Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XXII

CES OEUVRES... ET DE PLUS GRANDES ENCORE

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 Celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais et il en fera de plus grandes encore.
(Jean XIV, 12.)

Lire : Hébreux XI.

Heureux d'être des croyants ! vous avez raison de l'être. Alors que tant d'autres trésors vous sont enlevés, ou semblent menacés, celui-là vous demeure, plus précieux que tout : la foi au Dieu de l'Évangile.
Cependant, vous avez pu vous arrêter parfois, pensifs et troublés, devant certaines paroles de Jésus, plantées au coeur de la chrétienté comme un perpétuel aiguillon destiné à la préserver de toute satisfaction facile, de toute quiétude paresseuse :
« Si vous aviez de la foi gros comme un grain de moutarde, vous transporteriez des montagnes ! » (Matthieu XVII, 20).
« Si vous croyez en moi vous jerez les oeuvres que je fais, et de plus grandes encore ! ».

Transporter des montagnes ? Et vous avez de la peine à écarter ce qui n'est qu'un caillou sur la route : une légère contrariété, une impatience de caractère, une offense sans gravité.

Faire les oeuvres de Christ ? Qui l'oserait prétendre ?
La foi que vous vous félicitez de posséder ne serait-elle donc pas encore la foi, n'en serait-elle que l'ombre ? Et quelle autre attitude prendre dès lors si ce n'est celle de cet homme au coeur partagé dont le cri a éveillé jadis la compassion du Christ :
« Je crois, Seigneur ! viens au secours de mon incrédulité ! » (Marc IX, 24).

Cette angoisse travaille non seulement certaines âmes individuelles, mais l'âme même de l'Eglise. L'Eglise est-elle encore l'Eglise si elle s'avoue incapable d'accomplir les oeuvres de son chef, de retrouver les dons de l'âge apostolique, de posséder par sa prière la puissance de faire reculer les démons, et de triompher du monde ? Les succès récents de certains mouvements religieux manifestent la sainte impatience de nombreux chrétiens, avides de reconquérir la foi authentique, non celle qui doute, mais celle qui affirme, non celle qui rampe en gémissant, mais celle qui chante debout dans une clarté d'aurore, non celle qui ne change rien, mais celle qui bouleversé tout, non celle qui se contente de fruits' rares et médiocres, mais celle qui s'empare de la promesse magnifique :
« Les oeuvres que je fais, celui qui croit en moi les fera lui aussi, et il en fera de plus grandes encore ! »


I

De plus grandes encore ! Ces mots sonnent étrangement à nos oreilles. Certains se sont égarés dans de curieuses considérations sur la grandeur comparée des miracles de Jésus et de ceux des apôtres. Bossuet n'a pas manqué de souligner l'extension de l'oeuvre divine par les apôtres missionnaires, consacrant leur vie à la conversion des païens, oeuvre que Jésus n'avait pu ni voulu entreprendre. Mais il croit pouvoir ajouter : Les apôtres ont non seulement, comme Jésus, guéri des infirmes et ressuscité des morts, mais ils ont fait des choses que Jésus n'avait point faites. Ils frappent de mort Ananias et Saphira, ils vouent un coupable à Satan, ils délivrent des malades par le simple contact de linges qu'ils avaient touchés !

Nous nous refusons, pour notre part, à trouver un maximum de grandeur dans le merveilleux de ces actions, en face desquelles il nous est permis de nous demander : Est-ce bien l'esprit de Jésus qui est ici à l'oeuvre ? Si à travers les récits bibliques, dans lesquels s'associent souvent la poésie et l'histoire, nous apparaît Quelqu'un dont le pouvoir a dépassé toutes nos limites, ce Quelqu'un est assurément le Christ, l'homme sans péché, le Fils bien-aimé du Père. Mais nous verrions quelqu'impiété à voir attribuer à ses disciples, faibles et pécheurs, la faculté d'accomplir des prodiges plus prodigieux encore que ceux du Maître. Le sol de la foi évangélique n'est pas celui de l'amour du merveilleux, amour propre à toutes les imaginations religieuses de notre race. Jésus n'a pas recommandé aux siens le culte du miracle physique, qui rapprocherait la piété de la magie.




