Le premier don public que reçut
Barnardo était un petit paquet contenant
vingt-sept « farthings ». Avant
sa mort, quarante ans plus tard, il avait
reçu des vingtaines, si ce n'est des
centaines, de dons de 1.000 livres ou même
davantage. Un examen de sa première balance
de comptes nous montre que les recettes et les
dépenses cette année-là,
dépassaient à peine 200 livres.
Actuellement les recettes et les dépenses
annuelles des « Homes »
dépassent 500.000 livres. Et cette somme,
expression de l'affection du public, est fournie
par des citoyens de toutes les catégories
sociales de l'Empire, depuis le Roi et la Reine,
qui sont les « patrons » des
« Homes », jusqu'à la
plus humble couturière et à l'ouvrier
qui estiment que c'est un honneur pour eux de
« faire leur part ». Tandis que
d'un bout à l'autre de l'Empire parviennent
des dons provenant de personnes de toute nation et
de tous pays - quelques-uns même
d'ambassadeurs de Cours européennes -
d'autres sont envoyés par de petits enfants
de cannibales qui habitent les îles,
christianisées aujourd'hui, des mers du
Sud.
Ces faits sont symboliques. Ils montrent
tout d'abord l'étonnant accroissement de
l'intérêt du monde entier pour les
efforts en vue du sauvetage de l'enfance depuis que
Barnardo lança son ardente croisade, et
ensuite la manière dont ses
« Homes » sont admirés,
comme pionniers et comme guides,
dans la tâche délicate de refondre des
jeunes vies. Mais, malgré la manifestation
de l'intérêt mondial, de nos jours,
pour l'oeuvre de Barnardo, c'est un
véritable exploit crue de rassembler plus de
500.000 livres de dons volontaires chaque
année, et nous pouvons bien poser cette
question :
« Comment cela
s'accomplit-il ? »
Depuis la nuit de cette vision
apocalyptique, où Jim Jarvis
révéla à l'étudiant
missionnaire l'existence de la tribu de
« Ceux qui n'habitent Nulle
Part », Barnardo décida qu'
« il fallait faire quelque
chose ». Plus tard, sous l'influence de
Shaftesbury, il en vint à considérer
que l' « East-End » et non la
Chine devait être le centre de sa tâche
missionnaire. Cependant des difficultés
évidentes barrèrent sa route. Aucune
société missionnaire n'était
là pour financer son oeuvre ; et
d'où lui viendraient alors les fonds
nécessaires ? La tâche devait
aussi comprendre un grand risque de foi :
risque augmenté par le point de vue
religieux de Barnardo à cette
époque ; car en tant que
« Frère Large », ses
deux principes directeurs étaient de ne
jamais « mendier » des fonds et
d'obéir toujours à cette injonction
biblique : « Ne devez rien à
personne ».
Pendant de longues années il
adhéra strictement à ces principes.
Plus d'une fois, lorsque les programmes d'extension
étaient en train, il renvoya les
maçons, les plombiers et les peintres
jusqu'à ce qu'il eût la somme
nécessaire pour achever les travaux ;
car il ne voulait absolument pas emprunter. Et bien
qu'il déclara, dans des organes de la
Presse, comme le Christian, de manière
très suggestive, les
nécessités et les besoins de sa
mission, disant que c'était un champ de
service pour les « Serviteurs du
Seigneur », il ne voulait pas
« demander » ; et
excepté dans des cercles de chrétiens
professants, il ne faisait jamais connaître
les besoins de son oeuvre.
Cependant, graduellement, au cours de l'épanouissement
de sa
vie religieuse, il devint moins exclusif et plus
tolérant. Il découvrit que la
doctrine des « Frères »
était trop étroite et trop rigide
pour exprimer complètement la vie de son
âme. Il rechercha bientôt la
Société d'amis aux vues plus larges
et modifia alors ses dogmes financier. Il comprit
aussi, peu à peu, que les efforts humains
inspirés par Dieu sont plus vastes et plus
durables que bien des croyances, et qu'en
même temps que la charité se
répandait, la grâce opérante de
Dieu subvenait à ses besoins.
Au cours de cette évolution on
peut discerner certaines étapes : la
plus significative fut la mort du petit
« Poil de Carotte », lequel,
nous nous en souvenons, avait été
refusé temporairement parce qu'il n'y avait
plus de place ; et « le jour
fixé » vint « trop
tard ». Le Directeur promit donc sur le
champ de ne jamais plus refuser l'admission
immédiate d'un enfant indigent et
abandonné, et à partir de ce moment
cette promesse devint la devise de son oeuvre. Mais
avec l'armée toujours croissante de jeunes
indigents qui pénétraient sans cesse
par ses portes toujours ouvertes, sa
déclaration : AUCUN ENFANT INDIGENT NE
SERA REFUSÉ, était en contradiction
avec ce principe : « Ne devez rien
à personne ».
Chaque année, des plans plus
vastes d'agrandissements furent mis à
exécution pour loger et instruire ce que
l'on appela bientôt « la plus
grande Famille du Monde » ; et avec
l'expansion du
« Jubilé » de 1887, il
ne fut plus possible d'obtenir les revenus
suffisants pour mettre sur pied tous les projets.
L'emprunt devenait nécessaire ; mais
à cette époque,
l'interprétation de Barnardo au sujet de
l'injonction que nous venons de mentionner
s'était tellement étendue qu'il
pouvait justifier cette décision. Il
écrivit dans son Rapport de l'année
1888 : « Au cours des quatre ou cinq
dernières années, j'ai
été très occupé par
l'acquisition du droit de propriété
de bien des immeubles qui étaient jusqu'ici loués
à bail. J'ai
également expliqué la
nécessité de remplacer les vieux
bâtiments malsains et peu utiles par de
nouvelles constructions plus vastes et plus
convenables. Nous avons reçu des dons
généreux pour subvenir aux frais de
toutes ces transformations, mais la plus grande
partie de la somme requise sera accordée par
le Fond général des oeuvres.
