Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VII

QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE

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Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
(Matthieu VI, 10.)


Réfléchir au sens authentique du Notre Père, éprouver la gravité des engagements impliqués dans chacune de ses requêtes, c'est du même coup s'étonner de la coupable rapidité, de l'impardonnable légèreté avec lesquelles la prière des prières est parfois prononcée dans l'Eglise et dans l'intimité. Toutes les possibilités d'un réveil, réveil de l'âme profonde, réveil de la piété ecclésiastique, seraient impliquées dans ce simple effort consenti : s'appliquer à comprendre le Notre Père et à dégager l'attitude intérieure et pratique d'un croyant qui désire s'associer vraiment à ces requêtes classiques. Cette oraison qui pourrait risquer de s'user et de se vider par une trop perpétuelle répétition est demeurée pleine encore de richesses inexploitées et de promesses pour nos lendemains.

Vous êtes membres d'une humanité qui attend encore l'exaucement du Notre Père. Et pourquoi ? Parce que les paroles sacrées, léguées aux âmes par le Christ, retentissent trop souvent sans puissance réelle, comme l'airain sonore de la cymbale. n'étant ni portées ni soutenues par le désir passionné de ceux qui les prononcent.
Seigneur, apprends-nous à prier.

La troisième demande de l'oraison dominicale ne se trouve point dans le texte de saint Luc, et pourrait paraître une simple répétition de la deuxième : « Que ton Règne vienne ».
Pourtant les trois premières phrases de la prière du Seigneur qui constituent une unité, expriment une pensée qui se développe. « Que ton nom soit sanctifié, que ton Règne vienne ! ». Voeux pieux par lesquels le croyant s'élève dans l'Invisible, où déjà aujourd'hui est accompli le triomphe de Dieu. L'Israélite se représentait, toute prête dans la gloire du ciel, la cité sainte de l'Éternel.

« Que ta volonté soit faite sur la terre. » Ici la pensée redescend sur la terre de nos luttes, théâtre du combat entre la lumière et les ténèbres. La prière, ainsi installée dans le cadre de la réalité immédiate, s'achève par les toutes simples et naturelles demandes qui intéressent la vie humaine : Le pain de notre corps, la nourriture de notre âme, le pardon et la délivrance.

Le « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » est un complément au « Que ton règne vienne », mais un complément nécessaire et qui garde sa signification propre. Pour que puisse se lever à l'horizon de l'histoire de la race déchue l'aurore du royaume de justice et de paix, il y a une préparation indispensable : la création d'un peuple bien disposé qui obéisse à la volonté de Dieu.

Si les hommes n'ont pas le pouvoir d'organiser le royaume de Dieu, et de décréter son avènement, ils ont du moins celui de préparer son heure ; et cet accomplissement de la volonté du Très-Haut dépend en une certaine mesure de chacun d'entre vous puisque nul n'a le droit de dire : Que ta volonté soit faite, sans dire en même temps au Père : « Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté ».


II

Il nous faut donc renoncer à trouver dans le « Que ta volonté soit faite » la seule invitation à accepter avec résignation l'inévitable. C'est étriquer le message de Jésus et le trahir que d'étendre à la vie toute entière cette attitude de soumission passive qui est à coup sûr celle que Dieu peut parfois nous inspirer.

Tôt ou tard, sonnent dans toute existence ces heures où il n'y a rien d'autre à faire qu'à abdiquer devant le Tout-Puissant notre volonté propre, frappée d'impuissance, paralysée, vaincue. Il est des situations dans lesquelles à tous, croyants ou incroyants, n'est offerte aucune autre possibilité que celle de courber la tête sous l'invisible pression d'une puissance qui nous domine ou nous brise. Moments où nous n'avons plus le choix entre le oui et le non, et où il faut bien dire oui à la douleur, oui à la maladie, oui à la mort.

Face au mystère qui déborde de toutes parts les vaines tentatives de nos révoltes ou de nos désespoirs, la seule ressource du chrétien est dans la répétition virile et douloureuse du : « Que ta volonté soit faite », prière protestataire à sa manière puisqu'elle affirme, malgré tout, derrière toute l'ombre accumulée, l'action d'un mystérieux amour.

