Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XXI

UN ENFANT PARMI NOUS

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Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits : car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est aux cieux.
(Matthieu XVIII, 10.)

Décembre, avec ses fêtes de famille, avec l'anniversaire qu'il ramène de l'apparition de la grande lumière : Noël, est bien aussi le mois de l'enfance. Dans nos plus humbles foyers, des occasions vont être données de retrouver la signification vraie des liens qui unissent petits et grands, le caractère religieux du fil invisible qui rattache la génération qui monte à celle qui s'en va. C'est une bien pauvre réduction de l'Évangile que d'en faire uniquement un culte de l'enfant Jésus. Mais n'oublions pourtant pas que Jésus, devenu homme, a conféré une valeur toute spéciale à l'enfant, a aimé reposer sur lui son regard, et qu'un jour, ayant appelé un petit enfant, il le plaça au milieu de ses disciples, et leur dit : « Quiconque se rendra humble comme ce petit sera le plus grand dans le royaume des cieux. Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits ».

En songeant à l'enfance d'aujourd'hui, et au Sauveur de Noël, nous voudrions, nous aussi, placer au milieu de nous un enfant. Nous ne pourrons le regarder et l'écouter sans trouver dans son message :


la confession d'une détresse 
la clarté d'une espérance ;
la définition d'un devoir.

I

Détresse de l'enfant !
Lorsqu'il y a quelque vingt ans, nous faisions, avec un saint émoi, le compte des orphelins de la grande guerre, il nous semblait que nous sortions d'un cauchemar qui marquait le couronnement et la fin du règne des ténèbres. Dieu nous préserverait à jamais, pensions-nous, de revoir ces regards d'enfants, trouvés parfois, errant sans père ni mère, au milieu des décombres des villes bombardées. L'humanité ne voudrait plus accepter même l'idée de condamner des innocents à la faim, à la solitude ou au désespoir. Et aujourd'hui il nous suffit de feuilleter quelque illustré qui entre des pages consacrées aux vedettes du ciné ou aux as du sport, intercale quelques photos de Chine ou d'Espagne - pour nous retrouver replongés dans la même atmosphère infernale que nous avons jadis respirée !

Aujourd'hui des familles entières, dans des pays qui touchent à nos frontières, s'en vont à la mort, parents et enfants, en ouvrant le robinet du gaz, pour échapper à ce qui est devenu pour eux l'irrespirable. l'air empoisonné par les souffles de la haine, de la délation et de la violence. Dans des cités qui furent hier des capitales de la civilisation, des enfants sont enlevés à leurs parents et des parents à leurs enfants, sans qu'ils sachent les uns et les autres vers quels destins inconnus et tragiques ils sont emmenés, bien souvent vers les camps de la mort, d'où l'on ne revient pas.

Je lisais l'autre jour la lettre éplorée d'un garçon de sept ans qui envoyait à Genève, avec sa photographie, quelques lignes naïves où il écrivait : « Ne pouvez-vous m'envoyer dans un endroit où il fasse beau ? je vous envoie ma photographie et vous verrez que je suis un très brave petit garçon... ». Cet enfant est chrétien, mais il y a du sang israélite dans ses veines, et cela suffit pour l'obliger à lancer son cri à travers le monde, cri déchirant du brave petit qui voudrait être là où il fait beau... c'est-à-dire là où il aurait un autre pain que celui de ses larmes et de ses quotidiennes terreurs.

Le massacre des innocents continue, réplique de ces deux scènes bibliques gravées dans notre mémoire : Le pharaon d'Égypte ordonne la mise à mort de tous les fils nouveau-nés d'Israël. Le roi Hérode fait couler le sang des enfants de Bethléem. Ces tyrans sanguinaires n'ont pas empêché l'Éternel de sauver Moïse et de protéger Jésus. Mais nous voudrons cette année, plus que jamais, nous souvenir que la menace du monde criminel a plané déjà sur le berceau de Noël - et qu'il y avait à ce berceau un cadre de détresse - non seulement dans la pauvreté de l'étable - mais dans l'hostilité du tyran, décidé à mettre à mort l'enfant divin.
Il y a aujourd'hui une détresse indicible de l'enfance, que guettent la guerre, la persécution, la famine et la mort.

