C'est une expérience humaine, que
souvent le bien sort du mal, et que la
vérité est proférée par
la bouche des calomniateurs.
L'arbitrage était à peine
terminé que Barnardo commença
à vérifier ce paradoxe. Il avait
passé par une des épreuves les plus
pénibles qu'un homme ait à subir et
après avoir prouvé pleinement son
intégrité et l'utilité de sa
mission, il se trouvait alors dans une position lui
permettant de nouvelles et plus vastes entreprises
en faveur des enfants abandonnés.
L'arbitrage n'avait pas seulement blanchi Barnardo
de toutes les accusations principales et
affirmé son honnêteté, il
avait, chose plus importante encore, fait la
lumière sur les points faibles aussi bien
que sur les points forts de son oeuvre. Pendant les
vingt jours que dura le procès, chaque
branche de sa Mission avait été
soumise à l'action du bélier et
partout où se trouvait un point
vulnérable, la bataille s'était
engagée. En conséquence, Barnardo
découvrit, grâce à la fureur de
ses ennemis, ce qu'il n'aurait jamais pu
découvrir par la bonté de ses amis,
les points faibles de son organisation et les
brèches dans la constitution de ses
« Homes ».
Le point le plus vulnérable
était la base autocratique sur laquelle tout
l'édifice avait été
élevé. Et ceci, quand on
connaît son origine, était bien
naturel. Lorsqu'il avait commencé
d'enseigner à « Ernest
Street », il
s'était trouvé entravé par le
pédantisme de certains de ses
collègues. Aussi, prît-il les
rênes en mains, lorsqu'il ouvrit la petite
école du « Donkey
Shed », pour s'engager là
où sa foi le conduirait. Il en fut de
même des « Assembly
Rooms » et de la Mission de Hope Place.
En effet, durant les premiers jours, aucun de ses
collègues ne possédait un talent
semblable au sien ni même une parcelle de sa
vision des choses ; c'est pourquoi il
décida d'éviter toute routine et il
est très probable que Lord Shaftesbury
encouragea son procédé autocratique.
Il est vrai que lorsqu'il acheta
« Edinburg Castle », cet
immeuble fut confié à des
administrateurs, comme le fut plus tard le
« Girls Village Home ». Mais,
jusqu'à l'arbitrage, Barnardo resta,
à tous égards, le directeur
autocratique de toutes les institutions que son
génie avait élevées ; car
il se croyait fermement
« appelé » à
entreprendre cette oeuvre ; et il sentait
profondément que sa tâche
spéciale de directeur était de
diriger l'oeuvre missionnaire sous le regard de
Dieu.
L' « East End Juvenile
Mission » était donc
arrivée, sous ce contrôle absolu,
à la position qu'elle avait au moment de
l'arbitrage et personne ne contestera, en observant
les faits rétrospectivement, que son
succès était dû pour la plus
grande part à un contrôle de ce
genre ; car l'initiative de Barnardo avait
laissé son empreinte à chaque pas.
Cependant, bien que cette autorité fut
essentielle aux premiers développements, le
jour approchait où elle aurait pu devenir
une pierre d'achoppement. Car tout homme, quelque
grand que soient ses talents, parvient un jour
à un point où il ne peut porter seul
un fardeau plus lourd ; et en 1877, Barnardo
avait presque atteint ce point-là. C'est
pourquoi le Tribunal d'Arbitrage, en recommandant
la nomination d'un Comité pour collaborer
à la direction des
« Homes », répondit par
avance à un besoin vital.
Déjà, les arbitres reconnaissaient
tellement l'utilité publique de la Mission,
qu'il faudrait, disaient-ils, assurer sa
continuité
comme Institution nationale, et cette
continuité était impossible tant
qu'elle resterait sous un contrôle
personnel ; que se passerait-il si le Docteur
était frappé par une maladie ou
même par la mort ? C'est pourquoi cette
recommandation de former un Comité pour
assister le Directeur dans sa tâche, avait
une valeur réelle, et les grands hommages
accordés à la Mission par les
arbitres, rendirent plus aisé, sans aucun
doute, l'enrôlement d'hommes dont l'influence
devait être très grande.
Il ne fait aucun doute, en effet, que
l'arbitrage fut véritablement une
bénédiction cachée. Prenons un
seul exemple : Le Comte de Cairus, qui devint
par la suite Ministre de la Justice, suivit de
près toute la procédure. Il n'eut pas
plutôt lu le jugement rendu, qu'il
écrivit à Barnardo pour le
féliciter d'avoir traversé cette
expérience sain et sauf, et il
suggérait que si Barnardo désirait
nommer un Comité, il serait heureux
d'être Président honoraire ou tout
autre chose dans ce Comité.
