Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIV

Livres, Shillings et Pences

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Le premier don public que reçut Barnardo était un petit paquet contenant vingt-sept « farthings ». Avant sa mort, quarante ans plus tard, il avait reçu des vingtaines, si ce n'est des centaines, de dons de 1.000 livres ou même davantage. Un examen de sa première balance de comptes nous montre que les recettes et les dépenses cette année-là, dépassaient à peine 200 livres. Actuellement les recettes et les dépenses annuelles des « Homes » dépassent 500.000 livres. Et cette somme, expression de l'affection du public, est fournie par des citoyens de toutes les catégories sociales de l'Empire, depuis le Roi et la Reine, qui sont les « patrons » des « Homes », jusqu'à la plus humble couturière et à l'ouvrier qui estiment que c'est un honneur pour eux de « faire leur part ». Tandis que d'un bout à l'autre de l'Empire parviennent des dons provenant de personnes de toute nation et de tous pays - quelques-uns même d'ambassadeurs de Cours européennes - d'autres sont envoyés par de petits enfants de cannibales qui habitent les îles, christianisées aujourd'hui, des mers du Sud.

Ces faits sont symboliques. Ils montrent tout d'abord l'étonnant accroissement de l'intérêt du monde entier pour les efforts en vue du sauvetage de l'enfance depuis que Barnardo lança son ardente croisade, et ensuite la manière dont ses « Homes » sont admirés, comme pionniers et comme guides, dans la tâche délicate de refondre des jeunes vies. Mais, malgré la manifestation de l'intérêt mondial, de nos jours, pour l'oeuvre de Barnardo, c'est un véritable exploit crue de rassembler plus de 500.000 livres de dons volontaires chaque année, et nous pouvons bien poser cette question :
« Comment cela s'accomplit-il ? »

Depuis la nuit de cette vision apocalyptique, où Jim Jarvis révéla à l'étudiant missionnaire l'existence de la tribu de « Ceux qui n'habitent Nulle Part », Barnardo décida qu' « il fallait faire quelque chose ». Plus tard, sous l'influence de Shaftesbury, il en vint à considérer que l' « East-End » et non la Chine devait être le centre de sa tâche missionnaire. Cependant des difficultés évidentes barrèrent sa route. Aucune société missionnaire n'était là pour financer son oeuvre ; et d'où lui viendraient alors les fonds nécessaires ? La tâche devait aussi comprendre un grand risque de foi : risque augmenté par le point de vue religieux de Barnardo à cette époque ; car en tant que « Frère Large », ses deux principes directeurs étaient de ne jamais « mendier » des fonds et d'obéir toujours à cette injonction biblique : « Ne devez rien à personne ».

Pendant de longues années il adhéra strictement à ces principes. Plus d'une fois, lorsque les programmes d'extension étaient en train, il renvoya les maçons, les plombiers et les peintres jusqu'à ce qu'il eût la somme nécessaire pour achever les travaux ; car il ne voulait absolument pas emprunter. Et bien qu'il déclara, dans des organes de la Presse, comme le Christian, de manière très suggestive, les nécessités et les besoins de sa mission, disant que c'était un champ de service pour les « Serviteurs du Seigneur », il ne voulait pas « demander » ; et excepté dans des cercles de chrétiens professants, il ne faisait jamais connaître les besoins de son oeuvre.

Cependant, graduellement, au cours de l'épanouissement de sa vie religieuse, il devint moins exclusif et plus tolérant. Il découvrit que la doctrine des « Frères » était trop étroite et trop rigide pour exprimer complètement la vie de son âme. Il rechercha bientôt la Société d'amis aux vues plus larges et modifia alors ses dogmes financier. Il comprit aussi, peu à peu, que les efforts humains inspirés par Dieu sont plus vastes et plus durables que bien des croyances, et qu'en même temps que la charité se répandait, la grâce opérante de Dieu subvenait à ses besoins.

Au cours de cette évolution on peut discerner certaines étapes : la plus significative fut la mort du petit « Poil de Carotte », lequel, nous nous en souvenons, avait été refusé temporairement parce qu'il n'y avait plus de place ; et « le jour fixé » vint « trop tard ». Le Directeur promit donc sur le champ de ne jamais plus refuser l'admission immédiate d'un enfant indigent et abandonné, et à partir de ce moment cette promesse devint la devise de son oeuvre. Mais avec l'armée toujours croissante de jeunes indigents qui pénétraient sans cesse par ses portes toujours ouvertes, sa déclaration : AUCUN ENFANT INDIGENT NE SERA REFUSÉ, était en contradiction avec ce principe : « Ne devez rien à personne ».

