Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VI

REGARDER VERS LE CIEL...

ET SUR LA TERRE

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Levez les yeux vers le ciel, et regardez en bas sur la terre.
(Esaïe LI, 6.)

Lire : Esaïe LI, 1-8, 12-16 ; Psaumes LXXIII, 23. CII, 26-27. CXXI, 1-3 ; Marc XIII, 31.

Bien que cette saison d'hiver ne soit guère propice à la contemplation des cieux étoilés, notre attention a été à Genève, ramenée récemment sur les mystères des phénomènes astronomiques par l'apparition d'une aurore boréale. Aucun calendrier ne l'avait prévue. Il est donc encore dans le vaste infini, en dehors de rencontres et d'événements dont la science parvient à annoncer la date, à une seconde près, une marge d'inconnu. Et lorsque nous songeons aux fabuleuses distances qui nous séparent du monde des étoiles, et aux secrets qu'il renferme encore, nous comprenons le sens de cette distinction, chère au langage religieux de l'humanité : la Terre - le Ciel - opposés comme deux régions de l'Univers étrangères l'une à l'autre. Notre piété chrétienne - piété d'adoration et d'espérance, mais aussi piété de l'amour et de l'action, peut bien reprendre à son compte la définition prophétique des deux gestes :
Lever les yeux vers le Ciel - Regarder en bas sur la Terre.


I

Le Second Esaïe, consolateur inspiré des Juifs exilés, s'adresse à un peuple de vaincus découragés. Déporté sur les rives de Babylone, Israël a vu la gloire de Jérusalem anéantie, le Temple de l'Éternel profané et détruit. Courbé sous le joug de l'orgueilleux empire qui lui a ravi sa patrie et sa liberté, le peuple de Dieu prend douloureusement conscience de sa misère. Que signifient ces quelques tribus aujourd'hui asservies, au sein des grandes puissances qui se disputent la domination de l'Orient ? Israël n'est plus qu'une poussière de peuple ; son élite a été massacrée ; parmi les survivants, beaucoup trouvent dans leurs épreuves et leur dépouillement, l'excuse de leur incrédulité. Le regard que le serviteur de Dieu promène sur la terre est lourd de mélancolie. Qu'offre-t-elle à ses yeux, la terre ? si ce n'est le spectacle révoltant du triomphe des païens, et l'infortune sans remède des enfants de Dieu, méprisés et persécutés ?

Pourtant il sera le chantre de l'Espérance. D'abord ce présent n'est qu'un fugitif instant d'une longue histoire, celle que Dieu inaugura en adressant vocation à Abraham. Jadis tout un peuple est issu de cette seule famille d'un patriarche, à qui avait été donnée la grâce de croire et d'obéir. Demain l'Éternel pourra ressusciter Israël au tombeau, relever les murs de la Cité sainte, et faire à nouveau retentir en Sion les hymnes de l'allégresse et les cantiques du bonheur. Puis soulevé d'un coup d'aile, le coup d'aile de l'inspiration, le prophète plane au-dessus de la terre et au delà de l'histoire. Ce que Dieu prépare, ce n'est pas seulement une restauration nationale, ce sont « de nouveaux cieux et une nouvelle terre ».

Il a détourné sa vue de ce monde où il y a du sang versé, et des larmes répandues, il a levé les yeux au Ciel. Et voici, une vérité inouïe s'impose à son esprit : le ciel aussi un jour s'évanouira comme la fumée chassée par le vent. Ce qui soutient son espérance, c'est la vision du Dieu souverain, dont les cieux et la terre. son ouvrage, sont incapables d'enfermer toute la gloire, dont l'Esprit trône au-dessus de tout ce qui est visible et périssable. Son intention de salut, inaccessible aux tempêtes de l'histoire, comme à celles de la nature, subsiste pour tous les temps : et sa volonté s'accomplira, dussent les cieux et la terre s'effondrer en quelqu'inconcevable catastrophe.




L'élan de l'Esprit permet à Esaïe de répandre sur cette page sublime un rayon d'aurore, qui annonce la prédication du Royaume de Dieu. Tandis que captif de son orgueil national, Israël n'attend que le rétablissement du royaume anéanti, le prophète, lui, voit des peuples lointains, les habitants des îles, se tourner vers le Dieu dont la Loi veut éclairer toute l'humanité.

