Il nous console dans
toutes nos afflictions afin que nous soyons en
état de consoler tous ceux qui sont dans la
peine.
(Il
Corinthiens
I, 4.)
« Heureux les affligés,
car ils seront
consolés ! ».
L'étonnante proclamation nous est devenue
familière ; si merveilleuse que demeure
sa promesse, nous nous y attachons comme à
une promesse divine, qui fait allusion non pas aux
médiocres consolations de la terre, mais
bien à la gloire du monde à venir,
dans laquelle toute larme sera essuyée de
nos yeux. L'Éternel est Celui qui peut faire
retentir sur le trouble des âmes en deuil, et
sur le silence du tombeau, son message
souverain : « Ils seront
consolés ». Mais le
ministère de la consolation est-il
uniquement l'affaire de Dieu ? A-t-il pour
seul but d'éclairer le mystère de la
mort, et pour seule perspective le Ciel et le
Royaume invisible ? Relisez
l'Écriture ; interrogez le grand livre
de la Vie. Vous conviendrez alors que ce n'est pas
seulement le deuil, c'est toute affliction qui
cherche sa consolation. L'office du consolateur
fait partie de la vocation de tout chrétien,
et si Dieu réserve les apaisements de
l'Au-delà à ceux dont les luttes
terrestres ont pris fin, sa volonté est de
voir sur notre terre déjà jaillir des
sources consolatrices vers
lesquelles puissent se diriger les affligés.
Consoler ! Tâche
nécessaire.
Parlons comme si nous devions jouir encore
demain de la paix ; écartons les
visions effroyables d'une Europe en guerre, d'une
patrie où il y aurait comme dans
l'Égypte de l'Exode un mort en chaque
maison, d'un monde où retentiraient de
toutes parts les lamentations des victimes. Vous
voyant tels que vous êtes aujourd'hui,
situés dans le réseau de vos
occupations habituelles, et dans le cadre de votre
existence ordinaire, je vous demande à tous
et à chacun, et aussi au plus heureux
d'entre vous : En une seule semaine que de
frères et soeurs n'as-tu pas
rencontrés qui avaient besoin
d'être consolés ?
Vous avez croisé ceux qui s'en vont
au cimetière, vers les tombes
récemment ouvertes. je songe à
l'enfant écrasée il y a quelques
semaines, dans cette rue même, sous les yeux
de sa mère ; à cette femme dont
le départ plonge dans une solitude
désespérée celui qui
était depuis quarante ans son compagnon de
tous les jours ; à ce foyer où
le départ d'un père ou d'une
mère a creusé un vide, dont la
profondeur se mesure plus cruellement chaque
jour.
Mais bien d'autres encore semblent
demander : « Qui nous
consolera ? ». Ceux-là
qui ont vu partir pour l'hôpital ou le
sanatorium ces jeunes qui, il y a si peu de temps,
apportaient le concours de leur gaieté
à nos réunions paroissiales, et celui
de leurs fraîches ferveurs
à nos premières communions de
printemps ; et ceux-là qui assistent
impuissants, à la torture physique de
parents attaqués par quelque mal
affreux.
Qui nous consolera ?
N'est-ce
pas aussi la question que vous posent ces voisins,
ou ces camarades dont vous savez que la situation
matérielle confine à la
misère, et tous ceux dont la détresse
morale s'affiche... ou se devine ? C'est ce
foyer, né hier, où se glisse
déjà la mésentente ou la
trahison ; c'est ce ménage où
l'alcool poursuit son oeuvre destructrice ; ce
sont ces parents qui se désolent de
l'inconduite de leur enfant.
Ah ! quelle somme d'afflictions, dans
le seul étroit rayon de ce petit monde qui
nous entoure, celui que Jésus désigne
d'un mot lourd de sens : Ton prochain.
Sans même élargir ton coeur pour y
accueillir les détresses lointaines des
frères inconnus, tu n'as qu'à
évoquer ceux qui vivent sous ton toit, ceux
qui travaillent à tes côtés,
ceux que tu côtoies tous les jours pour voir
surgir des visages familiers, dont les regards
appellent une consolation.
Consolez, consolez mon peuple, dit l'Éternel. Mais ce devoir qui s'impose est un devoir difficile. Le prophète, pour symboliser Israël à l'époque de ses grandes tribulations, dessine la figure de la mère éplorée : « Rachel pleure parce que ses enfants ne sont Plus, et elle refuse d'être consolée » (Jérémie XXXI, 15). Souvent l'âme blessée s'enferme dans son chagrin ou dans sa honte comme dans une prison. Vous avez rencontré de ces souffrances fières, drapées dans une résolution d'isolement hostile ; tels pauvres, tels malades, tels désespérés écartent à l'avance toute main tendue, tout geste de compassion, en disant : « Je ne veux personne ; nul ne peut ni comprendre, ni guérir ma douleur ». Mais la difficulté du devoir, ne saurait l'abolir, pour un disciple du Christ. Si Jésus a pu voir des hommes se dérober à son amour, aucun degré de faiblesse n'est en tout cas parvenu à paralyser son action consolatrice. La maladie, le deuil, l'abandon, le remords... Toute la gamme des épreuves, physiques et morales, est représentée parmi ceux qui ont été les premiers consolés du Christ. À cause de Lui, nous ne refusons pas le programme que nous propose le Dieu d'amour et nous chercherons à nous associer à la joie de l'apôtre, qui écrit aux Corinthiens : « Béni soit le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Dieu de toute consolation. Il nous console dans toutes nos afflictions, afin que nous soyons en état de consoler ceux qui sont dans la peine, par la consolation que Dieu nous accorde à nous-mêmes ».
