Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

FAMILLE

IX

JÉSUS ET LES ENFANTS

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(Pour la veille de Noël)

Le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Qui ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera point...
(Marc X, 13-16.)

Nos mains malhabiles hésitent à toucher certains objets précieux et délicats, de peur de les briser. Il est de même dans les pages de nos Évangiles, de petits tableaux si purs, si éloquents dans leur brièveté, que nous nous demandons parfois, si nous n'allons pas, en les commentant, en altérer le message, en obscurcir la claire transparence. J'éprouve quelque chose de cette appréhension en plaçant au centre de notre méditation l'image si connue :

Jésus et les enfants

Ce sujet m'est inspiré par l'approche des fêtes de Noël. Si nous pouvions rejoindre la pensée de Jésus nous invitant à ressembler à un enfant, nous serions préparés à faire d'un nouveau Noël un vrai Noël chrétien. Car ce n'est pas ce vrai Noël que vous célébrez si, attendris au rappel des souvenirs, émerveillés devant les joies enfantines, vous vous mettez à part du peuple des petits, pour regarder avec la poésie du regret le temps où vous étiez l'un d'eux. Le vrai Noël chrétien, ce serait être un de ceux qui leur ressemblent.

Les Évangélistes eux-mêmes nous fournissent une ample matière pour développer cette pensée. Dans un texte de Matthieu (Matthieu XVIII, 1-3 et 10), Jésus donne en exemple à ses apôtres guettés par l'orgueil, l'humilité de l'enfant, et parle de la nécessité de naître de nouveau et de recommencer sa vie, sous l'influence de l'esprit. Puis, parlant des anges de l'enfance qui contemplent la face du Père, il semble évoquer l'innocence de l'âge heureux.

Bien des questions se posent ici : Nos enfants sont-ils vraiment des modèles d'humilité ? Leur naïveté ignorante peut-elle et doit-elle être reconquise par l'adulte ? Jésus aurait-il professé l'optimisme d'un J. -J. Rousseau, ne voyant que bonté naturelle dans l'enfant qui s'éveille à la vie ?

Je désire m'en tenir à la scène que nous transmet l'Évangile de Marc, à laquelle je trouve un caractère d'authenticité, de fraîcheur et de vie tout spécial ; et d'où se dégage aujourd'hui, à votre adresse, un appel précis :
Soyez prêts à recevoir... à recevoir le don de Dieu !


I

Le Sauveur apparaît ici dans sa pleine et simple humanité. Ce n'est pas un Jésus docteur qui enseigne solennellement ; ce n'est pas le Maître expliquant, dans l'intimité, les mystères du Royaume à un groupe d'amis suspendus à ses lèvres ; ce n'est pas le royal annonciateur de la Loi nouvelle, qui parle avec autorité sur la montagne, pour dresser au-dessus de la cime du Sinaï la cime de la Révélation définitive de l'amour. C'est le prédicateur itinérant de Galilée, poursuivi jusqu'au delà du Jourdain par une foule mélangée où se côtoyent adversaires et admirateurs, pharisiens et paysans, avec, accourus à sa rencontre, des sages qui lui posent leurs questions subtiles, des malades qui lui dévoilent leurs plaies, des mères enfin qui poussent devant elles leurs petits enfants, pour que l'homme de Dieu les touche et les bénisse.

La réponse de Jésus-Christ à ces mères, n'est pas seulement dans la brève sentence qui sort de ses lèvres, elle est déjà dans son geste spontané pour attirer à lui les petits que les disciples, par respect, entendent écarter ; elle est dans le regard indigné qu'il leur adresse. Sa réponse, elle est encore dans l'élan de son amour. Ces petits n'auront pas seulement - ce que souhaitait peut-être la superstitieuse imagination de leurs mères - la grâce de toucher le bord de ses vêtements ! Il les prend, il les embrasse, il leur impose les mains...