Barnardo apprécia hautement cette
lettre, parmi des centaines d'autres qui le
félicitaient pour sa défense et lui
offraient une aide personnelle. Le Docteur,
après la recommandation des arbitres,
décida aussitôt la création
d'un Comité ; d'ailleurs il s'occupait
déjà activement de voir ceux qui
pourraient composer ce Comité, lorsqu'il
reçut l'offre de Lord Cairus. Qui serait
plus qualifié pour en être le
Président que le Ministre de la Justice du
Royaume ?
Lord Cairus et Barnardo étaient
qualifiés pour travailler ensemble. Ils
étaient Irlandais. Tous deux
s'intéressaient particulièrement aux
conséquences sociales de
l'Évangile ; ils étaient tous
deux les ennemis jurés de l'alcoolisme, des
taudis et du vice, et pensaient qu'ils ne pouvaient
mieux servir leurs frères qu'en travaillant
sans cesse pour les principes du Royaume de Dieu.
Tous deux étaient aussi les
véritables amis des pauvres, qui refusaient
de prendre leur parti des conditions sociales de
l'époque, sources de pauvreté, de
débauche et de crime ; cependant tous
deux croyaient que le remède profond des
pires fléaux sociaux, devait s'appliquer
d'abord à l'enfant.
Un Comité de seize membres fut
donc nommé ; le président
était Lord Cairus ; et le 15 novembre
1877, exactement un mois après la
proclamation du jugement, on publia sa composition.
Parmi ces membres se trouvaient deux pasteurs de
l'Eglise anglicane ; trois pasteurs non
conformistes ; des philanthropes nationaux
respectés, tels que Lord Kinnaird et
l'honorable T. H. W. Pelham et d'autres membres du
Parlement ; des présidents d'U. C. J.
G. ; des médecins et des
représentants connus du monde des affaires,
tels que Samuel Gurney Sheppard et John Sands. Ce
Comité formait une large
représentation de la vie publique
britannique, mais ses membres avaient tous un point
de vue commun : ils étaient tous des
protestants évangéliques
ardents ; à chacun d'eux se posait avec
force la question d'une morale sociale du
Christianisme ; tous, comme Barnardo, ne
pouvaient se résoudre à accepter
comme une fatalité les taudis, le vice et le
crime. Tous croyaient aux possibilités
infinies d'un enfant, même le plus
misérable, lorsqu'il est mis en contact avec
l'esprit de Christ ; chacun d'eux avait
été membre des Comités locaux
qui s'étaient formés à la
suite de la première Mission de Moody et
Sankey en Angleterre.
Le, premier acte de ce Comité, en
accord avec les administrateurs, fut d'exprimer sa
« profonde gratitude » envers
les arbitres « pour avoir entrepris une
enquête si compréhensive et l'avoir
poursuivie avec tant de continuité et de
patience au milieu de grandes difficultés
jusqu'à sa conclusion. »
Le terrain était alors
préparé pour une nouvelle
conquête. En comparant l'oeuvre missionnaire,
avant et après l'arbitrage, nous avons une
idée de l'importance des progrès de
cette oeuvre.
Barnardo commença son oeuvre
missionnaire onze ans avant l'arbitrage ; et,
curieuse coïncidence, il écrivit un
rapport complet sur sa Mission sous forme d'un
volume de 280 pages. - Something Attempted :
Something Done - onze ans après l'arbitrage.
Tous les faits rapportés dans cet ouvrage
sont très utiles pour la comparaison de ces
deux périodes et cette comparaison est tout
à fait révélatrice.
Pendant les onze années qui
s'écoulèrent entre le sauvetage de
Jim Jarvis et le jugement de l'arbitrage, Barnardo
avait sauvé 2.000 enfants abandonnés
- dont 500 étaient encore dans les
« Homes » à la fin de
l'année 1877 ; le Rapport de 1888
mentionne qu'il avait alors sauvé 12.653
enfants au cours de ces onze années - dont
3.000 habitaient encore dans les
« Homes ». En d'autres termes,
le total des enfants indigents secourus pendant la
seconde période de onze années,
était cinq fois plus grand qu'au cours de la
première ; tandis que la
« famille » Barnardo dans les
« Homes » était en 1888
six fois plus grande qu'en 1877. L'augmentation du
budget est également significative. Pendant
la période qui précéda
l'arbitrage, la somme totale des recettes
s'élevait à 150.000 livres sterling
environ.
Pendant la, période égale
qui suivit, la somme des recettes avait plus que
quadruplé, elle atteignait 655.000 livres
tandis que la seule comparaison des années
1877 et 1888 nous montre que les recettes
étaient respectivement de 30.000 livres, et
de plus de 120.000 livres.