Chaque année, des plans plus vastes d'agrandissements furent mis à exécution pour loger et instruire ce que l'on appela bientôt « la plus grande Famille du Monde » ; et avec l'expansion du « Jubilé » de 1887, il ne fut plus possible d'obtenir les revenus suffisants pour mettre sur pied tous les projets. L'emprunt devenait nécessaire ; mais à cette époque, l'interprétation de Barnardo au sujet de l'injonction que nous venons de mentionner s'était tellement étendue qu'il pouvait justifier cette décision. Il écrivit dans son Rapport de l'année 1888 : « Au cours des quatre ou cinq dernières années, j'ai été très occupé par l'acquisition du droit de propriété de bien des immeubles qui étaient jusqu'ici loués à bail. J'ai également expliqué la nécessité de remplacer les vieux bâtiments malsains et peu utiles par de nouvelles constructions plus vastes et plus convenables. Nous avons reçu des dons généreux pour subvenir aux frais de toutes ces transformations, mais la plus grande partie de la somme requise sera accordée par le Fond général des oeuvres. Cependant la politique de ces transformations séparées commençait à nous revenir si cher et à peser si lourdement sur nos épaules, qu'à la fin mon Comité et moi-môme en vînmes à cette conclusion, que le procédé le plus sage et le plus prudent serait de répartir le reste de ces investissements sur plusieurs années...
Cette dépense était telle que les institutions en bénéficieraient en permanence à l'avenir ; et devant ce fait il nous sembla qu'il serait mal de compromettre les opérations des « Homes » au cours de cette année, en enlevant une telle somme des besoins naturels et du développement de l'oeuvre, pour l'employer à ce qui était actuellement et principalement un placement de fonds pour les jours à venir. De la surgit la résolution d'emprunter sur la garantie des propriétés foncières de l'Institution, une somme qui serait dépensée uniquement dans la mesure de l'accroissement de garantie... Ainsi, bien que j'ai une dette considérable envers les banquiers, on verra cependant, puisque le fond sur lequel l'avance a été faite augmente sérieusement de valeur grâce à la somme empruntée, que je n'ai réellement été coupable d'aucune entorse envers le commandement dont j'ai parlé. Toute l'affaire est donc simplement... une affaire de comptabilité qui se réglera (Dieu voulant) au bout de quelques années ».

Vingt ans plus tôt, cette explication n'aurait absolument pas convaincu Barnardo ; à cette époque il n'eut sous aucun prétexte emprunté un « penny ». Mais ce changement d'attitude était-il juste ? Parmi ceux qui trouvaient qu'il avait eu tort était un de ses amis intimes, Lord Radstock qui, plusieurs années auparavant, avait donné 1.000 livres pour l'achat d' « Edinburg Castle ». À cette heure, il pensait que Barnardo, en hypothéquant certains immeubles et en étendant ainsi son oeuvre avec des fonds empruntés, allait à l'encontre de la Parole de Dieu. Mais Lord Radstock souffrait encore d'une autre façon. Il croyait que le caractère de plus en plus latitudinaire des appels de Barnardo représentait une rupture avec son premier principe déclaré de ne jamais « mendier ». Et dans l'acception ordinaire de ce mot, Lord Radstock avait raison. Une correspondance entre ces deux anciens amis, au cours d'une période d'efforts financiers, dépeint deux nobles caractères qui, après avoir marché un jour côte à côte, cheminaient maintenant sur des routes divergentes. Radstock regardait pensivement en arrière vers ces premiers jours. Pourtant Barnardo croyait fermement que les fondations spirituelles étaient aussi solides que jamais ; mais alors pourquoi la séparation ? Il faut en revenir au mot d'ordre des « Homes » ; car, si l'on ne refusait aucun enfant indigent et si le nombre de ces enfants croissait sans cesse, les finances devaient alors marcher de pair. Barnardo en vint à croire que c'était un devoir pour lui d' « instruire » les chrétiens au sujet de la « grâce », de la libéralité pour la « Cause des Enfants ». Et bien qu'il ne voulut jamais admettre qu'il fut un « mendiant », il accomplit cependant cette tâche d'une façon magnifique.

Un vieux proverbe dit : « Quelques puces suffisent à exciter un chien ». Si l'on me permet une analogie humaine, je dirai que l'arrivée des hypothèques et des dettes accrut encore l'activité de Barnardo, tandis qu'elle incita le Comité à de nouveaux efforts de plusieurs côtés. Car, ainsi que le confiait un jour le Docteur à M. W. Hind Smith, son engagement solennel et le programme d'avancement que ce dernier imposait, devinrent souvent pour le Comité une « écharde dans la chair ».

Mais quel était exactement le changement survenu dans les vues financières de Barnardo, et qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Maintenant, en abordant cette question, il faudrait se rappeler que si l'oeuvre de Barnardo fut enracinée dans un sol continuellement fertilisé par la prière, il ne prétendit jamais cependant recevoir, comme George Müller, les appuis matériels entièrement en réponse à la prière. Son « First occasionnal Record » explique clairement sa première position : « Je ne veux pas être dans l'erreur ni avoir l'air de prendre une position plus élevée que je ne l'ai réellement fait. Jusqu'ici les fonds n'ont pas été accordés uniquement qu'en réponse à la prière, car j'ai de temps à autre fait connaître très librement à des croyants les besoins de l'oeuvre ». Néanmoins la pensée d'être entièrement dépendant de la prière était à cette époque son idéal : « Je puis dire que je n'ai jamais lu ce livre remarquable intitulé : Narrative of facts, par George Müller, de Bristol, sans me sentir aussitôt encouragé par l'exemple de cette foi vivante en un Dieu qui peut agir, et humilié en la comparant avec la mienne ».

Telle était la première déclaration officielle de Barnardo, concernant les questions financières : la dernière était un appel vibrant demandant à la Nation au nom du Christ, de se lever et d'accorder à chaque enfant un bon départ dans la vie. Cependant il n'y avait aucun fossé entre ces deux positions, car, au cours de chaque année, Barnardo voyait plus clairement que la partie essentielle de son ministère était d'éveiller dans le coeur de ses compatriotes, une générosité plus grande en faveur des enfants.