Il est des circonstances dans lesquelles : « Ta volonté, mon Dieu », signifie de la part des coeurs blessés, et en face des bonheurs anéantis : « Mon Dieu, je ne suis rien et tu as, toi, tous les droits ! Agis comme toi tu le veux. Frappe, détruis, et tue ! J'accepte ».
Heures émouvantes toujours ! heures tragiques parfois, dont l'obscurité s'exprime en se dépassant elle-même dans la scène du Christ au jardin d'agonie, et qui S'éclairent par l'exemple même de son héroïque résolution. Alors qu'un fossé menace de se creuser entre son désir et la volonté de son Père, Jésus vainqueur de sa torture intime, achève sa prière : « Père, ta volonté, et non la mienne ! ».

C'est une démarche religieuse sans contredit que celle de la créature qui s'efface devant le Créateur, qui abolit son désir égoïste, et jusqu'à sa volonté de vivre pour s'abandonner sans réserve à la décision de Dieu, quelle qu'elle soit.
Mais nous sommes infidèles, et gravement infidèles à l'esprit de Jésus si nous ne donnons à notre prière quotidienne que cette portée unique de nous abandonner pour laisser faire Dieu.

Si la volonté de Dieu s'exécute parfois sans nous et contre nous, il est aussi des jours, et c'est de ceux-là qu'est tissée la trame ordinaire de notre histoire, où Dieu veut que sa volonté s'accomplisse sur la terre par le moyen de ses enfants et par les réponses des hommes à son appel.

Le Notre Père a été dans l'intention de Jésus déjà le modèle de la prière universelle. L'Eglise a obéi à l'Esprit en en faisant la prière quotidienne. Il ne faut pas désormais que nous traduisions ces paroles toutes frémissantes d'audace et d'attente enthousiaste en une supplication mélancolique. Il ne faut pas que nous transposions en mineur une mélodie qui doit être à la base de tous les hymnes de toutes les victoires. Gethsémané, son décor nocturne et ses larmes, ne sont pas l'unique commentaire de la prière du Maître. Jésus a pensé, et toute sa carrière le démontre, que la prière devait aider à agir et non seulement à souffrir, à travailler et non seulement à attendre, à combattre et non seulement à pâtir, à vivre et non seulement à mourir.

Le Notre Père contient le programme du chrétien ; et c'est un des premiers articles de ce programme que vous soulignez à nouveau chaque fois que vous redites :
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.


III

Ma nourriture, dit Jésus, est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé. Ce ne sont pas tous ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume de Dieu, mais ceux-là seulement qui font la volonté de mon Père.

Vouloir ce que Dieu veut, voilà le résumé de la morale évangélique, simple et sublime. Simple. Des coeurs d'enfants et des intelligences incultes en saisissent l'esprit. Sublime. Elle réclame de vous ce saut hors de vous-mêmes qui est difficile à l'homme naturel, prisonnier de son égoïsme. L'A. B. C. de la morale de Jésus réclame déjà un effort impossible à tous ceux qui ne se sentent pas les enfants du Père, les pardonnés du Sauveur, à tous ceux qui n'ont pas réappris humblement à l'école de l'Évangile cette confiance filiale qui permet au pécheur de retrouver l'image de son Dieu, d'entendre sa voix, de percevoir ses ordres.

Jésus vous propose l'imitation de Dieu. « Sois parfait comme ton Dieu. Aime comme le Père qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ». La conscience chrétienne, à la lumière des exemples et des appels de Jésus, voit se dessiner nettement en face du devoir immédiat que la vie lui propose le contour précis du vouloir de Dieu.
Mais qu'il y a loin encore de la connaissance de cette volonté à son accomplissement ! Parce que l'homme recule à l'entrée des chemins que Dieu lui ouvre, les chemins de l'amour, du renoncement, du dévouement, l'Eglise s'est souvent évertuée à imposer par la force ou par la peur, l'obéissance au souverain Maître. Vaine tentative. Il n'y a pas de lois et de règlements qui puissent codifier en formules immuables la volonté du Dieu vivant. Le Christ est la fin de la loi et c'est l'Esprit lui-même qui vient te dire à toi, mon frère, directement, ce qu'il attend de toi. L'enfant ne sert vraiment son Père que quand il le sert dans l'amour et la reconnaissance.

