Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE X

De l'épreuve au triomphe

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C'est une expérience humaine, que souvent le bien sort du mal, et que la vérité est proférée par la bouche des calomniateurs.
L'arbitrage était à peine terminé que Barnardo commença à vérifier ce paradoxe. Il avait passé par une des épreuves les plus pénibles qu'un homme ait à subir et après avoir prouvé pleinement son intégrité et l'utilité de sa mission, il se trouvait alors dans une position lui permettant de nouvelles et plus vastes entreprises en faveur des enfants abandonnés. L'arbitrage n'avait pas seulement blanchi Barnardo de toutes les accusations principales et affirmé son honnêteté, il avait, chose plus importante encore, fait la lumière sur les points faibles aussi bien que sur les points forts de son oeuvre. Pendant les vingt jours que dura le procès, chaque branche de sa Mission avait été soumise à l'action du bélier et partout où se trouvait un point vulnérable, la bataille s'était engagée. En conséquence, Barnardo découvrit, grâce à la fureur de ses ennemis, ce qu'il n'aurait jamais pu découvrir par la bonté de ses amis, les points faibles de son organisation et les brèches dans la constitution de ses « Homes ».

Le point le plus vulnérable était la base autocratique sur laquelle tout l'édifice avait été élevé. Et ceci, quand on connaît son origine, était bien naturel. Lorsqu'il avait commencé d'enseigner à « Ernest Street », il s'était trouvé entravé par le pédantisme de certains de ses collègues. Aussi, prît-il les rênes en mains, lorsqu'il ouvrit la petite école du « Donkey Shed », pour s'engager là où sa foi le conduirait. Il en fut de même des « Assembly Rooms » et de la Mission de Hope Place. En effet, durant les premiers jours, aucun de ses collègues ne possédait un talent semblable au sien ni même une parcelle de sa vision des choses ; c'est pourquoi il décida d'éviter toute routine et il est très probable que Lord Shaftesbury encouragea son procédé autocratique. Il est vrai que lorsqu'il acheta « Edinburg Castle », cet immeuble fut confié à des administrateurs, comme le fut plus tard le « Girls Village Home ». Mais, jusqu'à l'arbitrage, Barnardo resta, à tous égards, le directeur autocratique de toutes les institutions que son génie avait élevées ; car il se croyait fermement « appelé » à entreprendre cette oeuvre ; et il sentait profondément que sa tâche spéciale de directeur était de diriger l'oeuvre missionnaire sous le regard de Dieu.

L' « East End Juvenile Mission » était donc arrivée, sous ce contrôle absolu, à la position qu'elle avait au moment de l'arbitrage et personne ne contestera, en observant les faits rétrospectivement, que son succès était dû pour la plus grande part à un contrôle de ce genre ; car l'initiative de Barnardo avait laissé son empreinte à chaque pas. Cependant, bien que cette autorité fut essentielle aux premiers développements, le jour approchait où elle aurait pu devenir une pierre d'achoppement. Car tout homme, quelque grand que soient ses talents, parvient un jour à un point où il ne peut porter seul un fardeau plus lourd ; et en 1877, Barnardo avait presque atteint ce point-là. C'est pourquoi le Tribunal d'Arbitrage, en recommandant la nomination d'un Comité pour collaborer à la direction des « Homes », répondit par avance à un besoin vital. Déjà, les arbitres reconnaissaient tellement l'utilité publique de la Mission, qu'il faudrait, disaient-ils, assurer sa continuité comme Institution nationale, et cette continuité était impossible tant qu'elle resterait sous un contrôle personnel ; que se passerait-il si le Docteur était frappé par une maladie ou même par la mort ? C'est pourquoi cette recommandation de former un Comité pour assister le Directeur dans sa tâche, avait une valeur réelle, et les grands hommages accordés à la Mission par les arbitres, rendirent plus aisé, sans aucun doute, l'enrôlement d'hommes dont l'influence devait être très grande.

