. Ils y trouvaient aussi le souvenir béni de leur aïeul et l'exemple qu'il avait donné, à plus d'une reprise, de savoir faire le sacrifice de sa patrie de naissance comme de celle d'adoption, pour garder sa foi, exemple que les frères Arnaud furent appelés à imiter en double mesure. On sait qu'ils le firent, eux aussi, sans faiblir.

Puissent de tels caractères nous stimuler à retremper les nôtres, en puisant comme eux notre force dans la foi en Christ Sauveur.

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