Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIII

L'émigration et la grandeur de l'Empire

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Au mois de juin 1921, à l'occasion de la mort de l'honorable James Page, le Parlement Fédéral d'Australie fut ajourné. Pendant plus de quinze années, M. Page avait été envoyé sans interruption par la même circonscription à la Chambre australienne, où il avait occupé des postes en vue du Gouvernement, en particulier celui de Secrétaire principal ; son honnêteté reconnue par tous, sa conduite sans reproches et ses services distingués, lui ont gagné l'estime de toute la Chambre. C'était un homme dont la nation était fière ; d'après les articles publiés à sa mort, il était certainement le législateur d'Australie le plus aimé à cette époque.

Mais d'où venait cet homme dont on couvrait de louanges la carrière ? Page lui-même n'était jamais aussi fier que lorsqu'il pouvait rappeler les faits de son enfance. Tout jeune, il avait été vagabond dans les rues de Londres. Mais bien pire ! Il était en train d'apprendre le métier de voleur quand le docteur Barnardo intervint dans sa vie et le dirigea vers une carrière utile. Plus d'une fois du haut d'une estrade, Page raconta l'histoire de son sauvetage.

Il était à Cable Street dans l' « East-End », avec un autre gamin, en train d'essayer de voler un Français ivre qui portait une tirelire, quand Barnardo l'en empêcha et, voyant qu'il était sans foyer et totalement indigent, l'admit au « Home » de Stepney.

Après plusieurs années de solide instruction, le jeune Page partit à l'étranger et après s'être distingué à la guerre des Boers, il devint colon en Australie, où après avoir amassé une fortune de 50.000 livres, il entra au Parlement comme député du peuple. Et toute l'Australie sait comment il l'a servi. Le premier Ministre, sous le Gouvernement duquel il fut Secrétaire général, parle de lui comme de l' « un des collaborateurs les plus fidèles et les plus dignes de confiance qu'un chef de Gouvernement pût désirer ». Et le Secrétaire du cabinet d'Australie à Londres déclara que sa « carrière méritoire » avait honoré sa patrie d'adoption, autant que « le « Home » dans lequel il avait été élevé ».

Toutefois Page ne servit pas seulement fidèlement le peuple australien : il aida matériellement à forger une chaîne de sympathie entre l'Australie et les « Homes » auxquels il devait tout. En 1908, quand le pasteur W.-J. Mayers fit un voyage en Australie pour représenter les « Homes » de Barnardo, Page présidait sa grande réunion dans la capitale et, après avoir annoncé à ce grand auditoire qu'il était un « ancien garçon Barnardo », il raconta l'histoire de son sauvetage. Il fit plus encore. Il fit passer une liste de souscription, parmi les membres du Parlement fédéral, ayant mis en tête un généreux don personnel, et il aida largement à la construction du magnifique « Hôpital australien » au « Girls Village Home ». Mais cet « ancien » se rappelait encore l'oeuvre accomplie par les « Homes » d'une autre façon. « Plus d'une fois, j'ai prié pour le cher bienfaiteur des pauvres vagabonds de Londres » ; puis il disait en parlant de la mort de Barnardo : « Il me semble avoir perdu véritablement quelqu'un des miens ».

L'honorable James Page n'est qu'un exemple particulier parmi les milliers de vies humaines, transformées et embellies par les « Homes » de Barnardo. Et, bien que les miracles de Barnardo soient partout visibles en Grande-Bretagne, les plus beaux fruits des « Homes », comme le montre la vie de Page, se trouvent dans les Dominions au delà des mers.

Depuis de nombreuses années, l'oeuvre lancée par les deux soeurs remarquables, Annie Mac Pherson et Madame Birt - les pionnières de l'émigration des jeunes - a été incorporée aux « Homes » du docteur Barnardo. D'ailleurs cette incorporation était très normale : car dès le début, Barnardo coopéra de grand coeur avec ces femmes particulièrement douées ; et lorsqu'en 1870, elles emmenèrent au Canada la première caravane de jeunes gens qui eussent jamais foulé le sol colonial, il y avait parmi ces « cent premiers », quelques jeunes gens de Barnardo, et il avait lui-même pour cette circonstance « préparé » la plupart de ces jeunes gens. De nouveau, entre 1870 et 1882, lorsque le docteur mit sur pied son plan d'émigration à lui, il envoya environ mille de ses enfants sous l'égide de Miss Mac Pherson, et même lorsque les deux organisations travaillèrent séparément, la plus cordiale entente régna toujours entre elles. Il était donc tout naturel qu'après une existence de service désintéressé, au cours de laquelle environ 20.000 enfants indigents furent placés dans des familles canadiennes, lorsque l'oeuvre Mac Pherson-Birt fut sur le point de succomber en des temps difficiles, elle fut sauvée par celle de Barnardo.

