Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

JE VOUDRAIS VOUS SAUVER, MAIS...

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Je voudrais vous sauver, mais votre coeur ne crie pas vers moi.
(Osée VII, 13-15.)

Il y a peu de temps à Paris, dans le quartier de Mont-parnasse, devenu l'un des centres de plaisir de la capitale, vous auriez pu rencontrer un soir, assis sur un banc public, un homme jeune encore, et proprement vêtu, qui avait dressé à ses côtés une pancarte où il avait écrit ces mots : « Tout orgueil a une fin ; je n'ai pas mangé depuis trois jours ». Détresse physique et morale de l'homme vaincu, obligé d'abdiquer sa dignité, défendue avec courage jusqu'aux limites du possible. Et son cri d'alarme, il le jetait là, au milieu d'une foule, en apparence joyeuse, mais au sein de laquelle plusieurs cachaient derrière les masques de la gaieté, l'horrible vide intérieur, et l'agonie de l'âme affamée.

Autour de nous le monde souffre et pleure ; des existences humaines s'abîment dans le désespoir. Les détresses sociales et les ruines morales s'accumulent et s'appellent mutuellement. Notre douleur chrétienne est faite sans doute de notre capacité de sympathie, de notre compassion pour tant de misères, criantes ou secrètes, auxquelles aucun élan de charité ne peut se flatter d'apporter le remède suffisant. Mais ce qui rend notre douleur plus pathétique encore, c'est la protestation de notre foi: « N'est-il pas un Dieu puissant qui veut le salut de ses enfants perdus ? »

Certains consentiront à voir dans le désordre universel une fatalité ou l'inévitable retour d'une de ces crises de l'histoire dont les lois économiques annoncent la réapparition périodique; d'autres attacheront à quelqu'audacieuse réforme des constitutions et des lois l'espoir d'un progrès possible. Vous, chrétiens, vous saisissez le dramatique de la situation humaine, parce qu'au-dessus des faits et des apparences, vous voyez se dresser une personne souveraine qui, de droit, peut jouer le rôle capital, la personne du Dieu vivant qui répète, génération après génération, l'immuable désir de son amour fidèle: « Je voudrais vous sauver ».

Jésus pleure sur la cité aveugle et rebelle; il verse des larmes sur Jérusalem, et voit s'approcher de ses murs l'ombre de la mort, alors qu'il avait voulu lui apporter le salut. Lorsque plane sur un monde, sur un peuple, sur une âme, la menace de la ruine, notre souffrance s'avive à la pensée que Dieu dit encore à leur sujet: « Je voudrais les sauver ». L'obstination d'un pécheur, l'infidélité d'une église, la cécité d'une génération projettent leur tristesse jusqu'au coeur même de l'Invisible. A l'agonie de l'enfant perdu répond le déchirement de l'âme paternelle: « Je voudrais te sauver, mais... ».

Dès avant Jésus-Christ, les prophètes se sont appliqués à préciser la portée de ce : Mais... mélancolique, qui paralyse l'action de l'Éternel.

Au VIIIe siècle avant notre ère, Osée fut à Samarie un annonciateur de la ruine. Loin de lui l'idée que Dieu ne pourrait sauver que des dévots sanctifiés qui auraient satisfait à toutes les exigences minutieuses de la Loi ! Osée a été l'un des premiers à glorifier d'émouvante façon les ressources d'amour qui sont en Dieu. Il compare cet amour divin à l'amour victorieux de l'homme capable de pardonner à l'épouse infidèle qui revient à lui. Ce n'est point un prédicateur impitoyable et dur qui vous parle, c'est un croyant au coeur large ouvert, certain de la miséricorde de son Dieu. Mais il n'en doit pas moins déclarer : Il est des conditions qui ne permettent pas à Dieu de manifester tout son amour.

Je voudrais les sauver, dit l'Éternel ; mais ils me fuient. Le salut est dans une rencontre entre l'homme et Dieu, et beaucoup évitent cette rencontre. Le Christ passe. À son appel : « Toi, suis-moi », les uns se lèvent pour obéir, les autres se dérobent. Le maître de maison fait dire aux invités : « Venez, car tout est Prêt » ( Luc XIV, 17). Mais plusieurs retournent à leur champ, à leurs affaires, à leurs plaisirs.

Fuir loin de Dieu ! programme de Caïn et des Caïns de tous les siècles que leurs crimes amènent à redouter la face du Souverain juge. Mais qui n'a jamais connu cette tentation de fuir loin de Dieu ? L'instinct du moindre effort, la peur du renoncement, la complaisance au péché, vous ont amenés à certaines heures à renier la vraie beauté de vivre.

- Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent - pour rêver d'une existence où vous n'auriez qu'à vous laisser vivre. Recul devant la vocation humaine. Elle ne vous permet ni l'inconscient épanouissement de la fleur des champs, ni le laisser-aller instinctif de la bête, mais elle imprime, au tréfonds de votre être, l'exigence de l'Excelsior divin : « Viens à moi pour triompher de toi-même et du monde, pour vivre comme mon enfant. Car c'est à cela que tu es destiné et c'est là ton salut ».

Ils me fuient... pas uniquement ceux-là qui désertent nos Temples, mais vous aussi, chrétiens. Toujours à nouveau, dans nos paroisses, nous découvrons des frères, qui au moment des angoisses, des tentations, des larmes, se cachent ou se dérobent, comme s'ils avaient peur d'entendre la seule voix qui relève, de rencontrer le seul regard qui guérisse. Ah ! si cette solitude farouche dont s'enveloppe souvent l'homme pécheur ou meurtri était la solitude sainte de la prière ! Mais non ; « ils me fuient », dit l'Éternel. Ils n'entrent point dans le silence de leur chambre pour relire l'Évangile consolateur. C'est dans l'agitation, dans le bruit de la foule, dans les fatigues du sport, dans la futilité des paroles vaines et des plaisirs rapides que beaucoup cherchent à étouffer le remords, le regret ou la crainte. Fuir Dieu ! Ah ! que cela est facile, alors que tant vont et viennent autour de vous, comme s'ils n'avaient jamais connu la soif de Dieu, l'inquiétude religieuse de l'âme. Fuir Dieu ! Comme cela est pourtant impossible finalement à tous ceux qui ont été, une fois au moins, touchés par sa visite, atteints par sa parole, saisis par son Christ. Le jour où ils partent pour éviter sa rencontre, ceux-là savent trop bien que Dieu les attendra demain, à quelque nouveau contour de la route et à l'heure où la fatigue leur aura réappris la prière.


II

« Je voudrais vous sauver... mais vous vous rassemblez pour avoir du blé et du moût, et vous vous éloignez de moi. » Expression antique d'une tendance permanente de la race : le matérialisme pratique, l'envahissement de l'esprit par une unique préoccupation, le manger et le boire, le travail et l'argent. À l'époque d'Osée, Samarie ne connaît qu'une passion, la passion politique, ne discute qu'un problème, celui des alliances à conclure en vue des guerres prochaines. Les prophètes, qui ne sont point des rêveurs perdus dans les nuées du ciel, prennent une large part, comme champions du vrai Dieu, à la vie nationale et ne craignent pas d'intervenir dans les affaires publiques. Mais la question qui est toujours à leurs yeux la première, et toujours la plus urgente, c'est celle de l'état spirituel de leur peuple.

Que l'on se réunisse pour parler des affaires, des récoltes, des intérêts privés et publics, il le faut.
Mais vers quoi marche un peuple où l'on ne s'assemble plus que pour cela, où l'on ne sait plus se retrouver devant Dieu, pour se repentir en face des exigences de sa Loi de justice et d'amour ?

En toute époque difficile, les hommes peuvent s'imaginer que seule importe la question du pain. La conscience populaire a raison de réclamer par la voix de ces enfants du cortège du 1er mai : « Du pain et du travail pour nos papas ! » Mais là où l'illusion commence, c'est là où l'on veut oublier cette vérité : il y aurait du pain s'il y avait de la justice, de la moralité, de l'amour. Il y aurait du pain si Dieu n'était pas méprisé par tous, petits et grands. « Il n'y a que le matériel qui nous intéresse... du pain ! et non point des paroles de Dieu ! » Oh ! folie d'une humanité qui ne voit pas que c'est la seule action de Dieu qui peut faire refleurir la paix et l'amour dans un monde qui meurt par la méfiance, la haine et l'incrédulité.

Nos coeurs se serrent devant les enfants de nos chômeurs. Mais que surgisse aussi le cortège de ceux qui pourraient crier : « Rendez une âme à nos parents ! » Troupe immense des enfants dont les corps débiles, les regards craintifs, les esprits alourdis dénoncent la tyrannie alcoolique qui pèse sur eux, du poids de plusieurs générations ! Et aussi ces nombreux enfants qui dans des berceaux de misère - ou de luxe - se sont éveillés à la vie dans des foyers où nul ne devait leur apprendre à distinguer le bien du mal, et où l'exemple du mensonge ou du vice devait leur être présenté comme une manifestation de l'intelligence qui rend débrouillard !