Il nous console dans toutes nos
afflictions.
Dans cette affirmation s'associent la
précision de l'expérience et la
hardiesse de la foi. L'apôtre écrit sa
seconde lettre aux Corinthiens peu après
avoir échappé
à un grave danger. En Asie, à
Éphèse sans doute, il a
été l'objet d'une persécution
si cruelle qu'il avait déjà fait
l'abandon de sa vie. Délivré contre
toute espérance, il ajoute le souvenir de
cette libération émouvante à
bien d'autres souvenirs de ces maladies, de ces
aventures, de ces luttes à travers
lesquelles le Seigneur l'a constamment soutenu. En
face de tant de souffrances, d'échecs, de
déceptions, il y a eu tant de
lumière : ces créations
d'Églises nouvelles, ces païens
convertis, ces fidélités touchantes
de l'amitié ! Son Sauveur ne lui a
jamais refusé, à travers tant
d'années difficiles et de circonstances
souvent dramatiques, les consolations abondantes de
son amour. Il a été auprès
de lui. Il le sera encore, demain, toujours, dans
toutes les afflictions.
Abondance d'épreuves ! Surabondance
de consolations ! Tel lui apparaît son
destin. L'appel à souffrir lui est
révélé méthode
d'éducation divine qui le rapproche de Son
Sauveur. Ses souffrances rejoignent celles du
Christ. Comme le Christ, il doit affronter la
dureté des coeurs, la
méchanceté humaine, la rage des
violents. À cause du Christ, et parce qu'il
doit prêcher sa parole, sa Croix et sa
résurrection, il est
persécuté. Uni en Esprit au Christ,
écrasé par le péché du
monde, l'apôtre se solidarise avec
l'humanité égarée et
douloureuse. Plus il souffre avec le Christ, plus
il éprouve la vertu des consolations divines qui
ont
accompagné le Christ jusque sur le chemin du
Calvaire. C'est la présence du Père
qui entre dans la douleur de son enfant pour la
porter avec lui et pour la transfigurer. La
souffrance de l'apôtre sera elle aussi
féconde, spirituellement utile et à
lui, et aux frères. Et là où
les résultats de ses larmes demeurent
décidément indéchiffrables, il
reste au croyant le geste qui le redresse vers le
Ciel : « Un jour je comprendrai.
Pour nous qui regardons à l'invisible, les légères afflictions du
moment
présent produisent au delà de toute
mesure, un poids éternel de
gloire ! »
(Il
Cor. IV, 17).
La consolation de l'apôtre a quelque
chose de total. Ni par leur nature, ni par leur
intensité, vos épreuves ne sont
identiques à celles que traversa saint Paul.
Mais avec lui, vous savez que votre foi doit vous
arracher aux égoïsmes de la paresse
pour vous exposer à de nouveaux combats et
contre vous-mêmes, et contre le monde. Votre
attitude chrétienne, avec un lot nouveau
d'épreuves, apporte aussi un trésor
nouveau de consolations.
Aujourd'hui, comme aux temps anciens, le
fidèle connaît les deux séries
d'exaucements : la bénédiction
visible : protections, délivrances et
guérisons ; et l'autre, insaisissable
à l'incrédulité : la
présence intime qui illumine l'âme.
Dieu révèle un sens à nos
douleurs et nous y fait trouver une occasion de
patience, de prière et de témoignage,
une occasion d'entrer dans la communion du
Crucifié. « Il nous console
dans toutes nos afflictions ».
« Afin, que consolés, nous
devenions des consolateurs ».
Dieu n'accorde rien à notre seul
égoïsme. Aussi longtemps que vous
mendiez sa consolation en enfants
gâtés qui n'acceptent ni l'effort, ni
la peine, vous ne connaîtrez qu'une
demi-consolation. Et quand Dieu vient te
dire : Sois consolé, c'est avec
l'espoir de pouvoir accomplir aussi par toi, son
oeuvre d'amour.
Mystérieuses dans leur origine et
dans leur exercice, les lois du travail de Dieu
sont admirablement adaptées à notre
nature humaine. Les vrais consolateurs, ce sont
les consolés.