Il est également
intéressant de comparer les
différentes branches de l'oeuvre pendant les
mêmes périodes. À la fin de
l'arbitrage, la Mission comptait huit Institutions
séparées avec quatorze cottages pour
le « Girl's Village Home »
seul. Le Rapport de Barnardo de l'année 1888
nous montre que, pendant la période qui
suivit l'arbitrage, les branches de la Mission
étaient devenues cinq fois plus nombreuses,
car la Mission pouvait alors se
glorifier de trente-huit Institutions distinctes,
et dans le « Village Home » on
comptait cinquante cottages.
D'autre part, bien qu'en 1877 ces
« Homes » eussent sauvé
2.000 enfants indigents, pendant cette
première période, la Mission semblait
être une magnifique « Ragged
School », dont les
« Homes » n'étaient
qu'une branche secondaire ; mais en 1888, les
« Homes » avaient atteint des
proportions qui dépassaient tout le reste,
et ceci en dépit du fait que, dans
l'intervalle, Barnardo avait pris l'initiative de
nouveaux efforts. Il semble bien que les attaques
au sujet desquelles eut lieu l'arbitrage, se
concentrant sur les « Homes »,
eurent pour résultat de les mettre plus en
vue que tous les autres efforts de la
Mission.
Il faut remarquer un autre point
important : les finances. Pendant la
période qui précéda
l'arbitrage, Barnardo ne permit jamais que ses
dépenses annuelles excédassent ses
recettes, car c'était chez lui un principe
religieux de « ne devoir rien à
personne ». Mais durant la période
qui suivit l'arbitrage, il fut pris dans un
dilemme. Jusqu'en 1877, et même plusieurs
années après, il put, sans aucun
embarras financier, tenir son engagement de ne
refuser aucun enfant indigent ; mais avant la
fin de la seconde période, le
développement des
« Homes » fut si grand qu'il se
trouva plongé dans une grave alternative. Il
devait soit rompre son engagement, soit maintenir
ses portes ouvertes avec des fonds
« empruntés ». Il ne
pouvait accepter la première
hypothèse, car « Poil de
Carotte » hantait toujours son
esprit ; finalement il concilia la seconde
avec les scrupules de conscience à ce
sujet : à savoir que l'argent
emprunté serait employé uniquement
à la construction, ce qui
représentait une hypothèque sur une
propriété non imposée, dont il
espérait se libérer au bout de
quelques années.
En conséquence, les proportions
de l'oeuvre de Barnardo, en
1888, dépassaient même ce qu'un revenu
annuel de 110.000 livres, pourrait
suggérer.
Mais revenons à la
nécessité d'une
hypothèque ; nous lisons dans Something
Attempted : Something Done (page 5)
ceci : « Au cours de l'année
1888, les Institutions ont récolté,
dans une large mesure, ce qui avait
été semé l'année
précédente. En 1886, nos immeubles
étaient surpeuplés par une foule
toujours renouvelée d'enfants indigents et
je me trouvai à la limite de tout ce que je
pouvais faire pour les loger. Je devais soit
refuser d'écrire sur nos murs :
« AUCUN ENFANT INDIGENT NE SERA
REFUSÉ », soit faire face à
la nécessité immédiate
d'agrandir les
« Homes ».
Nous connaissons l'alternative choisie.
Nous continuerons donc à décrire la
manière dont fut conduit ce programme
d'extension, nous rappelant qu'il coïncidait
avec le cinquantième anniversaire du
règne de Victoria, et fut appelé par
conséquent l'extension du
Jubilé.
Au cours de l'année jubilaire,
les « Homes » ont retenti de
coups de marteaux et de bâches. Le
« Home » de Stepney a
été sérieusement
agrandi ; Léopold House a
été plus que doublée ; la
Maison du Travail pour les jeunes gens indigents a
été aussi agrandie ;
l'Hôpital de la Reine a été
reconstruit. J'ai réorganisé notre
plan d'émigration ; la grande Ferme
Manitoba commence à se
développer ; un Refuge pour les jeunes
filles a été ajouté, ainsi que
le Parc d'enfants pour les infirmes
indigents ; tandis que beaucoup d'autres
extensions et additions ont pris place dans
l'économie de nos Institutions. Tout ceci a
augmenté considérablement mes
fardeaux financiers déjà si lourds.
Mais au milieu de ces nécessités sans
cesse croissantes, notre Seigneur a mis au coeur de
Ses serviteurs de se souvenir de Son oeuvre, par
mes mains, par une plus grande
libéralité, et bien qu'une grande
partie du fardeau ne soit pas encore
enlevée, puisque j'ai dû prendre une hypothèque,
j'ai
cependant la joie de faire connaître
l'encouragement qui a suivi mes efforts en vue
d'élargir les portes de nos Cités de
Refuge pour les Petits ».
