Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉPREUVE ET LA CROIX

XIII

LE SARMENT ÉMONDÉ

-------

Tout sarment qui porte du fruit, le vigneron l'émonde afin qu'il en porte davantage.
(Jean XV, 2.)

Plus un chrétien grandit spirituellement, plus il souffre de son insuffisance. En face de l'Évangile du Maître, en face des témoins et des héros de la foi dont l'amour et la prière ont opéré tant de merveilles, que valent nos modestes victoires, si souvent suivies d'évidentes défaites ? Comment oser nous mettre au bénéfice de la parole de Jésus : « En ceci mon Père sera glorifié, que vous portiez beaucoup de fruits, et alors vous serez véritablement mes disciples ? » (Jean XV, 8). Êtes-vous de ces vrais disciples rattachés au Sauveur par un lien organique aussi solide que celui qui unit le sarment au cep ? Si oui, il vous est interdit de recourir aux faciles consolations dont se contentent des âmes sans ambitions : « Résignons-nous à notre médiocrité. Nul n'est tenu à une impossible perfection. Chacun n'a pas l'étoffe d'un héros ou d'un saint ». L'impératif divin vous domine : « Tu dois porter des fruits plus abondants et plus excellents que ceux dont a été faite ta pauvre récolte d'hier. Mais aie confiance : l'Esprit du Christ est déjà en toi, principe de purification et de progrès. « Tout sarment qui est en moi et qui porte du fruit, mon Père, le vigneron l'émonde afin qu'il en porte davantage encore ».
Croyez que cette oeuvre de l'émondage est vraiment oeuvre de Dieu. Acceptez-en la méthode austère avec docilité. Saluez-en le but glorieux avec joie.


I

Le vigneron qui vient émonder le sarment fertile, c'est le Père céleste. Votre éducation, Dieu s'en charge ; il l'a entreprise, il la poursuit.
L'illusion première de l'homme, c'est de penser qu'il lui appartient à lui et à lui seul de se former sa personnalité, de se discipliner, de se forger un caractère. Gardons-nous de mépriser l'importance de cet effort volontaire. Les jeunes d'aujourd'hui ont plus que jamais besoin de toutes les ressources de leurs énergies, tant pour agir moralement que pour assurer leur existence matérielle.

Prédicateur de la Grâce souveraine, saint Paul adresse constamment aux fidèles des mots d'ordre virils, propres à susciter l'effort : « Veillez, combattez, travaillez à votre salut ». Mais la doctrine rigoureuse de l'auto-éducation n'en est pas moins une erreur, propre à l'égoïsme et à l'impiété, puisqu'elle fait abstraction et du prochain, et de Dieu.

Que chacun s'interroge soi-même. Les grandes leçons de l'expérience recueillies au cours des ans, les avez-vous tirées de votre propre fonds ? Les avez-vous savamment dégagées d'un idéal tout personnel que vous vous êtes créé ? Non, les plus fécondes de ces leçons vous ont été bien plutôt imposées par la rencontre d'obstacles imprévus, par la visite d'épreuves que vous étiez loin de désirer, par le contact avec des frères, dont les chemins ont croisé le vôtre.

Comment cet orgueilleux a-t-il appris l'humilité ? Alors qu'il se déclarait fort, il s'est surpris un jour à pleurer sur lui-même, au réveil douloureux de quelque chute où l'avaient précipité les entraînements du monde.

Comment ce violent a-t-il été initié à la douceur, ou à la patience ? Il a passé par le creuset de la souffrance, il a connu les angoisses du pauvre, les insomnies du malade.

Comment cet indifférent, insensible, s'est-il ouvert aux inspirations de la bonté et de la compassion ? Peut-être grâce au rayonnement d'une âme vraiment bonne qui a pénétré dans sa vie ; peut-être parce qu'un jour - tel jadis le Bouddha ou François d'Assise, placés en face du mendiant ou du lépreux - il a vu surgir sur sa route, sous l'un de ces visages émouvants qui ne s'effacent plus de la mémoire, la détresse humaine. Et alors l'amour a jailli en sources vives dans le désert de son coeur aride.

