Au mois de juin 1921, à l'occasion
de la mort de l'honorable James Page, le Parlement
Fédéral d'Australie fut
ajourné. Pendant plus de quinze
années, M. Page avait été
envoyé sans interruption par la même
circonscription à la Chambre australienne,
où il avait occupé des postes en vue
du Gouvernement, en particulier celui de
Secrétaire principal ; son
honnêteté reconnue par tous, sa
conduite sans reproches et ses services
distingués, lui ont gagné l'estime de
toute la Chambre. C'était un homme dont la
nation était fière ;
d'après les articles publiés à
sa mort, il était certainement le
législateur d'Australie le plus aimé
à cette époque.
Mais d'où venait cet homme dont
on couvrait de louanges la carrière ?
Page lui-même n'était jamais aussi
fier que lorsqu'il pouvait rappeler les faits de
son enfance. Tout jeune, il avait été
vagabond dans les rues de Londres. Mais bien
pire ! Il était en train d'apprendre le
métier de voleur quand le docteur Barnardo
intervint dans sa vie et le dirigea vers une
carrière utile. Plus d'une fois du haut
d'une estrade, Page raconta l'histoire de son
sauvetage.
Il était à Cable Street
dans l' « East-End », avec un
autre gamin, en train d'essayer de voler un
Français ivre qui portait une tirelire,
quand Barnardo l'en empêcha et, voyant qu'il
était sans foyer et totalement indigent,
l'admit au « Home » de
Stepney.
Après plusieurs années de
solide instruction, le jeune Page partit à
l'étranger et après s'être
distingué à la guerre des Boers, il
devint colon en Australie, où après
avoir amassé une fortune de 50.000 livres,
il entra au Parlement comme député du
peuple. Et toute l'Australie sait comment il l'a
servi. Le premier Ministre, sous le Gouvernement
duquel il fut Secrétaire
général, parle de lui comme de l'
« un des collaborateurs les plus
fidèles et les plus dignes de confiance
qu'un chef de Gouvernement pût
désirer ». Et le Secrétaire
du cabinet d'Australie à Londres
déclara que sa « carrière
méritoire » avait honoré sa
patrie d'adoption, autant que « le
« Home » dans lequel il avait
été
élevé ».
Toutefois Page ne servit pas seulement
fidèlement le peuple australien : il
aida matériellement à forger une
chaîne de sympathie entre l'Australie et les
« Homes » auxquels il devait
tout. En 1908, quand le pasteur W.-J. Mayers fit un
voyage en Australie pour représenter les
« Homes » de Barnardo, Page
présidait sa grande réunion dans la
capitale et, après avoir annoncé
à ce grand auditoire qu'il était un
« ancien garçon
Barnardo », il raconta l'histoire de son
sauvetage. Il fit plus encore. Il fit passer une
liste de souscription, parmi les membres du
Parlement fédéral, ayant mis en
tête un généreux don personnel,
et il aida largement à la construction du
magnifique « Hôpital
australien » au « Girls Village
Home ». Mais cet
« ancien » se rappelait encore
l'oeuvre accomplie par les
« Homes » d'une autre
façon. « Plus d'une fois, j'ai
prié pour le cher bienfaiteur des pauvres
vagabonds de Londres » ; puis il
disait en parlant de la mort de Barnardo :
« Il me semble avoir perdu
véritablement quelqu'un des
miens ».
L'honorable James Page n'est qu'un
exemple particulier parmi les milliers de vies
humaines, transformées et
embellies par les « Homes » de
Barnardo. Et, bien que les miracles de Barnardo
soient partout visibles en Grande-Bretagne, les
plus beaux fruits des
« Homes », comme le montre la
vie de Page, se trouvent dans les Dominions au
delà des mers.
Depuis de nombreuses années,
l'oeuvre lancée par les deux soeurs
remarquables, Annie Mac Pherson et Madame Birt -
les pionnières de l'émigration des
jeunes - a été incorporée aux
« Homes » du docteur Barnardo.