Il ne fait aucun doute, en effet, que l'arbitrage fut véritablement une bénédiction cachée. Prenons un seul exemple : Le Comte de Cairus, qui devint par la suite Ministre de la Justice, suivit de près toute la procédure. Il n'eut pas plutôt lu le jugement rendu, qu'il écrivit à Barnardo pour le féliciter d'avoir traversé cette expérience sain et sauf, et il suggérait que si Barnardo désirait nommer un Comité, il serait heureux d'être Président honoraire ou tout autre chose dans ce Comité.

Barnardo apprécia hautement cette lettre, parmi des centaines d'autres qui le félicitaient pour sa défense et lui offraient une aide personnelle. Le Docteur, après la recommandation des arbitres, décida aussitôt la création d'un Comité ; d'ailleurs il s'occupait déjà activement de voir ceux qui pourraient composer ce Comité, lorsqu'il reçut l'offre de Lord Cairus. Qui serait plus qualifié pour en être le Président que le Ministre de la Justice du Royaume ?

Lord Cairus et Barnardo étaient qualifiés pour travailler ensemble. Ils étaient Irlandais. Tous deux s'intéressaient particulièrement aux conséquences sociales de l'Évangile ; ils étaient tous deux les ennemis jurés de l'alcoolisme, des taudis et du vice, et pensaient qu'ils ne pouvaient mieux servir leurs frères qu'en travaillant sans cesse pour les principes du Royaume de Dieu. Tous deux étaient aussi les véritables amis des pauvres, qui refusaient de prendre leur parti des conditions sociales de l'époque, sources de pauvreté, de débauche et de crime ; cependant tous deux croyaient que le remède profond des pires fléaux sociaux, devait s'appliquer d'abord à l'enfant.

Un Comité de seize membres fut donc nommé ; le président était Lord Cairus ; et le 15 novembre 1877, exactement un mois après la proclamation du jugement, on publia sa composition. Parmi ces membres se trouvaient deux pasteurs de l'Eglise anglicane ; trois pasteurs non conformistes ; des philanthropes nationaux respectés, tels que Lord Kinnaird et l'honorable T. H. W. Pelham et d'autres membres du Parlement ; des présidents d'U. C. J. G. ; des médecins et des représentants connus du monde des affaires, tels que Samuel Gurney Sheppard et John Sands. Ce Comité formait une large représentation de la vie publique britannique, mais ses membres avaient tous un point de vue commun : ils étaient tous des protestants évangéliques ardents ; à chacun d'eux se posait avec force la question d'une morale sociale du Christianisme ; tous, comme Barnardo, ne pouvaient se résoudre à accepter comme une fatalité les taudis, le vice et le crime. Tous croyaient aux possibilités infinies d'un enfant, même le plus misérable, lorsqu'il est mis en contact avec l'esprit de Christ ; chacun d'eux avait été membre des Comités locaux qui s'étaient formés à la suite de la première Mission de Moody et Sankey en Angleterre.

Le, premier acte de ce Comité, en accord avec les administrateurs, fut d'exprimer sa « profonde gratitude » envers les arbitres « pour avoir entrepris une enquête si compréhensive et l'avoir poursuivie avec tant de continuité et de patience au milieu de grandes difficultés jusqu'à sa conclusion. »

Le terrain était alors préparé pour une nouvelle conquête. En comparant l'oeuvre missionnaire, avant et après l'arbitrage, nous avons une idée de l'importance des progrès de cette oeuvre.
Barnardo commença son oeuvre missionnaire onze ans avant l'arbitrage ; et, curieuse coïncidence, il écrivit un rapport complet sur sa Mission sous forme d'un volume de 280 pages. - Something Attempted : Something Done - onze ans après l'arbitrage. Tous les faits rapportés dans cet ouvrage sont très utiles pour la comparaison de ces deux périodes et cette comparaison est tout à fait révélatrice.