Jésus déclare tout d'abord : Les oeuvres que je fais, celui qui croit en moi les fera aussi.
Jésus désigne par là les oeuvres du Royaume de Dieu, celles que le quatrième Évangile résume dans ces trois mots : La vie, la lumière et l'amour. Saint-Jean associe, en un même panorama, l'oeuvre extérieure de Jésus et sa mission spirituelle. C'est le même Sauveur qui un jour ouvre les yeux de l'aveugle, et qui tous les jours fait passer des ténèbres à la lumière les pécheurs qui répondent à sa voix ; qui un jour appelle Lazare hors du tombeau, et qui tous les jours offre aux siens une vie éternelle qui les puisse affranchir de la hantise de la mort ; qui un jour nourrit la foule affamée, et qui jour après jour offre le pain de sa parole aux âmes attentives. Le miracle du Christ apparaît aussi bien dans la conversion de la Samaritaine que dans la guérison de l'impotent de Béthesda, dans la marche vers Golgotha que dans la marche sur les eaux.

Dans les initiatives du Fils de l'Homme qui va de lieu en lieu faisant le bien, tout est simple, et tout est grand. Aucune séparation entre l'ordinaire et l'extraordinaire. Jésus multiplie les actes de compassion au profit des malheureux et des vaincus, des méprisés et des coupables. Il ramène au Père l'enfant perdu ; il met le pardon et la paix là où régnaient le remords et le trouble. Les oeuvres qu'il accomplit sont celles qui inaugurent ici-bas le règne de l'amour. D'autres avant lui ont voulu et pu agir dans le sens de la justice et de la charité. Mais son action est unique de par sa source, la parfaite présence du Père dans le Fils, et de par son intention, le salut complet de l'homme introduit dans le monde de Dieu, le salut offert à tout homme, quels que soient son origine, son passé, sa misère.

Et voici que, fulgurant éclair dans la nuit du temps, la carrière de Jésus touche à son terme. Aux heures dernières Jésus entrevoit les oeuvres, plus grandes encore que celles dont il fut l'artisan, et que les siens accompliront demain, sous l'impulsion de l'Esprit.

L'Évangélisation de la terre. Jésus a dit : « Il en viendra d'Orient et d'Occident pour se mettre à table dans le Royaume de Dieu » (Matthieu VIII, 11).

La pénétration de l'Esprit des Béatitudes dans tous les domaines de la vie et de la pensée humaines. Jésus a dit : « Le levain doit pénétrer toute la pâte » (Matthieu XIII, 33).

Jésus, en face de ces hommes qui ne sont rien, mais qui demeurent son amour et son espoir, en face de ces hommes qui tout à l'heure vont s'enfuir et le laisser seul, mais qui demain, saisis par l'Esprit, deviendront les colonnes du nouveau Temple, Jésus dit :
Les oeuvres que je fais, vous les ferez aussi... et sachant qu'en eux il revivra et travaillera, Lui qui va se laisser crucifier pour attirer tous les hommes à lui, il ose ajouter :
- Vous les ferez, et vous en ferez de plus grandes encore !


II

Il vous suffit pour croire en la promesse, de vous redire : C'est Jésus qui nous l'adresse ! Mais il vous est bon aussi de la voir appuyée par le témoignage irrécusable des faits.
Gardons-nous de critiquer légèrement la ferveur des frères qui, en face du sommeil et de la paresse des Églises, s'écrient :
« Où sont les miracles des premiers âges ? » Mais est-il vraiment nécessaire de revenir à un formalisme quelconque, à la reproduction de tel rite : baptême des adultes, imposition des mains, pour retrouver la puissance des âges héroïques ? Dans nos pauvres églises aussi, il est des chrétiens qui par la prière ont triomphé de la maladie, recouvré leurs morts, et mis en fuite l'adversaire.