D'ailleurs cette incorporation était
très normale : car dès le
début, Barnardo coopéra de grand
coeur avec ces femmes particulièrement
douées ; et lorsqu'en 1870, elles
emmenèrent au Canada la première
caravane de jeunes gens qui eussent jamais
foulé le sol colonial, il y avait parmi ces
« cent premiers », quelques
jeunes gens de Barnardo, et il avait lui-même
pour cette circonstance
« préparé » la
plupart de ces jeunes gens. De nouveau, entre 1870
et 1882, lorsque le docteur mit sur pied son plan
d'émigration à lui, il envoya environ
mille de ses enfants sous l'égide de Miss
Mac Pherson, et même lorsque les deux
organisations travaillèrent
séparément, la plus cordiale entente
régna toujours entre elles. Il était
donc tout naturel qu'après une existence de
service désintéressé, au cours
de laquelle environ 20.000 enfants indigents furent
placés dans des familles canadiennes,
lorsque l'oeuvre Mac Pherson-Birt fut sur le point
de succomber en des temps difficiles, elle fut
sauvée par celle de Barnardo.
À cause de cela, ces deux
institutions, longtemps unies, peuvent maintenant
être considérées comme une
seule et légitimement incorporées
dans les « Homes » du docteur
Barnardo. Quel spectacle se présenterait
alors à nos yeux si nous pouvions passer en
revue les carrières de cette armée
d'enfants envoyés dans les Nouvelles Terres
Promises. Elle comprendrait 50.000 hommes
vigoureux, cette armée coloniale : ce
qui signifie que plus de la
moitié des jeunes anglais envoyés
dans les Dominions, par toutes les
sociétés réunies
d'émigration pour les enfants, serait
comprise dans ses rangs. Elle prit naissance en
1870 et elle progresse chaque jour.
Si nous pouvions par l'imagination la
passer en revue, ce serait un spectacle
étonnant.
Parmi les 50.000 « anciens et
anciennes », il y a des
législateurs et des ministres d'État
en Australie et au Canada. On trouve
également dans leurs rangs tout un noble
bataillon de directeurs d'institutions
philanthropiques, tels que le
« Home » Knowles à
Kildonan, à Winnipeg, de secrétaires
d'U. C. J. G., de missionnaires, de pasteurs, et
même de docteurs en théologie. En
outre, au premier rang de ce défilé,
se trouveraient des minéralogistes, des
pharmaciens, des intendants, des ingénieurs
civils, des ingénieurs électriciens,
un groupe de dentistes, une compagnie d'avocats et
d'avoués, un corps de médecins et de
chirurgiens et même de maîtres de
conférences d'université. En effet,
tandis que ces 50.000 défilent, on peut
observer que chaque branche des professions
libérales y est noblement
représentée, tandis qu'à leur
côté, s'avance un certain nombre
d'organistes d'églises, de musiciens et de
cantatrices, de chefs d'orchestres, de
journalistes, d'éditeurs, de directeurs de
journaux, d'artistes renommés et tout un
corps important d'infirmières qui, dans des
centaines de maisons, de l'Atlantique au Pacifique,
se sont montrées de véritables anges
auprès des malades.
Ensuite arrive un régiment
d'hommes et de femmes d'affaires au regard
pénétrant, qui compte plus d'un
millier de soldats. Parmi eux se trouvent de
nombreux propriétaires de magasins ou
d'entreprises commerciales, de gros et de
détail. Il y a aussi un certain nombre de
manufacturiers, d'entrepreneurs, de banquiers, de
courtiers, de voyageurs de commerce, d'agents
d'assurance, de
représentants en grains, de chefs de gare,
d'agents des postes, etc.... avec un groupe de
caissiers honnêtes, de comptables, de
sténographes et de dactylographes.
