Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

X

JÉSUS ET SES DEUX FAMILLES

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(Marc III, 20 et 31-35)

Restaurer la famille, il n'est pas de préoccupation pratique qui s'impose plus gravement que celle-là à l'Eglise d'aujourd'hui. Vos pasteurs n'ont pas besoin d'être à cet égard instruits par les récits de notre presse ou les précisions de nos statistiques fédérales. Les confessions intimes les documentent suffisamment. Toutefois, à l'idée de porter en chaire l'écho de tant de choses vues, et de tant de drames devinés, nous pouvons éprouver un double scrupule. Tout d'abord le caractère individuel et particulier des crises qui compromettent le règne de l'amour au sein du foyer interdit de proposer des remèdes généraux, des formules universelles, s'appliquant indifféremment à toute situation. D'autre part, nous devons nous demander si les paroles et les actes de Jésus nous sont d'un secours efficace et précis, pour répondre à ces problèmes qui nous angoissent.

Essayons pourtant de dégager quelques leçons et quelques appels de la méditation de deux scènes de l'Évangile qui nous présentent : Jésus et ses deux familles, sa famille selon la chair, et sa famille selon l'Esprit.


I

Dès le début de son ministère, Jésus se reconnaît associé à deux familles, dont l'opposition latente devait s'affirmer ouvertement à certaines heures d'inévitables conflits. Au lendemain du jour où il a jeté les bases de la communauté chrétienne en appelant à lui les douze apôtres, alors que ses guérisons et sa prédication attirent aux portes de sa demeure une foule si considérable et si impatiente qu'il trouve à peine le temps de manger, des membres de sa famille, gagnés par les critiques intéressées des scribes jaloux, craignent que Jésus n'ait perdu la raison. Ils viennent pour se saisir de lui, désireux de le ramener sans doute dans la paix de Nazareth. Quelques instants plus tard, sa mère et ses frères, demeurés dehors, le font appeler avec insistance. Et lorsque leur message parvient à Jésus, celui-ci le repousse avec décision : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? ». Il promène son regard chargé de reconnaissance et d'espoir sur ceux qui, assis autour de lui, écoutent sa parole, altérés de pardon, de vérité et de vie.

« Voici, dit-il, ma mère et mes frères, car qui conque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère. » Et vous connaissez ces autres données de la tradition évangélique : Jésus, à douze ans, étonne ses parents, qui ne le peuvent comprendre et dont l'étonnement même surprend sa jeune âme, tout entière dominée par l'appel du Père céleste (Luc II, 41-52). autour de lui, écoutent sa parole, altérés de pardon, de vérité et de vie.

Jésus appelle au Royaume certains hommes pour qui le départ signifierait la séparation d'avec leur milieu, la rupture avec les êtres qui leur sont les plus chers (Luc IX, 59-62).autour de lui, écoutent sa parole, altérés de pardon, de vérité et de vie.

autour de lui, écoutent sa parole, altérés de pardon, de vérité et de vie.

Incontestablement, Jésus a connu des cas où le lien de la communauté naturelle et sacrée de la famille vient à être menacé par l'ordre le plus souverain qui soit : celui d'une vocation d'En-haut. Échos de l'impératif perçu par Abraham : « Va-t'en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai ».autour de lui, écoutent sa parole, altérés de pardon, de vérité et de vie.

autour de lui, écoutent sa parole, altérés de pardon, de vérité et de vie.

La mission unique de Jésus, le Sauveur, devait l'amener à accepter un autre devoir que celui de gagner le pain de Marie et de ses jeunes enfants dans l'atelier du maçon galiléen. Aujourd'hui même, Dieu suscite en son Église des hommes qui pour répondre à sa voix, iront servir Jésus-Christ dans les contrées lointaines, en imposant silence aux désirs du coeur et aux terrestres affections qui les retiennent au pays natal.