De là, et d'une façon presque imperceptible, l'appel de son oeuvre le conduisit, par étapes, de la première position à la dernière. Il considéra la mort de Poil de Carotte comme une révélation de Dieu. Aussi son engagement : ne jamais refuser l'admission immédiate de tout enfant indigent, était devenu pour lui un voeu sacré. Mais l'accomplissement de cette promesse amena un flot, sans cesse croissant d'enfants indigents, qui le contraignit à acquérir de plus vastes terrains et à construire de nouveaux bâtiments, à agrandir les anciens et à acheter des immeubles ou propriétés qui étaient autrefois louées à bail. Ces initiatives nécessitaient donc une sérieuse augmentation des fonds ; et si remarquable que fut l'accroissement des sommes reçues, un programme tel que celui de 1887 n'aurait cependant jamais pu être mis à exécution avec les dons d'une seule année. Il fallut avoir recours aux hypothèques et bien que chaque année le revenu augmentât, la nécessité des découverts était si pressante que, jusqu'à la mort du fondateur, les dettes furent comme un sombre nuage au-dessus des « Homes ».

Toutefois ce nuage avait son utilité. Il obligea Barnardo à « rechercher » de nouveau dans l'Écriture ce qui concernait la demande d'aide et de secours afin de poursuivre « l'oeuvre du Seigneur » ; et plus il cherchait, plus il était amené à conclure, avec saint Paul, que la générosité devait être stimulée comme une grâce chrétienne. Aussi prêcha-t-il souvent avec une puissance particulière sur ces paroles de saint Paul : « De même que vous excellez en toutes choses, en foi, en parole, en connaissance, en zèle à tous égards et dans votre amour pour nous, faites en sorte d'exceller aussi dans cette oeuvre de bienfaisance ». Mais son appel préféré étaient les paroles du Christ même, lorsque s'approchant de Jérusalem, Il envoya deux de ses disciples chercher une ânesse et son ânon, en leur disant : « Si quelqu'un vous demande quelque chose, vous répondrez : « Le Seigneur en a besoin ».

On peut se rendre compte de la manière dont Barnardo se servait de ce texte, pour rappeler aux chrétiens que s'ils sont fidèles à leur foi, ils sont réellement « les mains de Dieu », par lesquelles il envoie des messages d'amour à ses petits qui en ont besoin », par ses propres paroles écrites en 1889 :
« J'ai donc parlé aussi souvent que possible de vive voix et à d'autres moments par des « appels » imprimés, toujours animé par l'esprit du message que notre Seigneur a donné, un jour, à ses disciples et montrant les richesses, les talents, le temps et les hommes, j'ai dit, avec grande simplicité : « Le Maître en a besoin ».

« En résumé j'ai pensé, puisque c'est le devoir des « ministres fidèles de l'Evangile de faire des remontrances à leur troupeau pour toute désobéissance aux exhortations de la Parole de Dieu, en ce qui concerne les obligations et les devoirs généraux de la vie et du service chrétien, qu'il est bon que des voix sérieuses s'élèvent de temps en temps dans l'Eglise pour affirmer le privilège et le devoir de soutenir les missions en terre païenne et dans la métropole ; montrer qu'il est plus heureux de donner que de recevoir, et annoncer par tous les moyens légitimes cette grande vérité que l'oeuvre du Christ dans le monde demande le sacrifice personnel et la consécration généreuse, de la part de ceux qui portent Son nom. J'ai essayé de montrer à des milliers de ceux qui ont toujours des objections de principes quand il s'agit du service actif, que leur responsabilité, en face de l'évangélisation des masses, du salut de ceux qui périssent, du sauvetage des enfants malheureux et sans foyer ne peut être écartée en donnant un somnifère à leur conscience et qu'une obéissance littérale à ce commandement de Christ : « Laissez venir à moi les petits enfants », est le devoir minimum de tous les chrétiens. Aussi, loin de sentir que de tels « appels » impliquent de ma part un manque, de foi, je n'ose jamais en faire un, sans l'avoir remis à Dieu dans une ardente prière et m'attendre à Lui, chaque jour, pour les résultats. Quant à perdre ma dignité en assumant le rôle de mendiant, si même cela eut jamais été, ce serait vraiment peu de chose pour moi, quand il s'agit de l'oeuvre de Dieu. »

En appelant ainsi le peuple des chrétiens à la libéralité, Barnardo pouvait parler au nom d'une expérience profonde. Il avait consacré dix-sept années environ de sa vie au service des « Homes », sans accepter aucun traitement ; et lorsqu'enfin, pressé par les nécessités financières, il dut accepter un salaire, celui-ci n'était pas la moitié de ce qu'il aurait pu gagner comme médecin. Mais une autre chose encore lui permettait de parler sans fausse honte ; depuis le jour de sa conversion, il avait mis à part pour « la cause du Seigneur » une partie de son revenu.

Au cours de ses nouvelles expériences, les vues de Barnardo au sujet de l'argent vinrent s'accorder avec la célèbre injonction de Wesley : « Faites tout ce que vous pouvez ; épargnez tout ce que vous pouvez ; donnez tout ce que vous pouvez ». Car il en était arrivé à croire, comme Wesley, que l'argent honnêtement gagné, honorablement épargné et généreusement donné à des fins chrétiennes devient un véritable sacrement par lequel Dieu exprime son amour envers les indigents. Mais avant sa mort, Barnardo aurait voulu aller plus loin et prendre à son compte la parole de William Booth : « Donnez-moi votre argent et je le purifierai. Je le laverai dans les larmes de ceux qui n'ont pas de père et je le placerai sur les autels de l'humanité ». Ainsi à mesure que les années s'écoulaient. les appels de Barnardo s'étaient considérablement étendus ; mais à ce sujet il faudrait se rappeler que jamais - quelque pressant que fut son besoin d'argent - il ne voulut faire un appel qui ne fut pas entièrement basé sur la foi chrétienne. Plus d'une fois, on lui fit remarquer que s'il voulait faire certains appels sans parler de sa foi, les appels pourraient atteindre un milieu riche qui serait un appui financier sûr et important. Mais il s'y refusa toujours.

