Et celui-ci, que lui
arrivera-t-il ? - Que t'importe : Toi,
suis-moi.
(Jean
XXI,
21-22.)
Lire : Jean
XXI, 13 à 23.
Un sentiment inné de justice inspire
à nos consciences une protestation contre
les trop criantes inégalités
sociales, contre la coexistence de riches
incapables de compter leurs fortunes, et de pauvres
plongés dans le plus total dénuement.
Mais cette inégalité n'est pas la
seule qui s'affirme au sein de notre
humanité. Il est, en dehors d'elle, une
inégalité des destinées.
Le bonheur et le malheur ne sont point
répartis également, et il est
impossible de parler d'une juste distribution des
joies et des épreuves proportionnées
par le Dieu souverain aux vertus et aux vices de
chacun.
Nulle créature humaine, dès
l'instant où elle possède un coeur
vivant et vibrant, ne peut demeurer à l'abri
de toute détresse ; nul chrétien
n'aurait le droit de se réclamer de
Jésus, s'il ne connaissait quelqu'une de ces
croix que le Seigneur nous demande de porter :
croix du renoncement consenti, croix de la
sympathie fraternelle qui rend une âme
participante de la douleur d'une autre âme.
Mais il n'en demeure pas moins
une singulière opposition entre les
témoignages des uns et des autres.
Tel frère a pu nous dire :
« Depuis que je me suis donné
à Dieu, tout est devenu aisé ;
j'ai connu des exaucements inespérés.
Dans ma santé, dans ma vie de famille, dans
mon activité, j'ai été
constamment visité par la bonté d'un
Dieu prêt à m'ouvrir les routes de
toutes les délivrances ». Tel
autre nous a déclaré :
« Depuis ma conversion Dieu m'a conduit
de dépouillement en dépouillement,
comme s'Il entendait forger mon âme au feu de
la tourmente. Il a dressé devant moi
obstacles sur obstacles, et c'est à travers
les combats, les déceptions, les solitudes
et les larmes, que ma fidélité a
été
éprouvée ». L'appel du
Christ retentit toujours le même :
« Toi, suis-moi ». Mais la
marche à la suite du Sauveur ne
détermine pas un itinéraire
identique, que nous aurions tous à adopter.
À chacun l'Esprit dicte sa voie, ou plus
dure, ou plus douce.
Cette dispensation mystérieuse de Dieu
est illustrée par le contraste des
traditions relatives à la fin des deux
grandes carrières apostoliques de Pierre et
de Jean. Si nous nous rapportons à une
tradition (dont la valeur historique peut
être discutée), Jean, après le
martyre de Jacques, quitte la Palestine, sans doute
accompagné de Marie à lui
confiée à l'heure suprême par
le Crucifié, et va s'installer en Asie
Mineure, dans la région
d'Éphèse. Il affronte luttes et persécutions, mais
au soir
de la vie, se trouve environné par un cercle
d'amis, dont le respect s'accroît avec les
ans. Il prolonge ses jours jusqu'à une
extrême vieillesse. Alors que ses forces
déclinent, il a la joie de pouvoir encore se
faire transporter dans les assemblées
chrétiennes, pour y répéter
l'exhortation qui résume son testament
spirituel. « Mes petits enfants,
aimez-vous les uns les autres. »
Plusieurs frères en Asie, disaient
même de lui : « Il ne mourra
point avant la fin du monde ». Et quand
il eut expiré, se propagea dans certains
milieux l'idée que St Jean n'était
mort que d'une mort apparente, et qu'il vivait
encore secrètement sur la terre, attendant
le retour de son Maître.
Quant à Pierre, une tradition
très probablement authentique, veut
qu'après des années de voyages
missionnaires, d'activité et d'aventures, il
ait été mis à mort à
Rome, lors de la persécution de
Néron. Condamné au supplice de la
croix, il aurait demandé, se jugeant indigne
de reproduire par la forme de sa mort la Passion du
Christ, à être crucifié la
tête en bas.
Ces deux traditions sont déjà
comme indiquées dans cet appendice du
quatrième Évangile, qui constitue son
dernier chapitre. Jésus ressuscité a
un suprême entretien avec ses deux
apôtres aimes. Après avoir
réhabilité Pierre et lui avoir
adressé les plus magnifiques promesses, il
lui annonce à lui, l'apôtre fougueux,
épris d'indépendance, l'approche des
jours où il lui faudra abdiquer tout
orgueil, pour se laisser conduire sur la voie du
renoncement et du sacrifice.