Cette liste n'épuise nullement
les développements de l'année
jubilaire. Au cours de ces douze mois, dix-neuf
cottages ont été ouverts dans le
« Girls's Village ». Mille ares
de terrain ont été ajoutés
à la Ferme Manitoba, et trois maisons
à Stepney Causeway pour l'aménagement
du Bureau principal ; de plus, cinq nouveaux
métiers ont été
installés.
Ce programme de 1887 marque une
réelle avance, car Barnardo écrivait.
à ce sujet :
« En conséquence de ces
agrandissements matériels... je
commençai l'année 1888 avec plus de
place et un matériel plus complet que je
n'avais pu le faire au cours de l'histoire
précédente des
« Homes » et chaque jour j'ai
pu me rendre compte de l'avantage de locaux plus
vastes mis ainsi à ma disposition. Cette
année a été une année
de consolidation, de progrès réels
dans l'organisation ; de grandes
bénédictions, dans les choses
spirituelles aussi bien que dans les temporelles.
Ces extensions m'ont permis de classer et de
subdiviser les différents jeunes qui
demeurent là, selon leur âge, leurs
connaissances et leurs circonstances, d'une
façon plus minutieuse qu'il ne
m'était possible de le faire
précédemment. L'enseignement
donné a été plus complet et la
surveillance plus attentive ; et j'ai joui
personnellement de la liberté acquise de
laisser plus largement ouverte la porte de nos
maisons, pour toute petite créature
abandonnée qui réclamait le
privilège d'être entourée,
soignée, dirigée ».
Dans le regard que jette Barnardo sur
son Oeuvre jusqu'en 1888, dans son rapport
Something Attempted Something Done, il insiste en
particulier sur les « Homes »
pour orphelins et enfants indigents. Les autres
« branches » de l'oeuvre,
comprenant les différentes
« Ragged Schools » du jour et
du soir, l'Eglise populaire, les
Palais du Café, le Dispensaire
médical, la Maison des diaconnesses,
l'Institut des jeunes filles des factoreries, les
Refuges de nuit, le Secours en plein air, etc....
avaient beaucoup prospéré ; mais
le centre de tout était alors les
« Homes ». Et Barnardo tenait
fidèlement un registre de cette immense
famille qui comptait déjà plus de
12.000 enfants, et dont un grand nombre
était déjà en pays
lointain ; chacun d'entre eux était
pour lui un « enfant » et non
le rouage d'une machine.
Quel était donc le passé
des jeunes garçons et des fillettes qui
vinrent demeurer dans ce qui était alors
« la plus grande famille du
monde » ? On ne peut citer ici que
quelques cas ; mais chacun d'eux est le type
de centaines d'autres racontés par ceux dont
la tâche était de découvrir
tous les faits vérifiables concernant la vie
passée des postulants.
R. M., admis au
« Home » des petits
garçons, âgé de six ans, de
Jersey, est ainsi dépeint :
« Un petit gamin aux cheveux clairs et
aux yeux bleus, débilité par manque
de nourriture convenable. Les faits qui l'amenaient
à être admis sont les suivants :
« Le père, artiste lithographe,
est mort de la tuberculose il y a quatre ans. La
mère et l'enfant sont entièrement
dénués de tout et celle-ci, une femme
très active et respectable, en est
réduite à vendre des briquets dans la
rue... Tous deux habitent dans un affreux
hôtel meublé. Ils sont absolument sans
amis et n'ont l'adresse d'aucun
parent ».
Le cas de W. S. B., âgé de
six ans, également admis au même
« Home », la même
année (1888), n'est guère
différent : « Se trouve dans
la plus grande détresse ; la
mère nous supplia elle-même de lui
venir en aide. L'Inspecteur de l'enfance la trouva
avec huit petits enfants dans une misère
indescriptible. Le père, voyageur de
commerce, avait autrefois une bonne
situation ; il est maintenant dans un asile
d'aliénés. La mère est sans travail ; la
pièce est presque vide, les enfants à
demi-morts d'inanition ».
Une étude des rapports remis au
« Château des
Bébés » nous
révèle les mêmes
histoires.
S. E., âgée de deux mois,
était « une petite fille au visage
étrange et flétri, plus petit que la
paume de la main. Sa mère est une incurable,
atteinte d'hydropisie, vivant chez sa mère,
cruellement abandonnée par son indigne
époux constamment ivre, qu'on ne peut
retrouver. Quatre enfants dont elle ne peut
s'occuper. Sa mère, une pauvre veuve
totalement indigente. Tous les parents sont dans la
plus grande misère ».
« Billy »,
âgé de deux ans ; sa mère
essaya de se noyer et lui avec elle et elle...
réussit, en noyant le petit enfant qu'elle
portait. Au sujet de T. R. (deux mois), on apprit
ceci : « La mère mourut
d'inanition et d'inquiétude quatre jours
après la naissance de son enfant. Le
père âgé, atteint d'une maladie
de coeur ; entièrement brisé par
la maladie et incapable de travailler. Il y a un
autre enfant et tous trois meurent actuellement
d'inanition. Aucun parent pour les
assister ». Le cas de J. B. (trois mois)
est également tragique.