À cause de cela, ces deux institutions, longtemps unies, peuvent maintenant être considérées comme une seule et légitimement incorporées dans les « Homes » du docteur Barnardo. Quel spectacle se présenterait alors à nos yeux si nous pouvions passer en revue les carrières de cette armée d'enfants envoyés dans les Nouvelles Terres Promises. Elle comprendrait 50.000 hommes vigoureux, cette armée coloniale : ce qui signifie que plus de la moitié des jeunes anglais envoyés dans les Dominions, par toutes les sociétés réunies d'émigration pour les enfants, serait comprise dans ses rangs. Elle prit naissance en 1870 et elle progresse chaque jour.
Si nous pouvions par l'imagination la passer en revue, ce serait un spectacle étonnant.

Parmi les 50.000 « anciens et anciennes », il y a des législateurs et des ministres d'État en Australie et au Canada. On trouve également dans leurs rangs tout un noble bataillon de directeurs d'institutions philanthropiques, tels que le « Home » Knowles à Kildonan, à Winnipeg, de secrétaires d'U. C. J. G., de missionnaires, de pasteurs, et même de docteurs en théologie. En outre, au premier rang de ce défilé, se trouveraient des minéralogistes, des pharmaciens, des intendants, des ingénieurs civils, des ingénieurs électriciens, un groupe de dentistes, une compagnie d'avocats et d'avoués, un corps de médecins et de chirurgiens et même de maîtres de conférences d'université. En effet, tandis que ces 50.000 défilent, on peut observer que chaque branche des professions libérales y est noblement représentée, tandis qu'à leur côté, s'avance un certain nombre d'organistes d'églises, de musiciens et de cantatrices, de chefs d'orchestres, de journalistes, d'éditeurs, de directeurs de journaux, d'artistes renommés et tout un corps important d'infirmières qui, dans des centaines de maisons, de l'Atlantique au Pacifique, se sont montrées de véritables anges auprès des malades.

Ensuite arrive un régiment d'hommes et de femmes d'affaires au regard pénétrant, qui compte plus d'un millier de soldats. Parmi eux se trouvent de nombreux propriétaires de magasins ou d'entreprises commerciales, de gros et de détail. Il y a aussi un certain nombre de manufacturiers, d'entrepreneurs, de banquiers, de courtiers, de voyageurs de commerce, d'agents d'assurance, de représentants en grains, de chefs de gare, d'agents des postes, etc.... avec un groupe de caissiers honnêtes, de comptables, de sténographes et de dactylographes.

Ensuite deux ou trois bataillons de vigoureux mécaniciens et d'artisans indépendants qui sifflent joyeusement en défilant ; car tout comme le « forgeron du village », ils « ne doivent rien à personne ». Parmi ces compagnons musclés se trouvent toutes sortes de mécaniciens du « Transcontinental », car grande sont la dette des chemins de fer du Canada envers les « enfants de Barnardo ». On peut voir là encore des pilotes, des mécaniciens, des pompiers, des commis aux vivres, etc.... qui font le service sur le Saint-Laurent, les grands lacs et autres voies navigables. On voit encore une compagnie de maçons, de charpentiers, d'ébénistes, de plombiers, d'employés des compagnies de gaz et d'électriciens qui ont aidé à bâtir des milliers de maisons coloniales, tandis qu'un groupe de joyeux sans-filistes, de télégraphistes, d'horlogers, de forgerons, de cordonniers et d'autres artisans marchent à leur côté d'un pas alerte. Puis, comme tous ces régiments défilent, accompagnés par un beau contingent d' « anciennes fillettes » qui ont épousé des hommes de toutes les situations que nous venons de voir, arrive un corps de policiers qui, le regard droit, fixé devant eux, donnent des ordres rapides, afin que personne n'arrête le défilé et que tout le monde puisse passer.

Cependant, ce n'est pas dans les rangs des professions libérales des hommes d'État, des hommes d'affaires ou des mécaniciens - quelque splendide que soit leur contribution - que l'on peut le mieux comprendre la signification de l'oeuvre de Barnardo. On ne peut vraisemblablement que la louer pour ce fait que, parmi ces 50.000, se trouvent des centaines de moniteurs d'école du dimanche, un groupe important d'agents de tempérance, des grands maîtres de loges fraternelles, toute une compagnie de diacres d'Eglises et de nombreux fonctionnaires civils, ainsi que des maires et des femmes de maires. Il nous faut juger dans un autre sens la majesté de l'oeuvre de Barnardo.