Oh ! le double geste du Christ ! Il confère ce jour-là une beauté nouvelle - dans laquelle entre du sublime et du divin - à la démarche instinctive de l'affection humaine : il les embrasse. Et depuis lors, des pères, des mères, en donnant le baiser de leur tendresse à l'enfant de leur amour, ont appris à mettre dans ce baiser leur prière, à prononcer le nom de Jésus, le nom définitif, le nom éternel, au bord des berceaux où fleurissent leurs fragiles espoirs.
Jésus a étendu ensuite sur eux ses mains pour les bénir. Le geste du prêtre, si l'on veut, mais le geste du prêtre après le geste de l'homme, non pas l'un sans l'autre. La prière est la conclusion de l'amour, et l'amour est la préface de la prière.




Et ils sont restés là confondus, avec, plantée au coeur, la parole qui donnait à l'acte son sens révélateur ; ils sont restés là, cherchant à comprendre, ou refusant de comprendre, les disciples déconcertés, et au-delà d'eux les sages critiques, les docteurs soupçonneux, et au-delà encore la foule des pauvres en théologie et des pauvres en vertu.
Est-il votre condamnation, est-il votre espérance, ce message de Jésus qui passe en bénissant les petits enfants ? Il vous dit :
À ceux qui leur ressemblent est donné le Royaume. Reçois le Royaume de Dieu... comme un petit enfant.


II

Tendre la main pour recevoir le cadeau qui s'offre, l'accepter en parfaite simplicité, sans arrière-pensée, sans calcul, sans le trouble de l'hésitation : « L'ai-je mérité ? Est-ce bien pour moi ? ». S'avancer sans méfiance, de tout son coeur, d'un coeur sans détour. Voilà la réceptivité de l'enfant. C'est là, avant tout, ce qui a permis au Sauveur d'attarder son regard sur les petits, et de nous les laisser en exemples. Deux motifs principaux justifient cette interprétation.

Le premier se dégage de tout l'Évangile. D'où vient la sévérité de Jésus à l'égard des Pharisiens et des docteurs d'Israël qui, ne l'oublions pas, étaient fort souvent des hommes corrects, vertueux, dévots ? C'est que plus rien ne subsiste en eux de la fraîcheur de l'âme enfantine ; le calcul a tué l'Esprit ; ils tiennent comptabilité de leurs dîmes, de leurs jeûnes, des travaux interdits et des choses permises. Le réseau de leur existence, tissé par les fils entrecroisés des lois les plus sacrées et des traditions les plus médiocres, ne laisse plus pénétrer dans leur âme le grand souffle du large, celui qui peut soulever un homme, l'arracher aux mesquineries quotidiennes, et l'entraîner vers les paysages illimités du pardon et de l'héroïsme, du dévouement et du sacrifice.

Rangés, sages, raisonnables, ils n'attendent plus rien ; l'ankylose a frappé leur coeur. Et quand retentit à leurs oreilles le message : le Royaume de Dieu vient ! il n'y a plus rien dans ces âmes vieillies du saint frémissement des prophètes qui tressaillirent d'allégresse aux visions entrevues et sentirent s'allumer en eux la flamme de l'Esprit. Ils songent bien plutôt à additionner leurs mérites, pour savoir s'ils peuvent eux-mêmes s'ouvrir les portes de la demeure divine. Leur dévotion fournit à Dieu des oeuvres pies, leur prière raconte leurs privilèges.
Et Jésus leur montre les petits enfants :
« À ceux qui leur ressemblent de recevoir le Royaume ! ».

Où Jésus demeure-t-il incompris ? Quelles sont les maisons qui lui ferment leurs portes, les villes qui lui refusent l'accueil, les âmes qui lui restent closes ? Ce sont celles d'où s'élève la parole du refus : « Ici l'on n'a besoin de rien ».