Cependant la politique de ces transformations
séparées commençait à
nous revenir si cher et à peser si
lourdement sur nos épaules, qu'à la
fin mon Comité et moi-môme en
vînmes à cette conclusion, que le
procédé le plus sage et le plus
prudent serait de répartir le reste de ces
investissements sur plusieurs années...
Cette dépense était telle
que les institutions en
bénéficieraient en permanence
à l'avenir ; et devant ce fait il nous
sembla qu'il serait mal de compromettre les
opérations des « Homes »
au cours de cette année, en enlevant une
telle somme des besoins naturels et du
développement de l'oeuvre, pour l'employer
à ce qui était actuellement et
principalement un placement de fonds pour les jours
à venir. De la surgit la résolution
d'emprunter sur la garantie des
propriétés foncières de
l'Institution, une somme qui serait
dépensée uniquement dans la mesure de
l'accroissement de garantie... Ainsi, bien que j'ai
une dette considérable envers les banquiers,
on verra cependant, puisque le fond sur lequel
l'avance a été faite augmente
sérieusement de valeur grâce à
la somme empruntée, que je n'ai
réellement été coupable
d'aucune entorse envers le commandement dont j'ai
parlé. Toute l'affaire est donc
simplement... une affaire de comptabilité
qui se réglera (Dieu voulant) au bout de
quelques années ».
Vingt ans plus tôt, cette
explication n'aurait absolument pas convaincu
Barnardo ; à cette époque il
n'eut sous aucun prétexte emprunté un
« penny ». Mais ce changement
d'attitude était-il juste ? Parmi ceux
qui trouvaient qu'il avait eu tort était un
de ses amis intimes, Lord Radstock qui, plusieurs
années auparavant, avait
donné 1.000 livres pour l'achat d'
« Edinburg Castle ». À
cette heure, il pensait que Barnardo, en
hypothéquant certains immeubles et en
étendant ainsi son oeuvre avec des fonds
empruntés, allait à l'encontre de la
Parole de Dieu. Mais Lord Radstock souffrait encore
d'une autre façon. Il croyait que le
caractère de plus en plus latitudinaire des
appels de Barnardo représentait une rupture
avec son premier principe déclaré de
ne jamais « mendier ». Et dans
l'acception ordinaire de ce mot, Lord Radstock
avait raison. Une correspondance entre ces deux
anciens amis, au cours d'une période
d'efforts financiers, dépeint deux nobles
caractères qui, après avoir
marché un jour côte à
côte, cheminaient maintenant sur des routes
divergentes. Radstock regardait pensivement en
arrière vers ces premiers jours. Pourtant
Barnardo croyait fermement que les fondations
spirituelles étaient aussi solides que
jamais ; mais alors pourquoi la
séparation ? Il faut en revenir au mot
d'ordre des « Homes » ;
car, si l'on ne refusait aucun enfant indigent et
si le nombre de ces enfants croissait sans cesse,
les finances devaient alors marcher de pair.
Barnardo en vint à croire que c'était
un devoir pour lui d'
« instruire » les
chrétiens au sujet de la
« grâce », de la
libéralité pour la « Cause
des Enfants ». Et bien qu'il ne voulut
jamais admettre qu'il fut un
« mendiant », il accomplit
cependant cette tâche d'une façon
magnifique.
Un vieux proverbe dit :
« Quelques puces suffisent à
exciter un chien ». Si l'on me permet une
analogie humaine, je dirai que l'arrivée des
hypothèques et des dettes accrut encore
l'activité de Barnardo, tandis qu'elle
incita le Comité à de nouveaux
efforts de plusieurs côtés. Car, ainsi
que le confiait un jour le Docteur à M. W.
Hind Smith, son engagement solennel et le programme
d'avancement que ce dernier imposait, devinrent
souvent pour le Comité une
« écharde dans la
chair ».
Mais quel était exactement le
changement survenu dans les vues financières
de Barnardo, et qu'en reste-t-il aujourd'hui ?
Maintenant, en abordant cette question, il faudrait
se rappeler que si l'oeuvre de Barnardo fut
enracinée dans un sol continuellement
fertilisé par la prière, il ne
prétendit jamais cependant recevoir, comme
George Müller, les appuis matériels
entièrement en réponse à la
prière. Son « First occasionnal
Record » explique clairement sa
première position : « Je ne
veux pas être dans l'erreur ni avoir l'air de
prendre une position plus élevée que
je ne l'ai réellement fait. Jusqu'ici les
fonds n'ont pas été accordés
uniquement qu'en réponse à la
prière, car j'ai de temps à autre
fait connaître très librement à
des croyants les besoins de l'oeuvre ».
Néanmoins la pensée d'être
entièrement dépendant de la
prière était à cette
époque son idéal :
« Je puis dire que je n'ai jamais lu ce
livre remarquable intitulé : Narrative
of facts, par George Müller, de Bristol, sans
me sentir aussitôt encouragé par
l'exemple de cette foi vivante en un Dieu qui peut
agir, et humilié en la comparant avec la
mienne ».
Telle était la première
déclaration officielle de Barnardo,
concernant les questions financières :
la dernière était un appel vibrant
demandant à la Nation au nom du Christ, de
se lever et d'accorder à chaque enfant un
bon départ dans la vie. Cependant il n'y
avait aucun fossé entre ces deux positions,
car, au cours de chaque année, Barnardo
voyait plus clairement que la partie essentielle de
son ministère était d'éveiller
dans le coeur de ses compatriotes, une
générosité plus grande en
faveur des enfants.