Tandis qu'Israël attend que paraisse dans le ciel quelque signe qui annonce la fin de l'oppression, et prévoit le retour dans le pays des pères, le prophète s'ouvre à une autre perspective : celle d'un salut qui durera éternellement.

L'univers mourra. Comme les individus, dévorés générations après générations par l'abîme du silence, nations et races et frontières seront bouleversées et détruites ; les astres pourront s'éteindre, les cieux s'évanouir. Une réalité subsiste au-delà du monde et au delà de la mort : Dieu, sa Volonté, son amour, son salut. Tout est mortel dans le vaste univers, les beautés de la terre ne sont que pour un temps et les lumières du ciel auront leurs soirs et seront résorbées par la nuit, mais dans cet univers et au-dessus de Lui se révèle le Dieu qui ne meurt point. Heureux qui portant Dieu dans son coeur, se sent attaché à l'Éternel. Il peut braver l'ennemi, la souffrance et la nuit. Au delà du ciel - et au delà de la terre, il a salué celui qui les unit, les domine et les peuple de sa présence.


II

Levez les yeux vers le ciel.
Instinct humain - mais qui ne trouve sa portée salutaire que dans l'affirmation du Psalmiste :
« Je lève mes yeux vers les montagnes ; d'où me viendra le secours ? Le secours me vient de l'Éternel qui a fait les cieux et la terre » (Ps. CXXI.).

En dehors de la prière qui ne se repose qu'en Dieu, la religion des yeux levés au ciel se perd dans l'illusion, la stérile paresse et le néant du rêve. Songez à ces sagesses païennes, dont l'influence a, en certaines heures de l'histoire, pénétré l'Eglise chrétienne et dont l'idéal se définissait par la volonté de s'enfuir loin du monde, de déserter les luttes d'ici-bas, de renoncer aux devoirs de la famille et de la cité, de faire violence même à cet amour de la vie que le Créateur a enraciné au coeur de notre coeur. Bel idéal, certes, que celui d'une existence de méditation, traversée par ce souci : « Pourvu que je gagne le ciel, que m'importe tout le reste ! ». Jésus a dit : À quoi te sert de gagner le monde, si tu perds ton âme ? ». Mais il nous enseigne aussi que celui-là précisément perd son âme, qui se dérobe au devoir de l'amour et au rude service des pèlerins de la terre. Le lévite et le prêtre qui ont passé sur la route au bord de laquelle gisait un malheureux blessé étaient peut-être en train de lever les yeux vers le ciel, en récitant des prières pour tromper la longueur du chemin ou pour s'assurer leur salut. Mais leur condamnation, c'est qu'ils n'ont pas su regarder en bas sur la terre.

Lever les yeux vers le ciel. Il est des heures où nous ne voyons pas d'autre ressource en face des ténèbres qui règnent ici-bas, en présence aussi de la visite de la mort. Et pourtant la vue du ciel, et la poésie de l'infini, nous bercent d'un rêve qui n'est point encore la vraie consolation. Où aller chercher dans les sphères lointaines ceux que notre affection ne doit plus croiser sur nos chemins familiers ? Où situer le pays de Dieu ? Mais voici : à l'heure où nous pressentons le mystère à double face : nos bien-aimés disparus et vivants - si désespérément loin et si magnifiquement proches par leur présence spirituelle, nous comprenons que le pays de Dieu, ce n'est ni la terre, ni le ciel de nos astronomies ; c'est un pays qui embrasse l'univers total, comme l'Océan qui entoure l'île, comme l'atmosphère qui enveloppe la planète, c'est un au-delà du ciel et de la terre que découvre notre espérance, le monde où triomphe le Dieu d'amour.

Je lève mes yeux... Et lorsqu'au delà de la voûte azurée, je vois se dresser dans la gloire du monde supérieur la figure de mon Sauveur vivant, je salue en lui Celui qui, en nous montrant le Père, a jeté le pont entre cette gloire et notre misère. C'est Lui qui nous a dit : Dieu est amour et vous ne le verrez qu'en aimant. Voilà pourquoi notre piété ne peut en rester à l'attitude des yeux levés vers l'invisible ; elle ne comprend la prière que comme le prélude à l'action. Et le regard vers le ciel ne doit que vous renvoyer plus fort et plus vaillant aux combats d'ici-bas.