Ici pas de malade qui soupire après la guérison ; ici pas de larmes qui réclament un consolateur ; ici pas de pauvres qu'un secret espoir soulève vers un autre avenir ! Ailleurs encore ce sont ces hommes aux pensées compliquées, dont l'âme revient en arrière, après avoir palpité un instant au passage du divin maître : « Quelque chose de bon peut-il venir de Nazareth ? Celui-ci, d'où vient-il ? À quelle école a-t-il été formé, celle du rabbin X ou du docteur Y ? Par quel pouvoir fait-il ces choses ? Quel miracle va-t-il nous montrer ? ».

Pourquoi à Béthanie, la bonne part revient-elle à Marie ? Marthe est sage, vertueuse, humainement raisonnable et prudente. Mais des deux soeurs âme évangéliquement enfantine, c'est celle de Marie. Quand il s'agit du visiteur divin, avant de se demander : « Que vais-je lui apporter ? », elle s'est assise à ses pieds, pour recevoir.

Jésus dit : Les petits enfants sont proches du Royaume. Et derrière ces petits qu'il bénit, il voit ces âmes avides, celles qu'il a proclamées heureuses dans les immortelles Béatitudes - heureuses d'être tout nûment les pauvres, les affligés, les victimes, les affamés. Celles qui sans questionner, sans demander : Pourquoi ? Comment ? Par qui ? ont été devant lui, prosternées dans les larmes, soulevées par un cri d'angoisse : « Seigneur, secours ! Seigneur, pardonne ! », prêtes à recevoir - âmes misérables, dénuées, presque mortes peut-être - et si vivantes soudain, parce qu'ouvertes sur le passage de Dieu, comme s'ouvre l'humble corolle, à l'heure où descend la rosée du ciel.

Tout l'Évangile commente avec un luxe inouï d'images et d'exemples la parole du maître :
Le Royaume de Dieu c'est un don à recevoir.
Heureux qui, sa vie durant, reste semblable à l'enfant, qui a tout à attendre, tout à apprendre, tout à recevoir.


III

Cette réceptivité, voilà ce qu'une âme vivante peut sauvegarder de son enfance abolie. Saint Paul (1 Cor. XIII, 11) s'est vanté d'avoir, une fois devenu homme, dépouillé ce qui était de l'enfant : il est fini le temps où je pensais comme un enfant, où je raisonnais comme un enfant !
Il emploie souvent le mot : enfant pour désigner le chrétien débutant, inexpérimenté, avec un accent de critique un peu méprisant : « Vous n'êtes plus des enfants ! » Mais Jésus, qui n'aurait sans doute pas désavoué ces réflexions du grand apôtre, s'est plus volontiers attaché à admirer dans l'enfant ce qui est digne de demeurer en exemple à l'homme. L'Évangile qui a donné à Dieu son vrai nom : le Père, veut te rappeler que vis-à-vis de ce Père tu demeures l'enfant.

Ah ! rien dans l'Évangile de l'infantilisme religieux qui te dirait : Reste toute ta vie un ignorant, un mineur, renonçant à comprendre ! Non certes ! qui grandit dans l'amour grandit dans la connaissance. Mais qui devient majeur ne cesse pas pour cela de demeurer l'enfant pour la mère qui l'a bercé, pour le père qui l'a dirigé.

Ah ! rien dans l'Évangile de l'infantilisme moral venant déclarer bienheureux ceux qui, à la faveur d'une existence ouatée ou cloîtrée, prétendraient garder l'innocence des petites âmes blanches d'enfant ! L'ombre du péché s'étend déjà sur les berceaux, et nous la projetons dès avant leur naissance sur ceux à qui nous donnons la vie.
Mais l'enfance selon l'Esprit, c'est cette constante disponibilité pour Dieu, cette perpétuelle attente de sa visite, cet élan joyeux et reconnaissant qui, à la veille d'un nouveau Noël, doit nous jeter à genoux, et nous inspirer notre prière :
« Seigneur me voici pauvre, pécheur, petit, avec mes doutes, mes luttes, mes blessures. J'attends, comme attend le petit enfant. J'accours, tel que je suis. Je ne regarde pas à moi qui suis misère, mais à Toi qui es richesse, inépuisable et généreuse. Je suis l'enfant, Tu es le Père. Tes biens sont pour moi. Je tends les mains vers toi ! Je m'ouvre à ton amour ! »