II

Mais nous avons plus à apprendre encore de la déclaration de Jésus, à la fois mélancolique et joyeuse : « Voici ma mère et mes frères, ceux-là qui font la volonté de Dieu ».
Ce récit illustre la réalité de la famille selon l'Esprit. Et celle-là subsiste même pour ceux qui sont sur la terre les sans famille, même pour ceux à qui la famille naturelle ne peut plus être le trésor et l'appui que Dieu voudrait qu'elle fût.

Les anciens prophètes d'Israël ont déjà su mesurer la détresse profonde de l'orphelin, du solitaire, et avec une intuition délicate, qui annonce déjà l'Évangile de la miséricorde.
« Le Père des orphelins, le défenseur des veuves, c'est Dieu dans sa demeure sainte » (Psaume LXVIII, 6). « Dieu donne une famille à ceux qui étaient abandonnés. » « Laisse tes orphelins, je les ferai vivre, et que tes veuves se confient en moi » (Jérémie XLIX, 11). Nos paroisses contribuent souvent aujourd'hui à donner des frères, des soeurs à ceux qui n'en ont point, et qui peuvent et doivent trouver dans la société de ceux qui veulent accomplir la volonté du Père, les trésors d'amour et de sympathie, de compréhension et de dévouement, qui sont ceux de la famille selon Dieu.

Mais la situation de l'isolé est moins périlleuse que celle du croyant qui constate un désaccord, une scission de plus en plus marquée, entre sa famille, à laquelle l'attachent et son devoir, et son coeur, et le monde spirituel, dans lequel se meut et s'alimente son âme profonde.
Certes, le premier appel, que pasteurs et éducateurs ne se lasseront point de faire entendre, vise les jeunes, bientôt appelés à fonder un foyer. « Ne vous mettez pas sous un même joug avec l'infidèle. » Et je ne pense pas ici avant tout aux mariages mixtes. Des unions entre chrétiens de confession différente, se révèlent riches en difficultés, nous ne le redirons jamais trop. Mais que sont ces difficultés au regard de celles que crée le mariage avec un conjoint qui peut-être protestant de nom, ne croit ni à la prière, ni au secours de Dieu et n'a jamais fait sien le programme essentiel du disciple : Faire la volonté de Dieu ?

Toutes les sévérités, toutes les précautions que des croyants ou des citoyens soucieux de la santé sociale pourront avoir demain pour arrêter la progression du nombre des divorces et mettre un frein aux facilités légales qui la favorisent aujourd'hui, seront sans résultats réels, tant que notre jeunesse ne sera pas préservée des unions irréfléchies, des mariages de hasard. Et pour cela il n'est qu'une puissance qui compte, celle de l'éducation chrétienne. Elle seule peut préparer des jeunes à pouvoir, à l'heure même des enthousiasmes aveugles et de l'ardeur des passions, demeurer dans la lumière de Celui qui a dit aux siens - « Si tu veux demeurer de ma famille, demande-toi d'abord et toujours quelle est la volonté de ton Dieu ».


III

Mais, dans les complications de nos existences, celui qui voit les faits tels qu'ils sont, sans les examiner à travers les verres déformants d'une théorie préconçue, religieuse ou irréligieuse, avouera : Même là où une union a été contractée sous le regard de Dieu, même là où des rapports moraux et normaux se sont longtemps poursuivis entre époux, entre parents et enfants, entre frères et soeurs, à l'occasion de telle difficulté inattendue, de tel problème particulier, se manifeste la cruelle vérité : Le cadre du foyer n'est plus celui d'une vraie famille de l'Esprit. Des distances, des oppositions, des incompréhensions s'affrontent et créent parfois des drames.

Des parents chrétiens ne voient réapparaître en aucun de leurs enfants les convictions qui ont fait la force de leur vie, qui ont été leur lumière et leur appui. Telle femme n'ose envoyer une contribution à l'Eglise, qu'en taisant cette démarche à son mari, et elle ne prendra jamais que toute seule le chemin du Temple. Voici des catéchumènes d'aujourd'hui qui, à la table de famille le soir, en rentrant de leur instruction religieuse, doivent entendre les pauvres et faciles plaisanteries du père sur les histoires de la Bible ou sur l'inutilité de la foi. Voici tel jeune homme qui reçoit de parents fanatiques l'interdiction de remettre les pieds à son Union chrétienne, jusqu'à ce qu'il ait vingt ans.