Pierre l'écoute. À l'appel du
Maître retrouvé :
« Toi, suis-moi », il
veut répondre par l'obéissance
immédiate et empressée. Mais comme
Jean s'attache à ses pas, Pierre avec cette
curiosité où se glisse un reste de
l'ancienne jalousie, s'enhardit à poser une
question à son sujet à
Jésus : « Et lui, que lui
arrivera-t-il ? »
Il pense que Jésus va prédire
à Jean les mêmes dures
expériences qu'à lui-même. Mais
non : « Si je veux qu'il demeure
jusqu'à ce que je vienne, que
t'importe ? Ne te préoccupe pas tant de
l'avenir de l'autre. Préoccupe-toi tout
d'abord d'apporter à ton Maître -
enfin - l'hommage de ton obéissance
fidèle et résolue :
« Que t'importe ? Toi,
suis-moi ».
En face de tout l'incompréhensible des
destinées, et de votre destinée, il
vous arrive aussi de regarder autour de vous pour
dire : « Et lui, que lui
arrivera-t-il ? ». Et pourquoi cette
épreuve sur moi, et ce bonheur pour un
autre ?
La Bible parle plus d'une fois du trouble
des croyants en face des injustices du sort. Le
psalmiste interroge : « Pourquoi les
méchants prospèrent-ils, alors que le
juste est
dépouillé ? ».
L'Ecclésiaste évoque la
déception de celui qui a longtemps
travaillé, et ne peut jouir du fruit de ses
efforts. job répand devant l'Éternel
sa plainte, et proteste de son innocence, du sein
de sa misère et de son abandon. Et la Bible
donne pour réponse la déclaration de l'Éternel :
« Mes pensées ne sont pas vos
pensées et mes voies ne sont pas vos voies,
mais autant les cieux sont élevés
au-dessus de la terre, autant mes pensées
sont élevées au-dessus de vos
pensées et mes voies au-dessus de vos
voies »
(Esaïe
LV, 8-9). St Paul,
faisant écho aux prophètes, condamne
au silence les accents de nos révoltes.
« Oh ! homme ! qui es-tu
pour contester avec Dieu ? Le vase d'argile
dira-t-il à celui qui l'a
formé : « Pourquoi m'as-tu
fait ainsi ? »
(Rom.
lX, 20) Notre
égoïsme et notre courte vue nous
ramènent souvent dans l'ornière
ancienne de la piété
intéressée. Souvent, il nous faut
entendre ou deviner la réflexion accusatrice
de l'homme, insurgé contre le
Créateur : « Qu'ai-je fait
à Dieu pour être ainsi
éprouvé ? ». Et
lorsque au hasard des jours, vous avez
rencontré des frères, riches de
trésors que vous n'avez jamais connus, ou
que vous avez perdus, ne s'est-elle jamais
insérée en vous la pensée de
la jalousie envieuse : « Pourquoi
n'est-il pas aussi pour moi, ce
bonheur-là ? »
Oh ! nous avons trop pitié de la
souffrance humaine pour nous ériger en juges
de ces pauvres envieux du bonheur d'autrui.
Et qui de nous ne l'a jamais été en
quelque manière ? Nous les comprenons.
les soupirs secrets de ceux qui, demeurés
solitaires, croisent sur la route des couples et
des familles heureuses, qui entonnent les chants de
l'amour et de l'espoir. Cette jalousie des
sans-travail à l'adresse des
favorisés du marché industriel, cette
rancoeur des
éprouvés à l'égard de
ceux à qui tout réussit, cet
agacement des malheureux de la terre en face de
ceux qui clament la splendeur de vivre, tout cela
peut même parfois s'exprimer dans une sorte
de voeu atroce et inavoué :
« S'il m'arrive encore un malheur
à moi, n'en arrivera-t-il pas aussi un
pareil à lui ? »
Il est des révoltes et des souhaits
vengeurs qui, aussi longtemps que nous oublions
Dieu, trouveraient leurs motifs et leurs excuses.
Mais il y a Dieu, le Dieu souverain, qui nous
impose silence : « Mes voies ne sont
pas vos voies ». Dans
l'impénétrable des destinées,
il y a des ténèbres, et ces
ténèbres sont souvent oeuvre de
l'ennemi, accumulées par la puissance du
Mal, qui crée le péché et le
désordre, et pervertit tout ce qu'elle
touche.