Ensuite deux ou trois bataillons de
vigoureux mécaniciens et d'artisans
indépendants qui sifflent joyeusement en
défilant ; car tout comme le
« forgeron du village », ils
« ne doivent rien à
personne ». Parmi ces compagnons
musclés se trouvent toutes sortes de
mécaniciens du
« Transcontinental », car
grande sont la dette des chemins de fer du Canada
envers les « enfants de
Barnardo ». On peut voir là encore
des pilotes, des mécaniciens, des pompiers,
des commis aux vivres, etc.... qui font le service
sur le Saint-Laurent, les grands lacs et autres
voies navigables. On voit encore une compagnie de
maçons, de charpentiers,
d'ébénistes, de plombiers,
d'employés des compagnies de gaz et
d'électriciens qui ont aidé à
bâtir des milliers de maisons coloniales,
tandis qu'un groupe de joyeux sans-filistes, de
télégraphistes, d'horlogers, de
forgerons, de cordonniers et d'autres artisans
marchent à leur côté d'un pas
alerte. Puis, comme tous ces régiments
défilent, accompagnés par un beau
contingent d' « anciennes
fillettes » qui ont épousé
des hommes de toutes les situations que nous venons
de voir, arrive un corps de policiers qui, le
regard droit, fixé devant eux, donnent des
ordres rapides, afin que personne n'arrête le
défilé et que tout le monde puisse
passer.
Cependant, ce n'est pas dans les rangs
des professions libérales des hommes
d'État, des hommes d'affaires ou des
mécaniciens - quelque splendide que soit
leur contribution - que l'on peut le mieux
comprendre la signification de l'oeuvre de
Barnardo. On ne peut vraisemblablement que la louer
pour ce fait que, parmi ces 50.000, se trouvent des
centaines de moniteurs d'école du dimanche,
un groupe important d'agents de tempérance,
des grands maîtres de loges fraternelles,
toute une compagnie de diacres
d'Eglises et de nombreux fonctionnaires civils,
ainsi que des maires et des femmes de maires. Il
nous faut juger dans un autre sens la
majesté de l'oeuvre de Barnardo.
L'auteur de cet ouvrage écrivait
dans son livre Lord Shaftesbury et le
progrès social de l'industrie
« Partout où se pratique de nos
jours l'oeuvre d'expansion de l'Empire britannique,
se trouvent des enfants de Barnardo qui poussent
à la roue du progrès, tout à
l'honneur de l'institution qui les a
élevés. L'auteur a été
engagé dans un travail social sur les
frontières du Canada, d'un océan
à l'autre ; il a travaillé parmi
les mineurs, les colporteurs, les pêcheurs,
les chercheurs d'or, les colons canadiens, les
ouvriers de factories et les constructeurs de voies
ferrées ; cependant partout, d'Est en
Ouest, dans les avant-postes très
avancés, il a rencontré
l'activité des enfants Barnardo... Ces
hommes des frontières travaillent dans un
pays où ne flotte aucun pavillon et
où ne roule aucun tambour ; mais ils
doivent néanmoins être comptés
parmi les véritables artisans et les
héros réels de l'Empire
britannique ».
Le livre en question était une
relation d'observations personnelles au cours d'un
certain nombre d'années, et une étude
plus approfondie du sujet a augmenté
l'admiration que j'exprimais alors. Car, tandis que
notre revue passe rapidement, nous voyons parmi
l'armée de Barnardo au delà des mers,
des milliers de jeunes dont la tâche de
chaque jour fait d'eux des hommes
d'avant-poste : des hommes dont la vie sert
à éclairer le chemin du
progrès. Il y a ceux qui, dans les
entrailles de la terre, vont chercher le charbon et
le nickel, l'argent et l'or et d'autres
minerais ; il y a également des
centaines de fermiers, de colons, de cow-boys, de
garde-forestiers et de trappeurs ; des hommes
de la police montée du Nord-Ouest et des
explorateurs ; des cantonniers et des
constructeurs de chemin de fer,
des pécheurs et des cheminots ; des
géomètres et d'autres encore.
