Quelqu'un a dit : « Le pape des Vaudois c'est un
livre ». Mais ce livre c'est la Bible c'est-à-dire le Livre par
excellence.
C'est en effet au nom de la Bible, pour lui obéir et pour
la répandre, parce qu'il y avait trouvé la voie du salut, que Valdo
quitta tout, occupation, richesses, famille, et organisa le mouvement
vaudois. Si, d'après le précepte de Christ, il distribua ses biens aux
pauvres, il jugea que les affamés de Lyon étaient encore plus privés
du pain quotidien de la Parole de Dieu que de la nourriture du corps.
Aussi employa-t-il une partie de ses ressources à leur procurer cette
Parole.
Avant l'invention du papier, les manuscrits étaient très
coûteux. Les manuscrits de la Bible étaient d'autant plus rares, soit
à cause de leur volume, soit parce que, depuis Grégoire I, l'église
romaine tendait à en réserver l'usage au clergé. On a remarqué qu'en
France, en dehors des ecclésiastiques, il n'y eut que les Vaudois et
la famille royale qui osassent employer librement les Saints Livres.
D'ailleurs, la Bible connue étant en latin, elle n'était
pas comprise par le peuple, qui ne prenait au culte qu'une part toute
de forme.
Pour connaître tous les trésors du saint volume, Valdo,
qui n'était pas un latiniste, dut recourir à deux prêtres. Bernard
Ydros et Étienne d'Ansa. Celui-là traduisait du latin dans le langage
courant, celui-ci faisait des copies de la partie traduite, que Valdo
s'empressait de lire et d'expliquer au peuple et, dès qu'il le put, de
répandre hors de Lyon, par le moyen de ses disciples qui parcouraient
deux à deux les bourgs et les campagnes. On y joignit une glosse,
ou commentaire, qui courait alors dans la chrétienté.
La langue française était alors en formation, et la
version, que nous pouvons appeler de Valdo, fut sans doute écrite en
dialecte lyonnais. De même que la Bible de Luther a servi à la
formation de la langue allemande, en faisant prévaloir
le dialecte saxon, on peut croire que la Bible de Valdo n'a pas été
étrangère au fait qu'aujourd'hui encore Lyon compte parmi les villes
où l'on parle le meilleur français. Certes, cette langue, mobile entre
toutes, a bien changé dans ces sept siècles et demi et l'on ne la
reconnaîtrait guère dans les manuscrits, qui subsistent, de la Bible
vaudoise.
Les Cathares, ou Albigeois, adoptèrent, eux aussi, la
Bible de Valdo, tout en introduisant, dans le texte sacré, quelques
modifications en relation avec leurs croyances gnostiques. Ainsi, le
manuscrit, qui est conservé à Lyon, doit avoir servi à une communauté
cathare.
D'autres Bibles vaudoises, en langue provençale, sont
conservées à Carpentras en Provence, à Paris, à Grenoble.
La bibliothèque de Strasbourg en possédait une, qui périt
dans l'incendie provoqué par le bombardement prussien, en 1870.
Heureusement, le savant Edouard Reuss avait déjà pu en faire l'objet
de ses études.
Zurich conserve un Nouveau Testament vaudois, qui y fut
apporté par Guillaume Malanot, pasteur d'Angrogne avant et après
l'exil. Gilly en a publié, en fac-similé, l'Évangile de Saint-Jean, et
Salvioni en entier dans l'Archivio glottologico de Milan.
Cambridge possède la Bible que Morland, ambassadeur de
Cromwell, acquit aux Vallées à l'époque des Pâques Piémontaises et qui
a appartenu à Clément, du Villaret, et à Prin, de Subiase.
Le savant français, Samuel Berger, a établi, au cours de
patientes recherches, que la Bible vaudoise est à la base de toutes
les traductions françaises du moyen âge. Il faut arriver au XVIe
siècle et à Lefèvre pour trouver une nouvelle version de la Vulgate,
et à Olivétan pour avoir la première traduction des originaux.
Mais il y a plus. D'après Berger, les Bibles italiennes
du moyen âge, telles que celle de Cavalca, et même celle de Brucioli,
au XVIe siècle, auraient comme point de départ la Bible vaudoise.
Des savants allemands ont soutenu qu'il en fut de même
pour leur pays et que la Bible manuscrite, découverte il y a quelques
années à Tepl, en Bohême, servit à Luther pour la traduction,
à laquelle il travailla pendant son séjour à la Wartbourg.