Impossible à notre faiblesse de
déterminer au sein de ce chaos ce qui est
volonté de Dieu et ce qui vient de
l'adversaire. Mais pourtant, si l'acceptation de
l'incompréhensible fait partie de
l'attitude de la foi, la
Révélation répand sur le
mystère quelques rayons de
clarté.
Un premier rayon : Dieu ne mesure pas
les choses comme nous les mesurons, et nous
pouvons apprendre un peu à voir avec son
regard, à Lui.
« Pourquoi tant de
malédictions sur l'un, tant de
bénédictions sur un
autre ? » Mais qui donc te dit que
ce bonheur facile, composé d'avantages
extérieurs et brillants, soit
bénédiction ? Et qui te dit que
ces larmes soient maudites ? Dieu qui
contemple toutes choses de plus
loin et de plus haut, voit aujourd'hui comme aux
jours anciens, défiler le cortège de
ceux qui, grandis dans la douleur,
répètent la confession du
Psalmiste :
« Avant d'avoir
été humilié, je
m'égarais, mais maintenant, j'observe ta
parole. »
« Il m'est bon d'être
humilié afin d'apprendre tes
statuts. »
(Ps.
CXIX, 67 et 71)
Il voit aujourd'hui comme jadis la
misère de ceux qui s'enferment dans un
bonheur égoïste, tombeau de leur
âme, et de leurs énergies
enlisées dans une paresse fatale.
Dieu voit la plénitude de telles
vies, trop tôt brisées à nos
yeux, mais qui se poursuivent sur le plan de
l'éternité, tandis qu'il
connaît le néant de tant d'existences,
installées dans la matière comme si
elles devaient s'y assurer une résidence
perpétuelle et qui ne se repaissent que de
cendres. Oh ! pauvreté de tant de
mesquines jalousies, de sottes
curiosités ! Que lui arrivera-t-il,
à lui ? Trouver un fiancé,
fonder un foyer... gagner une fortune, vivre
très longtemps... Tout cela signifie-t-il
nécessairement : Bonheur ? Et si
oui, réjouis-toi du bonheur de ton
prochain ! mais bien plus encore
réjouis-toi de ce que Dieu te cache le
lendemain, et celui des autres et le tien, et te
veut dire tout simplement : « Que
t'importes ? Toi, suis ton
Sauveur ». Là est la seule route
sûre de l'avenir, le seul chemin qui
aboutisse vraiment.
Un autre rayon : Dieu veut
être servi et glorifié de mille
manières. Le Christ fut diversement mais également
glorifié
par Pierre qui reçut la couronne des
martyrs, et par Jean, le vieillard, qui s'endormit
dans la paix, après avoir été
jusqu'au bout l'infatigable héraut de
l'amour dans l'Eglise naissante. Dieu se
réjouit de la diversité des
âmes, comme il se réjouit dans les
oeuvres de sa création des visages multiples
de la beauté des choses.
« Même une étoile
diffère en éclat d'une autre
étoile. »
(1
Cor. XV, 41) Dieu a besoin de
témoins qui parlent, et de témoins
muets, de martyrs et de disciples paisibles et
souriants. Il a besoin de soldats militants de
l'Esprit, et il sait utiliser le rayonnement
discret d'âmes modestes qui, dans l'ombre,
répandent un parfum de bienveillance
sereine. Il faut qu'il se trouve des
chrétiens capables de montrer Christ
à travers leurs sanglots, leurs
plaies ; il faut qu'il s'en trouve d'autres
prêts à entonner les hymnes de la joie
parfaite. Toi, tu offriras à Dieu ta
maladie, tes blessures, tes larmes. Toi, tu lui
offriras tes jeunes énergies, ta
santé, ta vaillance. Et en tout cela Dieu
sera glorifié.
À l'ombre de Pierre, je vous
aperçois, disciples tourmentés, non
seulement par vos épreuves, mais par vos
faiblesses intimes. Vous avez aimé
Jésus, mais l'avez aussi renié. Vous
avez eu vos splendides ardeurs, mais aussi vos
lâchetés, jusqu'au moment où
Dieu a enfin prévalu. Vaincus de Dieu, vous
avez dû aller là où vous ne
vouliez pas aller. Vous connaissez la brûlure
des larmes, et leur sens spirituel aussi, larmes du
repentir, de la douleur, de la solitude
acceptée. Et parce que vous avez dû
lutter et pleurer, votre
témoignage en est plus émouvant et
plus fécond.