Voici maintenant tout un
défilé de domestiques, jeunes filles
ou jeunes femmes, dont les connaissances pratiques
dans l'art culinaire, la couture et la science
domestique en général, ont
réjoui plus d'un foyer canadien ou
australien. Mais plus importants encore et dix
mille fois plus forts, sont les bataillons
serrés des producteurs agricoles qui
plantent leur tente en plein champ. Ce sont des
enfants de la terre qui ont cultivé des
milliers d'acres au delà des mers. Les uns
font pousser le blé dans le Canada
occidental, les autres sont des métayers
dans les provinces de l'Est ; d'autres encore
font l'élevage des moutons dans les
Nouvelles Galles du Sud, ou sont éleveurs de
chevaux pur-sang, laitiers, apiculteurs,
primeuristes, jardiniers, etc... Ils forment un
groupe étonnant : un grand nombre
d'entre eux cultivent leurs propres terres.
Ces riches et vigoureux fermiers avec
leurs compagnes et les premiers colons qui les ont
précédés aux
frontières, forment environ les 80 % des
50.000. Quelle influence n'ont-ils pas
opposée à la ruée moderne vers
la ville ! Et dans quel pays cette influence
est-elle plus nécessaire qu'au Canada,
où les neuf-dixièmes des
émigrants de Barnardo ont établi leur
demeure ? Car bien que le Canada
possède dix millions d'acres fertiles qui
attendent l'arrivée de la charrue, il est
à remarquer que les fils de fermiers
canadiens désertent la campagne à un
degré tout à fait anormal et se
précipitent vers les villes. Et la mauvaise
volonté de nos citadins pour écouter
l'appel des frontières canadiennes est
encore plus grande. En développant ainsi nos
vastes ressources, quelle contribution nous ont
donc apporté les protégés de
Barnardo ! Les quatre cinquièmes de ces
50.000, sans parler de leur descendants, se sont
consacrés à la culture et à la
mise en valeur des terres vierges.
Plus de 98% des émigrants de
Barnardo, de la Compagnie transocéanique,
ont maintenant passé, et de tous ceux-ci,
leurs fils et leurs filles, le
« Père des enfants qui
n'appartenaient à personne »,
serait fier, à juste titre, car ce sont des
bâtisseurs d'empire de grande valeur. Nous
souhaiterions donc que le défilé
s'arrête maintenant. Mais notre,
loyauté ne peut nous le permettre. Toute
société a ses échecs, et le
contingent des Barnardo d'outre-mer n'en a pas
été exempt. Plus de 98 % ont
« bien marché », mais
parmi les autres, se trouve toute une
fournée de « bons à
rien », de ceux qui n'ont pas su
résister à la tentation de
« devenir riches très
vite » ; certains qui ont perdu la
santé, quelques-uns qui ont moralement
échoué, quelques ivrognes, par hasard
- bien que presque toute l'armée soit
composée d'abstinents - et même
quelques-uns qui ont été pour un
temps derrière les barreaux d'une prison.
Pourtant le miracle est tel qu'on en voit
très peu de ceux-là.
Mais nous parlerons bientôt de ce
résidu. Cherchons d'abord la cause du
succès, sans parallèle, de Barnardo.
Dès 1870, lorsque Barnardo envoya ses
premiers protégés à
l'étranger, sous la direction d'Annie Mac
Pherson, il fut entendu que seuls, les forts, les
alertes, les actifs, ceux sur qui on pouvait
compter, auraient la permission de s'embarquer pour
la Grande aventure ; car nul ne
réalisait mieux que ces pionniers, qu'ils
semaient de jeunes plantes dans un sol vierge.