Il est donc permis d'affirmer que l'influence de Valdo a
été grande, pendant des siècles, tant chez ses disciples qu'au sein de
l'église catholique, en France, en Italie et en Allemagne ; et
que notre vieil historien Pierre Gilles n'exagère pas lorsqu'il écrit
que les Barbes ont été « bien versés ès langues et intelligence
de l'Escriture saincte, et vigilant à transcrire tant qu'ils pouvaient
les livres de la S. Écriture pour leurs disciples, avant qu'ils
eussent la commodité de l'imprimerie ».
Ce nom, que selon l'étymologie on devrait écrire Champforan, indique
un emplacement où, à l'imitation du Forum de Rome et d'autres villes,
qui ont reçu d'elle leur civilisation, se traitaient les affaires
publiques. C'est là que se tenaient les marchés, c'est là qu'avaient
lieu les assemblées du peuple.
Au moyen âge, les communes du Val Luserne réussirent à
s'affranchir, en bonne partie, des redevances dues aux seigneurs
féodaux, en leur versant une somme annuelle, moyennant laquelle elles
pouvaient s'administrer elles-mêmes, nommer leurs syndics et
conseillers et discuter tous leurs intérêts. Il y eut alors ces
réunions, assez fréquentes, des chefs de famille, qui ne furent
supprimées qu'à l'époque de la Révolution française.
Ces assemblées avaient lieu, paraît-il, dans le champ
foran. Aussi trouve-t-on des localités portant ce nom, a Salse,
à Usseaux, à la Cluse près Gap, et celui de Foran à Salbertrand et à
Molines. Faët possède l'Adret Foran.
Le Champ foran d'Angrogne était bien situé pour servir
aux usages qui ont été indiqués. Placé au vrai centre de ce vaste
vallon, près du Serre, le plus gros hameau de la commune, il présente,
sur une pente assez douce, tout l'espace voulu pour
réunir la population de la commune entière. Il est limité au couchant
par le ravin appelé le Foran, tandis qu'à l'autre extrémité du plateau
s'élèvent des maisons, dont les habitants avaient, par là, reçu le
surnom de Chanforan, au moins dès le XVe siècle. Les familles de ce
nom ont disparu d'Angrogne, pour passer à La Tour, Saint-Jean et
Rocheplate.
En se réunissant à Chanforan pour leurs synodes, nos
pères ne faisaient donc que continuer un usage séculaire, qui n'avait
de nouveau que le fait de traiter des intérêts de la religion là où
l'on n'avait, jusqu'alors, discuté que des affaires matérielles.
Les synodes précédents avaient toujours été tenus en
cachette, si bien que nous ignorons où ils ont siégé, sauf les deux,
précédant immédiatement celui dont il s'agit ici.
La Réforme, c'est-à-dire le soulèvement d'une grande
partie de l'Europe contre l'Eglise, qui, depuis plus de trois siècles,
pourchassait les Vaudois, n'avaient pas manqué d'attirer leur
attention. Aussi convoquèrent-ils tous leurs Barbes en un synode
particulièrement important, qui eut lieu en 1526, l'année de la
première diète de Spire. Cent vingt Barbes s'y trouvèrent,
représentant 80.000 Vaudois. Pour être à l'abri de toute surprise, ils
avaient choisi un ravin reculé, loin de toute habitation, le riant
alpage du Vallon, au-dessus du Laux, au pied de l'Albergian.
En 1926 nous avions lancé, sur les colonnes de L'Écho,
l'idée que notre jeunesse s'y rendît en un pieux pèlerinage
commémoratif. Personne n'a pris garde à cette proposition. L'événement
méritait mieux que ce complet oubli.
Ce fut, en effet, cette assemblée qui décida d'entrer en
relations avec les réformateurs, et qui envoya en Allemagne le Barbe
Martin Gonin avec un collègue.
Leur relation fut sans doute favorable, puisque le Barbe
Morel fut chargé de rédiger les points sur lesquels on désirait
recevoir des éclaircissements, en vue de l'union avec les nouvelles
églises réformées.
Pendant ce temps, la Réforme s'était aussi affermie, en
Suisse. Aussi, soit à cause de la distance bien moindre, soit grâce à
la communauté de langue, Morel et un collègue s'arrêtèrent-ils
auprès des directeurs des églises de Neuchâtel, Berne, Bâle et
Strasbourg, dont ils obtinrent des réponses satisfaisantes. Morel les
présenta à un synode partiel, qui eut lieu en Provence. C'était en
1530.
