Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XVI

LES CONSOLÉS... CONSOLATEURS

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Il nous console dans toutes nos afflictions afin que nous soyons en état de consoler tous ceux qui sont dans la peine.
(Il Corinthiens I, 4.)

« Heureux les affligés, car ils seront consolés ! ». L'étonnante proclamation nous est devenue familière ; si merveilleuse que demeure sa promesse, nous nous y attachons comme à une promesse divine, qui fait allusion non pas aux médiocres consolations de la terre, mais bien à la gloire du monde à venir, dans laquelle toute larme sera essuyée de nos yeux. L'Éternel est Celui qui peut faire retentir sur le trouble des âmes en deuil, et sur le silence du tombeau, son message souverain : « Ils seront consolés ». Mais le ministère de la consolation est-il uniquement l'affaire de Dieu ? A-t-il pour seul but d'éclairer le mystère de la mort, et pour seule perspective le Ciel et le Royaume invisible ? Relisez l'Écriture ; interrogez le grand livre de la Vie. Vous conviendrez alors que ce n'est pas seulement le deuil, c'est toute affliction qui cherche sa consolation. L'office du consolateur fait partie de la vocation de tout chrétien, et si Dieu réserve les apaisements de l'Au-delà à ceux dont les luttes terrestres ont pris fin, sa volonté est de voir sur notre terre déjà jaillir des sources consolatrices vers lesquelles puissent se diriger les affligés.


I

Consoler ! Tâche nécessaire.
Parlons comme si nous devions jouir encore demain de la paix ; écartons les visions effroyables d'une Europe en guerre, d'une patrie où il y aurait comme dans l'Égypte de l'Exode un mort en chaque maison, d'un monde où retentiraient de toutes parts les lamentations des victimes. Vous voyant tels que vous êtes aujourd'hui, situés dans le réseau de vos occupations habituelles, et dans le cadre de votre existence ordinaire, je vous demande à tous et à chacun, et aussi au plus heureux d'entre vous : En une seule semaine que de frères et soeurs n'as-tu pas rencontrés qui avaient besoin d'être consolés ?

Vous avez croisé ceux qui s'en vont au cimetière, vers les tombes récemment ouvertes. je songe à l'enfant écrasée il y a quelques semaines, dans cette rue même, sous les yeux de sa mère ; à cette femme dont le départ plonge dans une solitude désespérée celui qui était depuis quarante ans son compagnon de tous les jours ; à ce foyer où le départ d'un père ou d'une mère a creusé un vide, dont la profondeur se mesure plus cruellement chaque jour.
Mais bien d'autres encore semblent demander : « Qui nous consolera ? ». Ceux-là qui ont vu partir pour l'hôpital ou le sanatorium ces jeunes qui, il y a si peu de temps, apportaient le concours de leur gaieté à nos réunions paroissiales, et celui de leurs fraîches ferveurs à nos premières communions de printemps ; et ceux-là qui assistent impuissants, à la torture physique de parents attaqués par quelque mal affreux.

Qui nous consolera ? N'est-ce pas aussi la question que vous posent ces voisins, ou ces camarades dont vous savez que la situation matérielle confine à la misère, et tous ceux dont la détresse morale s'affiche... ou se devine ? C'est ce foyer, né hier, où se glisse déjà la mésentente ou la trahison ; c'est ce ménage où l'alcool poursuit son oeuvre destructrice ; ce sont ces parents qui se désolent de l'inconduite de leur enfant.

Ah ! quelle somme d'afflictions, dans le seul étroit rayon de ce petit monde qui nous entoure, celui que Jésus désigne d'un mot lourd de sens : Ton prochain. Sans même élargir ton coeur pour y accueillir les détresses lointaines des frères inconnus, tu n'as qu'à évoquer ceux qui vivent sous ton toit, ceux qui travaillent à tes côtés, ceux que tu côtoies tous les jours pour voir surgir des visages familiers, dont les regards appellent une consolation.




Consolez, consolez mon peuple, dit l'Éternel. Mais ce devoir qui s'impose est un devoir difficile. Le prophète, pour symboliser Israël à l'époque de ses grandes tribulations, dessine la figure de la mère éplorée : « Rachel pleure parce que ses enfants ne sont Plus, et elle refuse d'être consolée » (Jérémie XXXI, 15). Souvent l'âme blessée s'enferme dans son chagrin ou dans sa honte comme dans une prison. Vous avez rencontré de ces souffrances fières, drapées dans une résolution d'isolement hostile ; tels pauvres, tels malades, tels désespérés écartent à l'avance toute main tendue, tout geste de compassion, en disant : « Je ne veux personne ; nul ne peut ni comprendre, ni guérir ma douleur ». Mais la difficulté du devoir, ne saurait l'abolir, pour un disciple du Christ. Si Jésus a pu voir des hommes se dérober à son amour, aucun degré de faiblesse n'est en tout cas parvenu à paralyser son action consolatrice. La maladie, le deuil, l'abandon, le remords... Toute la gamme des épreuves, physiques et morales, est représentée parmi ceux qui ont été les premiers consolés du Christ. À cause de Lui, nous ne refusons pas le programme que nous propose le Dieu d'amour et nous chercherons à nous associer à la joie de l'apôtre, qui écrit aux Corinthiens : « Béni soit le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Dieu de toute consolation. Il nous console dans toutes nos afflictions, afin que nous soyons en état de consoler ceux qui sont dans la peine, par la consolation que Dieu nous accorde à nous-mêmes ».