De là, et d'une façon
presque imperceptible, l'appel de son oeuvre le
conduisit, par étapes, de la première
position à la dernière. Il
considéra la mort de Poil de Carotte comme
une révélation de Dieu. Aussi son
engagement : ne jamais refuser l'admission
immédiate de tout enfant
indigent, était devenu pour lui un voeu
sacré. Mais l'accomplissement de cette
promesse amena un flot, sans cesse croissant
d'enfants indigents, qui le contraignit à
acquérir de plus vastes terrains et à
construire de nouveaux bâtiments, à
agrandir les anciens et à acheter des
immeubles ou propriétés qui
étaient autrefois louées à
bail. Ces initiatives nécessitaient donc une
sérieuse augmentation des fonds ; et si
remarquable que fut l'accroissement des sommes
reçues, un programme tel que celui de 1887
n'aurait cependant jamais pu être mis
à exécution avec les dons d'une seule
année. Il fallut avoir recours aux
hypothèques et bien que chaque année
le revenu augmentât, la
nécessité des découverts
était si pressante que, jusqu'à la
mort du fondateur, les dettes furent comme un
sombre nuage au-dessus des
« Homes ».
Toutefois ce nuage avait son
utilité. Il obligea Barnardo à
« rechercher » de nouveau dans
l'Écriture ce qui concernait la demande
d'aide et de secours afin de poursuivre
« l'oeuvre du Seigneur » ;
et plus il cherchait, plus il était
amené à conclure, avec saint Paul,
que la générosité devait
être stimulée comme une grâce
chrétienne. Aussi prêcha-t-il souvent
avec une puissance particulière sur ces
paroles de saint Paul : « De
même que vous excellez en toutes choses, en
foi, en parole, en connaissance, en zèle
à tous égards et dans votre amour
pour nous, faites en sorte d'exceller aussi dans
cette oeuvre de bienfaisance ». Mais son
appel préféré étaient
les paroles du Christ même, lorsque
s'approchant de Jérusalem, Il envoya deux de
ses disciples chercher une ânesse et son
ânon, en leur disant : « Si
quelqu'un vous demande quelque chose, vous
répondrez : « Le Seigneur en
a besoin ».
On peut se rendre compte de la
manière dont Barnardo se servait de ce
texte, pour rappeler aux chrétiens que s'ils
sont fidèles à leur foi, ils sont
réellement « les mains de
Dieu », par lesquelles il envoie des messages
d'amour à ses
petits qui en ont besoin », par ses
propres paroles écrites en
1889 :
« J'ai donc parlé aussi
souvent que possible de vive voix et à
d'autres moments par des
« appels » imprimés,
toujours animé par l'esprit du message que
notre Seigneur a donné, un jour, à
ses disciples et montrant les richesses, les
talents, le temps et les hommes, j'ai dit, avec
grande simplicité : « Le
Maître en a besoin ».
« En résumé j'ai
pensé, puisque c'est le devoir des
« ministres fidèles de l'Evangile
de faire des remontrances à leur troupeau
pour toute désobéissance aux
exhortations de la Parole de Dieu, en ce qui
concerne les obligations et les devoirs
généraux de la vie et du service
chrétien, qu'il est bon que des voix
sérieuses s'élèvent de temps
en temps dans l'Eglise pour affirmer le
privilège et le devoir de soutenir les
missions en terre païenne et dans la
métropole ; montrer qu'il est plus
heureux de donner que de recevoir, et annoncer par
tous les moyens légitimes cette grande
vérité que l'oeuvre du Christ dans le
monde demande le sacrifice personnel et la
consécration généreuse, de la
part de ceux qui portent Son nom. J'ai
essayé de montrer à des milliers de
ceux qui ont toujours des objections de principes
quand il s'agit du service actif, que leur
responsabilité, en face de
l'évangélisation des masses, du salut
de ceux qui périssent, du sauvetage des
enfants malheureux et sans foyer ne peut être
écartée en donnant un
somnifère à leur conscience et qu'une
obéissance littérale à ce
commandement de Christ : « Laissez
venir à moi les petits enfants »,
est le devoir minimum de tous les chrétiens.
Aussi, loin de sentir que de tels
« appels » impliquent de ma
part un manque, de foi, je n'ose jamais en faire
un, sans l'avoir remis à Dieu dans une
ardente prière et m'attendre à Lui,
chaque jour, pour les résultats. Quant
à perdre ma dignité en assumant le
rôle de mendiant, si même cela eut
jamais été, ce
serait vraiment peu de chose pour moi, quand il
s'agit de l'oeuvre de Dieu. »
En appelant ainsi le peuple des
chrétiens à la
libéralité, Barnardo pouvait parler
au nom d'une expérience profonde. Il avait
consacré dix-sept années environ de
sa vie au service des
« Homes », sans accepter aucun
traitement ; et lorsqu'enfin, pressé
par les nécessités
financières, il dut accepter un salaire,
celui-ci n'était pas la moitié de ce
qu'il aurait pu gagner comme médecin. Mais
une autre chose encore lui permettait de parler
sans fausse honte ; depuis le jour de sa
conversion, il avait mis à part pour
« la cause du Seigneur » une
partie de son revenu.
Au cours de ses nouvelles
expériences, les vues de Barnardo au sujet
de l'argent vinrent s'accorder avec la
célèbre injonction de Wesley :
« Faites tout ce que vous pouvez ;
épargnez tout ce que vous pouvez ;
donnez tout ce que vous pouvez ». Car il
en était arrivé à croire,
comme Wesley, que l'argent honnêtement
gagné, honorablement épargné
et généreusement donné
à des fins chrétiennes devient un
véritable sacrement par lequel Dieu exprime
son amour envers les indigents. Mais avant sa mort,
Barnardo aurait voulu aller plus loin et prendre
à son compte la parole de William
Booth : « Donnez-moi votre argent et
je le purifierai. Je le laverai dans les larmes de
ceux qui n'ont pas de père et je le placerai
sur les autels de l'humanité ».