Confesser que ce n'est pas toi qui t'es tout seul formé et réformé, et transformé, ce n'est pas encore rejoindre l'affirmation chrétienne. Beaucoup ne voient derrière le réseau complexe des expériences imposées et des épreuves subies, rien d'autre que l'anonyme destinée, ou que le hasard aveugle.

Et il faut l'avouer, le mystère qui environne maint événement cruel, atroce et brutal, nous fait plus aisément entrevoir la glaciale fatalité, ou le ricanement de Satan, que le regard d'amour d'un Père. Cependant, Jésus vous propose de saisir par la foi, à travers les rencontres de la vie, ses heurs et ses malheurs, la main du Dieu d'amour. Nul ne peut le tenter s'il ne s'est tout d'abord installé sur le terrain de la confiance en Jésus-Christ, de la communion d'esprit avec lui. Celui-là, sans prétendre scruter toutes les causes dont les enchevêtrements complexes nous échappent, apprend à fixer son regard en avant, vers le résultat, vers le but, pour affirmer : C'est le vigneron qui émonde lui-même les sarments. Notre course est orientée ; notre carrière terrestre est une éducation ; et toute éducation réclame un plan et un auteur.

Le Père est le véritable éducateur de son enfant, alors même qu'il n'a pas choisi avec précision toutes les conditions physiques et morales, toutes les circonstances qui fournissent un cadre à son effort. À l'oeuvre au sein d'un monde, qui certes lui appartient, mais qui est un monde dévié, inachevé, un monde de réparation et d'attente, le Père voit, comme nous, et mieux que nous, les forces obscures ou maudites qui cherchent à retenir son enfant dans la servitude, à multiplier ses douleurs, à lui voiler le but, en amoncelant à l'horizon les nuages du doute, Mais le divin éducateur projette sur l'itinéraire des pèlerins sa lumière et à ceux qui demeurent près du Christ il révèle peu à peu le sens des larmes et des luttes, des déceptions et des détresses. À travers les ombres et les épreuves, comme à travers les exaucements et les libérations, s'affirme le même Dieu qui a pris en mains l'oeuvre décisive de la formation, de l'éducation, du salut de ton âme.
Le vigneron émonde le sarment.


II

Il émonde. Le dictionnaire m'aide à préciser ce terme, rendu dans le texte grec par un mot qui signifie couramment purifier.

Émonder, c'est purifier l'arbre des branches mortes et des plantes parasites. Il est facile de définir les équivalents spirituels de ces réalités naturelles. À l'intérieur de la vie du chrétien, le travail de Dieu vise une purification progressive qui doit l'alléger de tout poids mort et de tout parasite épuisant.

Les rameaux morts.
Quelqu'un d'entre vous aurait-il inauguré l'an neuf, sans avoir effacé une rancune ancienne, une pensée méchante, héritage de l'année révolue, ou héritage plus enraciné d'un passé plus lointain ? Ah ! qu'il comprenne que la démarche de la réconciliation n'est pas abandonnée aux caprices d'une inspiration qui tarde à venir, mais que dans la famille du Christ, c'est le Père lui-même qui veut et peut venir arracher ce poids mort, et mortel, obstacle à la prière, et obstacle à la joie.

Rameaux morts. C'est encore le souvenir accablant du péché de hier, qui te retient, toi qui désires travailler et témoigner pour ton Dieu, mais que paralyse une angoisse, fille de ton passé coupable : « En ai-je le droit, en suis-je digne ? ». Que d'hommes dont les hésitations et les mélancolies d'aujourd'hui proviennent de cette ombre fatale projetée par le passé sur tous les élans de l'espoir !

