(Marc III,
20 et 31-35)
Restaurer la famille, il n'est
pas de
préoccupation pratique qui s'impose plus
gravement que celle-là à l'Eglise
d'aujourd'hui. Vos pasteurs n'ont pas besoin
d'être à cet égard instruits
par les récits de notre presse ou les
précisions de nos statistiques
fédérales. Les confessions intimes
les documentent suffisamment. Toutefois, à
l'idée de porter en chaire l'écho de
tant de choses vues, et de tant de drames
devinés, nous pouvons éprouver un
double scrupule. Tout d'abord le caractère
individuel et particulier des crises qui
compromettent le règne de l'amour au sein du
foyer interdit de proposer des remèdes
généraux, des formules universelles,
s'appliquant indifféremment à toute
situation. D'autre part, nous devons nous demander
si les paroles et les actes de Jésus nous
sont d'un secours efficace et précis, pour
répondre à ces problèmes qui
nous angoissent.
Essayons pourtant de dégager quelques
leçons et quelques appels de la
méditation de deux scènes de
l'Évangile qui nous présentent :
Jésus et ses deux familles, sa famille selon
la chair, et sa famille selon l'Esprit.
Dès le début de son
ministère, Jésus se
reconnaît associé à deux
familles, dont l'opposition latente devait
s'affirmer ouvertement à certaines heures
d'inévitables conflits. Au lendemain du jour
où il a jeté les bases de la
communauté chrétienne en appelant
à lui les douze apôtres, alors que ses
guérisons et sa prédication attirent
aux portes de sa demeure une foule si
considérable et si impatiente qu'il trouve
à peine le temps de manger, des membres de
sa famille, gagnés par les critiques
intéressées des scribes jaloux,
craignent que Jésus n'ait perdu la raison.
Ils viennent pour se saisir de lui, désireux
de le ramener sans doute dans la paix de Nazareth.
Quelques instants plus tard, sa mère et ses
frères, demeurés dehors, le font
appeler avec insistance. Et lorsque leur message
parvient à Jésus, celui-ci le
repousse avec décision :
« Qui est ma mère et qui sont
mes frères ? ». Il
promène son regard chargé de
reconnaissance et d'espoir sur ceux qui, assis
autour de lui, écoutent sa parole,
altérés de pardon, de
vérité et de vie.
« Voici, dit-il, ma
mère et mes frères, car qui conque
fait la volonté de Dieu, celui-là est
mon frère, ma soeur et ma
mère. » Et vous connaissez ces
autres données de la tradition
évangélique : Jésus,
à douze ans, étonne ses parents, qui
ne le peuvent comprendre et dont
l'étonnement même surprend sa jeune âme, tout
entière
dominée par l'appel du Père
céleste
(Luc
II, 41-52). autour de lui,
écoutent sa parole, altérés de
pardon, de vérité et de vie.
Jésus appelle au Royaume certains
hommes pour qui le départ signifierait la
séparation d'avec leur milieu, la rupture
avec les êtres qui leur sont les plus chers
(Luc
IX, 59-62).autour de lui,
écoutent sa parole, altérés de
pardon, de vérité et de vie.
autour de lui, écoutent sa parole,
altérés de pardon, de
vérité et de vie.
Incontestablement, Jésus a connu des
cas où le lien de la communauté
naturelle et sacrée de la famille vient
à être menacé par l'ordre le
plus souverain qui soit : celui d'une
vocation d'En-haut. Échos de
l'impératif perçu par Abraham :
« Va-t'en de ton pays, de ta patrie, et
de la maison de ton père, dans le pays que
je te montrerai ».autour de lui,
écoutent sa parole, altérés de
pardon, de vérité et de vie.
autour de lui, écoutent sa parole,
altérés de pardon, de
vérité et de vie.
La mission unique de Jésus, le
Sauveur, devait l'amener à accepter un autre
devoir que celui de gagner le pain de Marie et de
ses jeunes enfants dans l'atelier du maçon
galiléen. Aujourd'hui même, Dieu
suscite en son Église des hommes qui pour
répondre à sa voix, iront servir
Jésus-Christ dans les contrées
lointaines, en imposant silence aux désirs
du coeur et aux terrestres affections qui les
retiennent au pays natal.
