Celui qui
croit en
moi fera aussi les oeuvres que je fais et il en
fera de plus grandes encore.
(Jean
XIV,
12.)
Lire : Hébreux
XI.
Heureux d'être des croyants !
vous avez raison de l'être. Alors que tant
d'autres trésors vous sont enlevés,
ou semblent menacés, celui-là vous
demeure, plus précieux que tout : la
foi au Dieu de l'Évangile.
Cependant, vous avez pu vous
arrêter parfois, pensifs et troublés,
devant certaines paroles de Jésus,
plantées au coeur de la
chrétienté comme un perpétuel
aiguillon destiné à la
préserver de toute satisfaction facile, de
toute quiétude paresseuse :
« Si vous aviez de la
foi
gros comme un grain de moutarde, vous
transporteriez des montagnes ! »
(Matthieu
XVII, 20).
« Si vous croyez en moi
vous jerez les oeuvres que je fais, et de plus
grandes encore ! ».
Transporter des montagnes ? Et
vous
avez de la peine à
écarter ce qui n'est qu'un caillou sur la
route : une légère
contrariété, une impatience de
caractère, une offense sans
gravité.
Faire les oeuvres de Christ ? Qui
l'oserait prétendre ?
La foi que vous vous félicitez de
posséder ne serait-elle donc pas encore la
foi, n'en serait-elle que l'ombre ? Et quelle
autre attitude prendre dès lors si ce n'est
celle de cet homme au coeur partagé dont le
cri a éveillé jadis la compassion du
Christ :
« Je crois,
Seigneur !
viens au secours de mon
incrédulité ! »
(Marc
IX, 24).
Cette angoisse travaille non seulement
certaines âmes individuelles, mais
l'âme même de l'Eglise. L'Eglise
est-elle encore l'Eglise si elle s'avoue incapable
d'accomplir les oeuvres de son chef, de retrouver
les dons de l'âge apostolique, de
posséder par sa prière la puissance
de faire reculer les démons, et de triompher
du monde ? Les succès récents de
certains mouvements religieux manifestent la sainte
impatience de nombreux chrétiens, avides de
reconquérir la foi authentique, non celle
qui doute, mais celle qui affirme, non celle qui
rampe en gémissant, mais celle qui chante
debout dans une clarté d'aurore, non celle
qui ne change rien, mais celle qui
bouleversé tout, non celle qui se contente
de fruits' rares et médiocres, mais celle
qui s'empare de la promesse
magnifique :
« Les oeuvres que je
fais,
celui qui croit en moi les fera lui aussi, et il en
fera de plus grandes encore ! »
De plus grandes encore ! Ces
mots
sonnent étrangement à nos oreilles.
Certains se sont égarés dans de
curieuses considérations sur la grandeur
comparée des miracles de Jésus et de
ceux des apôtres. Bossuet n'a pas
manqué de souligner l'extension de l'oeuvre
divine par les apôtres missionnaires,
consacrant leur vie à la conversion des
païens, oeuvre que Jésus n'avait pu ni
voulu entreprendre. Mais il croit pouvoir
ajouter : Les apôtres ont non seulement,
comme Jésus, guéri des infirmes et
ressuscité des morts, mais ils ont fait des
choses que Jésus n'avait point faites. Ils
frappent de mort Ananias et Saphira, ils vouent un
coupable à Satan, ils délivrent des
malades par le simple contact de linges qu'ils
avaient touchés !
Nous nous refusons, pour notre part,
à trouver un maximum de grandeur dans le
merveilleux de ces actions, en face desquelles il
nous est permis de nous demander : Est-ce bien
l'esprit de Jésus qui est ici à
l'oeuvre ? Si à travers les
récits bibliques, dans lesquels s'associent
souvent la poésie et l'histoire, nous
apparaît Quelqu'un dont le pouvoir a
dépassé toutes nos limites, ce
Quelqu'un est assurément le Christ, l'homme
sans péché, le Fils bien-aimé
du Père. Mais nous verrions
quelqu'impiété à voir
attribuer à ses disciples, faibles et
pécheurs, la faculté d'accomplir des
prodiges plus prodigieux encore que ceux du
Maître. Le sol de la foi
évangélique n'est pas celui de
l'amour du merveilleux, amour propre à
toutes les imaginations religieuses de notre race. Jésus
n'a pas
recommandé aux siens le culte du miracle
physique, qui rapprocherait la piété
de la magie.