IV

Aller vers un nouveau Noël... comme l'enfant qui s'attend à recevoir des cadeaux, et déjà ce cadeau qui allume un éclair dans ses yeux : la lumière du sapin de fête, et la chaude atmosphère d'un jour unique baigné dans la poésie heureuse des chants et dans la douceur d'un merveilleux amour. Voilà ce qui est toujours possible.

Aujourd'hui, sur les terres lointaines où la mission est à l'oeuvre, des hommes, des femmes de tout âge, célèbrent leur premier Noël chrétien. Ils ont grandi dans l'ignorance, enfermés dans le péché, aveuglés par toute la nuit des misères humaines. Mais quand le Sauveur a passé, comme les petits enfants de jadis ils sont venus et ils ont senti ses mains s'étendre sur eux.

Tout près de nous, sous le souffle de l'Esprit, dans maint foyer chrétien, - où Noël fut longtemps poésie pieuse et fête sans âme - il y aura demain un Noël dans la prière et l'adoration, parce que là, comme des enfants, des hommes se sont levés pour aller tout droit au Sauveur, confesser leur misère, pour saisir enfin la parole de Celui qui a mis la sagesse de Dieu dans les mots les plus simples de la terre :
« Frappez et l'on vous ouvrira ; demandez et l'on vous donnera ». Et la paix leur a été donnée, paix du pardon, paix de la joie, paix de Dieu !

Mais possible ne veut pas dire : facile.
D'où vient en vous l'hésitation qui paralyse l'élan de votre prière ?
C'est que vous regardez trop à vous - et pas assez à Lui, le Dieu Sauveur ! Votre passé vous retient, lourde chaîne, qui là même où elle n'a point forgé les plus coupables servitudes, nous vient au moins rappeler tant d'occasions où vous avez cru avoir la victoire - et il y a eu encore la défaite, où vous vous êtes sentis soulevés par les ailes de l'espoir - et le découragement est revenu - où il vous a semblé toucher Dieu - et vous vous êtes retrouvés orphelins.

Pour qu'un nouveau Noël signifie un vrai, un définitif enrichissement, il faudrait que vous y apportiez - l'avez-vous jamais apporté sans réserves lors des Noël passés ? - une âme toute entière subjuguée par la clarté du Christ. Regardez de toute votre âme à ce qui a été donné au monde dans l'enfant de Bethléem. Et au delà de l'enfant, suivez le Christ jusqu'à la Croix et jusqu'à Pâques. Et au delà des bergers et des mages, voyez le long cortège de ceux qui ont tout reçu de Lui : le pardon, la force et la paix de Dieu. Vous sentirez alors grandir en vous ce désir, plus fort que toute crainte et toute hésitation, ce désir passionné de venir à Lui, de venir à Lui tout plein d'attente, pour être demain tout débordant des grâces reçues.

Pour ceux qui ne sont plus de petits enfants (et pour eux déjà ailleurs) est Vraie la parole de Jésus : « Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir » (Actes XX, 35). Noël doit être un jour où se réaffirment dans l'Eglise le besoin du dévouement, les résolutions du sacrifice. Mais au point de vue spirituel, comment irions-nous, nous indigents et inconstants, donner le pain, donner la vie. si nous ne les avions tout d'abord reçus d'En-Haut ? Grâces soient rendues à Dieu qui donne sans se lasser !

Oh ! que cette année, à travers les chers visages d'enfants réunis dans vos fêtes intimes et dans nos temples, vous perceviez l'appel du Sauveur : « Soyez leur semblables ! et vous recevrez le don de Dieu ! »

1934.

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