Ainsi à mesure que les années
s'écoulaient. les appels de Barnardo
s'étaient considérablement
étendus ; mais à ce sujet il
faudrait se rappeler que jamais - quelque pressant
que fut son besoin d'argent - il ne voulut faire un
appel qui ne fut pas entièrement basé
sur la foi chrétienne. Plus d'une fois, on
lui fit remarquer que s'il voulait faire certains
appels sans parler de sa foi, les appels pourraient
atteindre un milieu riche qui serait un appui
financier sûr et important. Mais il s'y
refusa toujours.
Barnardo répétait souvent
qu'il avait une « mission spéciale
parmi les avares » et il insistait
continuellement sur cette pensée que tous
les hommes, quel que fût leur rang social,
leur couleur, leur nationalité ou leur
profession de foi, sont les intendants des
trésors de Dieu. Les conséquences de
cette manière de voir étant donc
universelles, les portes de ses
« Homes » étaient
ouvertes absolument à tous - mais ce fait
n'altérait nullement le caractère
chrétien de son appel, et nombreuses sont
les preuves de son efficacité. Au
début, alors qu'il s'adressait à un
petit auditoire, dans un salon, il expliqua que ses
dépenses hebdomadaires étaient alors
de 350 livres, et suggéra que certaines
personnes présentes pourraient, si elles
répondaient pleinement à l'appel de
Christ, faire vivre les
« Homes » pendant une semaine
et même davantage. Le lendemain matin, il
trouva parmi les chèques reçus au
quartier général, un chèque de
1.400 livres portant cette mention :
« Pour faire vivre votre famille pendant
quatre semaines ».
Mais bien que Barnardo sentit qu'
« il était chargé du devoir
pressant » d'insister, « de la
façon la plus énergique »,
sur les besoins des enfants indigents et d'
« éveiller ainsi les consciences
indolentes », il croyait
profondément, après avoir fait tout
son possible, qu'il était absolument
dépendant de Dieu. Et plus d'une fois,
à toute extrémité, Dieu
était intervenu pour sauver la situation. Il
aurait pu dire avec l'un des plus grands hommes
d'État des temps modernes :
« Je ne me tourmente jamais. Je fais
toujours de mon mieux. Je laisse le reste entre les
mains de Dieu ». Et sa confiance
était bien placée. Le printemps 1882
trouva Barnardo dans de grands embarras financiers.
Les revenus avaient diminué de semaine en
semaine ; dans quelques jours, il faudrait
faire face à de lourdes
échéances.
La situation matérielle des
« Homes » était un sujet
de prière spécial de tout le
personnel ; néanmoins les revenus
continuèrent
à diminuer terriblement pendant plusieurs
jours. Leur foi était mise à une rude
épreuve, mais quand la situation devint
désespérée, il se passa une
chose étonnante :
« Le 3 mai, au cours de
l'après-midi », écrit
Barnardo, « je fus informé qu'une
dame désirait me voir... Elle refusait
absolument de faire connaître le but de sa
visite. Je ne la connaissais pas, disait-elle, mais
si je voulais seulement la recevoir un instant,
elle en serait heureuse. Aussi attendit-elle au
milieu des visiteurs, des portiers et des enfants
pauvres qui demandaient à être admis
dans les « Homes ». J'essayais,
en vain, d'avoir quelques minutes tranquilles pour
écrire une lettre urgente, dans une
pièce située à l'étage
supérieur, lorsque je fus appelé
auprès d'un visiteur qui attendait dans la
salle de vente. Je dus traverser le hall du
rez-de-chaussée où était
assise ma visiteuse obstinée. Elle me dit
alors « Il est difficile de vous
approcher ». Je lui
répondis : « Non, pas
exactement, mais je suis très occupé
et à moins que les visiteurs aient quelque
affaire très particulière à me
communiquer, je les laisse au soin de mes chers
collaborateurs ». - « Mais j'ai
de l'argent pour vous », me dit-elle. -
« Je vous remercie »,
répliquais-je. « Je suis toujours
heureux de recevoir un tel secours et tout
spécialement en ce moment. Voulez-vous
attendre un moment et je serai à
vous ». Je me dirigeai vers mes autres
visiteurs. Je terminerai avec eux rapidement, puis
je fis entrer cette amie obstinée dans mon
bureau privé. Elle se tint d'abord à
la porte et dit, pendant que son visage s'inondait
de larmes : « Je vous apporte cet
argent parce que vos portes sont toujours ouvertes
à tous les pauvres enfants. Poursuivez cette
oeuvre bénie. Ne renvoyez jamais aucun
enfant indigent. Dieu vous aidera, j'en suis
certaine », et à mon plus grand
étonnement elle plaça dans mes mains
un chèque de 1.000 livres sterling de la
Banque d'Angleterre...
Je respirais avec peine, tandis que
l'étonnement et la gratitude remplissaient
mon coeur et je ne parvenais pas à les
exprimer. Pendant ce temps ma visiteuse me donna de
nouveaux sujets de reconnaissance et
d'étonnement en disant : « Et
je me réjouis de savoir que vos enfants sont
éloignés de la corruption de
l'Assistance publique et que vous cherchez à
les élever dans la crainte du
Seigneur ».
Puis elle plaça dans ma main qui
se retirait un autre chèque de 1.000
livres... Je me résignai alors à
l'inévitable. Je ne pouvais que
penser :
... Que tes voies sont merveilleuses,
ô Seigneur » et certes ce sentiment
devint une stupéfaction absolue quand ma
visiteuse tira lentement de son sac un
troisième chèque de 1.000 livres
qu'elle plaça sur les deux autres, dans ma
main !