Barnardo répétait souvent qu'il avait une « mission spéciale parmi les avares » et il insistait continuellement sur cette pensée que tous les hommes, quel que fût leur rang social, leur couleur, leur nationalité ou leur profession de foi, sont les intendants des trésors de Dieu. Les conséquences de cette manière de voir étant donc universelles, les portes de ses « Homes » étaient ouvertes absolument à tous - mais ce fait n'altérait nullement le caractère chrétien de son appel, et nombreuses sont les preuves de son efficacité. Au début, alors qu'il s'adressait à un petit auditoire, dans un salon, il expliqua que ses dépenses hebdomadaires étaient alors de 350 livres, et suggéra que certaines personnes présentes pourraient, si elles répondaient pleinement à l'appel de Christ, faire vivre les « Homes » pendant une semaine et même davantage. Le lendemain matin, il trouva parmi les chèques reçus au quartier général, un chèque de 1.400 livres portant cette mention : « Pour faire vivre votre famille pendant quatre semaines ».

Mais bien que Barnardo sentit qu' « il était chargé du devoir pressant » d'insister, « de la façon la plus énergique », sur les besoins des enfants indigents et d' « éveiller ainsi les consciences indolentes », il croyait profondément, après avoir fait tout son possible, qu'il était absolument dépendant de Dieu. Et plus d'une fois, à toute extrémité, Dieu était intervenu pour sauver la situation. Il aurait pu dire avec l'un des plus grands hommes d'État des temps modernes : « Je ne me tourmente jamais. Je fais toujours de mon mieux. Je laisse le reste entre les mains de Dieu ». Et sa confiance était bien placée. Le printemps 1882 trouva Barnardo dans de grands embarras financiers. Les revenus avaient diminué de semaine en semaine ; dans quelques jours, il faudrait faire face à de lourdes échéances.

La situation matérielle des « Homes » était un sujet de prière spécial de tout le personnel ; néanmoins les revenus continuèrent à diminuer terriblement pendant plusieurs jours. Leur foi était mise à une rude épreuve, mais quand la situation devint désespérée, il se passa une chose étonnante :
« Le 3 mai, au cours de l'après-midi », écrit Barnardo, « je fus informé qu'une dame désirait me voir... Elle refusait absolument de faire connaître le but de sa visite. Je ne la connaissais pas, disait-elle, mais si je voulais seulement la recevoir un instant, elle en serait heureuse. Aussi attendit-elle au milieu des visiteurs, des portiers et des enfants pauvres qui demandaient à être admis dans les « Homes ». J'essayais, en vain, d'avoir quelques minutes tranquilles pour écrire une lettre urgente, dans une pièce située à l'étage supérieur, lorsque je fus appelé auprès d'un visiteur qui attendait dans la salle de vente. Je dus traverser le hall du rez-de-chaussée où était assise ma visiteuse obstinée. Elle me dit alors « Il est difficile de vous approcher ». Je lui répondis : « Non, pas exactement, mais je suis très occupé et à moins que les visiteurs aient quelque affaire très particulière à me communiquer, je les laisse au soin de mes chers collaborateurs ». - « Mais j'ai de l'argent pour vous », me dit-elle. - « Je vous remercie », répliquais-je. « Je suis toujours heureux de recevoir un tel secours et tout spécialement en ce moment. Voulez-vous attendre un moment et je serai à vous ». Je me dirigeai vers mes autres visiteurs. Je terminerai avec eux rapidement, puis je fis entrer cette amie obstinée dans mon bureau privé. Elle se tint d'abord à la porte et dit, pendant que son visage s'inondait de larmes : « Je vous apporte cet argent parce que vos portes sont toujours ouvertes à tous les pauvres enfants. Poursuivez cette oeuvre bénie. Ne renvoyez jamais aucun enfant indigent. Dieu vous aidera, j'en suis certaine », et à mon plus grand étonnement elle plaça dans mes mains un chèque de 1.000 livres sterling de la Banque d'Angleterre...

Je respirais avec peine, tandis que l'étonnement et la gratitude remplissaient mon coeur et je ne parvenais pas à les exprimer. Pendant ce temps ma visiteuse me donna de nouveaux sujets de reconnaissance et d'étonnement en disant : « Et je me réjouis de savoir que vos enfants sont éloignés de la corruption de l'Assistance publique et que vous cherchez à les élever dans la crainte du Seigneur ».