Lisez l'Évangile comme il veut être lu : La Bonne Nouvelle apportée aux perdus. L'histoire de l'évangélisation du monde apporte sans cesse à toutes les pages du Nouveau Testament un émouvant commentaire.
Entendez les voix de ces lépreux qui, aujourd'hui, chantent des cantiques parce qu'au nom de Jésus des mains aimantes ont touché leurs plaies (1).
Voyez, dans telle ville de France (2), ces soeurs de la Samaritaine débauchée qui viennent de sortir de leur double esclavage juridique et moral, grâce à l'action persévérante d'une chrétienne, dont la foi a fermé la gueule des lions.
Pensez à cet homme qui, il y a peu d'années. après avoir souffert tout ce qu'un homme peut souffrir : la guerre, le chômage, la maladie, a eu l'inspiration de fonder, en Alsace, un journal intitulé : « Confiance ! » et qui a voulu, à l'heure où passaient sur sa patrie et sur le monde les vents d'orage, faire retentir le « Quand même » obstiné de la Foi.

En face des mensonges intéressés de l'incrédulité, sachez évoquer ces foules qui sont là, aujourd'hui, dans les asiles de la miséricorde et de la charité, sous les drapeaux de la Croix-Bleue ou de l'Armée du Salut, dans les camps de notre jeunesse chrétienne, dans nos champs de mission, et qui manifestent la perpétuité des oeuvres de Jésus-Christ, messager de guérison, de pardon et de victoire.
O Dieu ! ouvre nos yeux afin que nous sachions saluer ton passage dans ce monde où tu veux régner, dans ton Église où ton Christ agit. À toutes les pages du Livre des Siècles se réinscrit la vérité de la promesse du Maître à ses disciples :
- « Vous ferez les oeuvres que je fais, et de plus grandes encore ! »


III

 

Et pourtant... cette parole est aussi un appel et, à votre adresse, un reproche.
Chrétiens suisses de 1939, vos ambitions sont-elles a la hauteur et des devoirs que Dieu place devant vous, et des grâces que vous avez reçues ?

Certes, le regard de Jésus a saisi la grandeur des réalités les plus humbles. De grandes choses : le Samaritain qui relève le blessé, la pauvre veuve qui met sa pite dans le tronc. Répandre le parfum de l'amour divin dans vos demeures familiales, en imprégner vos plus obscures démarches, c'est là la première fidélité. Mais Jésus a aussi voulu que cette fidélité dans les petites choses conduisît les siens jusqu'à la fidélité dans les grandes choses.

« Faire les petites choses comme grandes, dira Pascal, à cause de la majesté de Jésus-Christ qui les fait en nous et qui vit notre vie, - et les grandes comme petites et aisées, à cause de sa Toute-Puissance. » Alors que des problèmes immenses s'imposent à notre génération, Dieu attend aussi de grandes choses de l'Eglise.

Il se fait beaucoup de bien sur la terre, au nom de Jésus-Christ. Nous ne le dirons jamais trop. Mais que cette pensée ne vous soit point un oreiller de paresse, une perfide consolation, alors que les scandales de notre humanité crient contre le ciel. À cause de l'iniquité qui s'accroît, parce que notre siècle a dû assister à de nouvelles démonstrations de l'empire des ténèbres : culte de l'argent et de la guerre, réveil des haines et des racismes païens, beaucoup de chrétiens - il faut le déclarer nettement - abusent de la parole de Jésus : « Mon Royaume n'est pas de ce monde ! » et nous invitent à abdiquer nos rêves anciens, à donner congé à la vision qui a soutenu l'élan de notre jeunesse, celle d'une humanité où les chrétiens engageraient des croisades audacieuses pour renverser Mammon, abolir la misère et supprimer la guerre.

Parce que l'adversaire est plus riche en moyens que nous n'avions pu le penser, nous devrions donc reculer ?