Refusant de se nommer et même
d'accepter un reçu, mais m'assurant qu'elle
connaissait notre oeuvre en détails, qu'elle
l'avait visitée et qu'elle priait pour elle,
ma visiteuse se détourna avec
vivacité et disparut
aussitôt. »
La veuve du docteur Barnardo a
raconté à l'auteur l'épisode
suivant : « Au cours d'un hiver
particulièrement précoce et, de plus,
le nombre des admissions s'étant accru
rapidement, les couvertures devinrent si rares
qu'il fallut placer des feuilles de papier sous les
couvre-pieds ; mais cela ne pouvait
naturellement pas durer. Il fallait un grand nombre
de couvertures et l'argent manquait. De ferventes
et nombreuses prières
s'élevèrent à Dieu, et, le
lendemain matin, un quaker vint rendre visite
à Madame Barnardo. Il raconta que la nuit
précédente, il ne pouvait dormir, car
une voix ne cessait de lui dire :
« Les enfants de Barnardo frissonnent
dans leur lit ! Pourvois toi-même
à leurs besoins ! » Cet homme
bon s'enquit du montant de la somme
nécessaire et fit aussitôt un
chèque de trois chiffres, et la nuit
suivante chaque enfant dormait confortablement au
chaud.
Les « Homes » firent
souvent l'expérience de semblables
délivrances. Voici une intervention que
Barnardo aimait à rappeler. Il fut
informé, un jour, par une brève
notice, qu'il lui faudrait payer 500 livres presque
immédiatement, sinon on prendrait
hypothèque. Deux jours avant la date
funeste, il n'y avait pas un seul
« penny » qui put être
consacré à cette dette et pour
aggraver cet état de choses, il survint une
nouvelle réclamation de 50 livres. Le jour
qui précéda la menace d'exclusion,
les recettes étaient inférieures au
dépenses ; le matin du jour critique,
elles étaient encore moindres. L'espoir
semblait vaincu. Tout ce que pouvait faire alors
Barnardo était d'aller se mettre à la
merci de l'homme de loi qui avait en mains
l'hypothèque. Il se rendait, le coeur
très lourd, au bureau de l'avocat, lorsqu'en
descendant Pall-Mall, il fut abordé par un
officier : « Pardon, Monsieur !
N'êtes-vous pas le docteur
Barnardo ? » L'inconnu expliqua
qu'il revenait des Indes, et lui remit un paquet
pour ses « Homes ».
Bientôt, Barnardo assis dans un club de
Pall-Mall, ouvrait le paquet qui renfermait une
petite boîte contenant 650 livres, le
bénéfice d'un bazar hindou.
Malgré le souvenir de tant de
délivrances merveilleuses, le Comité
de Barnardo s'alarma plus d'une fois à la
vue des proportions que prenait l'oeuvre. des
« Homes » et des
dépenses qu'elle entraînait. Car bien
que les recettes augmentassent rapidement, les
dépenses marchaient de pair et parfois
même les dépassaient. Si, par exemple,
une hypothèque était prise au cours
d'une année, l'année suivante un
nouveau programme de constructions augmentait la
dette. De plus, Barnardo était un homme
capable de tenir en échec n'importe quel
comité, car s'il pensait que son devoir lui
dictait un certain plan d'action, il avait recours
à des méthodes péremptoires
pour y arriver, et il était alors
extrêmement difficile de le retenir. Ainsi.
en 1881, il publia, sans en
informer le Comité, un article dans le
Christian au cours duquel il annonçait son
intention d'ouvrir une maison de travail pour les
jeunes « indigents ayant
dépassé l'âge de
l'enfance ». Le Président du
Comité des « Homes » vit
« par hasard » l'annonce de ce
projet, accompagné d'un appel de fonds. Le
courrier suivant apporta à Barnardo une
lettre tranchante. Lord Cairns n'exprimait aucun
doute au sujet de l'
« urgence » de semblables
projets, « ou de la possibilité de
soulager de cette manière beaucoup de
souffrances et de
détresses » ; mais il
craignait que les portes des
« Homes » n'eussent
été déjà trop largement
ouvertes et il « ne pouvait accepter de
partager la responsabilité d'un nouveau pas
en avant ». C'est pourquoi il
écrivait immédiatement :
« Si une organisation de ce genre est
ajoutée à l'oeuvre.... je dois cesser
d'être Président ».
En dépit de cette protestation,
une maison de travail pour les jeunes gens fut
ajoutée, cette année-là, aux
« Homes », et pourtant Lord
Cairns ne donna pas sa démission. Il resta
jusqu'à sa mort le loyal Président du
Comité de la Mission. Souvent il
était essoufflé pour arriver à
suivre Barnardo, mais son coeur était trop
intimement lié à « la cause
des enfants », pour qu'il
abandonnât la lutte. Et après tout,
neuf fois sur dix, lorsque des différents
s'élevaient entre lui et Barnardo, il
finissait par reconnaître que c'est Barnardo
qui avait raison.
Mais Lord Cairns mourut avant que le
problème financier eut atteint son maximum
d'intensité. Les agrandissements pleins de
risque de 1887-88 avaient mis sur les
« Homes » le poids d'une lourde
hypothèque, et la politique tout aussi
aventureuse de 1891-92, pour établir toute
une chaîne de « Portes Toujours
Ouvertes » dans les villes de province,
amena un flot de candidats sans
précédent. En conséquence,
bien que les contributions eussent atteint 76.000
livres en 1886 et 150.000 livres
en 1894, l'expansion de l'oeuvre avait
été si extraordinaire que chaque
« penny » d'augmentation
était employé dans les
dépenses courantes, et la dette, loin de
diminuer, s'était accrue. Le Comité
et les administrateurs étaient alors
effrayés à juste titre. « Y
aura-t-il jamais de limite à cette
expansion ? » Et plus ils
cherchaient une solution, plus ils sentaient qu'il
devait y avoir un arrêt.