Dans notre patrie, à l'avant-garde pour tout ce qui touche à l'instruction, à la formation professionnelle, le souci de forger des âmes s'est de plus en plus effacé, en même temps que s'estompait la foi des ancêtres, et dans mainte famille s'est insinuée l'illusion du matérialisme. « Je voudrais les sauver, dit Dieu, mais il est des hommes pour qui gagner est tout - et perdre son âme : peu de chose. Ceux-là sont trop loin de moi pour que mon bras les atteigne et que ma voix les touche. »


III

« Je voudrais les sauver, mais ils disent contre moi des paroles mensongères. » Parmi ceux qui fuient Dieu, en lui tournant le dos, il en est qui se retournent, comme pour narguer l'adversaire qu'ils évitent, et lui adresser insultes ou critiques ironiques. Souvent l'incrédule adopte simultanément deux attitudes contradictoires : Il aime à rire de Dieu comme s'il n'était rien ; à l'attaquer comme s'il était le grand responsable. À lui la faute s'il y a des désastres, des iniquités, des guerres ! Mensonge d'une humanité qui a dit à Jésus : « Nous ne voulons pas que tu règnes sur nous » et qui redoute pour elle l'accomplissement des menaces divines : Hors de l'obéissance à ma Loi, il n'y aura ni paix, ni espérance pour toi.

L'homme a parcouru toute la gamme des mensonges contre Dieu et ne cesse de la reparcourrir. Voici une des formes les plus populaires aujourd'hui de ce que j'appelle les calomnies antichrétiennes : « Le Christ n'a rien changé dans le monde ». Et ce qui m'alarme, c'est moins de voir qu'il existe des colporteurs du mensonge, mais c'est de constater combien sont rares les âmes imperméables à ce mensonge, capables de discerner elles-mêmes le vrai du du faux. Moutons dans le troupeau, beaucoup d'hommes après avoir timidement réagi contre l'erreur proclamée ou imprimée, finissent par être gagnés par la contagion et par se dire. « Si tant de gens répètent cela, c'est peut-être bien la vérité ».

Ah ! si la majorité seule devait décider du vrai et du faux, le christianisme eût été mort-né. Si vous êtes aujourd'hui chrétiens, c'est parce qu'aux jours anciens, quelques consciences, sourdes aux cris de la foule : « Le Christ est un imposteur ! », ont maintenu face au monde incrédule et hostile, la vérité qui avait brillé dans leurs ténèbres : « Celui-ci est le Sauveur ! »

Ne laissez pas monter contre le ciel l'assaut des mensonges de l'impiété. Si vous demeurez près de l'Eglise vivante, si vous travaillez dans ses oeuvres, saluez ses victoires, communiez avec les âmes qui prient et qui luttent, si vous vous approchez des relevés du Christ, des consolés par l'Évangile. si vous lisez les bulletins de victoire de l'Eglise missionnaire, et saluez au loin comme au près les miracles de l'Esprit, vous ne risquerez plus de céder au flot, qui chez nous aussi, voudrait noyer dans l'oubli du mépris le nom sacré de Jésus-Christ.




Pourtant même chez les fidèles, peut exister le péril d'opposer au Dieu qui veut notre salut des paroles mensongères. Mensonge du disciple ingrat. Voici que sonne l'heure de la déception, de la vieillesse, de l'amertume, du deuil. Sauras-tu dire : « Quoi, nous recevrions de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal ! » ( Job II, 10.) Vous avez connu de ces âmes fortes - et quel souvenir que celui de ces rencontres-là - qui, au moment des plus cruels dépouillements, avec cette lucidité intérieure qui éclaire le vrai paysage d'une existence, continuaient à compter les bienfaits de Dieu, à évoquer les heures lumineuses, à scruter le sens secret de l'épreuve, a dire oui à leur souffrance avec une sérénité paisible et grave. Mais combien d'autres descendues dans la vulgarité de l'égoïsme, n'ont-elles pas consenti à ne plus parler de Dieu que comme d'un ennemi, d'un injuste, d'un absent - oublieuses de l'exemple du Crucifié.

Mensonge du disciple léger. Voici l'homme qui n'a pas besoin que le Sauveur vienne, puisque, satisfait, il ne présente plus au ciel d'autre prière que le monologue de son orgueil. Le pharisien rend grâce de ce que tout va pour le mieux chez lui ( Luc XVIII, 11.) - les bien portants n'ont nul désir de la visite du médecin divin.

Ah ! Si le salut signifie une vie dans la paix et dans la plénitude, une vie dans laquelle le pardon a purifié tout le passé, et a ouvert un avenir où tout est amour et joie, vous ne mentirez pas à Dieu. en lui disant : « Je n'ai plus besoin que tu viennes chez moi ». Vous ne déguiserez pas votre misère. Vous serez vrais devant Celui qui est la vérité et il accourra à vous comme un Sauveur.