À la suite de Jean, vous
voici, âmes harmonieuses, qui vous êtes
épanouies dans l'atmosphère de
l'amour divin, animées du désir
spontané de répandre un peu de cet
amour dans le monde. Vis-à-vis de vous,
l'incrédule confesse : En voici qui
possèdent la paix, en voici qui portent un
peu du ciel dans leur regard et un peu de la flamme
sacrée dans les démarches de leur
active charité. Honneur aux croyants dont le
bonheur, loin d'avoir pétrifié le
coeur, l'a élargi, et a pu faire de leur vie
un chant d'actions de grâce et
d'adoration.
Jésus ne veut pas que les siens
discutent entre eux du degré de leur
consécration ; il les entraîne
tous vers le même but. Pourquoi l'un a-t-il
plus d'ardeur et l'autre plus de tendresse ;
l'un plus de fermeté morale et l'autre plus
de compréhension fraternelle ?
« Pourquoi, demande Pierre, serai-je un
martyr, alors que l'autre ne le sera
point ? »
Mystère, mystère du Dieu
vivant qui a voulu la vie multiple. Son symbole
n'est point la route droite où s'avancerait
en ordre serré, une troupe d'hommes,
revêtus d'un même uniforme. Les chemins
sont divers, plus rocailleux ou plus aisés,
mais ils convergent tous vers la même cime de
l'Éternel amour. Le chant de la vie n'est
pas formé par un misérable concert
où chacun répéterait la
même note, mais bien par la symphonie
où résonnent des cordes
différentes, les unes douloureuses, les
autres triomphales, mais qui composent une
même harmonie à la gloire du Dieu
Sauveur. Que t'importe si dans le concert ton frère
joue une partie
plus brillante ou plus facile que la tienne ?
Ce qui t'est demandé, c'est de tenir ta
partie. « Toi,
suis-moi. »
Toi, suis-moi. À travers les
événements, les joies, les peines, un
Dieu te cherche, te parle, qui te veut à
Lui. Il entend engager le dialogue avec toi
à travers ces signes, parfois obscurs,
parfois si clairs que sont les circonstances de
hier, et de demain, et avant tout, celles
d'aujourd'hui, de ce précieux aujourd'hui, seul instant qui
t'appartienne.
Instant où à nouveau Dieu parle.. et
où à nouveau tu lui réponds
soit par ton silence, soit par ton
obéissance.
Les autres ? Que t'importe. C'est de
toi qu'il s'agit, c'est toi que Dieu convoque.
Hier ? demain ? Que t'importe. C'est de
maintenant qu'il est question, de l'appel
présent, bien connu et toujours
nouveau : « Toi,
suis-moi ». Oui, toujours
nouveau. Puisqu'il en est, hélas !
qui hier ont suivi Jésus-Christ, et qui
aujourd'hui se dérobent à son
invitation. Ah, Dieu ! renouvelle notre
fidélité et permets que quand de
nouveau tu nous appelles, de nouveau nous
répondions, joyeux et résolus et sans
demander : « Où nous
mènes-tu ? Vers un devoir facile ou
vers une tâche ardue ? Vers la
lumière ou vers la nuit ? » -
Qu'importe ? Là où nous serons
avec toi, il y aura de la clarté même
s'il nous faut souffrir, et renoncer et
mourir.
« Toi,
suis-moi. » Appel toujours nouveau,
puisqu'il en est qui hier sont
demeurés sourds ou ont répondu :
non, et qui se lèvent aujourd'hui et
secouent la chaîne qui les asservissait
à la chair, à l'argent, aux idoles du
monde. Ah ! Que Dieu touche les coeurs de ceux
à qui aujourd'hui peut être jour du
salut ! À travers le vaste monde, comme
dans notre petit monde : l'Eglise, la famille,
nos amis, qu'il s'en trouve qui soient prêts
à dire : « Les autres,
qu'importe ? M'approuveront-ils ou me
blâmeront-ils, me suivront-ils ou non ?
je n'ai pas à attendre leur signe quand j'ai
salué le signe du Sauveur qui passe, et
l'appel de son amour qui
m'environne ».