En effet, ils disaient que si l'on n'y
mettait pas un frein, la promesse, si chère
à Barnardo, de ne refuser aucun enfant
indigent, devrait cesser d'être.
C'est dans cet état d'esprit que
s'assembla, au mois de mars 1893, une
conférence du Comité et des
administrateurs réunis. Et bien qu'elle
exprima « une sympathie, toujours
égale et une profonde reconnaissance pour le
travail et l'abnégation du docteur Barnardo,
elle déclara toutefois que la situation
nécessitait une solution immédiate.
Cinq décisions furent donc prises par
lesquelles il fut convenu que Barnardo serait
désormais lié.
1. N'admettre aucun cas nouveau si ce
n'est ceux d'extrême urgence.
2. Réduire les mises en pension
jusqu'à ce qu'elles soient
inférieures à 500. Elles ne seront
pas augmentées sans une autorisation
spéciale des administrateurs.
3. Une somme moyenne de 1.000 livres
sera payée chaque mois pour éteindre
les anciennes dettes.
4. Les commerçants et autres
personnes qui acceptent des billets doivent signer
un papier indiquant que les fonds seuls de
l'Institution sont responsables et les
créanciers n'ont aucune réclamation
à faire à quelque personne
présente que ce soit, en dehors du docteur
Barnardo.
5. Une assurance de 20.000 livres sera
prise aussitôt que possible sur la vie du
docteur Barnardo.
Il est inutile de dire que Barnardo
n'accepta pas ces décisions sans de
sérieuses réserves. Les administrateurs pouvaient
assurer sa vie en faveur des
« Homes » pour une somme de
20.000 livres, mais quant au reste, il en appelait
aux lecteurs de Night and Day, et cet appel est
peut-être le plus pathétique qu'il eut
jamais fait. Il commençait
ainsi :
« Je me trouve face à
face avec le problème le plus grave que j'ai
jamais rencontré au cours de mes vingt-sept
années de travail parmi les enfants
indigents. Devrai-je fermer partiellement mes
portes et entendre le cri de chaque enfant devenu
indigent pour la seconde fois, qui demande du
secours et à qui je répondrai, comme
je ne l'ai jamais fait jusqu'ici, par un
refus ?
« Voilà la question, et
la nécessité de la poser est le plus
grand chagrin qui ait jusqu'à ce jour
assombri l'oeuvre de ma vie.
« Je ne sais comment
dépeindre mes sentiments quand je contemple
cette douloureuse alternative. Dois-je vraiment
refuser des enfants ? Je suis certain que les
chrétiens du monde entier qui aiment leur
Maître et dont le coeur ne peut rester
insensible à cette éventualité
que « les enfants de leur Seigneur
seraient renvoyés sans aide ni
secours », répondront - je ne puis
en douter - d'une manière prompte et
décisive :
« Non, il ne doit pas en
être ainsi ».
« Je n'hésite pas
à dire que si je dois adopter les
suggestions de mon Comité, cela
abrège ma vie plus encore que tout ce qui a
pu m'arriver au cours de toutes ces années.
D'une part, je ne sais vraiment pas comment faire
pour suivre leur conseil et, d'autre part, je suis
contraint d'admettre... que cela me parait une
cruelle
nécessité... »
Puis après avoir donné des
explications au sujet de la dette et à celui
de l'oeuvre accomplie en 1892, ainsi qu'un
aperçu de la situation actuelle, il
conclut : « Oserais-je...
après tout ce que nous venons de voir,
commencer à fermer mes portes devant un seul
de ces enfants sans foyer ? Je ne peux pas
croire qu'il faille véritablement en arriver
là. Quelque prudent que puisse être le
procédé suggéré par mon
Comité dans les circonstances actuelles, il
nécessite de ma part un certain oubli de la
Mission pour laquelle j'ai été
appelé, j'en ai la ferme assurance, il y a
vingt-sept ans, alors que tout jeune encore - je
n'avais pas vingt-et-un ans - j'entendis, pour la
première fois, la voix de Dieu m'ordonner de
« paître » en Son nom.
les « agneaux » de son
troupeau. »
La réponse à cet appel
suffit à desserrer l'étreinte qui
menaçait d'étouffer l'oeuvre.
L'expansion des « Homes »
était maintenue, et quant à la
limitation du système de mise en pension,
Barnardo vécut assez longtemps pour voir sa
famille d'enfants placés, sept fois plus
grande que celle que le Comité et les
administrateurs acceptaient alors.
Mais bien qu'il échappât
à l'étau des
nécessités, Barnardo fut d'accord
pour chercher à faire le plus
d'économies possible, car l'oeuvre ne
pouvait continuer à s'étendre avec
une telle rapidité sur tous les fronts, et
une augmentation de la dette aurait compromis son
équilibre financier. Aussi malgré
l'augmentation des recettes on fit des coupes
sombres. « La maison des
diaconnesses » qui, pendant de longues
années, avait rendu d'excellents services
parmi les pauvres, fut fermée et les bureaux
des Missions extérieures furent
diminués, afin de concentrer toutes les
ressources sur les « Homes ».
Plusieurs publications furent également
suspendues temporairement et le Rapport annuel ne
fut envoyé qu'à ceux qui le
demandaient. Grâce à cela, aucun
enfant « indigent » ne fut
refusé.
À cette époque
également fut créée une
organisation qui devait rendre des services
signalés.
Par un jour glacial de novembre 1891,
Barnardo admit un nombre extraordinaire d'enfants
parmi lesquels se trouvaient deux fillettes
infirmes et un petit garçon aveugle. Vers
minuit, assis près du feu, Barnardo méditait sur
le
problème que posaient semblables admissions,
lorsqu'il s'endormit et il fit un rêve
remarquable.