Jésus déclare tout d'abord : Les oeuvres que je fais, celui
qui croit en moi
les fera aussi.
Jésus désigne par
là les oeuvres du Royaume de Dieu, celles
que le quatrième Évangile
résume dans ces trois mots : La vie,
la lumière et l'amour. Saint-Jean
associe, en un même panorama, l'oeuvre
extérieure de Jésus et sa mission
spirituelle. C'est le même Sauveur qui un
jour ouvre les yeux de l'aveugle, et qui tous les
jours fait passer des ténèbres
à la lumière les pécheurs qui
répondent à sa voix ; qui un
jour appelle Lazare hors du tombeau, et qui tous
les jours offre aux siens une vie éternelle
qui les puisse affranchir de la hantise de la
mort ; qui un jour nourrit la foule
affamée, et qui jour après jour offre
le pain de sa parole aux âmes attentives. Le
miracle du Christ apparaît aussi bien dans la
conversion de la Samaritaine que dans la
guérison de l'impotent de Béthesda,
dans la marche vers Golgotha que dans la marche sur
les eaux.
Dans les initiatives du Fils de
l'Homme qui va de lieu en lieu faisant le bien, tout est
simple, et tout est grand. Aucune
séparation entre l'ordinaire et
l'extraordinaire. Jésus multiplie les actes
de compassion au profit des malheureux et des
vaincus, des méprisés et des
coupables. Il ramène au Père l'enfant perdu ;
il met le
pardon et
la paix là où régnaient le
remords et le trouble. Les oeuvres qu'il accomplit
sont celles qui inaugurent ici-bas le règne
de l'amour. D'autres avant lui ont voulu et pu agir
dans le sens de la justice et de la charité.
Mais son action est unique de par sa source,
la parfaite présence du Père dans le
Fils, et de par son intention, le salut
complet de l'homme introduit dans le monde de Dieu,
le salut offert à tout homme, quels que
soient son origine, son passé, sa
misère.
Et voici que, fulgurant éclair
dans la nuit du temps, la carrière de
Jésus touche à son terme. Aux heures
dernières Jésus entrevoit les
oeuvres, plus grandes encore que celles dont il
fut l'artisan, et que les siens accompliront
demain, sous l'impulsion de l'Esprit.
L'Évangélisation de la
terre. Jésus a dit : « Il
en viendra d'Orient et d'Occident pour se mettre
à table dans le Royaume de
Dieu »
(Matthieu
VIII, 11).
La pénétration de l'Esprit
des Béatitudes dans tous les domaines de la
vie et de la pensée humaines. Jésus a
dit : « Le levain doit
pénétrer toute la
pâte »
(Matthieu
XIII, 33).
Jésus, en face de ces hommes qui
ne sont rien, mais qui demeurent son amour et son
espoir, en face de ces hommes qui tout à
l'heure vont s'enfuir et le laisser seul, mais qui
demain, saisis par l'Esprit, deviendront les
colonnes du nouveau Temple, Jésus
dit :
Les oeuvres que je fais, vous les
ferez aussi... et sachant
qu'en eux il revivra et travaillera, Lui qui va se
laisser crucifier pour attirer tous les hommes
à lui, il ose ajouter :
- Vous les ferez, et vous en
ferez de
plus grandes encore !
Il vous suffit pour croire en la promesse, de
vous redire : C'est Jésus qui nous
l'adresse ! Mais il vous est bon aussi de la
voir appuyée par le témoignage
irrécusable des faits.
Gardons-nous de critiquer
légèrement la ferveur des
frères qui, en face du sommeil et de la
paresse des Églises,
s'écrient :
« Où sont les
miracles des premiers
âges ? » Mais est-il
vraiment nécessaire de revenir à un
formalisme quelconque, à la reproduction de
tel rite : baptême des adultes,
imposition des mains, pour retrouver la puissance
des âges héroïques ? Dans
nos pauvres églises aussi, il est des
chrétiens qui par la prière ont
triomphé de la maladie, recouvré
leurs morts, et mis en fuite l'adversaire.
