Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

À celle
dont l'exemple m'a sans cesse redit :
" Nul ne vit pour soi-même. "



AVERTISSEMENT


Ce volume - avec son titre - était sous presse au moment de la mobilisation. La "tourmente" est devenue la tempête.
Si le prédicateur chrétien doit trouver, en temps de guerre, de nouveaux accents, ces pages affirmeront du moins que nous avons déjà été hier dominés par l'angoisse et par l'espérance qui demeurent aujourd'hui les nôtres.





L'APPEL DE L'AMOUR

I

LE STYLE DE L'ESPRIT


Un langage spirituel pour les choses spirituelles.
(I Cor. II, 13.)

Lire
Jean VI, 63 ; 1 Cor. II ; XIII, 1-3.

Nous aussi, protestants genevois, raisonnables et prudents, nous commençons à comprendre que le devoir du témoignage est le devoir de chacun. Les pasteurs n'ont pas le monopole du langage de Dieu ; pour que notre Eglise devienne conquérante, tout fidèle doit oser et savoir parler de sa foi.

Devoir difficile, et pas seulement à cause de ce qui subsiste en vous de timidité ou de lâcheté. Le langage religieux n'est pas facile à manier, et plus d'un a pu s'y essayer qui s'est vite découragé de se voir incompris et de constater la stérilité de sa bonne intention.

Je ne pense pas ici à votre échec auprès de matérialistes endurcis, étrangers à toute préoccupation supérieure, en qui s'affirme seul l'être naturel que l'apôtre désigne par ce mot cruel et vrai : « l'homme animal », à qui les réalités divines sont pure folie. Mais je songe bien plutôt à ceux que vous devinez altérés de vérité, de progrès et de lumière. En face de tel ami, de tel enfant, de tel frère malheureux, il vous est arrivé de dire : « Ah ! si j'avais su mieux traduire ma conviction, mieux exprimer les certitudes et la paix qui me viennent de Dieu, n'aurais-je pas pu vraiment l'aider, le consoler, l'orienter vers mon Sauveur ? »

Essayons à l'école de l'Écriture, et à celle de Jésus de retrouver le secret de savoir parler des choses de Dieu dans le seul style qui leur soit approprié : le style de l'Esprit !

Parler spirituellement des choses spirituelles, c'est en parler dans le langage de la vie, de la poésie. de l'amour.


I

Mes paroles, dit le Christ, sont esprit et vie (Jean VI, 63.), - vivantes parce que vécues, vivifiantes parce que vivantes.

Et que ne répète-t-on pas à propos de notre patois de Canaan, de notre théologie morte, de notre vocabulaire pieux ? Livre religieux : livre ennuyeux ! Discussions doctrinales : subtilités absurdes sur des problèmes insolubles ou même imaginaires ! Litanies des prêtres et liturgies traditionnelles : vaines redites, ou formules pétrifiées, héritage périmé d'époques révolues ! Dans ces jugements massifs et sans nuances se mêlent le vrai et le faux.

Ceux qui ont forgé le langage de notre piété ont usé de mots qui pour eux étaient pleins de sève, et débordants de puissance. Lisez les plus belles pages de Luther et de Calvin, pénétrez dans l'intimité des hommes du Réveil qui ont composé tant de nos cantiques. Voyez de quel drame personnel ont jailli les doctrines comme celles du péché et de la grâce chez St Augustin, ou de la conversion nécessaire chez Wesley, et vous conviendrez que les grands croyants, tout comme les inspirés de la Bible, ont vécu ce qu'ils ont enseigné. D'ailleurs de quel droit reprocher au chrétien, qui fait des expériences nouvelles, ignorées de l'incrédule, de recourir pour traduire ce qu'il a appris à connaître à des mots qui n'ont pas cours dans le monde : « nouvelle naissance, salut, rédemption, Grâce ? » L'Eglise chrétienne a son alphabet, nécessairement indéchiffrable à ceux qui n'ont pas la foi.

N'y a-t-il pourtant rien qui nous puisse troubler dans l'ironie méprisante que tant de contemporains opposent à notre prédication ?

Ah ! que certains autour de nous haussent les épaules et se bouchent les oreilles quand ils entendent parler justice et jugement, charité et pardon, voilà qui ne fait que dénoncer leur péché. Mais que d'autres nous demandent compte du temps que nous passons - tandis que le monde souffre et s'égare - à opposer chapelle à chapelle, formule à formule, à nous évader hors de la terre et loin du présent pour disserter sur les mystères du Ciel, pour nous réfugier dans les pierres du passé ou pour nous noyer dans les brumes de l'avenir ! voilà ce qui dénonce notre péché à nous.

Il faut que des chrétiens poursuivent librement, et au bénéfice de tous, le travail théologique, c'est-à-dire l'effort intellectuel pour approfondir le sens des textes sacrés et des pensées de Dieu qui s'y trouvent exprimées. Mais la langue de la piété est plus près de la vie que la langue des écoles. L'enfant, comme l'oiseau, chante sa chanson joyeuse sans avoir appris les règles de l'harmonie. Le langage de la foi n'est pas celui de la théorie religieuse, il est le langage vivant et spontané de l'âme qui prie, qui adore et qui dit à son Sauveur sa ferveur et sa reconnaissance.

Le risque terrible de celui qui veut parler le langage spirituel, c'est d'exprimer par ses lèvres un autre message que celui qui se dégage de sa vie. Les pierres de scandale dans l'Eglise, celles sur qui trébuchent parfois ceux qui sont en route vers Dieu, ne sont pas uniquement dans telle ou telle chute déplorable d'un frère qui se croyait debout. Mais voici l'homme (le serviteur impitoyable dénoncé par Jésus), qui aime à répéter : Dieu m'a pardonné, gloire à son nom!... et qui se montre intraitable et dur à l'égard d'un frère dans la détresse. Voici un converti de hier qui se prétend donné à Dieu, et dès lors transformé, et ses proches retrouvent en lui la même avarice et le même égoïsme qui ont fait jusqu'ici leur tourment. Voici le chrétien mort au monde et qui le manifeste par la raideur de son jugement à l'égard de ceux qui recherchent des honneurs et des plaisirs qu'il méprise ; et le péché s'est gardé pourtant chez lui une chambre secrète, il s'est réservé ses idoles.

Si le vocabulaire de l'Eglise paraît à beaucoup artificiel, conventionnel, trompeur, c'est bien aussi à cause de vos trahisons. Qui oserait prétendre en lisant les biographies d'un François d'Assise ou d'un Coillard, d'un Vinet ou d'un général Booth que les mots de conversion et de sanctification sont des vases creux, et ne cachent que du vide ? Et n'avez-vous pas tous rencontré quelques-uns de ces témoins qui possédaient, eux, le droit de parler le langage spirituel, parce que leur vie tout entière révélait la Présence suprême ?

Pour avoir entendu les lèvres d'un malade torturé, ou d'un solitaire abandonné murmurer : « Dieu est bon ! » vous avez saisi ce qu'est la folie de la foi, plus sage que la sagesse des hommes. Pour avoir pénétré dans un foyer, jadis ravagé par le désordre et la méfiance, et y avoir respiré aujourd'hui l'atmosphère de la confiance et de la paix, vous avez compris ce que peut signifier mourir et renaître.

« Vous êtes, écrit saint Paul aux chrétiens de Corinthe, une lettre de Christ, écrite avec l'Esprit du Dieu vivant non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » ( II Cor. III, 2-3.). Oui, écrite avec l'esprit qui vivifie et donne seul leur sens aux mots sacrés. La parole pieuse qui n'est pas commentaire d'une vie chrétienne est une de ces vanités par lesquelles vous pourrez réussir à vous tromper vous-mêmes sans parvenir à tromper les autres.

Parler spirituellement des choses de l'Esprit, c'est tout d'abord apporter le message d'une âme soumise au Dieu de Jésus-Christ, et qui l'annonce par tout ce qui peut lui servir de moyens d'expression : ses pensées, ses actes, ses accents. Parler de la vie par la vie ! Voilà ce qu'attend de nous le Dieu vivant.


II

Le style religieux, c'est le style de la poésie.
Cette affirmation a-t-elle de quoi vous surprendre ? Qu'il vous suffise donc de songer et aux origines du langage humain, et au style de la Bible.
L'enfant commence par s'emparer poétiquement des choses, en leur donnant une âme, et les associe par les jeux de sa fantaisie, avant de passer par l'école des connaissances exactes.
Ainsi l'humanité naissante s'est créé des systèmes d'images, de signes, de symboles. Sa première littérature a été poétique ; et l'on a pu dire que tout notre langage n'est que « de la poésie fossilisée » (1).

Certes quand il s'agit de la nature nous savons le progrès qu'a signifié l'avènement des sciences avec leurs lois et leurs techniques. Mais nous ne prétendons pas abolir la manière intuitive et directe de pénétrer les réalités qui nous entourent. Les poètes et les artistes ne contemplent pas les êtres et les choses pour les asservir à quelque but pratique, mais pour nous dire leur message secret, leur beauté, leur mystère. Nous les en remercions. Et nous nous félicitons d'entendre un savant pédagogue de notre pays réclamer à l'école la place de la poésie, initiatrice de la plus profonde humanité (2).