II

Il nous console dans toutes nos afflictions.
Dans cette affirmation s'associent la précision de l'expérience et la hardiesse de la foi. L'apôtre écrit sa seconde lettre aux Corinthiens peu après avoir échappé à un grave danger. En Asie, à Éphèse sans doute, il a été l'objet d'une persécution si cruelle qu'il avait déjà fait l'abandon de sa vie. Délivré contre toute espérance, il ajoute le souvenir de cette libération émouvante à bien d'autres souvenirs de ces maladies, de ces aventures, de ces luttes à travers lesquelles le Seigneur l'a constamment soutenu. En face de tant de souffrances, d'échecs, de déceptions, il y a eu tant de lumière : ces créations d'Églises nouvelles, ces païens convertis, ces fidélités touchantes de l'amitié ! Son Sauveur ne lui a jamais refusé, à travers tant d'années difficiles et de circonstances souvent dramatiques, les consolations abondantes de son amour. Il a été auprès de lui. Il le sera encore, demain, toujours, dans toutes les afflictions.




Abondance d'épreuves ! Surabondance de consolations ! Tel lui apparaît son destin. L'appel à souffrir lui est révélé méthode d'éducation divine qui le rapproche de Son Sauveur. Ses souffrances rejoignent celles du Christ. Comme le Christ, il doit affronter la dureté des coeurs, la méchanceté humaine, la rage des violents. À cause du Christ, et parce qu'il doit prêcher sa parole, sa Croix et sa résurrection, il est persécuté. Uni en Esprit au Christ, écrasé par le péché du monde, l'apôtre se solidarise avec l'humanité égarée et douloureuse. Plus il souffre avec le Christ, plus il éprouve la vertu des consolations divines qui ont accompagné le Christ jusque sur le chemin du Calvaire. C'est la présence du Père qui entre dans la douleur de son enfant pour la porter avec lui et pour la transfigurer. La souffrance de l'apôtre sera elle aussi féconde, spirituellement utile et à lui, et aux frères. Et là où les résultats de ses larmes demeurent décidément indéchiffrables, il reste au croyant le geste qui le redresse vers le Ciel : « Un jour je comprendrai. Pour nous qui regardons à l'invisible, les légères afflictions du moment présent produisent au delà de toute mesure, un poids éternel de gloire ! » (Il Cor. IV, 17).

La consolation de l'apôtre a quelque chose de total. Ni par leur nature, ni par leur intensité, vos épreuves ne sont identiques à celles que traversa saint Paul. Mais avec lui, vous savez que votre foi doit vous arracher aux égoïsmes de la paresse pour vous exposer à de nouveaux combats et contre vous-mêmes, et contre le monde. Votre attitude chrétienne, avec un lot nouveau d'épreuves, apporte aussi un trésor nouveau de consolations.

Aujourd'hui, comme aux temps anciens, le fidèle connaît les deux séries d'exaucements : la bénédiction visible : protections, délivrances et guérisons ; et l'autre, insaisissable à l'incrédulité : la présence intime qui illumine l'âme. Dieu révèle un sens à nos douleurs et nous y fait trouver une occasion de patience, de prière et de témoignage, une occasion d'entrer dans la communion du Crucifié. « Il nous console dans toutes nos afflictions ».


III

« Afin, que consolés, nous devenions des consolateurs ».
Dieu n'accorde rien à notre seul égoïsme. Aussi longtemps que vous mendiez sa consolation en enfants gâtés qui n'acceptent ni l'effort, ni la peine, vous ne connaîtrez qu'une demi-consolation. Et quand Dieu vient te dire : Sois consolé, c'est avec l'espoir de pouvoir accomplir aussi par toi, son oeuvre d'amour.