« Réalités lointaines, et qui nous sont, Dieu merci, étrangères ! ». Ne disons pas cela. Remercions plutôt Dieu de ce que les misères des autres, que notre égoïsme instinctif travaillerait si volontiers à exiler de l'horizon de notre pensée, nous deviennent nécessairement proches, à nous, héritiers d'une tradition d'accueil fraternel, à nous qui avons dans nos murs la Croix-Rouge et tant d'oeuvres internationales, c'est-à-dire humaines, vers qui s'orientent tous les jours et à toute heure les S.O.S. éplorés de la douleur et du désespoir.




Mais il y a plus encore. Si la mise à la torture des corps s'arrête-là où cesse le règne des pouvoirs tyranniques et des législations homicides, le massacre des âmes, plus redoutable encore de par ses méthodes et de par ses effets, ne connaît pas de frontières. Et c'est aussi, à cet égard, l'enfance de chez nous qui est en détresse.

Oui, en détresse ! Et voilà ce qui doit émouvoir l'Eglise. Dans une patrie où tant d'efforts soutenus ont été faits, et par l'initiative privée, et par les pouvoirs publics pour la santé des petits, pour l'hygiène domestique et scolaire, où tant de précautions se multiplient pour la vie saine, contre les microbes, les contagions et les épidémies, qu'en sera-t-il de la santé morale de ces enfants ?

Même sur notre plan national et local, nous avons dû dès longtemps dénoncer cette folie qui introduit jusque dans l'école les divisions et les haines des partis, les séparations politiques et sociales, comme si l'on voulait déjà enseigner à nos enfants le caractère utopique du serment des ancêtres : « Nous voulons être un peuple uni de frères ».

Nous ne croyons pas que puissent jamais s'introduire chez nous des méthodes comme celles qui triomphent aujourd'hui en Allemagne, et qui ont abouti à inoculer l'orgueil de la race et la haine du juif à de tout jeunes enfants qui ont appris à l'école à regarder d'autres enfants comme des maudits. Nous ne voyons pas comment pourrait triompher chez nous cette aberration qui permet à des élèves de recevoir certificats et diplômes - sans examens - pourvu qu'ils aient fait preuve de zèle dans les exercices militaires de jeunesse du parti national !
Mais ce que nous voyons trop bien hélas, c'est la détresse d'une jeunesse de demain qui, aujourd'hui encore dans l'enfance, se forme ses premières conceptions du monde et de la vie au sein d'une génération qui parle tous les jours de guerre et de sang, de traités violés et des triomphes de la force, au sein d'un monde où les grands événements du jour pourraient être en vérité intitulés dans nos journaux : Chroniques du brigandage, du vol et du mensonge !




Ah ! on pourra nous dire : Toutes les politiques de tous les siècles et clé toutes les nations ont été inspirées par un égoïsme plus ou moins camouflé ! Et nous voulons bien en convenir. Mais cela ne nous empêche pas d'affirmer ceci :
Au jour où nos vies se sont épanouies dans la poésie de l'enfance et dans les premières ferveurs de la jeunesse, nous n'avons pourtant pas été spirituellement assassinés par cette proclamation quotidienne, qui retentit aujourd'hui d'un bout à l'autre du monde : La terre appartient à la force, à l'injustice, à la sauvagerie, aux ténèbres !

Les messages de la Justice, de la Paix, de la Fraternité semblaient alors pouvoir retentir non seulement dans le calme des sanctuaires, mais jusque sur la place publique où ils éveillaient des échos d'allégresse et des frémissements d'espoir qui nous permettaient d'associer dans nos coeurs l'image de la patrie à celle d'une large humanité qui ne demandait qu'à naître.