Il en est un qui a eu le courage de dire avec un accent définitif : À la mort ce qui est à la mort ! Ton péché est pardonné ». Sur l'âme justifiée par la foi retentit la parole libératrice. Pour toi qui es en Jésus-Christ, il n'est plus de condamnation. Le spectre du remords est exilé par l'acte même de Dieu. Le vigneron émonde de tout ce qui est mort le sarment qui demeure attaché au cep.

La fertilité de l'arbre est compromise aussi par ces ramures paresseuses, qui absorbent une sève qui nourrira le luxe des feuilles, sans se métamorphoser en fleurs fécondes, et en fruits savoureux. Ah ! que de branches parasites dans les choses qui accaparent vos heures et vos pensées !

Là où le plaisir n'apporte de salutaire détente ni au corps ni à l'esprit, mais est poursuivi pour lui-même ; la où il ne fait qu'ajouter fatigue à fatigue et que remplir le vide du coeur par un autre vide ; là où, pour ce plaisir, il faut à tout prix créer des occasions et trouver de l'argent, il y a parasitisme puisque détournement des forces de la vie de leur véritable destination. Dans mainte existence honnête, combien restreinte est aujourd'hui la place réservée à la culture de l'esprit et du coeur, à l'intimité familiale, à l'amitié fraternelle, à l'amitié suprême enfin, à la prière de la foi. La cause de ces négligences, qui sont autant d'appauvrissements, est dans l'encombrement de tant de vanités que l'amour-propre ou la mode décrètent indispensables. Alors que tant de foyers sont actuellement contraints à un nouvel examen de leur budget, en vue d'y sauvegarder la place du nécessaire, le temps est venu, pour vous chrétiens, d'examiner si une grande part de vos efforts, de vos affections, de vos ressources ne s'est pas laissée capter par des objets trop fragiles, par des buts trop misérables. La purification que Dieu opère n'est pas achevée par l'octroi du pardon et la condamnation des oeuvres du péché ; le parasitisme travaille aussi pour la mort.




Pourquoi hésiter à vous soumettre à une discipline de simplification de l'existence ? Loin de vous appauvrir, elle vous permettrait de remettre au centre l'essentiel et de lui assurer un riche développement. Elle rendrait l'humble sarment magnifiquement fécond. S'il y a résistance, c'est parce que la discipline revêt souvent, pour notre sensibilité, un aspect douloureux. Je ne songe pas uniquement aux grandes douleurs, à la souffrance aiguë, qui s'est affirmée si souvent inspiratrice de vie intérieure, et de prière.
En dehors des heures de maladie et de deuil, dans des circonstances moins graves, et plus ordinaires, la main de Dieu ne taille pas sans blesser. Toute ascension spirituelle implique des renoncements qui font souffrir.
La brutale riposte de l'alcoolique : « Plutôt mourir que de renoncer à ma bouteille », a des parallèles très précis dans l'attitude d'hommes plus distingués, mais chez qui la perspective d'avoir à détrôner leur idole favorite éveille la même farouche réaction.
Mais Dieu poursuit en ses enfants son intention salutaire : il retranche, il ôte, il supprime, il appauvrit.

En face des renoncements imposés par les circonstances : difficultés personnelles d'âge, de santé, de situation - difficultés sociales et collectives du temps présent, prendrez-vous l'attitude neutre du résigné, courbé sous l'inéluctable, ou connaîtrez-vous la hardiesse de l'interprétation chrétienne : Sur ce chemin de dépouillement, Dieu lui-même m'a conduit, afin de me mieux faire saisir ce qui est la seule chose nécessaire, afin de me rendre plus vraiment utile dans l'oeuvre de son Royaume ?