Quelqu'un m'interpelle, voix aussi directe
que la voix du Berger qui appelle la brebis par son
nom, que le message apporté par une lettre
qui porte mon adresse : Toi, toi,
suis-moi. Toi qui mourras seul, toi qui dois,
seul, mettre l'huile dans ta lampe, sans compter
sur les lumières d'emprunt, toi qui seras
seul un jour devant ton Dieu, tu as aujourd'hui
à dire à ton Sauveur le oui qu'il
espère, sans attendre la réponse de
l'autre que Dieu saura trouver quand il le voudra
et comme il le voudra.
Il est une mauvaise manière de penser
au prochain. C'est celle de Pierre qui,
à l'instant où le Christ lui
dit : « Tu auras à souffrir
pour moi », se tourne vers Jean :
« Pourquoi pas lui ? ».
Attitude qui fait penser à celle de nos
enfants. La mère demande un service à
l'aîné. Il se tourne vers son
cadet :
« Pourquoi pas
lui ? » Ainsi quand Dieu te
convoque, par un appel qui signifie pour toi,
effort et don de toi-même, et peut-être
larmes et croix, la tentation est grande de te
dire : « Pourquoi donc
moi ? » Mais ce que Dieu veut en te
parlant, ce n'est pas qu'un autre réponde,
c'est que tu répondes, toi.
Il est une bonne manière de penser
à toi, celle qui te pousse à
t'interroger toi-même : « Dieu
m'a invité, vais-je lui
répondre ? » Et quand la
réponse jaillit du coeur :
« Je te suivrai, oh ! Christ, mon
Sauveur », c'est déjà le
salut. Suivre un tel maître, c'est
connaître le Dieu de toutes les victoires,
c'est rencontrer un Sauveur qui a connu toutes les
plénitudes de la joie, toutes les amertumes
de la douleur, et le trouver auprès de soi
à toutes les étapes, c'est entrer
dans la communion de ses souffrances et dans celle
de sa gloire.
- « Et lui, que lui
arrivera-t-il ? Que t'importe ? Toi,
suis-moi ? » Y aurait-il
pourtant quelqu'égoïsme coupable dans
cette attitude du croyant qui,
préoccupé d'apporter à Dieu sa
réponse personnelle, ne s'inquiète
plus de la réponse des autres ? Ne
puis-je pas, comme Pierre se retournant vers Jean,
me retourner vers mon ami, vers mon frère,
vers mon enfant, et demander : « Et
lui ? » N'avons-nous pas à
porter le souci spirituel de ceux qui nous sont
chers ?
Ce qui pour Pierre ne doit pas avoir
d'intérêt essentiel, c'est de
connaître le détail de la
destinée de son compagnon. Qu'importe qu'il
ait une carrière plus facile ou plus longue
que la sienne, qu'il suive exactement le même
sillon
que lui-même ? Ce qui importe, c'est
qu'il s'engage sur le chemin que Dieu lui dictera.
Ainsi quand nous songeons à nos
bien-aimés, nous n'avons pas à
réclamer pour eux les mêmes
épreuves et les mêmes joies que Dieu
nous réserve, ni à leur souhaiter une
vie plus facile ou plus pénible que la
nôtre. Le voeu que nous formons pour eux,
doit être celui-là même que nous
formons pour nous : « Puissent-ils
répondre à l'appel de
Dieu ! » Ce que nous pouvons faire
de plus utile en leur faveur, ce n'est pas de leur
apporter nos volontés, nos reproches et nos
jalousies, nos encouragements et nos
expériences. C'est avant tout de leur
apporter notre témoignage en suivant
nous-mêmes Jésus-Christ. Parents,
anxieux de l'avenir de vos enfants, et qui
dites : « Et eux ? que leur
arrivera-t-il ? » ; ami, qui
voudrais aider tel ami hésitant ou faible,
il est des heures où il convient de revenir
à la simplicité et au sérieux
de l'appel direct de Jésus-Christ, de faire
confiance à Dieu, en ce qui concerne les
autres, et de dire :
« Qu'importe ? J'ai à
répondre, moi, à celui qui me
dit : Toi, suis-moi ». Et
l'éloquence de cette réponse, qui
t'oblige à l'amour et à la
prière, c'est encore la manière la
plus efficace de servir les autres, en
glorifiant ton Dieu.
À l'instant où cette
réponse est donnée, s'évanouit
pour toi la hantise des injustices du sort, et des
mystères du lendemain, noyés dans la
lumière de cette suffisante
certitude :
À la suite du Christ être en
route vers le triomphe, comme lui et avec lui,
être dans la main du Père.
1933.
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