Il s'agissait d'une question de la plus haute importance,
que l'on ne pouvait décider qu'avec l'intervention de tous les Barbes,
particulièrement les plus âgés et expérimentés. Or ceux-ci se
trouvaient précisément alors à la tête des communautés vaudoises de
Calabre et des Pouilles.
C'est pour les consulter et, si possible, leur faire
faire ce long voyage, que le synode fut fixé à deux ans de distance,
en 1532.
L'ouverture du synode ayant été fixée au 12 septembre 1532, dès le
mois de juillet deux jeunes Barbes, Martin Gonin et Guido, partirent
pour la Suisse afin d'inviter à y participer les réformateurs dont les
réponses, données en 1530, allaient être mises en discussion. À leur
arrivée, en août, Guillaume Farel convoqua à Grandson un colloque de
pasteurs pour saluer les délégués vaudois. Puis, malgré les affaires
multiples et urgentes, qui le retenaient à Neuchâtel. il partit avec
eux, accompagné de Saulnier et d'Olivétan, français comme lui.
L'assemblée synodale, très nombreuse, comprenait les
Barbes des Calabres et des Pouilles, du Piémont, du Dauphiné, de la
Provence et d'autres régions de la France, que ces fidèles messagers
de l'Évangile parcouraient régulièrement deux à deux. Le public
vaudois y était aussi largement représenté, à cette époque où les
articles de foi excitaient l'intérêt des humbles, tout comme des
théologiens.
On examina pendant plusieurs jours les points de doctrine
exposés dans la lettre persuasive qu'Oecolampade avait remise au Barbe
Morel. La parole calme de Saulnier et les discours enflammés de Farel
y ajoutaient une puissance particulière. Mais surtout, comme les
fidèles de Bérée, les Vaudois consultaient les
Écritures et acceptaient tout ce qu'ils trouvaient y être conforme.
À côté de certains dogmes, comme la transsubstantiation
la prédestination, le mérite des oeuvres, et surtout le salut par
grâce, on examina aussi des questions de morale et de discipline tel
que le célibat des ministres du culte, que les Vaudois observaient
encore, sans qu'il fût, cependant, obligatoire.
Les décisions ou actes du synode, rédigés en italien,
nous ont été conservés. Mais ce n'est pas le cas de nous y arrêter
ici.
Ces résolutions ne furent pas prises à la légère, ni sans
contraste. Certains Barbes, sortis du clergé romain, comme Jean, de
Molines en Queyras, et Daniel, de Valence dans la Drôme,
s'efforcèrent, mais en vain, de retenir les doctrines et les
pratiques, que les Vaudois conservaient encore depuis leur séparation
de l'église catholique.. Dépités de leur insuccès, ils quittèrent les
Vallées, emportant maints documents importants qui étaient entre leurs
mains, car ces Barbes étaient les plus influents. Convaincus qu'eux
seuls représentaient désormais le mouvement vaudois dans toute sa
pureté, ils se rendirent en Bohême, où ils persuadèrent cette Église
soeur que leurs collègues, prêtant l'oreille aux raisonnements
spécieux de quelques étrangers, avaient renié le passée glorieux de
leur Église. Il fallut le synode suivant pour mettre la chose au
point.
Une autre décision, de la plus grande importance, fut
encore prise par le synode de Chanforan. Dans tous les pays était
senti le besoin de mettre la Bible entre les mains du peuple. Les
Barbes montrèrent aux Réformateurs les copies manuscrites, qu'en
faisaient les élèves de l'école du Pradutour. Mais elles étaient en
patois et, d'ailleurs, l'imprimerie allait permettre d'en multiplier
les exemplaires avec une grande rapidité.
Il fut donc résolu de publier une édition de la Bible
entière. On adopta la langue française, qui servait aux nombreuses
congrégations éparses des Alpes aux Pyrénées, et qui était aussi
comprise en Italie depuis les expéditions de Charles VIII, Louis XII,
et François 1er.
Plein d'enthousiasme, Farel se chargea de la traduction.
Mais, quoique très instruit, il. était un homme d'action
plus que de cabinet. Il ne tarda donc pas à céder cette lourde tâche à
Olivétan, docte en grec et en hébreu, et qui s'était déjà appliqué à
des travaux de ce genre.
Restait la question financière.
Les Réformateurs, qui avaient déjà fait gémir la presse,
calculèrent le coût de l'impression à 500 écus d'or, soit 5200 livres,
correspondant à soixante mille francs or d'avant guerre. Ce chiffre
n'effraya pas le synode, qui le vota, sur-le-champ. Un fort à-compte
fut versé entre les mains de Saulnier, en le pressant de veiller à ce
qu'elle parût au plus tôt.