Lisez l'Évangile comme il veut
être lu : La Bonne Nouvelle
apportée aux perdus. L'histoire de
l'évangélisation du monde apporte
sans cesse à toutes les pages du Nouveau
Testament un émouvant commentaire.
Entendez les voix de ces lépreux
qui, aujourd'hui, chantent des
cantiques parce qu'au nom de Jésus des mains
aimantes ont touché leurs plaies
(1).
Voyez, dans telle ville de France
(2), ces
soeurs
de la Samaritaine débauchée qui
viennent de sortir de leur double esclavage
juridique et moral, grâce à l'action
persévérante d'une chrétienne,
dont la foi a fermé la gueule des
lions.
Pensez à cet homme qui, il y a
peu d'années. après avoir souffert
tout ce qu'un homme peut souffrir : la guerre,
le chômage, la maladie, a eu l'inspiration de
fonder, en Alsace, un journal
intitulé :
« Confiance ! » et qui a
voulu, à l'heure où passaient sur sa
patrie et sur le monde les vents d'orage, faire
retentir le « Quand
même » obstiné de la
Foi.
En face des mensonges
intéressés de
l'incrédulité, sachez évoquer
ces foules qui sont là, aujourd'hui, dans
les asiles de la miséricorde et de la
charité, sous les drapeaux de la Croix-Bleue
ou de l'Armée du Salut, dans les camps de
notre jeunesse chrétienne, dans nos champs
de mission, et qui manifestent la
perpétuité des oeuvres de
Jésus-Christ, messager de guérison,
de pardon et de victoire.
O Dieu ! ouvre nos yeux afin que
nous sachions saluer ton passage dans ce monde
où tu veux régner, dans ton
Église où ton Christ agit. À
toutes les pages du Livre des Siècles se
réinscrit la vérité de la
promesse du Maître à ses
disciples :
- « Vous ferez les
oeuvres
que je fais, et de plus grandes
encore ! »
Et pourtant... cette parole est aussi un appel
et, à votre adresse, un
reproche.
Chrétiens suisses de 1939, vos
ambitions sont-elles a la hauteur et des devoirs
que Dieu place devant vous, et des grâces que
vous avez reçues ?
Certes, le regard de Jésus a
saisi la grandeur des réalités les
plus humbles. De grandes choses : le
Samaritain qui relève le blessé, la
pauvre veuve qui met sa pite dans le tronc.
Répandre le parfum de l'amour divin dans vos
demeures familiales, en imprégner vos plus
obscures démarches, c'est là la
première fidélité. Mais
Jésus a aussi voulu que cette
fidélité dans les petites choses
conduisît les siens jusqu'à la
fidélité dans les grandes
choses.
« Faire les petites choses
comme grandes, dira Pascal, à cause de la
majesté de Jésus-Christ qui les fait
en nous et qui vit notre vie, - et les grandes
comme petites et aisées, à cause de
sa Toute-Puissance. » Alors que des
problèmes immenses s'imposent à notre
génération, Dieu attend aussi de
grandes choses de l'Eglise.
Il se fait beaucoup de bien sur
la
terre, au nom de Jésus-Christ. Nous ne
le dirons jamais trop. Mais que cette pensée
ne vous soit point un oreiller de paresse, une
perfide consolation, alors que les scandales de
notre humanité crient contre le ciel.
À cause de l'iniquité qui
s'accroît, parce que notre siècle a
dû assister à de nouvelles
démonstrations de l'empire des
ténèbres : culte de l'argent et
de la guerre, réveil des
haines et des racismes païens, beaucoup de
chrétiens - il faut le déclarer
nettement - abusent de la parole de
Jésus : « Mon Royaume n'est
pas de ce monde ! » et nous invitent
à abdiquer nos rêves anciens, à
donner congé à la vision qui a
soutenu l'élan de notre jeunesse, celle
d'une humanité où les
chrétiens engageraient des croisades
audacieuses pour renverser Mammon, abolir la
misère et supprimer la guerre.