C'est pourquoi, lorsqu'en 1882, Barnardo
lança son projet personnel
d'émigration, ses plans étaient
entièrement étudiés et
préparés. Il ne fallait envoyer
à l'étranger que la
« crème des
Homes » : principe qui
éliminait tous ceux qui avaient une tare
physique, mentale ou morale. Tous ces groupes
d'émigrants étaient
accompagnés, sur le bateau, par des
surveillants du personnel de Barnardo qui
connaissaient les enfants. Des
« Homes » de réception
étaient également ouverts au Canada et les enfants
étaient, de là, placés dans
des fermes. C'était un principe
établi que chaque maison devait être
inspectée avant l'arrivée d'un enfant
et que seules les maisons protestantes
recommandables seraient acceptées, principe
sauvegardé par les recommandations d'un
pasteur de la région, un juge de paix et un
docteur. Mais même après avoir pris
ces précautions, les enfants étaient
visités, à l'improviste, au moins
quatre fois par an, tandis que les
« Homes » de Barnardo se
constituaient eux-mêmes leur tuteur
légal jusqu'à l'âge de dix-huit
ans et exerçaient une tutelle paternelle sur
les jeunes gens jusqu'à l'âge de vingt
et un ans, et sur les jeunes filles jusqu'à
leur mariage.
Ainsi aucun pupille de Barnardo
n'était abandonné à
lui-même.
Un résumé des règlements de
Barnardo montre la rigueur de son
action :
« a) L'élite seule du
« troupeau » pourra
émigrer au Canada 1° Ceux qui sont en
pleine santé physique et mentale 2°
Ceux qui sont parfaitement droits, honnêtes
et vertueux ; 3° Ceux qui, jeunes gens,
ont été instruits dans nos ateliers,
ou jeunes filles ont reçu une bonne
éducation ménagère.
« b) Une surveillance
continuelle sera exercée sur tous ces
émigrants, après qu'ils auront
été placés dans des fermes
canadiennes ; premièrement par des
visites systématiques, secondement par une
correspondance régulière...
« c) Dans le cas
d'échec total de certains émigrants,
les colonies n'auront pas à en souffrir car
ils reviendront, à nos frais, dans la
métropole, toutes les fois qu'il sera
possible de le faire. »
À la lumière de ces
règlements et de la bonne instruction que
recevaient les enfants de Barnardo avant de quitter
les « Homes », la
qualité exceptionnelle de cette oeuvre
d'émigration commence à s'expliquer.
Mais lorsqu'on se rappelle qu'en plus des garanties mentionnées
plus haut,
les enfants de Barnardo ont leur propre journal
canadien, qui unit non seulement toutes les
familles du Canada, mais les rattache encore aux
familles aînées de la
métropole, que leur
« Home » d'accueil, à
Jarvis Street, à Toronto, a ses portes
toujours ouvertes pour recevoir les visites de tous
les membres du troupeau, et que la correspondance
avec les « Homes » est
encouragée à chaque instant, les
résultats deviennent alors
compréhensibles.
Malgré les miracles accomplis par
le système d'émigration de Barnardo
pendant soixante années, il s'est
élevé de temps en temps au Canada une
vague d'opposition. Dès le début, ses
travaux ont été critiqués par
des grincheux qui ont une tendance à voir
toute oeuvre de foi sous un jour sombre, des
personnes pour lesquelles toute réussite
n'est due qu'au hasard. D'ailleurs, il se trouve
dans tous les pays du monde de ces « Mrs
Grundy » (1) jeunes ou
vieilles, et leur
troupe
de vieux camarades qui, sans voir la poutre qui est
dans leur oeil, veulent toujours enlever la paille
qui est dans l'oeil de leur voisin. Des personnes,
proclamant bien haut leur foi en la
démocratie, dénient cependant
à des enfants innocents toute occasion de
commencer une vie honnête, et le fait qu'un
enfant était autrefois indigent et
abandonné, et peut-être alors de
naissance illégitime, suffit à le
déconsidérer à leurs yeux,
à jamais.