IV

« Je voudrais vous sauver, mais votre coeur ne crie pas vers moi ! » Voilà la parole décisive qui vous pose à tous la question capitale. Vous n'êtes pas de ceux qui disent : Fuyons Dieu, ni de ceux qui s'éloignent de Lui pour ne vivre qu'une existence purement matérielle, ni de ceux qui se plaisent dans les discours mensongers. Soit ! Mais êtes-vous de ceux dont le coeur crie vers Lui ?

Dieu ! le cri de mon coeur ! Ah ! qu'elle est humaine dans sa grandeur cette expression biblique. Dans le livre saint, dans les pages brûlantes des prophètes, dans l'Évangile de l'amour, Dieu n'est pas le terme ultime d'une savante ascension, le dernier mot d'une intelligence qui après avoir scruté les mystères de l'univers nommerait Dieu la puissance inconnue qui s'y exprime. Dieu n'est pas le Souverain lointain que je ne connaîtrai jamais, mais qui par l'intermédiaire de messagers accrédités, me dicte une règle de conduite. compliquée d'un programme de cérémonies auquel j'ai à me soumettre pour éviter le malheur et l'enfer. Que pour d'autres, Dieu soit une idole sociale ou intellectuelle, pour vous, chrétiens, c'est le Père, le Dieu qui répond au cri de votre coeur, de ce coeur de chair dont la vie est d'aimer et d'être aimé, de ce coeur blessé, que les plus nobles, les plus grandes affections laissent encore altéré d'un autre amour, celui qui participerait à la sainteté du ciel et à son éternité.

Comment ne répondrait-elle pas au Dieu de l'Évangile, votre âme profonde qui sait bien que tout ce qui est accordé à la haine, à l'égoïsme, à la méchanceté, est donné à la mort, et que la flamme de la vie, c'est l'amour ?

« Je voudrais vous sauver, mais j'attends que votre coeur crie vers moi ! » Nous comprendrions que le coeur humain opposât son silence à un Dieu qui ne parlerait que pour ordonner et menacer ; mais voici un Dieu qui parle pour sauver ! En Christ son amour brise toutes les séparations des castes, des races, des sagesses humaines, et étend ses bras sur la terre entière, pour répéter bientôt, dans toutes les langues, l'unique message : Je veux te sauver ! L'Esprit et le feu de la Pentecôte propagés d'âge en âge veulent apporter la grande nouvelle à tous, au païen, à l'esclave, au coupable, au captif, à l'enfant. À tous, la possibilité s'ouvre d'une vie affranchie dans la lumière.

Il semblerait que de la terre entière dussent s'élever dans un concert unanime les voix accordées des créatures émues : « Seigneur, nous venons à toi ! »




Hélas, dans les églises du Christ, comme dans la Samarie de jadis, il se trouve des hommes dont les lèvres murmurent les prières traditionnelles, dont les oreilles entendent les paroles inspirées, mais dont le coeur ne s'est point encore éveillé.

« Je voudrais vous sauver... Oh ! cette attente de Dieu - dans cette parole discrète, qui exprime un voeu, un espoir. Pour que le salut soit réel, il faut que le coeur l'appelle. Ce cri du coeur, c'est la part de l'homme dans la réalisation du salut.

Là où il jaillit des profondeurs de l'être, là s'opère le miracle. Dans l'histoire évangélique et dans l'histoire chrétienne, il est des âmes qui ont été sauvées par un cri : appel de l'âme en détresse implorant le pardon, appel de l'homme touché par la Grâce et qui se lève comme à l'aurore d'un jour nouveau le jour du départ pour la vie !

Ce cri du coeur, des jeunes, pour l'avoir poussé dans les matins ensoleillés de leur adolescence, ont été gardés pour toujours, engagés à jamais sur le chemin de la victoire. Ce cri du coeur, d'autres, après avoir longtemps erré, âmes partagées, et esprits incertains, l'ont senti monter en eux, alors que s'allongeaient déjà les ombres du soir.

Je voudrais vous sauver. Il est des jours, oh ! Père, où nous nous savons sauvés, alors que te regardant en Christ nous nous sentons au bénéfice de ta Grâce et de ton pardon. Mais parfois aussi, la flamme baisse en nous ; nos désirs se dirigent vers ce qui passe et ce qui lasse et nous nous découvrons trop pauvres en amour, trop peu zélés à ton service pour oser te dire : « Nous crions à Toi ». Viens réveiller en nous la soif de la vie divine, Et permets que dans l'Eglise et dans le monde revienne bientôt une de ces grandes époques de l'Esprit, un temps où ce soit vraiment vers toi que montent le cri des âmes, et l'appel des foules sans berger, au-dessus desquelles nous voyons paraître sur les montagnes de l'avenir, comme jadis sur celles du passé, le Christ d'amour, venu de ta part pour le salut du monde.

1936.

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