Vous, les privilégiés qui avez ce rare bonheur de pouvoir répéter : « Pour moi et ma maison, nous servirons l'Éternel » (Josué XXIV, 15), vous devez savoir dans quelle atmosphère de méfiance, de luttes, de tentations lourdes de périls, beaucoup de ceux qui nous entourent ne sauvegardent leur foi que par l'effort défensif d'une vigilance perpétuelle. Il faut que vous le sachiez pour que vous compreniez la mission actuelle de l'Eglise. Elle a autre chose à faire maintenant qu'à conserver les saines et fortes traditions des familles chrétiennes. Elle a à donner une famille à ceux qui, du point de vue de l'Esprit, n'en ont plus, et qui ne peuvent connaître les bienfaits de la communion spirituelle que là où leur âme menacée d'isolement et d'étouffement, peut enfin dire :
« Voici mes frères et mes soeurs, ceux qui font la volonté de Dieu. »

Un grand devoir s'impose, dont l'ampleur nous ferait reculer, si chacun dans la famille du Christ n'était prêt à assumer sa part du saint labeur. Que sont nos trop rares démarches, à nous pasteurs, à côté du zèle de tant de serviteurs, de tant de servantes du Maître qui, humblement fidèles, ont su devenir, par leur amour et leur prière, les centres de petites familles spirituelles. Quand seront-ils assez nombreux dans nos paroisses, qui sont des mondes, ces messagers de l'amour fraternel, doués d'assez de tact, de ferveur et de bonté, pour qu'aucun de ceux qui continuent à croire et à prier, bien que plongés dans quelque milieu d'hostilité ou de mortelle indifférence, ne se sente conduit par son isolement jusqu'au seuil du doute et de la défaite ?
« Voici pour vous, des frères et des soeurs, ceux qui font la volonté de Dieu. »


IV

Transportons-nous maintenant au pied de la Croix. Nous qui regardons la vraie Marie de l'histoire, la femme pieuse assurément, mais dont la courte vue n'a pas pu saluer d'emblée la divine mission de son fils, nous sommes touchés, émus, reconnaissants, de voir le Sauveur du monde accorder une de ses dernières pensées à sa mère. Une pensée ? Mieux encore, une démarche positive en sa faveur. Jésus crée entre sa mère et Jean, son apôtre bien-aimé, un lien définitif. Il ne s'agit pas seulement d'assurer à Marie un appui matériel qu'elle aurait pu trouver aussi auprès d'autres membres de sa famille. Jésus veut confier sa mère - incomparable et unique trésor - au plus religieux de ses disciples, à celui qui pénétra plus que nul autre dans son intimité et qui sera le plus capable d'introduire l'âme de Marie dans le sanctuaire de la Vérité divine.

La volonté du Christ mourant de ne pas négliger le plus humain, le plus naturel de tous les devoirs, celui de la piété filiale, ne saurait nous surprendre. Ce Jésus, que sa vocation a arraché au cadre familial, ce Jésus qui a dû, en des heures graves, opposer l'obéissance à Dieu aux désirs des siens, n'a jamais admis que les prescriptions d'une sotte dévotion vinssent à faire oublier à un enfant l'exigence de la gratitude familiale. L'ordre éternel : Honore tes parents (Marc VII, 11 à 13), passe avant les ordonnances relatives aux impôts du Temple. Mais Jésus-Christ a vu plus loin encore, il a vu le devoir de tout tenter pour que soit réalisée ici-bas la volonté du Père : Faire à nouveau coïncider les deux familles, celle de la chair, et celle de l'Esprit. Ce fut une de ses joies dernières, que de voir se tendre les unes vers les autres, dans un geste de confiance, les mains de Marie et celles de Jean, héritier de son esprit. À l'heure où le fils de Dieu embrasse le monde dans sa prière et réalise sa mission de Sauveur éternel des âmes (« Tout est accompli »), dans son humanité, cette humanité qui fait de lui notre frère, il salue aussi un autre accomplissement modeste et sublime. Sa mère est là au pied de la Croix, qui pleure sans comprendre, mais qui demain, comprendra sans plus pleurer, alors que, à travers ses entretiens avec Saint Jean, se lèvera sur elle la lumière de la certitude, et qu'elle entrera dans la joie de la foi, avec d'autres de ses enfants, frères du Seigneur.