Annie Mac Pherson et Barnardo eurent
tous deux à supporter les attaques violentes
de ce genre de personnes. En 1870, le premier
contingent de jeunes émigrants qui fut
envoyé au Canada était en plein
océan lorsque la fureur éclata. Des
rapports insensés circulaient, disant qu'une
armée de vagabonds à demi-sauvages,
recueillis dans les ruelles les plus affreuses de
Londres, allaient être
« déchargés » au
Canada - « folle avoine » qu'on
allait semer dans un « sol
vierge ». Lorsque Miss Mac Pherson arriva
au Canada avec ces « 100
premiers » émigrants, comprenant
des enfants de Barnardo, une réception
l'attendait. Des officiers de l'émigration
se présentèrent avec des ordres
stricts du Gouvernement, pour examiner chaque
enfant et renvoyer tout le groupe en Angleterre si
c'était nécessaire. Cependant,
lorsque le navire accosta à Québec,
ce furent les fonctionnaires qui furent
suffoqués et non Miss Mac Pherson, comme ils
l'avaient pensé. Les jeunes garçons
avaient l'air vigoureux et bien nourris ; ils
quittèrent le bateau en bon ordre ; ils
avaient l'air vif, aimable et
obéissant ; plusieurs épreuves
montrèrent qu'ils étaient
intelligents et bien éduqués ;
et, loin de ressembler à des
« vagabonds sauvages », ils
étaient polis et courtois.
En conséquence, on renversa les
rôles. L'officier de l'émigration, M.
Louis Stafford, fut si favorablement
impressionné qu'il offrit sur le champ de
« placer » tous les jeunes
garçons et il ajouta : « Le
Canada a besoin de beaucoup de jeunes
garçons semblables ».
Néanmoins Miss Mac Pherson déclina
l'offre. Elle était décidée
à « placer » ses jeunes
garçons uniquement dans des maisons
chrétiennes qu'elle avait
préalablement inspectées ; et ni
Barnardo ni elle-même, ne renoncèrent
à ce principe, sachant bien qu'ils pouvaient
mieux placer et surveiller leurs enfants qu'aucun
bureau du gouvernement.
Ainsi se termina l'attaque de 1870. Mais
quelques années plus tard, lorsque Barnardo
eut envoyé, par ses propres moyens, 6.218
enfants, il y eut de nouveaux cris contre
l'exportation de « vilains
oiseaux » dans « notre beau
Dominion », parce qu'il était
affirmé que ces jeunes garçons
étaient des criminels « en
puissance ». Le Gouvernement était
encouragé à agir en
conséquence, mais des recherches très
complètes prouvèrent que
cinquante-deux protégés de Barnardo,
seulement, avaient été
condamnés pour délit - proportion de
beaucoup inférieure à celle de notre
population née au Canada. Cette
fièvre hystérique fut donc
bientôt calmée, mais quelques
décades plus tard, cette folie s'enflamma de
nouveau ; aussi les constructeurs du
« Canadien Pacific Railway »,
Lord Strathcona et Lord Mount Stephen,
chargèrent-ils M. Bruce Walker, alors
propriétaire très en vue d'un journal
au Canada, d'entreprendre une enquête
sérieuse au sujet des enfants Barnardo,
garçons et filles, au Canada. Les faits
révélés furent si flatteurs
pour ces enfants, que Lord Mount Stephen offrit au
docteur Barnardo des titres d'une valeur de 250.000
dollars, en stipulant qu'ils seraient maintenus en
dépôt et leur intérêt
consacré exclusivement à
l'émigration des pupilles de Barnardo au
Canada, tandis que l'appréciation de Lord
Strathcona fut appuyée par une
générosité à peine
moins princière.
Un jour, nous Canadiens, nous sortirons de notre stupide prévention pour apprécier la dette prodigieuse que nous avons envers Barnardo, pour avoir conduit jusqu'à nos rivages cette magnifique armée de jeunes gens et avoir veillé sur eux jusqu'à ce qu'ils soient devenus des citoyens, en état de voler de leurs propres ailes, dignes de leur patrie d'adoption. Quand ce jour se lèvera nous érigerons un noble monument à sa mémoire, car Barnardo ne fut pas seulement le plus grand champion de l'enfance abandonnée et indigente que l'histoire peut acclamer, mais le plus grand pionnier de l'émigration florissante que le Canada ait jamais connu.
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