Mystérieuses dans leur origine et dans leur exercice, les lois du travail de Dieu sont admirablement adaptées à notre nature humaine. Les vrais consolateurs, ce sont les consolés.
La barrière d'indifférence que dresse entre lui et vous un frère malheureux est bien souvent faite de ces réflexions : « Celui-ci ne sait pas ce que j'ai souffert ! Il n'a jamais été dans ma situation ! Il est trop « favorisé pour pressentir ce que signifient mes larmes et ma blessure ».

Chacun sait le privilège que possède l'homme qui peut dire à un frère : « Moi aussi j'ai été ce que tu es  aujourd'hui : le chômeur découragé, le malade couché sur un lit d'hôpital, l'homme qui se désespère au chevet de son enfant, le coupable qui  n'ose avouer sa faute. Et j'ai été consolé ! ».
Certes, vous ne pouvez sans mentir, dire à votre prochain, en toute occasion : « J'ai marché sur le même chemin que toi » ou « J'ai souffert autant que toi ». D'ailleurs, il est des âmes qui bien qu'à l'abri des grandes tempêtes de l'existence, ont possédé la grâce de savoir consoler. Tout chrétien a connu un jour ce que signifie : avoir pleuré, et avoir été apaisé, et sait aussi que la route qui nous conduit le plus sûrement au pays des communions fraternelles, c'est celle qui passe par Jésus-Christ. Associez le Christ à vos souffrances et à celles des autres, et vous saurez rendre témoignage à cette Paix qui émane de Lui, de Lui qui a compris tous les fatigués et les chargés, et les appelle à Lui.

Des consolateurs ! Vous le serez, parce que vous êtes non seulement des consolés, mais les consolés du Christ. Vous pouvez offrir quelque chose qui dépasse infiniment votre petite expérience : la consolation que Dieu donne, celle qu'il vous a procurée, mais aussi celle-là qu'il a assurée aux grands témoins, aux martyrs, à son Fils vidant la coupe d'amertume !




La parole de Dieu peut agir sans nous, par sa propre vertu. Des malheureux, parce qu'ils ont eu un jour une Bible entre les mains et que l'Esprit leur en a ouvert l'intelligence, ont vu la rosée d'En-Haut descendre sur leurs champs desséchés ; ils ont trouvé, sans aucun intermédiaire humain, la grâce de la consolation. Mais la volonté générale du Père vise autre chose : elle veut l'Eglise dont les membres soient des lettres vivantes écrites par le Christ. Elle veut le frère en état de consoler son frère.
Le plus souvent, c'est à travers les présences humaines que se manifeste la présence suprême.
« Personne n'a jamais vu Dieu, mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous » (I Jean IV, 12).

Aux heures des plus saintes émotions, en face des plus profonds chagrins, alors que paroles et discours sonnent faux, et que le silence semble seul convenir à la solennité du moment, c'est souvent une présence qui s'affirme : une consolation. Et quand il s'agit d'une présence, qui est en même temps amour et prière, cette consolation devient religieuse. Entre les âmes recueillies, c'est Dieu qui passe. Les consolations de Dieu ! Saint Paul les sent abonder en lui, non pas pour le réconforter lui seul, mais pour déborder de son coeur sur le peuple des fidèles, des persécutés, des faibles, dont il porte le souci.

Quelle perspective magnifique ! Une Église, dont les membres veulent souffrir dans la communion du Crucifié par amour ! En Christ ils trouvent leur réconfort parce qu'il est pour eux la force de Dieu, la paix de leur âme et l'espérance de la gloire. Mais un réconfort qu'ils ne savent posséder qu'en tant qu'ils le veulent répandre ! Une humanité fraternelle ou entre heureux et malheureux, faibles et forts, éprouvés et libérés, se perpétue l'échange spirituel qui est la circulation même de la vie de Dieu, le courant d'amour qui peut faire des désolés d'aujourd'hui les consolés de demain !




Jésus a donné à l'Esprit saint qu'il léguait aux siens le titre de : Consolateur. Ce qui doit au siècle des siècles rester la grande puissance consolatrice, ne réside ni dans une formule, ni dans une doctrine, mais dans un esprit : Son Esprit, l'Esprit de l'Amour.
Aujourd'hui, plus que jamais, le bon soldat de Jésus-Christ doit prendre sa part de souffrances, mais avec elle sa part de consolation qui lui permette d'accueillir la vocation du consolateur.

Oh ! Père, tu nous vois entouré de frères éprouvés que nous voulons aimer et que nous aimons encore trop maladroitement, puisque nous parvenons si peu à les vraiment aider. Viens à notre secours, pour qu'à travers notre amour apparaisse ton amour, oh ! Dieu. À travers notre témoignage ton action souveraine en Christ qui nous a visités ! À travers toutes nos démarches, ton inspiration, oh ! Saint Esprit qui veut demeurer éternellement avec nous pour faire de nous des consolés, pour faire de nous des consolateurs.

1939.

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