Puis elle plaça dans ma main qui se retirait un autre chèque de 1.000 livres... Je me résignai alors à l'inévitable. Je ne pouvais que penser :
... Que tes voies sont merveilleuses, ô Seigneur » et certes ce sentiment devint une stupéfaction absolue quand ma visiteuse tira lentement de son sac un troisième chèque de 1.000 livres qu'elle plaça sur les deux autres, dans ma main !
Refusant de se nommer et même d'accepter un reçu, mais m'assurant qu'elle connaissait notre oeuvre en détails, qu'elle l'avait visitée et qu'elle priait pour elle, ma visiteuse se détourna avec vivacité et disparut aussitôt. »

La veuve du docteur Barnardo a raconté à l'auteur l'épisode suivant : « Au cours d'un hiver particulièrement précoce et, de plus, le nombre des admissions s'étant accru rapidement, les couvertures devinrent si rares qu'il fallut placer des feuilles de papier sous les couvre-pieds ; mais cela ne pouvait naturellement pas durer. Il fallait un grand nombre de couvertures et l'argent manquait. De ferventes et nombreuses prières s'élevèrent à Dieu, et, le lendemain matin, un quaker vint rendre visite à Madame Barnardo. Il raconta que la nuit précédente, il ne pouvait dormir, car une voix ne cessait de lui dire : « Les enfants de Barnardo frissonnent dans leur lit ! Pourvois toi-même à leurs besoins ! » Cet homme bon s'enquit du montant de la somme nécessaire et fit aussitôt un chèque de trois chiffres, et la nuit suivante chaque enfant dormait confortablement au chaud.

Les « Homes » firent souvent l'expérience de semblables délivrances. Voici une intervention que Barnardo aimait à rappeler. Il fut informé, un jour, par une brève notice, qu'il lui faudrait payer 500 livres presque immédiatement, sinon on prendrait hypothèque. Deux jours avant la date funeste, il n'y avait pas un seul « penny » qui put être consacré à cette dette et pour aggraver cet état de choses, il survint une nouvelle réclamation de 50 livres. Le jour qui précéda la menace d'exclusion, les recettes étaient inférieures au dépenses ; le matin du jour critique, elles étaient encore moindres. L'espoir semblait vaincu. Tout ce que pouvait faire alors Barnardo était d'aller se mettre à la merci de l'homme de loi qui avait en mains l'hypothèque. Il se rendait, le coeur très lourd, au bureau de l'avocat, lorsqu'en descendant Pall-Mall, il fut abordé par un officier : « Pardon, Monsieur ! N'êtes-vous pas le docteur Barnardo ? » L'inconnu expliqua qu'il revenait des Indes, et lui remit un paquet pour ses « Homes ». Bientôt, Barnardo assis dans un club de Pall-Mall, ouvrait le paquet qui renfermait une petite boîte contenant 650 livres, le bénéfice d'un bazar hindou.

Malgré le souvenir de tant de délivrances merveilleuses, le Comité de Barnardo s'alarma plus d'une fois à la vue des proportions que prenait l'oeuvre. des « Homes » et des dépenses qu'elle entraînait. Car bien que les recettes augmentassent rapidement, les dépenses marchaient de pair et parfois même les dépassaient. Si, par exemple, une hypothèque était prise au cours d'une année, l'année suivante un nouveau programme de constructions augmentait la dette. De plus, Barnardo était un homme capable de tenir en échec n'importe quel comité, car s'il pensait que son devoir lui dictait un certain plan d'action, il avait recours à des méthodes péremptoires pour y arriver, et il était alors extrêmement difficile de le retenir. Ainsi. en 1881, il publia, sans en informer le Comité, un article dans le Christian au cours duquel il annonçait son intention d'ouvrir une maison de travail pour les jeunes « indigents ayant dépassé l'âge de l'enfance ». Le Président du Comité des « Homes » vit « par hasard » l'annonce de ce projet, accompagné d'un appel de fonds. Le courrier suivant apporta à Barnardo une lettre tranchante. Lord Cairns n'exprimait aucun doute au sujet de l' « urgence » de semblables projets, « ou de la possibilité de soulager de cette manière beaucoup de souffrances et de détresses » ; mais il craignait que les portes des « Homes » n'eussent été déjà trop largement ouvertes et il « ne pouvait accepter de partager la responsabilité d'un nouveau pas en avant ». C'est pourquoi il écrivait immédiatement : « Si une organisation de ce genre est ajoutée à l'oeuvre.... je dois cesser d'être Président ».

En dépit de cette protestation, une maison de travail pour les jeunes gens fut ajoutée, cette année-là, aux « Homes », et pourtant Lord Cairns ne donna pas sa démission. Il resta jusqu'à sa mort le loyal Président du Comité de la Mission. Souvent il était essoufflé pour arriver à suivre Barnardo, mais son coeur était trop intimement lié à « la cause des enfants », pour qu'il abandonnât la lutte. Et après tout, neuf fois sur dix, lorsque des différents s'élevaient entre lui et Barnardo, il finissait par reconnaître que c'est Barnardo qui avait raison.
Mais Lord Cairns mourut avant que le problème financier eut atteint son maximum d'intensité. Les agrandissements pleins de risque de 1887-88 avaient mis sur les « Homes » le poids d'une lourde hypothèque, et la politique tout aussi aventureuse de 1891-92, pour établir toute une chaîne de « Portes Toujours Ouvertes » dans les villes de province, amena un flot de candidats sans précédent. En conséquence, bien que les contributions eussent atteint 76.000 livres en 1886 et 150.000 livres en 1894, l'expansion de l'oeuvre avait été si extraordinaire que chaque « penny » d'augmentation était employé dans les dépenses courantes, et la dette, loin de diminuer, s'était accrue. Le Comité et les administrateurs étaient alors effrayés à juste titre. « Y aura-t-il jamais de limite à cette expansion ? » Et plus ils cherchaient une solution, plus ils sentaient qu'il devait y avoir un arrêt.
En effet, ils disaient que si l'on n'y mettait pas un frein, la promesse, si chère à Barnardo, de ne refuser aucun enfant indigent, devrait cesser d'être.