III

« Nous avons tout pleinement en Christ ! » s'écriait l'apôtre triomphant, quoique pauvre, quoique méprisé. Les satisfaits de ce monde, riches en argent, en plaisirs, en ambitions terrestres, sont incapables de comprendre le sens de cette plénitude que le Christ révèle à ceux qui ont l'esprit de pauvreté. Et pourtant tel est bien le but de l'école de Dieu : nous faire connaître la vie abondante, permettre au sarment fertile de devenir plus fertile encore. Des âmes, longtemps captives du découragement, créé par l'évanouissement de leurs rêves, par la fatigue de l'effort quotidien, par les souffrances du corps et par celles du coeur, ont pu au sein de leur appauvrissement, découvrir le trésor inconnu ! Elles viennent nous dire : « Maintenant, je sais tout ce qu'il y a de puissance dans la prière et l'infini de bonheur que renferme la communion avec Dieu ».

Ah ! que la vie intérieure devienne révélation d'une Présence, inspiration permanente d'amour ! Qu'elle devienne le théâtre d'exaucements spirituels qui ouvrent un monde d'invisibles beautés et d'indestructibles apaisements ! Alors l'homme ne déplore plus la disparition des branches mortes' il accepte même les renonciations les plus graves, l'envol des espérances les plus chères.

Les énergies intimes - celles de la volonté prête à agir, du coeur prêt à aimer - se trouvent multipliées par leur concentration sur le véritable but. Elles ne s'usent plus dans la poursuite du vent. Elles sont désormais dirigées et soutenues par l'amour du Dieu qui nous rend capables d'aimer, par l'Esprit du Père, qui nous possède et nous soulève. La vie humaine trouve sa signification et sa beauté, et à la fois son vrai mouvement et son vrai repos.

Oserions-nous gravir un échelon de plus dans l'échelle des intuitions religieuses ? Nous rejoindrions alors une mystérieuse pensée, exprimée dans certains textes sacrés : Dieu éprouve parfois spécialement ceux qui l'aiment le mieux. Pensée délicate, qui, présentée sans précautions, pourrait sembler une ironie blessante à l'adresse de ceux qui pleurent ou un blasphème dirigé contre l'amour infini du Père. Mais nous pouvons accueillir cette pensée au pied de la Croix du Christ, Fils bien-aimé du Père, et qui fut aussi le suprêmement éprouvé, le Christ des indicibles douleurs.

Si vous appartenez à ce Christ, si vous désirez lui appartenir plus et mieux encore, vous ne réclamerez pas la faveur d'une carrière aisée à l'abri des combats et des larmes. Vous appellerez sur vous la grâce d'une éducation qui aura sa face austère et douloureuse. Les invitations de la vie divine qui circule en vous et celles de l'amour du Christ vous imposeront des luttes et avec vous-mêmes et avec le monde, et des dépouillements.
Mais la splendeur du but projette à l'avance sa lumière sur la route, parfois ardue. Le but, c'est la conformité avec le Christ, fruit d'une union toujours plus étroite entre le disciple et son maître.

Horizons de l'au-delà : « Alors nous lui serons semblables et nous le verrons tel qu'il est » (1 Jean III, 2). La mort, par sa signature décisive, souligne et dégage l'essentiel d'une vie humaine et définit son message et sa signification. Cet essentiel de toi sera-t-il un jour susceptible d'être transcrit dans la langue de Jésus-Christ, en termes d'amour et de foi ? Oui, si déjà sur la terre et dans l'horizon quotidien tu es prêt à t'offrir jour après jour non pas aux hasards d'un destin aveugle qui caresse ou qui frappe à l'aventure, mais au travail actif d'un Dieu qui t'éduque pour ton salut.
Bénissez ce Dieu-là, ce Dieu vivant qui conduit à la vie !

Quand Dieu passe, quand il parle, et quel que soit son message ou son geste, sévère ou bienveillant, joyeux ou grave, réjouis-toi ! Toi, qui es un sarment de la vigne du Christ, convié à la gloire des récoltes éternelles, laisse-toi émonder, afin que tes fruits soient toujours plus abondants !

1935.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant