Ce volume - avec son titre - était sous presse au moment de la mobilisation. La "tourmente" est devenue la tempête.
Si le prédicateur chrétien doit trouver, en temps de guerre, de nouveaux accents, ces pages affirmeront du moins que nous avons déjà été hier dominés par l'angoisse et par l'espérance qui demeurent aujourd'hui les nôtres.
Un langage spirituel pour les choses
spirituelles.
(I
Cor. II, 13.)
Lire Jean
VI, 63 ; 1
Cor. II ; XIII,
1-3.
Nous aussi, protestants genevois, raisonnables et prudents, nous
commençons à comprendre que le devoir du témoignage est le
devoir de chacun. Les pasteurs n'ont pas le monopole du langage de
Dieu ; pour que notre Eglise devienne conquérante, tout fidèle
doit oser et savoir parler de sa foi.
Devoir difficile, et pas seulement à cause de ce qui
subsiste en vous de timidité ou de lâcheté. Le langage religieux n'est
pas facile à manier, et plus d'un a pu s'y essayer qui s'est vite
découragé de se voir incompris et de constater la stérilité de sa
bonne intention.
Je ne pense pas ici à votre échec auprès de matérialistes
endurcis, étrangers à toute préoccupation supérieure, en qui s'affirme
seul l'être naturel que l'apôtre désigne par ce mot cruel et
vrai : « l'homme animal », à qui les
réalités divines sont pure folie. Mais je songe bien plutôt à ceux que
vous devinez altérés de vérité, de progrès et de lumière. En face de
tel ami, de tel enfant, de tel frère malheureux, il vous est arrivé de
dire : « Ah ! si j'avais su mieux traduire ma
conviction, mieux exprimer les certitudes et la paix qui me viennent
de Dieu, n'aurais-je pas pu vraiment l'aider, le consoler, l'orienter
vers mon Sauveur ? »
Essayons à l'école de l'Écriture, et à celle de Jésus de
retrouver le secret de savoir parler des choses de Dieu dans le seul
style qui leur soit approprié : le style de l'Esprit !
Parler spirituellement des choses spirituelles, c'est en
parler dans le langage de la vie, de la poésie. de l'amour.
Mes paroles, dit le Christ, sont esprit et vie (Jean
VI, 63.), - vivantes parce que vécues, vivifiantes parce que
vivantes.
Et que ne répète-t-on pas à propos de notre patois de
Canaan, de notre théologie morte, de notre vocabulaire pieux ?
Livre religieux : livre ennuyeux ! Discussions
doctrinales : subtilités absurdes sur des problèmes insolubles ou
même imaginaires ! Litanies des prêtres et liturgies
traditionnelles : vaines redites, ou formules pétrifiées,
héritage périmé d'époques révolues ! Dans ces
jugements massifs et sans nuances se mêlent le vrai et le faux.
Ceux qui ont forgé le langage de notre piété ont
usé de mots qui pour eux étaient pleins de sève, et débordants de
puissance. Lisez les plus belles pages de Luther et de Calvin,
pénétrez dans l'intimité des hommes du Réveil qui ont composé tant de
nos cantiques. Voyez de quel drame personnel ont jailli les doctrines
comme celles du péché et de la grâce chez St Augustin, ou de la
conversion nécessaire chez Wesley, et vous conviendrez que les
grands croyants, tout comme les inspirés de la Bible, ont
vécu ce qu'ils ont enseigné. D'ailleurs de quel droit reprocher
au chrétien, qui fait des expériences nouvelles, ignorées de
l'incrédule, de recourir pour traduire ce qu'il a appris à connaître à
des mots qui n'ont pas cours dans le monde : « nouvelle
naissance, salut, rédemption, Grâce ? » L'Eglise
chrétienne a son alphabet, nécessairement indéchiffrable à ceux
qui n'ont pas la foi.
N'y a-t-il pourtant rien qui nous puisse troubler dans
l'ironie méprisante que tant de contemporains opposent à notre
prédication ?
Ah ! que certains autour de nous haussent les
épaules et se bouchent les oreilles quand ils entendent parler justice
et jugement, charité et pardon, voilà qui ne fait que dénoncer leur
péché. Mais que d'autres nous demandent compte du temps que nous
passons - tandis que le monde souffre et s'égare - à opposer chapelle
à chapelle, formule à formule, à nous évader hors de la terre et loin
du présent pour disserter sur les mystères du Ciel, pour nous réfugier
dans les pierres du passé ou pour nous noyer dans les brumes de
l'avenir ! voilà ce qui dénonce notre péché à nous.
Il faut que des chrétiens poursuivent librement, et au
bénéfice de tous, le travail théologique, c'est-à-dire
l'effort intellectuel pour approfondir le sens des textes sacrés et
des pensées de Dieu qui s'y trouvent exprimées. Mais la langue de
la piété est plus près de la vie que la langue des écoles.
L'enfant, comme l'oiseau, chante sa chanson joyeuse sans avoir appris
les règles de l'harmonie. Le langage de la foi n'est pas celui de la
théorie religieuse, il est le langage vivant et spontané de l'âme qui
prie, qui adore et qui dit à son Sauveur sa ferveur et sa
reconnaissance.
Le risque terrible de celui qui veut parler le langage
spirituel, c'est d'exprimer par ses lèvres un autre message que
celui qui se dégage de sa vie. Les pierres de scandale dans
l'Eglise, celles sur qui trébuchent parfois ceux qui sont en route
vers Dieu, ne sont pas uniquement dans telle ou telle chute déplorable
d'un frère qui se croyait debout. Mais voici l'homme (le serviteur
impitoyable dénoncé par Jésus), qui aime à répéter : Dieu m'a
pardonné, gloire à son nom!... et qui se montre intraitable et dur à
l'égard d'un frère dans la détresse. Voici un converti de hier qui se
prétend donné à Dieu, et dès lors transformé, et ses proches
retrouvent en lui la même avarice et le même égoïsme qui ont fait
jusqu'ici leur tourment. Voici le chrétien mort au monde et qui le
manifeste par la raideur de son jugement à l'égard de ceux qui
recherchent des honneurs et des plaisirs qu'il méprise ; et
le péché s'est gardé pourtant chez lui une chambre secrète, il s'est
réservé ses idoles.
Si le vocabulaire de l'Eglise paraît à beaucoup
artificiel, conventionnel, trompeur, c'est bien aussi à cause de vos
trahisons. Qui oserait prétendre en lisant les biographies d'un
François d'Assise ou d'un Coillard, d'un Vinet ou d'un général Booth
que les mots de conversion et de sanctification sont des vases creux,
et ne cachent que du vide ? Et n'avez-vous pas tous rencontré
quelques-uns de ces témoins qui possédaient, eux, le droit de
parler le langage spirituel, parce que leur vie tout entière
révélait la Présence suprême ?
Pour avoir entendu les lèvres d'un malade torturé, ou
d'un solitaire abandonné murmurer : « Dieu est
bon ! » vous avez saisi ce qu'est la folie de la foi, plus
sage que la sagesse des hommes. Pour avoir pénétré dans un foyer,
jadis ravagé par le désordre et la méfiance, et y avoir respiré
aujourd'hui l'atmosphère de la confiance et de la paix, vous avez
compris ce que peut signifier mourir et renaître.
« Vous êtes, écrit saint Paul aux chrétiens
de Corinthe, une lettre de Christ, écrite avec l'Esprit du Dieu
vivant non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair,
sur vos cœurs » ( II
Cor. III, 2-3.). Oui, écrite avec l'esprit qui vivifie et donne
seul leur sens aux mots sacrés. La parole pieuse qui n'est pas
commentaire d'une vie chrétienne est une de ces vanités par lesquelles
vous pourrez réussir à vous tromper vous-mêmes sans parvenir à tromper
les autres.
Parler spirituellement des choses de l'Esprit, c'est tout
d'abord apporter le message d'une âme soumise au Dieu de Jésus-Christ,
et qui l'annonce par tout ce qui peut lui servir de moyens
d'expression : ses pensées, ses actes, ses accents. Parler de
la vie par la vie !
Voilà ce qu'attend de nous le Dieu vivant.
Le style religieux, c'est le style de la poésie.
Cette affirmation a-t-elle de quoi vous surprendre ?
Qu'il vous suffise donc de songer et aux origines du langage
humain, et au style de la Bible.
L'enfant commence par s'emparer poétiquement des choses,
en leur donnant une âme, et les associe par les jeux de sa fantaisie,
avant de passer par l'école des connaissances exactes.
Ainsi l'humanité naissante s'est créé des
systèmes d'images, de signes, de symboles. Sa première littérature a
été poétique ; et l'on a pu dire que tout notre langage n'est que
« de la poésie fossilisée » (1).
Certes quand il s'agit de la nature nous savons le
progrès qu'a signifié l'avènement des sciences avec leurs lois et
leurs techniques. Mais nous ne prétendons pas abolir la manière
intuitive et directe de pénétrer les réalités qui nous entourent. Les
poètes et les artistes ne contemplent pas les êtres et les choses pour
les asservir à quelque but pratique, mais pour nous dire leur message
secret, leur beauté, leur mystère. Nous les en
remercions. Et nous nous félicitons d'entendre un savant pédagogue de
notre pays réclamer à l'école la place de la poésie, initiatrice de la
plus profonde humanité (2).
Lorsqu'il s'agit du monde invisible dans lequel baigne
notre univers, et dans lequel respire notre âme, quel langage choisir
si ce n'est celui de la poésie ? Enfermer Dieu dans l'angle de
nos compas, le soumettre à notre architecture logique, l'emprisonner
pour nous servir de Lui, comme rêvent de le faire les magiciens de
tous les siècles ? Mais non : « Dieu est grand, mais
sa grandeur nous échappe... » Nous ne le voyons pas face à
face ; mais il nous est donné de saisir ici-bas les reflets de sa
majesté, les images de sa présence.
C'est à cela que nous invite notre Bible.
Livre de théologie ? tout d'abord : Livre
d'histoire et aussi livre de poésie. À la première page :
le Verbe créateur retentit sur l'abîme et l'Univers émerge de la nuit.
À la dernière page : l'illumination du Ciel, où il n'est plus ni
mort, ni cri, ni douleur, car toutes les choses anciennes ont disparu.
Ténèbres des origines premières, accomplissement des gloires
éternelles... Seule la poésie peut nous faire toucher cet
inaccessible.
Relisez les visions des prophètes, écoutez les accents du
Psalmiste dominés par cette invitation : « Que ma langue,
ô Éternel, chante ta parole ! » Parole de Dieu !
non pas un verbe à réciter, un texte a disséquer, mais un hymne à
entonner. Comme si elle éprouvait elle-même ses
limites, la poésie religieuse tend la main à ce langage sans paroles,
la musique, pour lui emprunter des ailes.
Mais surtout reprenez l'Évangile. Les paraboles
de Jésus ! sommet de la poésie où la simplicité s'unit a la
profondeur. L'enfant s'émeut en face de la Brebis perdue et du Bon
Samaritain, et nous, perpétuels enfants devant le Père qui est aux
cieux, jusqu'à l'heure du soir nous voyons s'ouvrir de nouvelles
perspectives et de nouveaux horizons, à travers ces pages où palpite
un monde. À la fin de sa course, les disciples disent au Maître :
« Maintenant tu parles ouvertement et sans paraboles... »
( Jean
XVI, 29)
Ils n'avaient raison qu'à moitié. Lorsque Jésus révéla
aux siens les secrets de sa vie intime, et le lien qui unit le Fils au
Père, avait-il vraiment donné congé à ces véhicules de l'Esprit que
sont l'image et le symbole ? Un Père, et des frères. Le
berger qui donne sa vie. Le libérateur qui paie la rançon. Le corps et
le sang que figurent le pain et le vin. Tout l'Évangile - du
baptême à la Cène, de la parabole du Semeur à celle des Vignerons qui
mettent à mort l'héritier - enseigne par la poésie.
Ne l'oublions pas. C'est par là que la Bible parle aux
jeunes, c'est encore par là qu'elle parle à ceux qui fatigués par la
prose humaine, fût-elle prose religieuse, en arrivent à dire :
Que pouvons-nous affirmer de Dieu qui dépasse les vieux
symboles : le Roi, le Berger, le Père ? Pourquoi
chercherions-nous une autre méthode que celle du Sauveur qui lit dans
le livre de la nature, et trouve dans les labeurs
de l'homme, dans les jeux de l'enfant, dans les événements du foyer et
de l'histoire, les signes de la présence active de Dieu ? Et
c'est avec ces pauvres mots que nous livrent la rue, le quotidien, le
familier, ô Père ! que tu nous demandes de chanter ta parole.
Je connais l'objection. La religion de la poésie
n'est-elle pas la piété vague, sans arêtes ni contours, qui permet à
l'homme de douter au lieu de croire, de rêver au lieu de lutter ?
Mais nous ne recommandons pas la religion de la poésie, mais
bien la poésie de la religion, ce qui est tout différent. Rien de plus
insensé que de substituer à la piété une forme quelconque d'art. Tu
n'adoreras ni la beauté, ni la musique, ni la poésie. Tu adoreras
Dieu. Et ce Dieu a fait autre chose que nous laisser deviner son
mystère à travers les dessins de nos désirs et de nos songes : il
s'est révélé dans des faits. Il a mis sa signature sur l'œuvre
de sa création, vêtement visible de sa gloire ; il nous a donné
dans la conscience et dans l'histoire la claire révélation de sa
Loi ; il est apparu en Christ pour nous dire son vrai nom :
le Père. Il n'a rien de la divinité imprécise, anonyme, inconnue qui
autorise les cultes de toutes nos fantaisies.