« Orphelin. Sa mère mourut
à sa naissance. Le père, un
journalier, est sur le point de mourir... Ce
bébé et sa soeur, âgée
de onze ans, n'ont pas de foyer ; aucun parent
ne peut les assister ; tous deux ont
été admis ». Les histoires
du « Girl's Village Home », du
« Home » de Stepney pour les
garçons, des sections pour les enfants mis
en pension dans des familles, etc....
révèlent des conditions aussi
navrantes. L'histoire de J. C. N. (4 ans), admise
au « Girl's Village Home », en
1888, n'est pas un cas isolé.
« Une petite créature intelligente
et affectueuse, qui sort d'un triste milieu. La
mère, une prostituée, habite dans un
affreux hôtel meublé, dans le cabaret
duquel la petite fille a dû monter sur la
table, réciter des pièces
obscènes et chanter d'horribles chansons.
Trois soeurs de la mère mènent une vie aussi
dégradante ; les grands-parents,
dissolus et indignes ».
Voici les faits qui ont permis
l'admission de trois soeurs au « Village
Home » :
« Actuellement sans foyer et
totalement indigentes avec leurs parents, tous deux
vagabonds et ivrognes, et littéralement sans
un toit pour les abriter. Ont dormi, la nuit,
pendant trois mois, sous un buisson de houx, sur un
champ de course bien connu. Le jour elles ont
erré, où elles ont voulu. Les
parents, pris par la boisson, sont tombés de
plus en plus bas et sont devenus semblables
à des bêtes ; sont d'une
saleté si repoussante que personne ne veut
les employer ou même leur louer une
pièce... ».
R. M. P. (âgé de sept ans),
était « un pauvre petit infirme
sauvé d'une maison misérable dans une
ville d'Écosse. À mené une vie
chargée de misère ; reçut
un coup de pied si brutal et fut si
grièvement blessé que, après
avoir passé plusieurs semaines dans une
infirmerie, sa main droite dut être
amputée. Les parents,
dégradés, vivant
séparés, le père mène
une vie de vagabond. L'enfant a été
trouvé par un homme bienveillant,
abandonné sur un
escalier... ».
Prenons encore le cas de W. L., admis au
« Home » de Stepney, à
l'âge de treize ans. « Un pauvre
petit garçon avec une mâchoire de
travers. À été pris par un
artiste des rues et promené par les rues de
Londres pour exciter la sympathie et la
pitié. Le père est mort. La
mère est une femme qui boit, et sans aucune
moralité, que l'on trouva absolument ivre
sur le même lit que son mari
déjà mort. Elle avait
été renvoyée chaque fois des
hôtels meublés à cause de son
ivresse et du non-paiement du
loyer... ».
Ces cas, pris parmi les admissions de
Barnardo en 1888, sont le type de ceux des 1.768
enfants reçus cette année-là.
Mais il ne faudrait pas en conclure que cet
énorme chiffre représente le total
des demandes ; au cours
de
l'année 1888, 7.298 demandes furent
reçues et bien qu'un quart seulement des
enfants intéressés fussent
trouvés, après recherches, totalement
indigents et par conséquent dignes
d'être pris, néanmoins plus de 1.200
parmi ceux qui furent refusés, furent
envoyés en mer, obtinrent une situation, ou
furent assistés d'une autre manière
par les soins de Barnardo. Cependant, une bonne
moitié des demandes furent refusées
comme ne remplissant pas les conditions ; des
enquêtes minutieuses ayant prouvé que
ces candidats avaient des parents ou des amis que
l'on pourrait persuader de se charger de ces
enfants. En effet, Barnardo refusa
résolument, dès le début,
d'être trompé par ceux qui cherchaient
à éviter les responsabilités
et à les rejeter sur les
« Homes ». Il ne refusait aucun
enfant totalement indigent ; mais il fallait
que le dénûment complet fut
prouvé, pour qu'un enfant fut admis
définitivement.
Il est également remarquable que,
parmi les demandes reçues en 1888, il y en
avait de tous les points de l'Angleterre, du Pays
de Galles, de l'Écosse et de
l'Irlande ; et parmi les admissions il y avait
des enfants de toutes les villes du
Royaume-Uni ; et ce fait était de plus
en plus apparent depuis 1877. En
conséquence, il est évident que l'un
des effets de l'arbitrage, fut d'élever les
« Homes » à la
dignité d'Institution nationale. Ceci n'est
guère surprenant ; car le jugement
établit que Barnardo s'occupait des enfants
que la nation avait abandonnés ; et
cependant les « Homes »
réformaient tellement leurs vies qu'ils
devenaient une richesse pour la
société. En 1888, il y avait par tout
le royaume, un grand nombre de jeunes gens et de
jeunes filles qui avaient été
élevés et instruits dans les
« Homes » de Barnardo, quels
que fussent les antécédents qui
pesaient sur eux ; peu à peu, il
apparut clairement qu'ils étaient des
citoyens honnêtes, sobres, respectables,
passés maîtres en leur métier,
généreux et d'un
grand rendement social, des citoyens capables de
former la structure d'une nation.