Ce fut la première Bible française, traduite non plus du
latin, mais des originaux grec et hébreu. Revue par Calvin, et
successivement par maint autre théologien, la Bible d'Olivétan est à
la base de toutes les traductions françaises, qui ont paru jusqu'au
19.me siècle, en particulier de celles de Martin et d'Ostervald.
L'importance du Synode de Chanforan est donc triple.
Il a adopté la doctrine évangélique, telle que les
Réformateurs l'avaient éclaircie, renonçant aux restes de catholicisme
conservés par l'Eglise Vaudoise.
Il a fixé une discipline du ministère et du culte, que
Calvin développa ensuite, en lui donnant l'organisation
presbytérienne, demeurée en vigueur depuis lors.
Il a doté le protestantisme de langue française de la
Bible, qui a fait sa force pendant trois siècles de persécutions.
On a vu, dans un article précédent, comment des copies de la première
Bible vaudoise étaient faites par les étudiants du Collège des Barbes,
au Pradutour, et une partie de ces manuscrits y étaient conservés pour
servir à la préparation de ces ministres de l'Évangile.
Lorsque, en 1532, le synode de Chanforan eut chargé
Olivétan de préparer une nouvelle traduction française des Livres
Sacrés, ces manuscrits ne lui furent pas inutiles ; aussi fixa-t-il
pendant quelque temps sa résidence aux Vallées, et c'est des Alpes
qu'il date l'introduction de sa Bible, en février 1535, après deux ans
et demi de travail.
Cependant, la traduction d'Olivétan est doublement
nouvelle en tant qu'elle comprend la Bible entière - et pas seulement
le Nouveau Testament, comme celle de Lefèvre d'Étaples, alors toute
récente - et en tant que le traducteur a recouru aux textes hébreu et
grec, tandis que ses prédécesseurs s'étaient contentés du latin de la
Vulgate.
Les Vaudois, impatients de pouvoir offrir la Parole de
Dieu dans leur idiome aux foules que les échos de la Réformation
réveillaient dans tous les pays de langue française, ne comprenaient
pas la lenteur avec laquelle Olivétan procédait. Aussi le
pressèrent-ils de se hâter ; et ce fut avec une joie profonde que
le nouveau synode de Chanforan, en 1535, reçut les premiers
exemplaires de l'ouvrage, pour lequel les Églises Vaudoises avaient
voté une somme équivalant à 180.000 francs actuels.
La Bible d'Olivétan, aujourd'hui très rare dans son
édition princeps, était de tous points supérieure aux
précédentes, pour la langue, pour l'exactitude, pour les références et
les notes explicatives. Elle pénétra chez les grands comme chez les
humbles, et la Bibliothèque Nationale de Paris conserve celle qui a
appartenu au roi Henri II, le grand persécuteur des évangéliques.
Cependant, elle se ressentait quelque peu de la hâte dont
il a été parlé ; aussi, Olivétan étant mort en 1538, son cousin
Calvin prit-il sur lui de revoir son travail en vue d'une nouvelle
édition. Des révisions successives furent faites par Théodore de Bèze,
par Jean Diodati, le traducteur de la Bible en italien, et par maint
autre. Ainsi, de nombreuses éditions nouvelles virent le jour au cours
des siècles XVIe et XVIIe. Malgré ces révisions, elles gardaient
beaucoup de la langue d'Olivétan, désormais vieille et qui paraissait
même parfois ridicule aux oreilles délicates des courtisans de Louis
XIV.
C'est pourquoi, dès le commencement du XVIIIe siècle,
tandis que les protestants français gémissaient sous, la croix, un de
leurs pasteurs, David Martin, réfugié en Hollande, prépara
une édition rédigée dans la langue courante. Suivit un travail
semblable, de la part de J. F. Ostervald, à Neuchâtel, qui,
s'appliquant surtout à moderniser le vieux français, perdit beaucoup
de cette vigueur et de cette saveur qui rendent si agréable la lecture
de Calvin et de ses contemporains. Ostervald eut aussi la
préoccupation d'éliminer de la Bible certaines expressions qui lui
paraissaient choquantes ; ainsi, il dira que « le vin
fortifie le coeur de l'homme », au lieu de réjouit ;
il remplacera le verbe « s'enivrer » par se rassasier ;
il appellera Rahab l'hôtelière ; il appellera la
pécheresse, qui oignit Jésus, la femme qui avait été de
mauvaise vie.