Il se promenait au bord d'une
rivière étroite et rapide lorsqu'un
cri perçant le fit tressaillir :
« Au secours, au secours ». Un
jeune garçon était tombé dans
le torrent et était entraîné,
en danger de mort. Barnardo se précipita
à son aide en criant : « Au
secours, au secours ». Arrivé
à l'endroit précis où se
noyait le jeune garçon, il se pencha de tout
son long sur le bord de la rivière ;
mais ses bras n'étaient « pas tout
à fait assez longs » et dans son
rêve il croyait qu'il ne savait pas nager.
L'enfant passa devant lui épuisé,
entraîné par le courant. Barnardo
courut de nouveau sur la berge en appelant au
secours de toutes ses forces. Malgré tous
ses efforts l'enfant était maintenant hors
d'atteinte. Il était au désespoir,
lorsque quelques enfants qui avaient entendu son
appel accoururent. « Nous vous
retiendrons monsieur ! Ne craignez
rien ! ». Il se lança alors
au milieu de la rivière tandis que, les
enfants le retenaient par les pieds, et il parvint
à saisir l'enfant qui se noyait. Un instant
plus tard, ils étaient tous deux sains et
saufs sur la rive. Le jeune garçon avait
été sauvé juste à
temps, grâce à l'aide des
enfants.
Tout comme le rêve qu'il fit avant
la création du « Village
Home », Barnardo le considéra
comme une révélation. Pourquoi ne pas
grouper les « enfants
privilégiés » sains et
saufs sur le rivage, en une troupe de sauveteurs
qui iraient délivrer leurs frères et
soeurs qui périssent dans la sombre
tourmente de l'ignorance, du vice et du
péché ?
Quelques jours plus tard, la Ligue des
jeunes « Sauveteurs »
était née ; et malgré ses
très humbles débuts, elle donne
aujourd'hui plus de 50.000 livres par an. Elle
n'est pas moins utile aux enfants riches qu'aux
enfants indigents, car fidèle à son
but, elle sut chez les premiers,
cultiver les qualités du coeur. Il n'est pas
de spectacle plus impressionnant que la
réunion annuelle de cette Ligue, à
l'Albert-Hall, à Londres, où des
milliers de jeunes enfants riches rencontrent les
enfants pauvres, et entendent parler de la vie de
ces derniers dans les
« Homes ». L'accroissement de
cette Ligue fut remarquable dès le
début. Conçue le 20 novembre 1891,
ses contributions étaient de 2.186 livres en
1892 et en 1905, année de la mort de
Barnardo, elles atteignaient déjà
17.000 livres.
Cependant, malgré l'augmentation
des fonds et une stricte économie, Barnardo
ne vécut pas assez longtemps pour voir la
libération des hypothèques. Certains
« anciens garçons »,
à l'étranger, envoyaient chaque
année au Docteur, en témoignage de
reconnaissance, vingt-cinq à trente moutons
frigorifiés ou d'autres dons
également généreux ; des
inventions ingénieuses, comme celle de
collectionner des boîtes d'allumettes,
aidaient à augmenter les fonds, si bien que
le Docteur put voir son revenu annuel
dépasser 200.000 livres. Il vécut
assez longtemps également pour voir sa
famille compter en un seul jour une moyenne de plus
de 7.000 enfants, et sa troupe annuelle
d'émigrants compter plus de 1.100 jeunes.
Les finances furent donc jusqu'à la fin le
problème le plus difficile qu'il eut
à affronter.
J'ai là, devant moi, une haute pile de
lettres échangées entre Barnardo et
M. Harry Eleuslie, son beau-frère,
l'Intendant principal des
« Homes ». La plupart de ces
lettres sont datées de 1904-5 ; et si
jamais une correspondance révéla un
effort désespéré pour
l'économie, c'est bien celle-ci. Mais quel
qu'embarrassées que fussent ses finances,
Barnardo ne voulut jamais accepter de camelote, et
plus d'un commerçant apprit à ses
dépens qu'on ne pouvait pas inonder les
« Homes » de marchandises de
mauvaise qualité. Se rappelant certains
fauteuils de jardin, vendus comme une
« occasion » pour le
« Village Home », Barnardo
écrit : « Ils s'inclinent lorsque vous
les
regardez. Deux d'entre eux tanguent terriblement.
Une fillette passe auprès d'eux, les
frôle de sa jupe et les voici
renversés, les pieds en l'air ».
Puis il demande - « N'y a-t-il aucun
moyen de rendre ces gens responsables de nous avoir
vendu un tel matériel ? ».
Dans une autre lettre il ajoute :
« Ne pourriez-vous pas attraper le coquin
qui nous a vendu cet affreux pain d'épice,
ces fauteuils de jardins instables.... afin qu'il
nous fasse des excuses, reprenne son mauvais
matériel et nous rembourse de la peine
d'avoir dû nous en servir pendant quelque
temps ? Je n'ai jamais rien vu de plus
« pourri ». Ce ne fut pas le
seul commerçant malhonnête qui
eût à trembler devant la colère
de Barnardo.
Quand le Docteur mourut, la dette des
« Homes » s'élevait
à un total de 250.000 livres. Mais à
ce moment-là, la Nation comprit alors
brusquement la grandeur de l'homme qu'elle venait
de perdre et aida à éteindre la
dette. William Baker, ancien collaborateur de
l'oeuvre, abandonna une situation lucrative au
barreau pour devenir Directeur volontaire, tandis
que feu Howard Williams (ce vétéran
trésorier honoraire des
« Homes »), aidé par un
vaillant Comité de chrétiens,
entreprît la création d'un fond
commémoratif ; enfin, grâce aux
contributions provenant du Trône en faveur
des taudis, chaque « penny » de
la dette fut bientôt effacé.
Depuis, les efforts financiers ont
été grandement facilités. Le
Comité a eu encore des ennuis d'argent, mais
jamais plus un tel nuage de dettes n'a plané
au-dessus de lui ; et jusqu'à
maintenant, la promesse inscrite sur le fronton des
« Homes » a été
respectée.