Mais pour parler de cet Esprit souverain qui est plus
grand que notre cœur et plus grand que le monde, le meilleur langage
sera celui qui respecte son mystère, tout en exprimant sa
splendeur. Nous ne voulons ni la prose du
doctrinarisme étroit qui étiquette et définit les vérités religieuses
comme on étiquette et définit des corps chimiques, ni la prose du
rationalisme qui veut tout expliquer et tout ramener à la mesure de
l'homme. Gardons le langage par lequel l'enfant parle de ce qui le
dépasse, l'humanité de ce qui la domine et l'Eglise de son invisible
Roi, le style de la Bible, le style de Jésus : le style de la
poésie.
Où est le chef-d'œuvre du style chrétien ? Dans le langage de
l'amour. St Paul qui fut par vocation le premier missionnaire et
le premier théologien de l'Eglise naissante, a souvent éprouvé
l'impuissance des mots ; il ne sait comment traduire les accents
entendus en certaines heures de ravissement, alors qu'il se sentait
transporté dans les cieux. Ce sentiment du mystère de Dieu - ô
profondeur ! ô abîme ! - lui a inspiré les accents du poète.
Il lui a aussi permis d'approuver ce parler en langues qui, à
Corinthe, comme lors de la première Pentecôte, amenait les nouveaux
convertis du Christ à entrecouper leurs discours de soupirs, de cris,
de murmures indistincts - phénomènes semblables à ceux qui plus tard
ont caractérisé certains mouvements de réveil et d'enthousiasme. St
Paul respecte les ferveurs de l'extase, ces transports délirants de
ces vaincus de Dieu qui semblent balbutier, par anticipation, quelque
dialecte céleste ! Langage spirituel ?
Pourtant un regard sur Jésus l'empêche de voir là le
don suprême de l'Esprit. C'est Jésus qui lui inspire le cantique
de la charité :
« Quand je parlerais toutes les langues des
hommes et toutes celles des anges langues des hommes :
sagesse, science et art langues de Dieu : piété, Bible,
théologie, et langues inconnues que s'essayent à parler les
disciples en prière - si je n'ai pas la charité,
c'est-à-dire l'amour divin en mon cœur, je ne suis qu'un airain
qui résonne, une cymbale qui retentit. »
Oui, voilà ce qu'il dit lui, le prédicateur, lui le
penseur. Il connaît la langue sacrée des Écritures, l'Hébreu, et la
langue internationale de son siècle, le Grec ; il possède l'art
de s'adresser au savant et à l'ignorant, de se faire comprendre de
ceux qui sont des novices dans la foi et celui d'entraîner les âmes
possédées par l'Esprit à tout sonder, même les profondeurs de Dieu.
Mais il s'est arrêté devant son Sauveur, il le voit penché sur les
humbles et les pécheurs, il le voit qui montre le ciel en
disant : « Mon Père et votre Père ! » Il le voit
comme celui qui sert au milieu de son peuple, capable d'aimer jusqu'à
la fin et jusqu'à donner sa vie. Et alors, à ces Corinthiens qui
discutent de la valeur relative des différentes manifestations de
l'Esprit : la prophétie, le don de guérir, le don des langues,
tandis que s'insinuent encore en leurs cœurs la haine et l'orgueil, il
écrit : Je vais vous montrer la voie par excellence :
c'est l'amour ; si vous ne la suivez pas, votre voix est
semblable à celle de l'airain qui résonne, d'une vibration rapide, en
un instant évanoui.
Que le langage de votre piété soit celui de l'amour,
expression suprême de la vie et dans sa réalité et dans sa poésie. Que
ma langue puisse chanter, ô Dieu, ta parole, et ta suprême parole,
celle que tu as prononcée sur nous en Jésus-Christ : La
parole de l'amour qui descend pour servir, qui se donne et qui
pardonne, qui souffre et qui se sacrifie, qui illumine le monde en
mourant. Il n'est pas de plus grand amour.
Et ce sont quelques-uns de ses rayons qui doivent, à
travers votre témoignage, annoncer dans nos ténèbres présentes, les
aurores futures.
Invités à implorer sur l'Eglise et sur vous la visite du Saint-Esprit, demandez que soit exaucée en vous la prière de Jésus : « Père que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux » - et alors vous irez vers vos frères, capables de parler des choses de l'Esprit, dans le langage de l'Esprit ; portant comme des flambeaux dans le monde la parole de Vie, fille de l'amour et créatrice de l'amour !
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