C'est ainsi que, pendant plus de trois siècles, les
différentes éditions de la Bible française ne furent que des
rééditions de celle d'Olivétan, revues principalement au point de vue
de la langue, au risque de s'éloigner toujours plus du sens exact de
l'original.
Ce ne fut que vers 1840 que Perret-Gentil, de Neuchâtel,
recourut de nouveau à l'hébreu et au grec et donna une nouvelle
traduction, fruit d'un travail consciencieux.
On peut en dire autant d'Oltramare, de Segond, de Stapfer
et de mainte autre entreprise, individuelle ou collective, que ces
derniers temps ont vu naître.
Il n'en demeure pas moins vrai que c'est de la Bible
d'Olivétan, plus ou moins modifiée depuis Calvin jusqu'à Ostervald,
que se sont nourries ces générations dont la foi robuste a traversé
inébranlable, les persécutions, les massacres, les bûchers, la prison,
l'exil, la confiscation des biens.
Que de conséquences bénies a eues la courageuse décision
des pauvres montagnards, qui sous les châtaigniers de Chanforan,
prirent à leur charge les frais considérables de cette oeuvre
bénie ! Et combien doit nous être cher ce Livre pour lequel nos
ancêtres ont fait de tels sacrifices !
On sait que la Bible d'Olivétan est très rare et qu'on peut presque
compter sur les doigts les exemplaires connus aujourd'hui. La
Bibliothèque Vaudoise en possède un, dont la reliure moderne a
malheureusement coupé largement les marges. La Société d'Histoire
Vaudoise est la propriétaire d'un autre, qu'elle a déposée au Musée de
La Tour, mais qui manque du commencement et de la fin.
La paroisse de Gryon, au Canton de Vaud, compte une Bible
d'Olivétan comme le principal trésor de sa bibliothèque.
Reliée au XVIe siècle, les feuilles de garde portent
manuscrite la mention de la mort du dernier curé de Gryon, qui en fut
le premier pasteur, noyé accidentellement en 1578.
Un siècle plus tard, cette autre : Avenue en
partage à moy Suzanne Turrian, en l'an 1676. On y trouve encore
insérée une lettre autographe, du 12 janvier 1700, du Consistoire de
Genève, recommandant aux Églises de France - sous la croix - une
nouvelle édition du Psautier.
Puis l'histoire de ce volume vénérable se tait pendant un
siècle et demi. Mais en 1855, Pierre Abram Moreillon, de Gryon, en
entrant dans la petite épicerie du village d'Arveyes, vit ce gros
livre sur la table et demanda à la marchande ce qu'elle en faisait. -
Je veux en faire des cornets pour envelopper la marchandise. Si, vous
voulez me le donner, je vous fournirai du papier pour vos cornets. -
Le pacte fut aussitôt exécuté.
Le nouveau possesseur inscrivit à la deuxième page ce qui
suit : Cette Sainte Bible appartient au Forestier Pierre
Abram Moreillon de Gryon, qui l'a faite relier à Aigle sur la fin de
l'année 1855.
Dieu veuille, par sa grâce, la conserver à l'avenir
comme par le passé et faire par son Saint-Esprit, qu'elle soit en
bénédiction dans ma famille, ainsi qu'à tous ceux qui la liront.
Amen.
À la fin du volume se trouve une dernière mention -
Le soussigné, ensuite du désir exprimé par sa femme, Julie-Marguerite,
fille de Pierre-Abram Moreillon, fait don de la présente Bible
d'Olivétan à la paroisse de Gryon, pour qu'elle y soit gardée à
perpétuité en souvenir de ses parents ci-dessus nommés. Fait à Gryon
le 18 février 1898. Louis Amiguet.
Nous extrayons ces données de la Feuille D'Avis, de
Lausanne, du 7 courant (1), dont le
correspondant saisit l'occasion pour tracer l'historique de cette
traduction et pour décrire minutieusement cet ouvrage monumental.
Il rappelle en même temps que cette Bible, imprimée en
1535, va atteindre son quatrième centenaire en. même temps que celui
de la Réformation au Pays de Vaud.
Si les ennemis de l'Évangile ont fait disparaître,
presque entièrement, l'édition de la Bible de 1535, la Parole de Dieu
n'a point été liée et elle est aujourd'hui répandue à millions
d'exemplaires dans toutes les langues et dans tous les pays connus.
Aussi le forestier Moreillon a-t-il bien fait d'ajouter,
en belle écriture gothique: Le ciel et la terre passeront, mais
mes paroles ne passeront point.
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