Parce que l'adversaire est plus riche en
moyens que nous n'avions pu le penser, nous
devrions donc reculer ?
Ah ! Dieu nous garde d'y
consentir ! Quand le mal affirme sans voiles
sa présence, quand la ruine et la mort sont
à nos portes, la foi, loin de mettre sa
lampe en veilleuse, doit plus que jamais lever le
flambeau. Dans les heures de tourmente, la
piété doit devenir
héroïque.
Le monde contemporain s'agite, tour à
tour affolé et résigné.
Deux attitudes de défaite.
On tremble - et en même temps l'on
s'habitue à répéter :
« Ce sera demain la faillite, la guerre,
la révolution ! ». On se
prépare à vivre des heures
dramatiques, au cours desquelles, tout pourra nous
être repris. nos biens matériels, nos
chers et fragiles bonheurs, notre vie et le sang de
nos enfants !
Et alors que l'on accepte comme
quasi-fatale cette horrible rançon à
nous imposée par la folie des hommes, les
chrétiens trouveraient étonnant
d'entendre leur Maître leur parler le
langage des grandes heures de
l'histoire, et les entraîner sur les
cimes : celle du courage quotidien, du
sacrifice volontaire, du renoncement par
amour !
L'Eglise de demain ne vivra pas si elle
n'a pour la servir et la conduire que des docteurs
et des prêtres. Elle a besoin que Dieu
suscite en elle des prophètes, des hommes
capables de prononcer les mots qui puissent
renverser les forteresses de Satan, et de crier
à notre
génération :
Dieu veut la justice, Dieu veut
la
paix, Dieu veut l'amour. Et parce que Dieu les
veut, vous devez les vouloir, d'une
volonté ferme, résolue et confiante.
Vous possédez, chrétiens
suisses, d'inestimables privilèges. Vous
êtes fils d'une terre où chacun peut
encore proclamer ce qu'il pense et ce qu'il croit,
et où un vaste champ est ouvert aux
initiatives de l'Eglise. Ne pourriez-vous
aujourd'hui balayer tout ce qui vous divise,
renoncer à vos disputes verbales, vous
concentrer autour de l'unique Maître, pour
ensuite vous donner sans réserve aux oeuvres
de Dieu ? Chez nous plus qu'ailleurs pourrait
être demain constituée une
société fraternelle, dans la
solidarité consentie. Chez nous pourrait
être maintenu, pierre d'attente des
édifices futurs, un foyer spirituel
où monterait encore et toujours la flamme de
l'espérance divine, une Église au
sein de laquelle les croyants communieraient
par-dessus les frontières nationales et les
barrières rituelles. « Qu'ils
soient un, ô Père, comme toi et moi
nous sommes un ! ».
Dans l'âme de notre patrie doit
vivre et s'affirmer, forgée par des
siècles d'histoire, l'image de la famille
humaine, une dans sa diversité.
« Vous n'avez qu'un Père, et
vous êtes tous
frères ».
Tel est l'esprit qui doit aujourd'hui
vous animer, l'esprit prophétique qui doit
s'incarner dans un peuple de volonté bonne,
prêt à prendre au sérieux
l'élan de l'oraison dominicale.
Privilèges de Suisses, mais
surtout privilèges de
Chrétiens. « Les oeuvres
que je fais, vous les ferez vous aussi, et vous en
ferez de plus grandes
encore ».
Comment ce Jésus qui va mourir
dans l'abandon et dans la nuit possède-t-il
cette certitude ? Il ne se fait point
d'illusion sur ces disciples en qui il a toujours
à nouveau rencontré la paresse,
l'égoïsme et la peur. Mais quand il
leur dit : « Vous ferez ces
oeuvres », il ajoute : Parce que
je m'en vais auprès du Père, et tout
ce que vous demanderez au Père en mon nom je
le ferai, afin que le Père soit
glorifié dans le Fils.
Au delà de la confiance du Christ
dans les siens, il y a sa confiance dans le
Père, et son espoir de voir ceux qui en
lui ont trouvé le Père, - de vous
voir vous aussi, - posséder dans la
prière chrétienne la clef qui ouvre
la porte à toutes les victoires.
Seigneur, enseigne-nous à
prier !
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