Lorsqu'il s'agit du monde invisible dans lequel baigne notre univers, et dans lequel respire notre âme, quel langage choisir si ce n'est celui de la poésie ? Enfermer Dieu dans l'angle de nos compas, le soumettre à notre architecture logique, l'emprisonner pour nous servir de Lui, comme rêvent de le faire les magiciens de tous les siècles ? Mais non : « Dieu est grand, mais sa grandeur nous échappe... » Nous ne le voyons pas face à face ; mais il nous est donné de saisir ici-bas les reflets de sa majesté, les images de sa présence.
C'est à cela que nous invite notre Bible.

Livre de théologie ? tout d'abord : Livre d'histoire et aussi livre de poésie. À la première page : le Verbe créateur retentit sur l'abîme et l'Univers émerge de la nuit. À la dernière page : l'illumination du Ciel, où il n'est plus ni mort, ni cri, ni douleur, car toutes les choses anciennes ont disparu. Ténèbres des origines premières, accomplissement des gloires éternelles... Seule la poésie peut nous faire toucher cet inaccessible.

Relisez les visions des prophètes, écoutez les accents du Psalmiste dominés par cette invitation : « Que ma langue, ô Éternel, chante ta parole ! » Parole de Dieu ! non pas un verbe à réciter, un texte a disséquer, mais un hymne à entonner. Comme si elle éprouvait elle-même ses limites, la poésie religieuse tend la main à ce langage sans paroles, la musique, pour lui emprunter des ailes.

Mais surtout reprenez l'Évangile. Les paraboles de Jésus ! sommet de la poésie où la simplicité s'unit a la profondeur. L'enfant s'émeut en face de la Brebis perdue et du Bon Samaritain, et nous, perpétuels enfants devant le Père qui est aux cieux, jusqu'à l'heure du soir nous voyons s'ouvrir de nouvelles perspectives et de nouveaux horizons, à travers ces pages où palpite un monde. À la fin de sa course, les disciples disent au Maître : « Maintenant tu parles ouvertement et sans paraboles... » ( Jean XVI, 29)

Ils n'avaient raison qu'à moitié. Lorsque Jésus révéla aux siens les secrets de sa vie intime, et le lien qui unit le Fils au Père, avait-il vraiment donné congé à ces véhicules de l'Esprit que sont l'image et le symbole ? Un Père, et des frères. Le berger qui donne sa vie. Le libérateur qui paie la rançon. Le corps et le sang que figurent le pain et le vin. Tout l'Évangile - du baptême à la Cène, de la parabole du Semeur à celle des Vignerons qui mettent à mort l'héritier - enseigne par la poésie.

Ne l'oublions pas. C'est par là que la Bible parle aux jeunes, c'est encore par là qu'elle parle à ceux qui fatigués par la prose humaine, fût-elle prose religieuse, en arrivent à dire : Que pouvons-nous affirmer de Dieu qui dépasse les vieux symboles : le Roi, le Berger, le Père ? Pourquoi chercherions-nous une autre méthode que celle du Sauveur qui lit dans le livre de la nature, et trouve dans les labeurs de l'homme, dans les jeux de l'enfant, dans les événements du foyer et de l'histoire, les signes de la présence active de Dieu ? Et c'est avec ces pauvres mots que nous livrent la rue, le quotidien, le familier, ô Père ! que tu nous demandes de chanter ta parole.

Je connais l'objection. La religion de la poésie n'est-elle pas la piété vague, sans arêtes ni contours, qui permet à l'homme de douter au lieu de croire, de rêver au lieu de lutter ? Mais nous ne recommandons pas la religion de la poésie, mais bien la poésie de la religion, ce qui est tout différent. Rien de plus insensé que de substituer à la piété une forme quelconque d'art. Tu n'adoreras ni la beauté, ni la musique, ni la poésie. Tu adoreras Dieu. Et ce Dieu a fait autre chose que nous laisser deviner son mystère à travers les dessins de nos désirs et de nos songes : il s'est révélé dans des faits. Il a mis sa signature sur l'œuvre de sa création, vêtement visible de sa gloire ; il nous a donné dans la conscience et dans l'histoire la claire révélation de sa Loi ; il est apparu en Christ pour nous dire son vrai nom : le Père. Il n'a rien de la divinité imprécise, anonyme, inconnue qui autorise les cultes de toutes nos fantaisies.