Ta volonté, ô Dieu ! je sais que dans le double miroir de ma conscience et de l'Évangile tu me la révèles claire et nette à chaque heure. Ce dont j'ai besoin ce n'est pas avant tout de plus de science pour mieux la percevoir, c'est avant tout de plus d'énergie pour mieux la vouloir, c'est de plus de ferveur pour désirer de tout mon coeur ce que tu désires, c'est de plus d'enthousiasme pour te dire :
« Mon bonheur c'est de faire ta volonté maintenant sur la terre ». C'est cette ferveur que vous venez rallumer ensemble au foyer de l'Eglise, c'est cet enthousiasme que vous voulez retrouver dans la communion fraternelle au travers de laquelle se perpétue la présence de Jésus-Christ.


IV

Sur la terre comme au ciel. Nul n'a le droit de biffer le ciel de l'oraison qui s'ouvre par l'invocation : Notre Père qui es aux cieux, et qui se termine par la perspective de la gloire qui s'épanouit au siècle des siècles. Le ciel est à l'horizon du Notre Père comme à l'horizon de tout l'Évangile. Jésus voit la maison invisible peuplée des anges purs et des croyants arrivés au port ; il y salue Abraham et Jacob, mais aussi, assis aux mêmes tables immortelles, ceux qui sont venus d'Orient et d'Occident, pécheurs délivrés, victimes affranchies, purifiées par le baptême de l'Esprit.
Au ciel la volonté de Dieu est accomplie dans la liberté et dans la joie.

Dans la liberté. La pensée judaïque parlait d'anges révoltés, de la chute de Satan, de la volontaire infidélité des serviteurs rebelles. D'ailleurs, comment reconnaîtrions-nous des créatures supérieures à nous dans des êtres qui accompliraient le bien par contrainte ? Les anges de Dieu le servent dans la spontanéité de l'amour et dans la joie. Là-haut, le : Que ta volonté soit faite, ne peut plus résonner comme la parole résignée du blessé d'ici-bas, puisque tout l'accomplissement de la volonté du Père s'y poursuit dans l'atmosphère de l'harmonie et de la paix. Un ordre de Dieu est une joie ; le service de Dieu une fête.

Ah ! ne laissez pas à quelques rêveurs sectaires le monopole des visions célestes. La nostalgie du Ciel peut à bon droit visiter le croyant ; son sort terrestre lui apparaît parfois comme à Job, le sort du soldat et du mercenaire, le sort de l'exilé qui attend le retour dans la paix du foyer. Il vous est bon de lever les yeux vers le pays du triomphe où vous savez que des frères libérés, portant les cicatrices des dures batailles du monde, servent enfin leur Dieu dans la plénitude de la liberté et dans une allégresse dont la source ne tarira jamais.


V

Jésus qui a contemplé ces réalités-là bien autrement que nous ne parvenons à les entrevoir à travers les nuages de nos incrédulités, dit aux siens : « Vous prierez ainsi : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » ; donc ici-bas, comme au ciel, librement et joyeusement.
Vous accepteriez la volonté de Dieu parce que vous ne sauriez vous y dérober et peut-être après avoir épuisé vos ruses pour vous y soustraire ? Non, ce n'est pas de cela qu'il s'agit, mais bien au contraire de vous ouvrir assez à l'irruption des forces surnaturelles pour que la grâce vous soit de plus en plus accordée de mettre pleinement d'accord votre volonté avec la sienne.

Ce qu'il faut c'est que tu veuilles résolument ce que Dieu veut lorsque le monde t'appelle ailleurs, lorsque la paresse et le péché te sollicitent. Balaye de ton coeur tout ce qui résiste à la volonté du Dieu Saint.
Tout ! Et ce tout est terrible. Il comprend non seulement les fautes et les infractions définies que condamne la loi, mais encore ton orgueil, ta volonté propre, tes pensées intimes peut-être, ton passé hélas avec tout ce qui s'en dégage de résistances égoïstes. Ce tout est terrible. Mais rien ne peut faire obstacle définitivement à la puissance victorieuse qui est en Christ, à la force de l'Esprit qui régénère. Et c'est là le miracle de la conversion. Au pécheur est offerte la possibilité de devenir un instrument de Dieu ; il peut apprendre à mettre sa joie à aimer ce qu'il n'aimait pas et à vouloir ce qu'il ne voulait point. Mon Dieu, je veux ce que tu veux : « Ta volonté soit faite » ; c'est mon voeu, et ce voeu est un engagement et une promesse.