C'est dans cet état d'esprit que s'assembla, au mois de mars 1893, une conférence du Comité et des administrateurs réunis. Et bien qu'elle exprima « une sympathie, toujours égale et une profonde reconnaissance pour le travail et l'abnégation du docteur Barnardo, elle déclara toutefois que la situation nécessitait une solution immédiate. Cinq décisions furent donc prises par lesquelles il fut convenu que Barnardo serait désormais lié.

1. N'admettre aucun cas nouveau si ce n'est ceux d'extrême urgence.

2. Réduire les mises en pension jusqu'à ce qu'elles soient inférieures à 500. Elles ne seront pas augmentées sans une autorisation spéciale des administrateurs.

3. Une somme moyenne de 1.000 livres sera payée chaque mois pour éteindre les anciennes dettes.

4. Les commerçants et autres personnes qui acceptent des billets doivent signer un papier indiquant que les fonds seuls de l'Institution sont responsables et les créanciers n'ont aucune réclamation à faire à quelque personne présente que ce soit, en dehors du docteur Barnardo.

5. Une assurance de 20.000 livres sera prise aussitôt que possible sur la vie du docteur Barnardo.

Il est inutile de dire que Barnardo n'accepta pas ces décisions sans de sérieuses réserves. Les administrateurs pouvaient assurer sa vie en faveur des « Homes » pour une somme de 20.000 livres, mais quant au reste, il en appelait aux lecteurs de Night and Day, et cet appel est peut-être le plus pathétique qu'il eut jamais fait. Il commençait ainsi :
« Je me trouve face à face avec le problème le plus grave que j'ai jamais rencontré au cours de mes vingt-sept années de travail parmi les enfants indigents. Devrai-je fermer partiellement mes portes et entendre le cri de chaque enfant devenu indigent pour la seconde fois, qui demande du secours et à qui je répondrai, comme je ne l'ai jamais fait jusqu'ici, par un refus ?

« Voilà la question, et la nécessité de la poser est le plus grand chagrin qui ait jusqu'à ce jour assombri l'oeuvre de ma vie.
« Je ne sais comment dépeindre mes sentiments quand je contemple cette douloureuse alternative. Dois-je vraiment refuser des enfants ? Je suis certain que les chrétiens du monde entier qui aiment leur Maître et dont le coeur ne peut rester insensible à cette éventualité que « les enfants de leur Seigneur seraient renvoyés sans aide ni secours », répondront - je ne puis en douter - d'une manière prompte et décisive :
« Non, il ne doit pas en être ainsi ».
« Je n'hésite pas à dire que si je dois adopter les suggestions de mon Comité, cela abrège ma vie plus encore que tout ce qui a pu m'arriver au cours de toutes ces années. D'une part, je ne sais vraiment pas comment faire pour suivre leur conseil et, d'autre part, je suis contraint d'admettre... que cela me parait une cruelle nécessité... »

Puis après avoir donné des explications au sujet de la dette et à celui de l'oeuvre accomplie en 1892, ainsi qu'un aperçu de la situation actuelle, il conclut : « Oserais-je... après tout ce que nous venons de voir, commencer à fermer mes portes devant un seul de ces enfants sans foyer ? Je ne peux pas croire qu'il faille véritablement en arriver là. Quelque prudent que puisse être le procédé suggéré par mon Comité dans les circonstances actuelles, il nécessite de ma part un certain oubli de la Mission pour laquelle j'ai été appelé, j'en ai la ferme assurance, il y a vingt-sept ans, alors que tout jeune encore - je n'avais pas vingt-et-un ans - j'entendis, pour la première fois, la voix de Dieu m'ordonner de « paître » en Son nom. les « agneaux » de son troupeau. »

La réponse à cet appel suffit à desserrer l'étreinte qui menaçait d'étouffer l'oeuvre. L'expansion des « Homes » était maintenue, et quant à la limitation du système de mise en pension, Barnardo vécut assez longtemps pour voir sa famille d'enfants placés, sept fois plus grande que celle que le Comité et les administrateurs acceptaient alors.
Mais bien qu'il échappât à l'étau des nécessités, Barnardo fut d'accord pour chercher à faire le plus d'économies possible, car l'oeuvre ne pouvait continuer à s'étendre avec une telle rapidité sur tous les fronts, et une augmentation de la dette aurait compromis son équilibre financier. Aussi malgré l'augmentation des recettes on fit des coupes sombres. « La maison des diaconnesses » qui, pendant de longues années, avait rendu d'excellents services parmi les pauvres, fut fermée et les bureaux des Missions extérieures furent diminués, afin de concentrer toutes les ressources sur les « Homes ». Plusieurs publications furent également suspendues temporairement et le Rapport annuel ne fut envoyé qu'à ceux qui le demandaient. Grâce à cela, aucun enfant « indigent » ne fut refusé.
À cette époque également fut créée une organisation qui devait rendre des services signalés.