L'auteur de cet ouvrage écrivait dans son livre Lord Shaftesbury et le progrès social de l'industrie « Partout où se pratique de nos jours l'oeuvre d'expansion de l'Empire britannique, se trouvent des enfants de Barnardo qui poussent à la roue du progrès, tout à l'honneur de l'institution qui les a élevés. L'auteur a été engagé dans un travail social sur les frontières du Canada, d'un océan à l'autre ; il a travaillé parmi les mineurs, les colporteurs, les pêcheurs, les chercheurs d'or, les colons canadiens, les ouvriers de factories et les constructeurs de voies ferrées ; cependant partout, d'Est en Ouest, dans les avant-postes très avancés, il a rencontré l'activité des enfants Barnardo... Ces hommes des frontières travaillent dans un pays où ne flotte aucun pavillon et où ne roule aucun tambour ; mais ils doivent néanmoins être comptés parmi les véritables artisans et les héros réels de l'Empire britannique ».

Le livre en question était une relation d'observations personnelles au cours d'un certain nombre d'années, et une étude plus approfondie du sujet a augmenté l'admiration que j'exprimais alors. Car, tandis que notre revue passe rapidement, nous voyons parmi l'armée de Barnardo au delà des mers, des milliers de jeunes dont la tâche de chaque jour fait d'eux des hommes d'avant-poste : des hommes dont la vie sert à éclairer le chemin du progrès. Il y a ceux qui, dans les entrailles de la terre, vont chercher le charbon et le nickel, l'argent et l'or et d'autres minerais ; il y a également des centaines de fermiers, de colons, de cow-boys, de garde-forestiers et de trappeurs ; des hommes de la police montée du Nord-Ouest et des explorateurs ; des cantonniers et des constructeurs de chemin de fer, des pécheurs et des cheminots ; des géomètres et d'autres encore.

Voici maintenant tout un défilé de domestiques, jeunes filles ou jeunes femmes, dont les connaissances pratiques dans l'art culinaire, la couture et la science domestique en général, ont réjoui plus d'un foyer canadien ou australien. Mais plus importants encore et dix mille fois plus forts, sont les bataillons serrés des producteurs agricoles qui plantent leur tente en plein champ. Ce sont des enfants de la terre qui ont cultivé des milliers d'acres au delà des mers. Les uns font pousser le blé dans le Canada occidental, les autres sont des métayers dans les provinces de l'Est ; d'autres encore font l'élevage des moutons dans les Nouvelles Galles du Sud, ou sont éleveurs de chevaux pur-sang, laitiers, apiculteurs, primeuristes, jardiniers, etc... Ils forment un groupe étonnant : un grand nombre d'entre eux cultivent leurs propres terres.

Ces riches et vigoureux fermiers avec leurs compagnes et les premiers colons qui les ont précédés aux frontières, forment environ les 80 % des 50.000. Quelle influence n'ont-ils pas opposée à la ruée moderne vers la ville ! Et dans quel pays cette influence est-elle plus nécessaire qu'au Canada, où les neuf-dixièmes des émigrants de Barnardo ont établi leur demeure ? Car bien que le Canada possède dix millions d'acres fertiles qui attendent l'arrivée de la charrue, il est à remarquer que les fils de fermiers canadiens désertent la campagne à un degré tout à fait anormal et se précipitent vers les villes. Et la mauvaise volonté de nos citadins pour écouter l'appel des frontières canadiennes est encore plus grande. En développant ainsi nos vastes ressources, quelle contribution nous ont donc apporté les protégés de Barnardo ! Les quatre cinquièmes de ces 50.000, sans parler de leur descendants, se sont consacrés à la culture et à la mise en valeur des terres vierges.

Plus de 98% des émigrants de Barnardo, de la Compagnie transocéanique, ont maintenant passé, et de tous ceux-ci, leurs fils et leurs filles, le « Père des enfants qui n'appartenaient à personne », serait fier, à juste titre, car ce sont des bâtisseurs d'empire de grande valeur. Nous souhaiterions donc que le défilé s'arrête maintenant. Mais notre, loyauté ne peut nous le permettre. Toute société a ses échecs, et le contingent des Barnardo d'outre-mer n'en a pas été exempt. Plus de 98 % ont « bien marché », mais parmi les autres, se trouve toute une fournée de « bons à rien », de ceux qui n'ont pas su résister à la tentation de « devenir riches très vite » ; certains qui ont perdu la santé, quelques-uns qui ont moralement échoué, quelques ivrognes, par hasard - bien que presque toute l'armée soit composée d'abstinents - et même quelques-uns qui ont été pour un temps derrière les barreaux d'une prison. Pourtant le miracle est tel qu'on en voit très peu de ceux-là.