Et si nous, dont la foi au Royaume de Dieu est éclose à la faveur de ces élans joyeux avons été malgré cela de si pauvres serviteurs du Fils de l'Homme, qu'en sera-t-il de ceux qui sont nés hier et qui, en apprenant le langage des hommes. auront tout d'abord appris le langage de la haine et de la force et qui, dès l'âge de l'école du dimanche, auront inconsciemment pris le pli de l'incrédulité désabusée : « Il n'y a pas de place ici-bas pour une pensée comme celle du Dieu de l'Évangile ! ».

Pas besoin d'habiter dans le pays des sans-Dieu et des églises fermées ! Pas besoin d'habiter dans les pays où les vieilles idoles païennes remplacent l'image du Père céleste ! Pas besoin d'habiter à Vienne où des crucifix ont été arrachés de la paroi de certains édifices sous la ruée d'une soldatesque impie pour sentir la détresse d'une enfance qui est en train de se former dans un monde aussi résolument incapable que le nôtre de se soumettre au Dieu de Jésus-Christ.


II

Et pourtant l'âme de l'enfant : c'est la clarté d'une espérance !
Jésus nous montre cette âme qui a comme son double dans le pays des réalités célestes, son ange qui contemple sans cesse la face du Père. Si nous voulions nous abandonner à la poésie imaginative, nous évoquerions ici tel chef-d'oeuvre de l'art, qui nous présente les concerts des anges de l'enfance aux yeux transparents d'une félicité mystique, accordant leurs instruments pour environner de leurs cantiques la majesté de leur Créateur ! Mais disons plus simplement, que Jésus a trouvé un immense réconfort à accueillir les enfants et a déchiffré en eux cette attente de Dieu, ce sens de l'invisible, cet appel du coeur vers le plus grand amour, qu'Il s'est si souvent désolé de ne pas trouver chez les adultes satisfaits et esclaves d'eux-mêmes et du monde.

« Ressemblez-leur ! ». Jésus n'a pas la naïveté de penser qu'il n'y a que du bien dans le coeur de l'enfant ; il n'a pas l'absurde prétention de demander aux hommes de rester toute leur vie des enfants - par l'ignorance ou la crédulité - mais sa joie, c'est de rencontrer des hommes enfants, c'est-à-dire capables de commencer et de recommencer, de partir sur des routes nouvelles, des hommes capables de se sentir humbles, petits, dépendants, en face de la grande Présence qu'Il leur apporte : le Père.
Les esprits enfantins voient la face du Père.

Oh ! joie de Jésus-Christ ! Ces enfants de Palestine, comme ceux d'aujourd'hui, ont compris sans qu'il fût besoin des commentaires des scribes et des subtilités des théologiens ce qu'il leur a dit du Bon Berger, de la Brebis perdue, et du Père qui accueille l'enfant à son retour. Ils ont compris quand il leur a parlé confiance, et qu'il leur a révélé la bonté d'un Dieu qui les aimait tous et qui les voulait bénir. Ah ! s'il n'était point d'espérance dans l'enfant qui commence l'aventure humaine, il faudrait donc taxer de folie et presque de crime l'audace des parents qui préparent un nouveau berceau et l'amour des jeunes époux qui prient près de ce berceau.




L'enfance : une promesse. De Moïse échappé au massacre, l'Éternel fera le créateur de son peuple et le médiateur de sa Loi ; d'un enfant de Bethléem, il fera le Sauveur du monde. À travers les hécatombes actuelles, cette mise à mort des corps, cet asservissement des esprits, Dieu prépare quand même la race de l'avenir. Il est peut-être né quelque part, hier, il naîtra peut-être quelque part demain, l'enfant qui sera capable de préparer la résurrection de telle nation asservie, le retour à Christ de la race juive ou de la patrie de Luther, le nouvel effort vers la Paix par le droit, la fin des guerres et la fin de la misère. Gardez-vous de mépriser ces petits ! vous qui, Peut-être endurcis par ce que vous avez vu et vécu, ne croyez plus à la clarté des étoiles de Dieu ! Ceux qui sont aujourd'hui les enfants reprendront demain, à leur tour, le programme immortel de Jésus-Christ !