Ta volonté, je la veux accomplir ; mais ma prière réclame plus encore : son triomphe sur la terre. Le ciel est une grande famille spirituelle constituée dans l'unité parfaite de l'amour, et cela la terre doit l'être un jour. Il y a une unité du monde matériel ; il y a une unité du monde spirituel, et Jésus nous l'a révélée. Pour l'âme éveillée, voici le tableau de la vraie patrie. Un pays immense jusqu'à en être infini, le pays du Créateur des esprits et de la Vie. Une des provinces de cet univers s'est dérobée à son amour et a cherché à se séparer de lui pour se constituer dans une périlleuse indépendance. Le Christ vient, ambassadeur et fils du ciel, reprendre possession au nom du Père du monde égaré. Il vient. Et c'est en vain que les rebelles bafouent son amour et le rejettent comme un étranger. Jésus sait que ces malheureux et ces coupables sont encore pourtant les enfants de Dieu ; ils ne peuvent pas ne pas avoir soif enfin de la vérité et de la vie. Il les apporte. Ce n'est plus le rêve d'un poète, ce n'est plus la seule perspective d'une révélation future. C'est le foyer de lumière allumé sur la terre. Voici le nom de Dieu : Le Père ; voici sa volonté : L'amour inépuisable, éternel ; voici son oeuvre : pardon, sacrifice, don de soi.

Dès lors, timides ou résolus, infirmes ou vaillants, les hommes viennent à lui ; ils émergent des ténèbres à la clarté du jour divin ; ils viennent le long des routes de la terre ; ils viennent le long des siècles, ils viennent du fond lointain de toutes les régions de l'ignorance et du péché et du désespoir. Ils viennent, ils viennent encore, ils viendront toujours. Ils apprennent à dire : Père que ta volonté soit faite par nous aujourd'hui, par nos frères demain, par tous un jour : Sur la terre comme au ciel.

Ainsi voyons-nous s'élargir le cadre de notre méditation. Si Dieu veut que sa volonté triomphe, il faut donc que partout soit proclamée sa parole il faut que jusque dans les pays les plus reculés soi ; prêché l'Évangile, et soit rendue possible la conversion des âmes. Si vous avez connu la libération et la paix quand vous avez cherché à mettre d'accord votre volonté et la volonté du Père, comment pourriez-vous douter encore de la valeur de l'impératif missionnaire : Allez jusqu'aux extrémités du monde. Que le « Notre Père », encerclant la mappemonde, fasse surgir partout les prémisses de l'humanité nouvelle !

Ce qu'il faut encore, c'est que l'esprit de Jésus vous pénètre assez, pour que vous compreniez toute la signification sociale et fraternelle de la prière du Maître. Que ta volonté soit faite ! Garde-moi de le redire sans voir la main du Christ nous montrer et ceux qu'au loin fauche l'épidémie ou la guerre et tout près de nous ceux que nous laissons dépérir dans le dénuement ou la tristesse, ceux que nous laissons pleurer dans la solitude ou dans la honte. Comment songeriez-vous sans frémir à tout ce qui s'affirme dans notre monde et dont Dieu dit : Voilà ce que je ne veux pas ?

Ruskin a écrit cette amère réflexion :
« N'obligeons pas les petits enfants à blasphémer au lieu de prier en leur enseignant à demander à  Dieu ce que nous-mêmes nous n'espérons pas : l'accomplissement de sa volonté sur la terre comme au ciel. »

Vous apprendrez le « Notre Père » à vos enfants sans être professeurs de blasphème si vous vous engagez à l'obéissance personnelle au Dieu qui vous dicte votre route ; si vous faites tous vos efforts pour propager dans la cité et dans le monde l'esprit du Christ ; si vous voulez non seulement répéter l'oraison dominicale, mais vivre sous son inspiration.

Alors s'illumine la face de la terre. Alors se réveille l'audace religieuse qui salue le jour où sera exaucée la prière de l'humanité. Elle le sera parce que celui qui nous l'a donnée est le Sauveur divin. C'est à lui que vous demanderez aujourd'hui de vous réapprendre à dire le vrai Notre Père ! celui de la foi, de l'amour et de l'espérance.

1931

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