On pouvait observer des faits semblables
même au delà du Royaume-Uni, car en
1888, Barnardo avait fait émigrer 3.713 de
ses protégés, aux avant-postes de
l'Empire Britannique, où, 98 % d'entre eux,
s'étaient montrés de
véritables pionniers. Et ces
« anciens » et
« anciennes », une fois partis,
n'oubliaient pas les « Homes »
qui les avaient rendus capables de gagner leur
vie ; car bien que vers 1888, la plupart des
protégés de Barnardo dans l'Empire,
fussent encore trop jeunes pour avoir beaucoup de
revenus, à eux seuls ils envoyaient
déjà des contributions volontaires de
centaines de livres chaque année.
Et maintenant par quel moyen
mystérieux pouvait-on transformer ces jeunes
abandonnés, indigents, en des citoyens qui
honoraient leur père nourricier et ses
« Homes » ? La
première de ces causes de transformation
était une influence spirituelle profonde. Un
jour, un ecclésiastique zélé
reprocha à Barnardo de n'avoir
élevé ni croix, ni autels dans ses
« Homes ». Il répondit
aussitôt : « Il n'y en n'a
point ! mais ne voyez-vous pas la Bible
partout ? Elle est, non seulement notre
principal livre, elle est l'inspiration même
de ces « Homes » Barnardo et
ses collègues considéraient leur
tâche comme une vocation et non comme un
emploi, et s'il se trouvait dans le bercail un
instructeur qui « n'aimait pas
profondément son travail », il
changeait promptement d'attitude ou donnait sa
démission. Car l'esprit missionnaire, dans
lequel les « Homes » avaient
été fondés, laissait son
empreinte dans chaque branche ; et au jeu
comme au travail, par de nombreux moyens, on
encourageait les enfants, par le précepte et
par l'exemple, « à pratiquer la
justice, à aimer la miséricorde et
à marcher humblement avec
Dieu » ; tandis que l'enseignement
de Celui qui résumait la Loi et les
Prophètes dans le Commandement de l'Amour,
formait l'atmosphère
même que respiraient les enfants Barnardo. La
religion n'était donc pas un accessoire dans
les « Homes », c'était
plutôt l'essence même de leur
vie.
Mais bien que la religion fut pour
Barnardo le tout et le but de la vie, il ne
méprisa jamais les occupations
matérielles. En effet, il croyait que la
différenciation courante entre le
séculier et le sacré était
tragiquement trompeuse ; pour lui, aucun
travail honnête accompli honnêtement
n'était jamais uniquement
matériel ; tandis que, par ailleurs,
une chose ne pouvait être
véritablement sacrée que si elle
ennoblissait la vie. En conséquence, ses
écoles, ses ateliers, ses terrains de jeux
et ses salles d'exercices jouaient un rôle
important dans son oeuvre ; ils aidaient
à développer cette virilité
robuste à laquelle il tendait
constamment.
Il accepta avec joie la recommandation
des arbitres de placer ses écoles sous le
contrôle du Gouvernement et ceci eut de bons
résultats. En se pliant aux
règlements du Gouvernement, les
« Homes » de Barnardo
obtinrent, pour leurs différentes
écoles, des subventions officielles, et
prouvèrent qu'elles étaient des
entreprises d'éducation efficaces,
malgré de très graves
difficultés. Nous avons un extrait du
Rapport de l'Inspecteur de la Reine, du Conseil
privé de l'Éducation, daté de
1888, au sujet des écoles des
« Homes » à Stepney.
« Les directeurs des écoles
doivent être félicités, non
seulement pour l'achèvement des nouveaux
locaux spacieux, mais encore pour
l'amélioration correspondante du travail...
L'écriture est l'objet d'une grande
attention et l'arithmétique écrite
est bonne. L'arithmétique orale est en
progrès. La grammaire est enseignée
avec beaucoup de succès ; aussi
recommande-t-on la plus grande subvention pour sa
grande efficacité... » Le Rapport
de l'Inspecteur au sujet de la maison
Léopold n'est pas moins flatteur.