Par un jour glacial de novembre 1891, Barnardo admit un nombre extraordinaire d'enfants parmi lesquels se trouvaient deux fillettes infirmes et un petit garçon aveugle. Vers minuit, assis près du feu, Barnardo méditait sur le problème que posaient semblables admissions, lorsqu'il s'endormit et il fit un rêve remarquable.
Il se promenait au bord d'une rivière étroite et rapide lorsqu'un cri perçant le fit tressaillir : « Au secours, au secours ». Un jeune garçon était tombé dans le torrent et était entraîné, en danger de mort. Barnardo se précipita à son aide en criant : « Au secours, au secours ». Arrivé à l'endroit précis où se noyait le jeune garçon, il se pencha de tout son long sur le bord de la rivière ; mais ses bras n'étaient « pas tout à fait assez longs » et dans son rêve il croyait qu'il ne savait pas nager. L'enfant passa devant lui épuisé, entraîné par le courant. Barnardo courut de nouveau sur la berge en appelant au secours de toutes ses forces. Malgré tous ses efforts l'enfant était maintenant hors d'atteinte. Il était au désespoir, lorsque quelques enfants qui avaient entendu son appel accoururent. « Nous vous retiendrons monsieur ! Ne craignez rien ! ». Il se lança alors au milieu de la rivière tandis que, les enfants le retenaient par les pieds, et il parvint à saisir l'enfant qui se noyait. Un instant plus tard, ils étaient tous deux sains et saufs sur la rive. Le jeune garçon avait été sauvé juste à temps, grâce à l'aide des enfants.

Tout comme le rêve qu'il fit avant la création du « Village Home », Barnardo le considéra comme une révélation. Pourquoi ne pas grouper les « enfants privilégiés » sains et saufs sur le rivage, en une troupe de sauveteurs qui iraient délivrer leurs frères et soeurs qui périssent dans la sombre tourmente de l'ignorance, du vice et du péché ?

Quelques jours plus tard, la Ligue des jeunes « Sauveteurs » était née ; et malgré ses très humbles débuts, elle donne aujourd'hui plus de 50.000 livres par an. Elle n'est pas moins utile aux enfants riches qu'aux enfants indigents, car fidèle à son but, elle sut chez les premiers, cultiver les qualités du coeur. Il n'est pas de spectacle plus impressionnant que la réunion annuelle de cette Ligue, à l'Albert-Hall, à Londres, où des milliers de jeunes enfants riches rencontrent les enfants pauvres, et entendent parler de la vie de ces derniers dans les « Homes ». L'accroissement de cette Ligue fut remarquable dès le début. Conçue le 20 novembre 1891, ses contributions étaient de 2.186 livres en 1892 et en 1905, année de la mort de Barnardo, elles atteignaient déjà 17.000 livres.

Cependant, malgré l'augmentation des fonds et une stricte économie, Barnardo ne vécut pas assez longtemps pour voir la libération des hypothèques. Certains « anciens garçons », à l'étranger, envoyaient chaque année au Docteur, en témoignage de reconnaissance, vingt-cinq à trente moutons frigorifiés ou d'autres dons également généreux ; des inventions ingénieuses, comme celle de collectionner des boîtes d'allumettes, aidaient à augmenter les fonds, si bien que le Docteur put voir son revenu annuel dépasser 200.000 livres. Il vécut assez longtemps également pour voir sa famille compter en un seul jour une moyenne de plus de 7.000 enfants, et sa troupe annuelle d'émigrants compter plus de 1.100 jeunes. Les finances furent donc jusqu'à la fin le problème le plus difficile qu'il eut à affronter.




J'ai là, devant moi, une haute pile de lettres échangées entre Barnardo et M. Harry Eleuslie, son beau-frère, l'Intendant principal des « Homes ». La plupart de ces lettres sont datées de 1904-5 ; et si jamais une correspondance révéla un effort désespéré pour l'économie, c'est bien celle-ci. Mais quel qu'embarrassées que fussent ses finances, Barnardo ne voulut jamais accepter de camelote, et plus d'un commerçant apprit à ses dépens qu'on ne pouvait pas inonder les « Homes » de marchandises de mauvaise qualité. Se rappelant certains fauteuils de jardin, vendus comme une « occasion » pour le « Village Home », Barnardo écrit : « Ils s'inclinent lorsque vous les regardez. Deux d'entre eux tanguent terriblement. Une fillette passe auprès d'eux, les frôle de sa jupe et les voici renversés, les pieds en l'air ». Puis il demande - « N'y a-t-il aucun moyen de rendre ces gens responsables de nous avoir vendu un tel matériel ? ». Dans une autre lettre il ajoute : « Ne pourriez-vous pas attraper le coquin qui nous a vendu cet affreux pain d'épice, ces fauteuils de jardins instables.... afin qu'il nous fasse des excuses, reprenne son mauvais matériel et nous rembourse de la peine d'avoir dû nous en servir pendant quelque temps ? Je n'ai jamais rien vu de plus « pourri ». Ce ne fut pas le seul commerçant malhonnête qui eût à trembler devant la colère de Barnardo.

Quand le Docteur mourut, la dette des « Homes » s'élevait à un total de 250.000 livres. Mais à ce moment-là, la Nation comprit alors brusquement la grandeur de l'homme qu'elle venait de perdre et aida à éteindre la dette. William Baker, ancien collaborateur de l'oeuvre, abandonna une situation lucrative au barreau pour devenir Directeur volontaire, tandis que feu Howard Williams (ce vétéran trésorier honoraire des « Homes »), aidé par un vaillant Comité de chrétiens, entreprît la création d'un fond commémoratif ; enfin, grâce aux contributions provenant du Trône en faveur des taudis, chaque « penny » de la dette fut bientôt effacé.