ÉMIGRANTS

Mais nous parlerons bientôt de ce résidu. Cherchons d'abord la cause du succès, sans parallèle, de Barnardo. Dès 1870, lorsque Barnardo envoya ses premiers protégés à l'étranger, sous la direction d'Annie Mac Pherson, il fut entendu que seuls, les forts, les alertes, les actifs, ceux sur qui on pouvait compter, auraient la permission de s'embarquer pour la Grande aventure ; car nul ne réalisait mieux que ces pionniers, qu'ils semaient de jeunes plantes dans un sol vierge. C'est pourquoi, lorsqu'en 1882, Barnardo lança son projet personnel d'émigration, ses plans étaient entièrement étudiés et préparés. Il ne fallait envoyer à l'étranger que la « crème des Homes » : principe qui éliminait tous ceux qui avaient une tare physique, mentale ou morale. Tous ces groupes d'émigrants étaient accompagnés, sur le bateau, par des surveillants du personnel de Barnardo qui connaissaient les enfants. Des « Homes » de réception étaient également ouverts au Canada et les enfants étaient, de là, placés dans des fermes. C'était un principe établi que chaque maison devait être inspectée avant l'arrivée d'un enfant et que seules les maisons protestantes recommandables seraient acceptées, principe sauvegardé par les recommandations d'un pasteur de la région, un juge de paix et un docteur. Mais même après avoir pris ces précautions, les enfants étaient visités, à l'improviste, au moins quatre fois par an, tandis que les « Homes » de Barnardo se constituaient eux-mêmes leur tuteur légal jusqu'à l'âge de dix-huit ans et exerçaient une tutelle paternelle sur les jeunes gens jusqu'à l'âge de vingt et un ans, et sur les jeunes filles jusqu'à leur mariage.
Ainsi aucun pupille de Barnardo n'était abandonné à lui-même.


BÂTISSEURS D'EMPIRE

Un résumé des règlements de Barnardo montre la rigueur de son action :

« a) L'élite seule du « troupeau » pourra émigrer au Canada 1° Ceux qui sont en pleine santé physique et mentale 2° Ceux qui sont parfaitement droits, honnêtes et vertueux ; 3° Ceux qui, jeunes gens, ont été instruits dans nos ateliers, ou jeunes filles ont reçu une bonne éducation ménagère.

« b) Une surveillance continuelle sera exercée sur tous ces émigrants, après qu'ils auront été placés dans des fermes canadiennes ; premièrement par des visites systématiques, secondement par une correspondance régulière...

« c) Dans le cas d'échec total de certains émigrants, les colonies n'auront pas à en souffrir car ils reviendront, à nos frais, dans la métropole, toutes les fois qu'il sera possible de le faire. »

À la lumière de ces règlements et de la bonne instruction que recevaient les enfants de Barnardo avant de quitter les « Homes », la qualité exceptionnelle de cette oeuvre d'émigration commence à s'expliquer. Mais lorsqu'on se rappelle qu'en plus des garanties mentionnées plus haut, les enfants de Barnardo ont leur propre journal canadien, qui unit non seulement toutes les familles du Canada, mais les rattache encore aux familles aînées de la métropole, que leur « Home » d'accueil, à Jarvis Street, à Toronto, a ses portes toujours ouvertes pour recevoir les visites de tous les membres du troupeau, et que la correspondance avec les « Homes » est encouragée à chaque instant, les résultats deviennent alors compréhensibles.

Malgré les miracles accomplis par le système d'émigration de Barnardo pendant soixante années, il s'est élevé de temps en temps au Canada une vague d'opposition. Dès le début, ses travaux ont été critiqués par des grincheux qui ont une tendance à voir toute oeuvre de foi sous un jour sombre, des personnes pour lesquelles toute réussite n'est due qu'au hasard. D'ailleurs, il se trouve dans tous les pays du monde de ces « Mrs Grundy » (1) jeunes ou vieilles, et leur troupe de vieux camarades qui, sans voir la poutre qui est dans leur oeil, veulent toujours enlever la paille qui est dans l'oeil de leur voisin. Des personnes, proclamant bien haut leur foi en la démocratie, dénient cependant à des enfants innocents toute occasion de commencer une vie honnête, et le fait qu'un enfant était autrefois indigent et abandonné, et peut-être alors de naissance illégitime, suffit à le déconsidérer à leurs yeux, à jamais.