III

Regardez en bas sur la terre.
Mais oh ! Dieu. Comme nous sommes parfois las de voir tout ce qui se passe en ce monde : crimes impunis, injustices sans nom et tout ce qui est contre toi, les triomphes bruyants ou secrets de l'impiété, les plaintes des victimes. Oh ! abîmes de péchés et de souffrances ! Oh ! incendies de haine et de folie, en face desquels notre charité ne sera jamais que la dérisoire goutte d'eau jetée sur un brasier géant ! La tentation nous menace de dire à Dieu : Permets-moi de ne plus regarder le monde, tout sonore des cris de la haine et de la guerre. Oh ! si tu m'emmenais en quelque cabane du désert (Jérémie IX, 2), en quelque lieu où je puisse contempler ton ciel et oublier la terre !
Mais Dieu vous dit : Levez les yeux vers le ciel et regardez en bas sur la terre.

Dans sa grande toile de la Transfiguration, Raphaël a présenté en deux tableaux simultanés, deux scènes successives de l'Évangile, mais liées par un rapprochement éloquent. Sur la montagne du Thabor, au terme d'une série d'intimes communions avec leur Maître, et d'adoration fervente. Pierre, Jacques et Jean ont vu la face du Christ resplendir d'une lumière inconnue. Ils se sentent au seuil de l'invisible, aux frontières du pays de Dieu où tout n'est que splendeur, gloire et pureté. « Ah ! dressons ici nos tentes, demeurons sur la montagne avec Jésus, et Moïse, et Elie apparus dans la gloire ». Mais dans la plaine se déroule une scène atroce. L'enfant épileptique se tord dans ses crises, amené en vain auprès des disciples, impuissants à le libérer. Pierre, Jacques et Jean voulaient rester dans la paix de la vision céleste. Mais Jésus a dit : Redescendons vers la vallée, vers la vallée où l'appelaient des larmes et des cris et où demain s'ouvriraient pour lui les voies de la douleur, du sacrifice, et bientôt le chemin de la Croix.




Quand vous aurez levé les yeux vers le ciel, et vers Dieu et vers son Christ, vous saurez regarder sur la terre d'un double regard.
Vous verrez tout ce qui ici-bas appartient à la mort et est promis à la ruine et au néant. Toute la formidable oeuvre du péché des hommes, toutes leurs folies, toutes leurs hontes et les fleuves de douleur qui sortent de ces sources empoisonnées, tout cela n'est que pour un temps. Cette terre avec ses fausses gloires, ses tumultes et ses crimes, tombera en lambeaux.
Mais l'autre regard s'arrête, lui, sur le passage de Dieu dans les réalités d'ici-bas. Dieu n'est pas plus proche des astres du firmament que de notre planète, et pas plus voisin du Royaume des anges qu'il ne l'est d'une humanité à laquelle il a donné Jésus-Christ et sur laquelle il a répandu son Esprit. Sur la terre, Dieu passe, Dieu travaille, Dieu sauve, Dieu vient.

Ah ! ce ne sont pas nos quotidiens qui portent en manchette la bonne nouvelle : « le Royaume de Dieu vient ». Ils ont d'autres grandes nouvelles à publier et à colporter dont l'importance sera demain effacée.

Ah ! si vous saviez lire les bulletins des victoires de l'Eglise conquérante ! Celles qui viennent des lointains, de nos champs de missions, celles qui près de nous démontrent la puissance permanente de l'Évangile.

Ces jours-ci, je lisais les récits d'un chrétien, parti pour vivre au milieu des Hindous, et y démontrer par l'activité constructive de l'amour, ce qu'est la pratique du travail, de l'honnêteté, du service mutuel. Cette âme prophétique, Pierre Ceresole, a déjà transformé là-bas l'existence sociale de villages entiers, et appris à des Hindouistes superstitieux, non pas un catéchisme protestant, mais mieux que cela ! L'A B C de l'Evangile, créateur de lumière et de vie, puissance qui met un peu du ciel sur la terre.