Depuis, les efforts financiers ont été grandement facilités. Le Comité a eu encore des ennuis d'argent, mais jamais plus un tel nuage de dettes n'a plané au-dessus de lui ; et jusqu'à maintenant, la promesse inscrite sur le fronton des « Homes » a été respectée.
De plus, malgré l'augmentation des demandes qui a amené la création de nouvelles institutions, telles que « la Cité des jardins » pour les garçons, « l'École technique de William Baker », « l'École nautique de Russel Cotes », etc.... les méthodes financières du Docteur ont été respectées. Jusqu'à ce jour, l'appel est uniquement un appel aux chrétiens. Cependant, comme autrefois, les « Homes » considèrent de leur devoir d'encourager les gens à donner. Ils redisent, après Barnardo, en parlant des biens temporels, des talents et du temps : « Le Seigneur en a besoin ».

Nous ne pouvons pas explorer en détail ici toutes les nouvelles créations faites depuis la mort de Barnardo. Il nous suffira de dire que chaque pas en avant a été fait - comme autrefois - pour faire renaître une joie perdue et réveiller l'âme de l'enfance dans le coeur des bambins malheureux. Ce miracle se continue, au nom et par la puissance du Christ dont Barnardo était le disciple.

Les « pences » des enfants qui auraient pu être dépensés en bonbons, les shillings dus au sacrifice des pauvres, les billets d'une et de cinq livres des classes moyennes, les dons plus importants des gens riches, les milliers de contributions importantes ou non, les collectes des Églises et des Écoles du dimanche, le revenu des concerts et des ventes, les fonds des « journées » et les legs, sont les principales ressources qui produisent les 150.000 livres qui sont nécessaires chaque année pour nourrir, loger, vêtir, éduquer, instruire en vue d'un métier, placer dans la vie et suivre avec sollicitude la Plus Grande, Famille du Monde. Cependant une catégorie de revenus des oeuvres de Barnardo mérite qu'on s'y arrête un instant.

Peu de temps après l'ensevelissement de Barnardo, Miss Effie Bentham, aide volontaire qui, pendant des années, avait refusé un poste rétribué, reçut un « appel » particulier. Au cours d'une visite à Middlesborough, dans le Comté d'York, elle fit un rêve étrange : Elle passait devant la cour d'une vaste manufacture, lorsqu'éclatèrent à ses oreilles des cris d'enfants profondément angoissés. Elle pénétra précipitamment dans la cour et aperçut alors une immense foule de travailleurs ; mais aucun d'eux ne semblait entendre les gémissements des enfants. Elle s'approcha vivement de la foule et découvrit, au centre de la cour, tout un groupe de garçons et de fillettes étendus sur le sol, pieds et mains liés, et dont le sang s'échappait par de nombreuses blessures. Elle s'agenouilla pour délier leurs chaînes. Mais les chaînes se riaient de sa force. Que faire ? À cet instant des mains fermes la saisirent sous les bras et en s'élevant dans l'air, elle put voir que les ouvriers se rassemblaient autour des enfants, tandis que mille voix s'écriaient en choeur : « Nous allons les délivrer, mademoiselle ».

Miss Bentham n'eut aucun doute quant à la signification de son rêve. De vaillants ouvriers avaient promis de l'aider ; c'était à elle de tout organiser. Elle se mit à cette tâche avec zèle et aujourd'hui la « Ligue, Internationale du " Farthing " » qu'elle créa, recueille chaque année, par les pièces de bronze des ouvriers d'usine, environ 45.000 livres.

Il faut encore mentionner la générosité illimitée de deux vétérans récemment entrés dans le repos. Aucun homme ne lutta plus fidèlement auprès de Barnardo que feu Howard Williams, fils de George Williams, le fondateur des U. C. J. G. dans le monde. Pendant toute sa vie et jusqu'à sa mort, en 1929, Howard Williams fut trésorier honoraire des « Homes » ; et le monde ne saura jamais de quelle façon généreuse il les aida. Un incident caractéristique est cependant connu. En reconnaissance des services qu'il rendit pendant la guerre aux jeunes gens sur le front, des parents et des amis se réunirent pour lui offrir un cadeau de 10.000 livres, auxquelles s'ajoutèrent 4.000 livres des marchands drapiers qui avaient fait des affaires avec sa maison de commerce. Ces sommes furent versées entièrement aux « Homes », et la plus grande partie fut employée à la création d'une maison d'héliothérapie à Folkestone, pour le traitement des enfants atteints de tuberculose osseuse. Mais il ne voulut pas qu'il fût question de le nommer : « Howend William Home ». Il insista pour qu'on lui donna le nom d'un ses amis, un médecin célèbre. Aussi est-il connu aujourd'hui sous le nom de « Bruce Porter Home ».

Cet incident est bien représentatif du désintéressement que les « Homes » connaissent bien. Le Président, feu William Me Call, du Conseil du Gouvernement, dont la mort suivit de près celle d'Howard Williams, n'était pas moins généreux que son ancien ami et collègue ; et il était aussi modeste, dans tout ce qu'il faisait. À un âge où la plupart des hommes ne cherchent que le repos, pendant une crise assez grave dans les affaires des « Homes », il prit sur lui tout le lourd fardeau de la direction, et comme Barnardo et William Baker avant lui, il le porta jusqu'à sa mort.

Pour tous ces hommes, un enfant indigent était un ami dans le besoin, et que peut faire un homme, de plus, que de donner sa vie pour ses amis, comme le fit réellement chacun d'entre eux ? Si jamais les trompettes des anges résonnèrent un jour, ce fut, sans aucun doute, lorsque ces nobles âmes abordèrent à l'Autre Rive.

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