Annie Mac Pherson et Barnardo eurent tous deux à supporter les attaques violentes de ce genre de personnes. En 1870, le premier contingent de jeunes émigrants qui fut envoyé au Canada était en plein océan lorsque la fureur éclata. Des rapports insensés circulaient, disant qu'une armée de vagabonds à demi-sauvages, recueillis dans les ruelles les plus affreuses de Londres, allaient être « déchargés » au Canada - « folle avoine » qu'on allait semer dans un « sol vierge ». Lorsque Miss Mac Pherson arriva au Canada avec ces « 100 premiers » émigrants, comprenant des enfants de Barnardo, une réception l'attendait. Des officiers de l'émigration se présentèrent avec des ordres stricts du Gouvernement, pour examiner chaque enfant et renvoyer tout le groupe en Angleterre si c'était nécessaire. Cependant, lorsque le navire accosta à Québec, ce furent les fonctionnaires qui furent suffoqués et non Miss Mac Pherson, comme ils l'avaient pensé. Les jeunes garçons avaient l'air vigoureux et bien nourris ; ils quittèrent le bateau en bon ordre ; ils avaient l'air vif, aimable et obéissant ; plusieurs épreuves montrèrent qu'ils étaient intelligents et bien éduqués ; et, loin de ressembler à des « vagabonds sauvages », ils étaient polis et courtois.

En conséquence, on renversa les rôles. L'officier de l'émigration, M. Louis Stafford, fut si favorablement impressionné qu'il offrit sur le champ de « placer » tous les jeunes garçons et il ajouta : « Le Canada a besoin de beaucoup de jeunes garçons semblables ». Néanmoins Miss Mac Pherson déclina l'offre. Elle était décidée à « placer » ses jeunes garçons uniquement dans des maisons chrétiennes qu'elle avait préalablement inspectées ; et ni Barnardo ni elle-même, ne renoncèrent à ce principe, sachant bien qu'ils pouvaient mieux placer et surveiller leurs enfants qu'aucun bureau du gouvernement.

Ainsi se termina l'attaque de 1870. Mais quelques années plus tard, lorsque Barnardo eut envoyé, par ses propres moyens, 6.218 enfants, il y eut de nouveaux cris contre l'exportation de « vilains oiseaux » dans « notre beau Dominion », parce qu'il était affirmé que ces jeunes garçons étaient des criminels « en puissance ». Le Gouvernement était encouragé à agir en conséquence, mais des recherches très complètes prouvèrent que cinquante-deux protégés de Barnardo, seulement, avaient été condamnés pour délit - proportion de beaucoup inférieure à celle de notre population née au Canada. Cette fièvre hystérique fut donc bientôt calmée, mais quelques décades plus tard, cette folie s'enflamma de nouveau ; aussi les constructeurs du « Canadien Pacific Railway », Lord Strathcona et Lord Mount Stephen, chargèrent-ils M. Bruce Walker, alors propriétaire très en vue d'un journal au Canada, d'entreprendre une enquête sérieuse au sujet des enfants Barnardo, garçons et filles, au Canada. Les faits révélés furent si flatteurs pour ces enfants, que Lord Mount Stephen offrit au docteur Barnardo des titres d'une valeur de 250.000 dollars, en stipulant qu'ils seraient maintenus en dépôt et leur intérêt consacré exclusivement à l'émigration des pupilles de Barnardo au Canada, tandis que l'appréciation de Lord Strathcona fut appuyée par une générosité à peine moins princière.




Un jour, nous Canadiens, nous sortirons de notre stupide prévention pour apprécier la dette prodigieuse que nous avons envers Barnardo, pour avoir conduit jusqu'à nos rivages cette magnifique armée de jeunes gens et avoir veillé sur eux jusqu'à ce qu'ils soient devenus des citoyens, en état de voler de leurs propres ailes, dignes de leur patrie d'adoption. Quand ce jour se lèvera nous érigerons un noble monument à sa mémoire, car Barnardo ne fut pas seulement le plus grand champion de l'enfance abandonnée et indigente que l'histoire peut acclamer, mais le plus grand pionnier de l'émigration florissante que le Canada ait jamais connu.

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