La barrière d'indifférence que
dresse entre lui et vous un frère malheureux
est bien souvent faite de ces
réflexions : « Celui-ci ne
sait pas ce que j'ai souffert ! Il n'a jamais
été dans ma situation ! Il est
trop « favorisé pour pressentir ce
que signifient mes larmes et ma
blessure ».
Chacun sait le privilège que
possède l'homme qui peut dire à un
frère : « Moi aussi j'ai
été ce que tu es
aujourd'hui : le chômeur
découragé, le
malade couché sur un lit
d'hôpital, l'homme qui se
désespère au chevet de son enfant, le
coupable qui n'ose avouer sa faute. Et j'ai
été
consolé ! ».
Certes, vous ne pouvez sans mentir, dire
à votre prochain, en toute occasion :
« J'ai marché sur le même
chemin que toi » ou « J'ai
souffert autant que toi ». D'ailleurs, il
est des âmes qui bien qu'à l'abri des grandes
tempêtes de
l'existence, ont possédé la
grâce de savoir consoler. Tout
chrétien a connu un jour ce que
signifie : avoir pleuré, et avoir
été apaisé, et sait aussi que
la route qui nous conduit le plus sûrement au
pays des communions fraternelles, c'est celle qui
passe par Jésus-Christ. Associez le
Christ à vos souffrances et à celles
des autres, et vous saurez rendre
témoignage à cette Paix qui
émane de Lui, de Lui qui a compris tous les
fatigués et les chargés, et les
appelle à Lui.
Des consolateurs ! Vous le serez, parce
que vous êtes non seulement des
consolés, mais les consolés du
Christ. Vous pouvez offrir quelque chose qui
dépasse infiniment votre petite
expérience : la consolation que Dieu
donne, celle qu'il vous a procurée, mais
aussi celle-là qu'il a assurée aux
grands témoins, aux martyrs, à son
Fils vidant la coupe d'amertume !
La parole de Dieu peut agir sans nous,
par sa propre vertu. Des malheureux, parce qu'ils
ont eu un jour une Bible entre les mains et que
l'Esprit leur en a ouvert l'intelligence, ont vu la
rosée d'En-Haut descendre sur leurs champs
desséchés ; ils ont
trouvé, sans aucun intermédiaire
humain, la grâce de la consolation. Mais la volonté générale du
Père vise autre chose : elle veut
l'Eglise dont les membres soient des lettres
vivantes écrites par le Christ. Elle
veut le frère en état de consoler son
frère.
Le plus souvent, c'est à travers les
présences humaines que se manifeste la
présence suprême.
« Personne n'a jamais vu Dieu,
mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu
demeure en nous »
(I
Jean IV, 12).
Aux heures des plus saintes émotions,
en face des plus profonds chagrins, alors que
paroles et discours sonnent faux, et que le silence
semble seul convenir à la solennité
du moment, c'est souvent une présence qui
s'affirme : une consolation. Et quand il
s'agit d'une présence, qui est en même
temps amour et prière, cette consolation
devient religieuse. Entre les âmes
recueillies, c'est Dieu qui passe. Les consolations
de Dieu ! Saint Paul les sent abonder en lui,
non pas pour le réconforter lui seul, mais
pour déborder de son coeur sur le peuple des
fidèles, des persécutés, des
faibles, dont il porte le souci.
Quelle perspective magnifique ! Une
Église, dont les membres veulent souffrir
dans la communion du Crucifié par
amour ! En Christ ils trouvent leur
réconfort parce qu'il est pour eux la force
de Dieu, la paix de leur âme et
l'espérance de la gloire. Mais un
réconfort qu'ils ne savent posséder
qu'en tant qu'ils le veulent répandre !
Une humanité fraternelle ou entre heureux et
malheureux, faibles et forts,
éprouvés et libérés, se
perpétue l'échange spirituel qui est
la circulation même de la vie de Dieu, le
courant d'amour qui peut faire des
désolés d'aujourd'hui les
consolés de demain !
Jésus a donné à l'Esprit
saint qu'il léguait aux siens le titre de : Consolateur.
Ce qui doit au siècle
des siècles rester la grande puissance
consolatrice, ne réside ni dans une formule,
ni dans une doctrine, mais dans un esprit :
Son Esprit, l'Esprit de l'Amour.
Aujourd'hui, plus que jamais, le bon soldat
de Jésus-Christ doit prendre sa part de
souffrances, mais avec elle sa part de consolation
qui lui permette d'accueillir la vocation du
consolateur.
Oh ! Père, tu nous vois
entouré de frères
éprouvés que nous voulons aimer et
que nous aimons encore trop maladroitement, puisque
nous parvenons si peu à les vraiment aider.
Viens à notre secours, pour qu'à
travers notre amour apparaisse ton amour, oh !
Dieu. À travers notre témoignage ton
action souveraine en Christ qui nous a
visités ! À travers toutes nos
démarches, ton inspiration, oh ! Saint
Esprit qui veut demeurer éternellement avec
nous pour faire de nous des consolés,
pour faire de nous des consolateurs.
1939.
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