De plus, malgré l'augmentation
des demandes qui a amené la création
de nouvelles institutions, telles que « la
Cité des
jardins » pour les garçons,
« l'École technique de William
Baker », « l'École
nautique de Russel Cotes », etc.... les
méthodes financières du Docteur ont
été respectées. Jusqu'à
ce jour, l'appel est uniquement un appel aux
chrétiens. Cependant, comme autrefois, les
« Homes » considèrent de
leur devoir d'encourager les gens à donner.
Ils redisent, après Barnardo, en parlant des
biens temporels, des talents et du temps :
« Le Seigneur en a
besoin ».
Nous ne pouvons pas explorer en
détail ici toutes les nouvelles
créations faites depuis la mort de Barnardo.
Il nous suffira de dire que chaque pas en avant a
été fait - comme autrefois - pour
faire renaître une joie perdue et
réveiller l'âme de l'enfance dans le
coeur des bambins malheureux. Ce miracle se
continue, au nom et par la puissance du Christ dont
Barnardo était le disciple.
Les « pences » des
enfants qui auraient pu être
dépensés en bonbons, les shillings
dus au sacrifice des pauvres, les billets d'une et
de cinq livres des classes moyennes, les dons plus
importants des gens riches, les milliers de
contributions importantes ou non, les collectes des
Églises et des Écoles du dimanche, le
revenu des concerts et des ventes, les fonds des
« journées » et les
legs, sont les principales ressources qui
produisent les 150.000 livres qui sont
nécessaires chaque année pour
nourrir, loger, vêtir, éduquer,
instruire en vue d'un métier, placer dans la
vie et suivre avec sollicitude la Plus Grande,
Famille du Monde. Cependant une catégorie de
revenus des oeuvres de Barnardo mérite qu'on
s'y arrête un instant.
Peu de temps après
l'ensevelissement de Barnardo, Miss Effie Bentham,
aide volontaire qui, pendant des années,
avait refusé un poste
rétribué, reçut un
« appel » particulier. Au cours
d'une visite à Middlesborough, dans le
Comté d'York, elle fit un rêve
étrange : Elle passait devant la cour
d'une vaste manufacture, lorsqu'éclatèrent
à ses oreilles des cris d'enfants
profondément angoissés. Elle
pénétra précipitamment dans la
cour et aperçut alors une immense foule de
travailleurs ; mais aucun d'eux ne semblait
entendre les gémissements des enfants. Elle
s'approcha vivement de la foule et
découvrit, au centre de la cour, tout un
groupe de garçons et de fillettes
étendus sur le sol, pieds et mains
liés, et dont le sang s'échappait par
de nombreuses blessures. Elle s'agenouilla pour
délier leurs chaînes. Mais les
chaînes se riaient de sa force. Que
faire ? À cet instant des mains fermes
la saisirent sous les bras et en s'élevant
dans l'air, elle put voir que les ouvriers se
rassemblaient autour des enfants, tandis que mille
voix s'écriaient en choeur :
« Nous allons les délivrer,
mademoiselle ».
Miss Bentham n'eut aucun doute quant
à la signification de son rêve. De
vaillants ouvriers avaient promis de l'aider ;
c'était à elle de tout organiser.
Elle se mit à cette tâche avec
zèle et aujourd'hui la « Ligue,
Internationale du " Farthing " » qu'elle
créa, recueille chaque année, par les
pièces de bronze des ouvriers d'usine,
environ 45.000 livres.
Il faut encore mentionner la
générosité illimitée de
deux vétérans récemment
entrés dans le repos. Aucun homme ne lutta
plus fidèlement auprès de Barnardo
que feu Howard Williams, fils de George Williams,
le fondateur des U. C. J. G. dans le monde. Pendant
toute sa vie et jusqu'à sa mort, en 1929,
Howard Williams fut trésorier honoraire des
« Homes » ; et le monde ne
saura jamais de quelle façon
généreuse il les aida. Un incident
caractéristique est cependant connu. En
reconnaissance des services qu'il rendit pendant la
guerre aux jeunes gens sur le front, des parents et
des amis se réunirent pour lui offrir un
cadeau de 10.000 livres, auxquelles
s'ajoutèrent 4.000 livres des marchands
drapiers qui avaient fait des affaires avec sa
maison de commerce. Ces sommes furent
versées entièrement aux « Homes »,
et la plus grande partie fut employée
à la création d'une maison
d'héliothérapie à Folkestone,
pour le traitement des enfants atteints de
tuberculose osseuse. Mais il ne voulut pas qu'il
fût question de le nommer :
« Howend William Home ». Il
insista pour qu'on lui donna le nom d'un ses amis,
un médecin célèbre. Aussi
est-il connu aujourd'hui sous le nom de
« Bruce Porter Home ».
Cet incident est bien
représentatif du
désintéressement que les
« Homes » connaissent bien. Le
Président, feu William Me Call, du Conseil
du Gouvernement, dont la mort suivit de près
celle d'Howard Williams, n'était pas moins
généreux que son ancien ami et
collègue ; et il était aussi
modeste, dans tout ce qu'il faisait. À un
âge où la plupart des hommes ne
cherchent que le repos, pendant une crise assez
grave dans les affaires des
« Homes », il prit sur lui tout
le lourd fardeau de la direction, et comme Barnardo
et William Baker avant lui, il le porta
jusqu'à sa mort.
Pour tous ces hommes, un enfant indigent
était un ami dans le besoin, et que peut
faire un homme, de plus, que de donner sa vie pour
ses amis, comme le fit réellement chacun
d'entre eux ? Si jamais les trompettes des
anges résonnèrent un jour, ce fut,
sans aucun doute, lorsque ces nobles âmes
abordèrent à l'Autre Rive.
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