Mais nous avons plus à apprendre encore
de la déclaration de Jésus, à
la fois mélancolique et joyeuse :
« Voici ma mère et mes
frères, ceux-là qui font la
volonté de Dieu ».
Ce récit illustre la
réalité de la famille selon
l'Esprit. Et celle-là subsiste même
pour ceux qui sont sur la terre les sans
famille, même pour ceux à qui la
famille naturelle ne peut plus être le
trésor et l'appui que Dieu voudrait qu'elle
fût.
Les anciens prophètes d'Israël
ont déjà su mesurer la
détresse profonde de l'orphelin, du
solitaire, et avec une intuition délicate,
qui annonce déjà l'Évangile de
la miséricorde.
« Le Père des orphelins,
le défenseur des veuves, c'est Dieu dans sa
demeure sainte »
(Psaume
LXVIII, 6).
« Dieu donne une famille à ceux
qui étaient
abandonnés. »
« Laisse tes orphelins, je les ferai
vivre, et que tes veuves se confient en
moi »
(Jérémie
XLIX, 11). Nos
paroisses contribuent souvent aujourd'hui à
donner des frères, des soeurs à ceux
qui n'en ont point, et qui peuvent et doivent
trouver dans la société de ceux qui
veulent accomplir la volonté du Père,
les trésors d'amour et de sympathie, de
compréhension et de dévouement, qui
sont ceux de la famille selon Dieu.
Mais la situation de l'isolé est
moins périlleuse que celle du croyant qui
constate un désaccord, une scission
de plus en plus marquée, entre sa
famille, à laquelle l'attachent et son
devoir, et son coeur, et le monde spirituel,
dans lequel se meut et s'alimente son âme
profonde.
Certes, le premier appel, que pasteurs et
éducateurs ne se lasseront point de faire
entendre, vise les jeunes, bientôt
appelés à fonder un foyer.
« Ne vous mettez
pas sous un même joug avec
l'infidèle. » Et je ne pense
pas ici avant tout aux mariages mixtes. Des unions
entre chrétiens de confession
différente, se révèlent riches
en difficultés, nous ne le redirons jamais
trop. Mais que sont ces difficultés au
regard de celles que crée le mariage avec un
conjoint qui peut-être protestant de nom, ne
croit ni à la prière, ni au secours
de Dieu et n'a jamais fait sien le programme
essentiel du disciple : Faire la
volonté de Dieu ?
Toutes les sévérités,
toutes les précautions que des croyants ou
des citoyens soucieux de la santé sociale
pourront avoir demain pour arrêter la
progression du nombre des divorces et mettre
un frein aux facilités légales qui la
favorisent aujourd'hui, seront sans
résultats réels, tant que notre
jeunesse ne sera pas préservée des
unions irréfléchies, des mariages de
hasard. Et pour cela il n'est qu'une puissance qui
compte, celle de l'éducation
chrétienne. Elle seule peut
préparer des jeunes à pouvoir,
à l'heure même des enthousiasmes
aveugles et de l'ardeur des passions, demeurer dans
la lumière de Celui qui a dit aux siens -
« Si tu veux demeurer de ma famille,
demande-toi d'abord et toujours quelle est la
volonté de ton Dieu ».
Mais, dans les complications de nos existences,
celui qui voit les faits tels qu'ils sont, sans les
examiner à travers les verres
déformants d'une théorie préconçue,
religieuse ou irréligieuse, avouera :
Même là où une union a
été contractée sous le regard
de Dieu, même là où des
rapports moraux et normaux se sont longtemps
poursuivis entre époux, entre parents et
enfants, entre frères et soeurs, à
l'occasion de telle difficulté inattendue,
de tel problème particulier, se manifeste la
cruelle vérité : Le cadre du
foyer n'est plus celui d'une vraie famille de
l'Esprit. Des distances, des oppositions, des
incompréhensions s'affrontent et
créent parfois des drames.
Des parents chrétiens ne voient
réapparaître en aucun de leurs enfants
les convictions qui ont fait la force de leur vie,
qui ont été leur lumière et
leur appui. Telle femme n'ose envoyer une
contribution à l'Eglise, qu'en taisant cette
démarche à son mari, et elle ne
prendra jamais que toute seule le chemin du Temple.