Mais pour parler de cet Esprit souverain qui est plus grand que notre cœur et plus grand que le monde, le meilleur langage sera celui qui respecte son mystère, tout en exprimant sa splendeur. Nous ne voulons ni la prose du doctrinarisme étroit qui étiquette et définit les vérités religieuses comme on étiquette et définit des corps chimiques, ni la prose du rationalisme qui veut tout expliquer et tout ramener à la mesure de l'homme. Gardons le langage par lequel l'enfant parle de ce qui le dépasse, l'humanité de ce qui la domine et l'Eglise de son invisible Roi, le style de la Bible, le style de Jésus : le style de la poésie.


III

Où est le chef-d'œuvre du style chrétien ? Dans le langage de l'amour. St Paul qui fut par vocation le premier missionnaire et le premier théologien de l'Eglise naissante, a souvent éprouvé l'impuissance des mots ; il ne sait comment traduire les accents entendus en certaines heures de ravissement, alors qu'il se sentait transporté dans les cieux. Ce sentiment du mystère de Dieu - ô profondeur ! ô abîme ! - lui a inspiré les accents du poète. Il lui a aussi permis d'approuver ce parler en langues qui, à Corinthe, comme lors de la première Pentecôte, amenait les nouveaux convertis du Christ à entrecouper leurs discours de soupirs, de cris, de murmures indistincts - phénomènes semblables à ceux qui plus tard ont caractérisé certains mouvements de réveil et d'enthousiasme. St Paul respecte les ferveurs de l'extase, ces transports délirants de ces vaincus de Dieu qui semblent balbutier, par anticipation, quelque dialecte céleste ! Langage spirituel ?

Pourtant un regard sur Jésus l'empêche de voir là le don suprême de l'Esprit. C'est Jésus qui lui inspire le cantique de la charité :
« Quand je parlerais toutes les langues des hommes et toutes celles des anges langues des hommes : sagesse, science et art langues de  Dieu : piété, Bible, théologie, et langues inconnues  que s'essayent à parler les disciples en prière -  si je n'ai pas la charité, c'est-à-dire l'amour divin en mon cœur, je ne suis qu'un airain qui résonne, une cymbale qui retentit. »

Oui, voilà ce qu'il dit lui, le prédicateur, lui le penseur. Il connaît la langue sacrée des Écritures, l'Hébreu, et la langue internationale de son siècle, le Grec ; il possède l'art de s'adresser au savant et à l'ignorant, de se faire comprendre de ceux qui sont des novices dans la foi et celui d'entraîner les âmes possédées par l'Esprit à tout sonder, même les profondeurs de Dieu. Mais il s'est arrêté devant son Sauveur, il le voit penché sur les humbles et les pécheurs, il le voit qui montre le ciel en disant : « Mon Père et votre Père ! » Il le voit comme celui qui sert au milieu de son peuple, capable d'aimer jusqu'à la fin et jusqu'à donner sa vie. Et alors, à ces Corinthiens qui discutent de la valeur relative des différentes manifestations de l'Esprit : la prophétie, le don de guérir, le don des langues, tandis que s'insinuent encore en leurs cœurs la haine et l'orgueil, il écrit : Je vais vous montrer la voie par excellence : c'est l'amour ; si vous ne la suivez pas, votre voix est semblable à celle de l'airain qui résonne, d'une vibration rapide, en un instant évanoui.

Que le langage de votre piété soit celui de l'amour, expression suprême de la vie et dans sa réalité et dans sa poésie. Que ma langue puisse chanter, ô Dieu, ta parole, et ta suprême parole, celle que tu as prononcée sur nous en Jésus-Christ : La parole de l'amour qui descend pour servir, qui se donne et qui pardonne, qui souffre et qui se sacrifie, qui illumine le monde en mourant. Il n'est pas de plus grand amour.

Et ce sont quelques-uns de ses rayons qui doivent, à travers votre témoignage, annoncer dans nos ténèbres présentes, les aurores futures.

Invités à implorer sur l'Eglise et sur vous la visite du Saint-Esprit, demandez que soit exaucée en vous la prière de Jésus : « Père que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux » - et alors vous irez vers vos frères, capables de parler des choses de l'Esprit, dans le langage de l'Esprit ; portant comme des flambeaux dans le monde la parole de Vie, fille de l'amour et créatrice de l'amour !


1. Emerson. 

2. Louis MEYLAN : Les Humanités et la personne. Lausanne, 1939.
- Table des matières Chapitre suivant