« Cette école a de beaux
résultats ». Il ajoute que
« ses progrès sont tout à
l'honneur du corps enseignant ». Les
exercices de chant sont « très
satisfaisants » et l'école est
« dans un ordre parfait ». Le
Rapport de l'Inspecteur sur l'école du
« Village Home » est le
suivant : « Cette vaste école
est, comme toutes les autres, très
habilement organisée et bien
disciplinée ». Mais, en
dépit des agrandissements de 1887, le
Rapport déclare que « le nombre
actuel des enfants est encore trop grand pour les
locaux existants, et à moins de parer
à cet accroissement par des agrandissements
correspondants, cette école sera
sérieusement surpeuplée au cours de
cette année ». Des louanges
spéciales sont faites pour « la
bonne discipline de la classe enfantine »
et « la correction générale
des enfants lorsqu'ils répondent aux
questions posées », tandis que
« l'efficacité de l'enseignement
et le soin donné aux exercices
physiques » sont déclarés
« très
honorables ».
Tels sont les rapports
circonstanciés des inspecteurs du
Gouvernement. Mais le système de Barnardo ne
se limitait pas aux sujets prescrits par le
programme d'études du Gouvernement et ses
plus beaux enseignements n'étaient pas ceux
qui lui valaient une subvention nationale. Ainsi la
connaissance de la Bible, acquise par l'ensemble
des enfants Barnardo, confondait les écoles
moyennes du Gouvernement ; il en était
de même de la musique, de l'artisanat et de
l'éducation physique. Dès le
début, les écoles de Barnardo
montrèrent un véritable génie
dans l'enseignement de la musique d'orchestre, du
chant choral et des centaines de
protégés de Barnardo, devinrent par
la suite des chefs d'orchestre et dirigèrent
des choeurs dans les villes où ils
s'établirent. On enseignait un métier
à chaque jeune garçon ou jeune fille
et on lui apprenait également la joie des
exercices physiques et des jeux
organisés.
Toutefois il y a d'autres faits
derrière ce succès des
« Homes ». Leur fondateur,
étant docteur, était naturellement
intéressé par le bien-être
physique de ses enfants ; mais cet
intérêt était encore accru par l'importance qu'il
donnait
à la doctrine paulinienne,
c'est-à-dire que le corps est le temple du
Saint-Esprit. De là, il regardait comme un
devoir religieux de faire tout son possible pour
donner à ses enfants une bonne santé,
et bien qu'aucun luxe ne fut admis, les
appétits les plus voraces étaient
satisfaits. Aussi, en 1888, le compte de nourriture
seul dépassait-il 100 livres sterling par
jour. Mais cet argent était sagement
dépensé, car les aliments
nourrissants, les habitudes
régulières, les jeux, le travail de
l'esprit et une surveillance spirituelle sur la vie
contribuaient largement à la faiblesse
étonnante de la mortalité dans les
« Homes ». Dans plusieurs
branches, la mortalité annuelle était
inférieure à 4 pour 1.000 ; et
ce qui en 1888 l'amena à 12,8 pour 1.000,
fut le grand nombre, de bébés
sous-alimentés admis aux
« Homes », certains n'ayant pas
plus de quelques semaines.
Avant la fin de cette période
contrôlée, un département
nouveau fut établi qui compléta le
caractère national de l'oeuvre de Barnardo.
La publicité que l'arbitrage donna aux
« Homes » ayant fortement
augmenté, les demandes des Églises,
des Écoles du Dimanche, etc... pour des
réunions présidées par les
délégués de Barnardo, le
directeur et certains membres de son personnel
durent faire de grands voyages pour organiser de
vastes réunions et des
conférences ; aussi vers 1888 de
nouveaux aides étaient-ils
nécessaires.
C'est pourquoi, cette même
année, le pasteur W. H. Mayers (jeune
pasteur baptiste remarquablement doué)
abandonna le pastorat et son importante
Église de Bristol, pour devenir premier
« Secrétaire de la
Députation » et son travail eut un
tel résultat que bientôt d'autres
pasteurs furent nommés : quelques-uns
de l'Eglise anglicane, d'autres parmi les
non-conformistes.
Ce que nous venons de raconter n'est
qu'un aperçu de quelques activités de
Barnardo jusqu'en 1888, et si cela nous montre la
croissance
rapide des « Homes », il y
avait cependant d'autres branches de son oeuvre
aussi vigoureuses. Un simple coup d'oeil sur le
programme de Barnardo nous remplit
d'étonnement. De « la
manière la plus brève
possible », il expose ainsi le plan
général de sa Mission :
a) Agences de Recherche pour découvrir
les enfants abandonnés.
b) Des logements gratuits.
c) De grands
« Homes » industriels.
d) De petits
« Homes ».
e) Mises en pension dans des familles.
f) Émigration.
a) Salles missionnaires.
b) Maison de diaconesses.
c) Groupes de Tempérance.
d) Écoles du Dimanche et
« Ragged Schools ».
a) Missions médicales. b) Repas gratuits. c) Secours général. d) Émigration et expatriement.