Ah ! Dieu nous garde d'y consentir ! Quand le mal affirme sans voiles sa présence, quand la ruine et la mort sont à nos portes, la foi, loin de mettre sa lampe en veilleuse, doit plus que jamais lever le flambeau. Dans les heures de tourmente, la piété doit devenir héroïque.




Le monde contemporain s'agite, tour à tour affolé et résigné. Deux attitudes de défaite.
On tremble - et en même temps l'on s'habitue à répéter : « Ce sera demain la faillite, la guerre, la révolution ! ». On se prépare à vivre des heures dramatiques, au cours desquelles, tout pourra nous être repris. nos biens matériels, nos chers et fragiles bonheurs, notre vie et le sang de nos enfants !

Et alors que l'on accepte comme quasi-fatale cette horrible rançon à nous imposée par la folie des hommes, les chrétiens trouveraient étonnant d'entendre leur Maître leur parler le langage des grandes heures de l'histoire, et les entraîner sur les cimes : celle du courage quotidien, du sacrifice volontaire, du renoncement par amour !

L'Eglise de demain ne vivra pas si elle n'a pour la servir et la conduire que des docteurs et des prêtres. Elle a besoin que Dieu suscite en elle des prophètes, des hommes capables de prononcer les mots qui puissent renverser les forteresses de Satan, et de crier à notre génération :

Dieu veut la justice, Dieu veut la paix, Dieu veut l'amour. Et parce que Dieu les veut, vous devez les vouloir, d'une volonté ferme, résolue et confiante.




Vous possédez, chrétiens suisses, d'inestimables privilèges. Vous êtes fils d'une terre où chacun peut encore proclamer ce qu'il pense et ce qu'il croit, et où un vaste champ est ouvert aux initiatives de l'Eglise. Ne pourriez-vous aujourd'hui balayer tout ce qui vous divise, renoncer à vos disputes verbales, vous concentrer autour de l'unique Maître, pour ensuite vous donner sans réserve aux oeuvres de Dieu ? Chez nous plus qu'ailleurs pourrait être demain constituée une société fraternelle, dans la solidarité consentie. Chez nous pourrait être maintenu, pierre d'attente des édifices futurs, un foyer spirituel où monterait encore et toujours la flamme de l'espérance divine, une Église au sein de laquelle les croyants communieraient par-dessus les frontières nationales et les barrières rituelles. « Qu'ils soient un, ô Père, comme toi et moi nous sommes un ! ».

Dans l'âme de notre patrie doit vivre et s'affirmer, forgée par des siècles d'histoire, l'image de la famille humaine, une dans sa diversité. « Vous n'avez qu'un Père, et vous êtes tous frères ».
Tel est l'esprit qui doit aujourd'hui vous animer, l'esprit prophétique qui doit s'incarner dans un peuple de volonté bonne, prêt à prendre au sérieux l'élan de l'oraison dominicale.

Privilèges de Suisses, mais surtout privilèges de Chrétiens. « Les oeuvres que je fais, vous les ferez vous aussi, et vous en ferez de plus grandes encore ».

Comment ce Jésus qui va mourir dans l'abandon et dans la nuit possède-t-il cette certitude ? Il ne se fait point d'illusion sur ces disciples en qui il a toujours à nouveau rencontré la paresse, l'égoïsme et la peur. Mais quand il leur dit : « Vous ferez ces oeuvres », il ajoute : Parce que je m'en vais auprès du Père, et tout ce que vous demanderez au Père en mon nom je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils.

Au delà de la confiance du Christ dans les siens, il y a sa confiance dans le Père, et son espoir de voir ceux qui en lui ont trouvé le Père, - de vous voir vous aussi, - posséder dans la prière chrétienne la clef qui ouvre la porte à toutes les victoires.
Seigneur, enseigne-nous à prier !


1. La Valbonne, en France... sans parler des stations missionnaires. 

2. Allusion à l'Abri Dauphinois, de Grenoble.
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