IV

Votre prière d'aujourd'hui doit être : « Mon Dieu, quand je marche sur les chemins d'ici bas, si souvent meurtri, las ou blessé, montre-moi ce qui est de toi. Donne-moi des yeux capables de découvrir ta présence. Je sais que tout ce qui est de cette terre n'est que pour un temps, mais je sais aussi que sur cette terre, Jésus a voulu inaugurer ton règne et semer ta parole, et répandre ton Esprit ».
Oh ! merveilleuse transfiguration de la foi ! À côté de toute l'ombre, toute la lumière !

Vous saurez voir tout ce qui parle de la bonté du Père : les yeux tout neufs des petits enfants qui sourient à la vie, la merveille de tout ce qui commence et de tout ce qui recommence : ces âmes blessées ou souillées, qui lavées par le pardon de Dieu se reprennent à espérer et à croire ; tout ce qui montre Christ : chambres de souffrance dont la foi a chassé la révolte ; et les vies données de ceux qui n'ont que le souci de servir, et tant d'humbles démarches, où vous relirez l'une après l'autre, comme autant de pages détachées de l'Évangile éternel : le Samaritain penché sur le blessé, la main tendue de la réconciliation, la pauvre veuve qui donne tout, le frère qui porte le fardeau du frère, et tous ceux qui, sans bruit, chargés de leur croix, suivent le chemin du Christ.

Tout récemment, je présidais le service funèbre d'une soeur pauvre selon le monde, qui a dû se débattre pour élever ses enfants, et pour sauver son âme contre les difficultés morales et matérielles les plus obsédantes. Gravement atteinte depuis de longs mois, elle avait voulu, encore, au lendemain de Noël, se rendre et presque se traîner jusqu'à une masure isolée où vivait seul et abandonné un vieillard de 80 ans. Au jour des obsèques, ce vieillard avait pu se faire amener là, par un automobiliste complaisant, et pleurait comme un enfant. Et à côté de lui, se trouvaient nombre de jeunes femmes et jeunes filles dont je connais l'histoire, et qui avaient reçu de celle que nous pleurions, tant de trésors d'amitié, d'encouragement, de conseils et de foi, que l'on sentait dans cette humble demeure toute fleurie des fleurs de deuil, un autre parfum, celui des fleurs de la reconnaissance. Tous semblaient dire en face de cette vie, prématurément brisée : Celle-là qui était pauvre et fragile, en a enrichi beaucoup.

Hier encore, je voyais une soeur, dont l'enfance s'est passée dans des conditions moralement effroyables, et qui n'a cessé d'être visitée par l'épreuve. Elle vit aujourd'hui seule avec son bébé, menant une existence de dur labeur, pour gagner très juste son pain. Toutes les prévisions de la science humaine devaient la déclarer destinée à la chute, à la ruine, ou au désespoir. Elle a trouvé son Sauveur, quand elle avait seize ans et qu'elle fut catéchumène. Son Sauveur ne l'a jamais abandonnée, elle prie Dieu tous les soirs, et quand je veux prendre une leçon de courage, je monte la saluer dans son humble logis.

Enfin, si parfois en quelqu'heure lourde, obsédés par le silence apparent de Dieu, par l'infini muet du Ciel et par les ténèbres d'en bas, vous êtes tentés de vous écrier : Où te trouver, ô Dieu ? Ah ! si tu déchirais les cieux et si tu descendais (Esaïe LXIV. 1) ! prêtez l'oreille à la voix intérieure qui s'élève en vous, réveille votre coeur endormi, et votre volonté défaillante pour vous dire :
Si aujourd'hui dans ta maison, dans ton pays, et sur la terre, tu ne vois rien qui te montre Dieu, lève-toi et agis, et montre Dieu toi-même. Cette ombre où tes frères meurent dans le péché, la misère ou la solitude, Christ est venu pour projeter sur elle sa lumière. Il y a là des frères à aimer, du bien à faire, un message à proclamer. Regarde en bas sur la terre, et pour y faire briller un rayon d'En-haut, lève les yeux vers le ciel. Le ciel et la terre passeront, mais tes paroles, ô Christ, ne passeront point, ni tes paroles, ni ton amour, ni ta promesse. En toi nous avons trouvé la Puissance qui domine les temps et les espaces, qui encercle le ciel et la terre dans un même amour éternel.

« Oh ! Dieu, quel autre au ciel ai-je que toi
Et sur la terre, je ne prends plaisir qu'en toi.
 » (Ps. LXXIII, 25)

1938.

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