On reçoit les Enfants
indigents :
1. Sans aucune limite d'âge, de
sexe, de foi ou de
nationalité ;
2. Sans prendre garde à aucune
sorte d'infirmité physique les enfants
boiteux, aveugles, sourds et muets, incurables et
même ceux qui ont été
abandonnés comme morts, peuvent être
admis, s'ils sont réellement
indigents ;
3. À toute heure du jour ou de la
nuit ;
4. Uniquement selon leurs
mérites, sans choix et en dehors de toute
intervention de riches protecteurs.
Ce schéma du programme de
Barnardo en 1888 représente à peine
les proportions qu'avaient atteint la Mission. Nous
avons vu quelques détails de l'oeuvre des
« Homes » à cette
époque. L'activité de sa
« Copperfield Ragged School »
montre l'une de ses nombreuses possibilités
tout à fait différentes des
« Homes ». La classe biblique
du dimanche et des jours de semaine de la rue
Copperfield était une des nombreuses
« Ragged Schools »
dirigées par l' « East-End
Juvénile Mission », et ses
élèves étaient si pauvres que
« 30 % d'entre eux, un certain matin,
étaient venus à l'école sans
avoir déjeuner 30 % n'avaient eu qu'un
morceau de pain sec avant de quitter leur maison et
60 % n'attendaient pas de
dîner ! ». Cependant de tous
ces élèves que la Mission avait
largement nourris, en 1877 cette école
présenta à des examens du
Gouvernement 455 enfants, et 402 - soit 88,4 % -,
réussirent dans toutes les branches.
Ces résultats étaient
beaucoup plus satisfaisants que ceux qu'obtenaient
les écoles du Gouvernement dans les
mêmes conditions. Ainsi l'État apprit
peu à peu et comme malgré lui,
grâce aux « Ragged
Schools », la folie qu'il y a à
vouloir instruire un enfant quand son estomac est
tenaillé par la faim.
Barnardo a brièvement
expliqué le plan de son oeuvre missionnaire
en 1888 :
Je me destine tout d'abord au sauvetage
de l'enfance et, grâce à Dieu, les
« Homes » ont, par mes soins
travaillé sur une base plus vaste que tout
autre institution dans le monde... Mais, en outre,
notre Mission de l'
« East-End » a, dès le
début, entrepris la tâche
d'évangéliser les adultes pauvres.
Elle comprend des agences pour les visites aux
malades, aux personnes âgées et aux
déchus ; des sections pour soulager et
soigner les malades, à la fois à la
mission médicale et chez eux ; pour
enseigner la Bible aux enfants des ouvriers
pauvres, pour distribuer des repas gratuits ou de
la nourriture à un prix très bas pour
les affamés (enfants et adultes) ; pour
distribuer des vêtements de toutes sortes,
chaussures, etc... Pour fournir aux mères
nécessiteuses le berceau et la layette
à la naissance ; pour envoyer les
convalescents indigents à la mer ou à
la campagne ; pour payer une rente aux
vieillards et aux infirmes ; pour retirer du
Mont-de-piété les outils et
instruments nécessaires à l'ouvrier
qui cherche une place ; pour permettre aux
personnes sans travail, en particulier aux jeunes
filles, d'obtenir une situation ; pour aider
les femmes pauvres par des prêts de machines
à coudre et à repasser, etc... En un
mot, tout un système méthodique de
secours appliqué avec soin, dont le but est
de relever les tombés, de réjouir les
abattus, de redonner du courage aux
découragés de la lutte pour la
vie ».
Telles étaient les proportions
que l'oeuvre de Barnardo avait atteint vers la fin
de cette seconde période de onze
années. Ainsi nous avons eu assez d'exemples
pour comprendre clairement que l'arbitrage qui
avait menacé l'oeuvre d'un désastre
était devenu une bénédiction.
Il désarma les critiques et confondit les
ennemis. Mais - chose plus importante - il
révéla à Barnardo les points
vulnérables de son oeuvre. De là,
sortit le Comité
directeur qui apporta au docteur le concours de
quelques âmes parmi les plus nobles du
Royaume, et la Mission devint ainsi moins
personnelle et sa vie plus, assurée. Mais il
en résulta encore un autre avantage :
Les « Homes » furent
entourés d'une plus grande protection
légale qui, affermissant leur fondation,
assura leur permanence.
Pour aussi étonnant que fut
l'accroissement de la Mission pendant les onze
années qui précédèrent
l'arbitrage, son développement au cours des
onze années qui suivirent fut au moins
quatre fois plus grand. Il devint alors absolument
évident que Barnardo avait passé de
l'épreuve au triomphe ; mais quelle fut
la grandeur de ce triomphe ? Nous le verrons
maintenant par une enquête que fit une
commission royale, dirigée par l'un des
ministres d'État les plus éminents de
cette époque.
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