Voici des catéchumènes d'aujourd'hui
qui, à la table de famille le soir, en
rentrant de leur instruction religieuse, doivent
entendre les pauvres et faciles plaisanteries du
père sur les histoires de la Bible ou sur
l'inutilité de la foi. Voici tel jeune homme
qui reçoit de parents fanatiques
l'interdiction de remettre les pieds à son
Union chrétienne, jusqu'à ce qu'il
ait vingt ans.
Vous, les privilégiés qui avez
ce rare bonheur de pouvoir
répéter : « Pour
moi et ma maison, nous servirons
l'Éternel »
(Josué
XXIV, 15), vous devez
savoir dans quelle atmosphère de
méfiance, de luttes, de tentations lourdes
de périls, beaucoup de ceux qui nous
entourent ne sauvegardent leur foi que par l'effort
défensif d'une vigilance
perpétuelle. Il faut que vous le sachiez
pour que vous compreniez la mission actuelle de
l'Eglise. Elle a autre chose à faire
maintenant qu'à conserver les saines et
fortes traditions des familles chrétiennes.
Elle a à donner une famille à
ceux qui, du point de vue de l'Esprit, n'en ont
plus, et qui ne peuvent connaître les
bienfaits de la communion spirituelle que là
où leur âme menacée d'isolement
et d'étouffement, peut enfin
dire :
« Voici mes frères et
mes soeurs, ceux qui font la volonté de
Dieu. »
Un grand devoir s'impose, dont l'ampleur
nous ferait reculer, si chacun dans la famille du
Christ n'était prêt à assumer
sa part du saint labeur. Que sont nos trop rares
démarches, à nous pasteurs, à
côté du zèle de tant de
serviteurs, de tant de servantes du Maître
qui, humblement fidèles, ont su devenir, par
leur amour et leur prière, les centres de
petites familles spirituelles. Quand seront-ils
assez nombreux dans nos paroisses, qui sont des
mondes, ces messagers de l'amour fraternel,
doués d'assez de tact, de ferveur et de
bonté, pour qu'aucun de ceux qui continuent
à croire et à prier, bien que
plongés dans quelque milieu
d'hostilité ou de mortelle
indifférence, ne se sente conduit par son
isolement jusqu'au seuil du doute et de la
défaite ?
« Voici pour vous, des
frères et des soeurs, ceux qui font la
volonté de Dieu. »
Transportons-nous maintenant au pied de la
Croix. Nous qui regardons la vraie Marie de
l'histoire, la femme pieuse assurément, mais
dont la courte vue n'a pas pu saluer
d'emblée la divine mission de son fils, nous
sommes touchés, émus, reconnaissants,
de voir le Sauveur du monde accorder une de ses
dernières pensées à sa
mère. Une pensée ? Mieux
encore, une démarche positive en sa faveur.
Jésus crée entre sa mère et
Jean, son apôtre bien-aimé, un
lien définitif. Il ne s'agit pas
seulement d'assurer à Marie un appui
matériel qu'elle aurait pu trouver aussi
auprès d'autres membres de sa famille.
Jésus veut confier sa mère -
incomparable et unique trésor - au plus
religieux de ses disciples, à celui qui
pénétra plus que nul autre dans son
intimité et qui sera le plus capable
d'introduire l'âme de Marie dans le
sanctuaire de la Vérité divine.
La volonté du Christ mourant de ne
pas négliger le plus humain, le plus naturel
de tous les devoirs, celui de la
piété filiale, ne saurait nous
surprendre. Ce Jésus, que sa vocation a
arraché au cadre familial, ce Jésus
qui a dû, en des heures graves, opposer
l'obéissance à Dieu aux désirs
des siens, n'a jamais admis que les prescriptions
d'une sotte dévotion vinssent à faire
oublier à un enfant l'exigence de la
gratitude familiale. L'ordre
éternel : Honore tes parents
(Marc
VII, 11 à 13), passe
avant les ordonnances relatives aux impôts du
Temple. Mais
Jésus-Christ a vu plus loin encore, il a vu
le devoir de tout tenter pour que soit
réalisée ici-bas la volonté du
Père : Faire à nouveau
coïncider les deux familles, celle de la
chair, et celle de l'Esprit. Ce fut une de ses
joies dernières, que de voir se tendre les
unes vers les autres, dans un geste de confiance,
les mains de Marie et celles de Jean,
héritier de son esprit. À l'heure
où le fils de Dieu embrasse le monde dans sa
prière et réalise sa mission de
Sauveur éternel des âmes
(« Tout est accompli »),
dans son humanité, cette humanité qui
fait de lui notre frère, il salue aussi un
autre accomplissement modeste et sublime. Sa
mère est là au pied de la Croix, qui
pleure sans comprendre, mais qui demain, comprendra
sans plus pleurer, alors que, à travers ses
entretiens avec Saint Jean, se lèvera sur
elle la lumière de la certitude, et qu'elle
entrera dans la joie de la foi, avec d'autres de
ses enfants, frères du Seigneur.