Lente à croire, prisonnière de ses préjugés, la famille de Jésus a finalement saisi son message. Cette image de Marie, au pied du Crucifié, dont le regard aimant descend sur elle, nous semble clore l'histoire évangélique, pour nous dire :

La vérité de fait, c'est trop souvent la dissociation des deux familles, celle de la chair et celle de l'Esprit. Mais la vérité idéale, celle que Dieu salue, et veut et, peut rendre possible, c'est leur rencontre, c'est leur mutuelle intégration : l'Eglise qui est une famille, la famille qui est une Église.


V

Vous ne possédez pas les ressources infinies de sainteté et d'amour qui étaient en Christ et lui ont permis de triompher des incompréhensions de ses proches et d'ouvrir les yeux de sa mère.
Et pourtant qui niera que là où l'Évangile est vraiment vécu, traduit dans des actes de dévouement et de sacrifice, de merveilleuses transformations ne soient encore promises ?

Dans trop de foyers, la religion est d'autant plus méprisée, que ceux qui se réclament d'elle se montrent sujets aux mêmes faiblesses, aux mêmes lâchetés, aux mêmes égoïsmes que les autres. Là où vraiment, sans bruit, ni vain discours, mais avec la force pénétrante que nourrit la prière, s'affirme une vie que l'on sait dominée par la volonté d'un Dieu d'amour, là se préparent des exaucements magnifiques : l'heure où l'enfant retrouve le Dieu de son père, où le jeune homme, la jeune fille aident des parents parfois découragés par les épreuves qui les ont usés, à ressusciter en eux la foi qui dormait au tombeau ; l'heure où des époux redécouvrent ce simple secret du plus pur bonheur : s'unir, comme au jour de la première aurore, sous le regard de Dieu et joindre leurs mains pour la prière commune.

Non ! le dernier mot de l'Évangile, l'Évangile du Père, l'Évangile du fils perdu et retrouvé, l'Évangile du Christ qui bénit les enfants, n'est pas la glorification d'une famille religieuse, ecclésiastique, monastique, ou céleste qui se constituerait en dehors et au-dessus de la famille de la terre. Ici aussi, le Christ associe le ciel et la terre, le divin et l'humain. Ici aussi il ne nous demande ni d'adorer ce qui est passager et terrestre, ni de le fuir et de le mépriser, mais de le transformer par la foi, de le transfigurer en y introduisant Dieu et son Esprit.




Famille de Dieu. Communauté de ceux qui adorent ensemble et qui vivent du même pain et boivent aux mêmes sources ! Oh ! qu'il nous est doux de te saluer dans l'Eglise - et d'offrir ce toit, cet abri, ce foyer, à ceux qui sont seuls, abandonnés aux rafales maudites qui balaient le monde !

Famille de Dieu. Oh ! qu'il sera beau le jour où dans Je Royaume du Christ, tout genou fléchira devant le Père pour dire son nom, où toute famille sur la terre, et où toute affection, tout amour seront pénétrés, soutenus et éclairés par l'amour éternel, où la communion des âmes sera célébrée à toutes les tables domestiques, où l'harmonie spirituelle de tous les foyers fera de la nouvelle terre la maison du Père !

Que Dieu nous donne de vivre et d'aimer à la lumière de cette vision d'espérance - fidèles au double appel dont Jésus a perçu les accents, celui de la famille de la chair, celui de la famille de l'Esprit : double patrie à laquelle nous a liés la volonté du Créateur.

1937.

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