Qu'un missionnaire, qu'un humble témoin, que Jésus lui-même puissent parler à ces petits, auxquels les grands parlent la langue de Satan - et leurs âmes qui voient la face du Père s'ouvriront à la vérité divine ! Et Dieu leur donnera la grâce d'être plus croyants que nous, plus fidèles que nous, et de partir, avec des forces neuves, dans le saint combat des fils du Royaume.
L'enfant, la clarté d'une espérance.


III

L'enfant... La définition d'un devoir !
Un double devoir, celui de la charité tout d'abord. Dans bien des familles, à l'heure où l'on commence à parler du sapin de Noël, petits et grands ont le désir d'inviter à se réjouir de sa clarté, quelque voisin isolé, quelque vieillard fatigué, quelqu'enfant : privé de tendresse ou de gâteries. Cela est bien. Cette année, plus que jamais, dans la détresse actuelle, et face à de plus grandes détresses futures qui demeurent possibles, un égoïsme de Noël serait un blasphème. Ne craignez pas, parents chrétiens, d'obscurcir la joie de la fête chrétienne, en parlant à vos enfants de l'enfance malheureuse des pays où se fait la guerre, de ceux où l'on se cache pour prier, d'associer à la pensée de vos voisins, chômeurs ou malades, ou affligés, les figures des victimes des persécutions, et des crimes de la terre ! L'émotion de douleur et d'amour qui peut amener des larmes dans les yeux de vos enfants heureux ne privera pas leur âme mobile et vivante des rires et des chants qui conviennent à leur âge, et vous leur aurez appris à ouvrir leurs coeurs, et à vouloir les garder ouverts, et à ne pas perdre de vue la face du Dieu qu'ils aiment et qui les aime. Et cette seule semence de dévouement pourra contribuer à faire d'eux demain, les serviteurs de Jésus-Christ.




L'autre devoir, celui de l'éducation chrétienne.
L'âme de l'enfant est naturellement religieuse, parce que naturellement confiante. C'est cette piété spontanée du coeur de l'enfant, que des puissances terribles cherchent aujourd'hui à étouffer dès sa naissance, pour opposer au commandement de l'amour les lois brutales de l'instinct.
Ah ! s'il est vrai que Dieu peut tout faire concourir au bien de ceux qui l'aiment, nous affirmerons que, menacée dans l'oeuvre qui est la sienne : la prédication de l'amour, l'Eglise redoublera de zèle, soutenue activement par le dévouement de ses membres, enfin attentifs au signe des temps.

Ce Noël sera un vrai Noël si en présence de la détresse et de l'espérance que signifie l'enfant d'aujourd'hui, vous prenez la résolution sainte de soutenir l'effort de l'Eglise par la vie spirituelle du foyer, en y réinstaurant la prière en commun, la lecture de l'Évangile éternel, seul contrepoison à la nourriture que le journal et le spectacle vont offrir demain à profusion aux âmes de nos jeunes. Sachez montrer par votre attitude, vos dévouements et vos démarches pratiques que ce qui vous importe pour ces enfants que vous aimez, c'est autre chose que l'instruction et la formation professionnelle si indispensables soient-elles - c'est cette Grâce : qu'en grandissant leurs esprits soient encore associés à ce bonheur des anges de l'enfance qui contemplent la face du Père céleste.

Voilà le devoir. À l'heure où la patrie célèbre les ancêtres qui ont crié à l'Éternel : « Sans Toi, nous étions perdus », nous voudrions redire : « Sans Toi, oh ! Père, nos enfants seront demain perdus ! ».

Donne-nous d'être ouvriers avec toi pour leur salut, et qu'en les voyant - eux notre joie et notre souci - saluer la venue de Jésus-Christ, nous puissions sentir que tu es là pour les sauver, de la détresse, et pour accomplir en eux ta promesse et notre espérance.

11 décembre 1938.

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