Lente à croire, prisonnière de
ses préjugés, la famille de
Jésus a finalement saisi son message. Cette
image de Marie, au pied du Crucifié, dont le
regard aimant descend sur elle, nous semble clore
l'histoire évangélique, pour nous
dire :
La vérité de fait,
c'est trop souvent la dissociation des deux
familles, celle de la chair et celle de l'Esprit.
Mais la vérité idéale, celle
que Dieu salue, et veut et, peut rendre possible,
c'est leur rencontre, c'est leur mutuelle
intégration : l'Eglise qui est une
famille, la famille qui est une Église.
Vous ne possédez pas les ressources
infinies de sainteté et d'amour qui
étaient en Christ et lui ont permis de
triompher des incompréhensions de ses
proches et d'ouvrir les yeux de sa
mère.
Et pourtant qui niera que là
où l'Évangile est vraiment
vécu, traduit dans des actes de
dévouement et de sacrifice, de merveilleuses
transformations ne soient encore
promises ?
Dans trop de foyers, la religion est
d'autant plus méprisée, que ceux qui
se réclament d'elle se montrent sujets aux
mêmes faiblesses, aux mêmes
lâchetés, aux mêmes
égoïsmes que les autres. Là
où vraiment, sans bruit, ni vain discours,
mais avec la force pénétrante que
nourrit la prière, s'affirme une vie que
l'on sait dominée par la volonté d'un
Dieu d'amour, là se préparent des
exaucements magnifiques : l'heure où
l'enfant retrouve le Dieu de son père,
où le jeune homme, la jeune fille aident des
parents parfois découragés par les
épreuves qui les ont usés, à
ressusciter en eux la foi qui dormait au
tombeau ; l'heure où des époux
redécouvrent ce simple secret du plus pur
bonheur : s'unir, comme au jour de la
première aurore, sous le regard de Dieu et
joindre leurs mains pour la prière
commune.
Non ! le dernier mot de
l'Évangile, l'Évangile du
Père, l'Évangile du fils perdu et
retrouvé, l'Évangile du Christ qui
bénit les enfants, n'est pas la
glorification d'une famille religieuse,
ecclésiastique, monastique, ou
céleste qui se constituerait en dehors et
au-dessus de la famille
de la
terre. Ici aussi, le Christ associe le ciel et la
terre, le divin et l'humain. Ici aussi il ne nous
demande ni d'adorer ce qui est passager et
terrestre, ni de le fuir et de le mépriser,
mais de le transformer par la foi, de le
transfigurer en y introduisant Dieu et son Esprit.
Famille de Dieu. Communauté de
ceux qui adorent ensemble et qui vivent du
même pain et boivent aux mêmes
sources ! Oh ! qu'il nous est doux de te
saluer dans l'Eglise - et d'offrir ce toit, cet
abri, ce foyer, à ceux qui sont seuls,
abandonnés aux rafales maudites qui balaient
le monde !
Famille de Dieu. Oh ! qu'il sera beau
le jour où dans Je Royaume du Christ, tout
genou fléchira devant le Père pour
dire son nom, où toute famille sur la terre,
et où toute affection, tout amour seront
pénétrés, soutenus et
éclairés par l'amour éternel,
où la communion des âmes sera
célébrée à toutes les
tables domestiques, où l'harmonie
spirituelle de tous les foyers fera de la nouvelle
terre la maison du Père !
Que Dieu nous donne de vivre et d'aimer
à la lumière de cette vision
d'espérance - fidèles au double
appel dont Jésus a perçu les
accents, celui de la famille de la chair,
celui de la famille de l'Esprit :
double patrie à laquelle nous a liés
la volonté du Créateur.
1937.
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