Pendant les onze années qui s'écoulèrent entre le sauvetage de Jim Jarvis et le jugement de l'arbitrage, Barnardo avait sauvé 2.000 enfants abandonnés - dont 500 étaient encore dans les « Homes » à la fin de l'année 1877 ; le Rapport de 1888 mentionne qu'il avait alors sauvé 12.653 enfants au cours de ces onze années - dont 3.000 habitaient encore dans les « Homes ». En d'autres termes, le total des enfants indigents secourus pendant la seconde période de onze années, était cinq fois plus grand qu'au cours de la première ; tandis que la « famille » Barnardo dans les « Homes » était en 1888 six fois plus grande qu'en 1877. L'augmentation du budget est également significative. Pendant la période qui précéda l'arbitrage, la somme totale des recettes s'élevait à 150.000 livres sterling environ.

Pendant la, période égale qui suivit, la somme des recettes avait plus que quadruplé, elle atteignait 655.000 livres tandis que la seule comparaison des années 1877 et 1888 nous montre que les recettes étaient respectivement de 30.000 livres, et de plus de 120.000 livres.
Il est également intéressant de comparer les différentes branches de l'oeuvre pendant les mêmes périodes. À la fin de l'arbitrage, la Mission comptait huit Institutions séparées avec quatorze cottages pour le « Girl's Village Home » seul. Le Rapport de Barnardo de l'année 1888 nous montre que, pendant la période qui suivit l'arbitrage, les branches de la Mission étaient devenues cinq fois plus nombreuses, car la Mission pouvait alors se glorifier de trente-huit Institutions distinctes, et dans le « Village Home » on comptait cinquante cottages.

D'autre part, bien qu'en 1877 ces « Homes » eussent sauvé 2.000 enfants indigents, pendant cette première période, la Mission semblait être une magnifique « Ragged School », dont les « Homes » n'étaient qu'une branche secondaire ; mais en 1888, les « Homes » avaient atteint des proportions qui dépassaient tout le reste, et ceci en dépit du fait que, dans l'intervalle, Barnardo avait pris l'initiative de nouveaux efforts. Il semble bien que les attaques au sujet desquelles eut lieu l'arbitrage, se concentrant sur les « Homes », eurent pour résultat de les mettre plus en vue que tous les autres efforts de la Mission.

Il faut remarquer un autre point important : les finances. Pendant la période qui précéda l'arbitrage, Barnardo ne permit jamais que ses dépenses annuelles excédassent ses recettes, car c'était chez lui un principe religieux de « ne devoir rien à personne ». Mais durant la période qui suivit l'arbitrage, il fut pris dans un dilemme. Jusqu'en 1877, et même plusieurs années après, il put, sans aucun embarras financier, tenir son engagement de ne refuser aucun enfant indigent ; mais avant la fin de la seconde période, le développement des « Homes » fut si grand qu'il se trouva plongé dans une grave alternative. Il devait soit rompre son engagement, soit maintenir ses portes ouvertes avec des fonds « empruntés ». Il ne pouvait accepter la première hypothèse, car « Poil de Carotte » hantait toujours son esprit ; finalement il concilia la seconde avec les scrupules de conscience à ce sujet : à savoir que l'argent emprunté serait employé uniquement à la construction, ce qui représentait une hypothèque sur une propriété non imposée, dont il espérait se libérer au bout de quelques années.
En conséquence, les proportions de l'oeuvre de Barnardo, en 1888, dépassaient même ce qu'un revenu annuel de 110.000 livres, pourrait suggérer.

Mais revenons à la nécessité d'une hypothèque ; nous lisons dans Something Attempted : Something Done (page 5) ceci : « Au cours de l'année 1888, les Institutions ont récolté, dans une large mesure, ce qui avait été semé l'année précédente. En 1886, nos immeubles étaient surpeuplés par une foule toujours renouvelée d'enfants indigents et je me trouvai à la limite de tout ce que je pouvais faire pour les loger. Je devais soit refuser d'écrire sur nos murs : « AUCUN ENFANT INDIGENT NE SERA REFUSÉ », soit faire face à la nécessité immédiate d'agrandir les « Homes ».

Nous connaissons l'alternative choisie. Nous continuerons donc à décrire la manière dont fut conduit ce programme d'extension, nous rappelant qu'il coïncidait avec le cinquantième anniversaire du règne de Victoria, et fut appelé par conséquent l'extension du Jubilé.

Au cours de l'année jubilaire, les « Homes » ont retenti de coups de marteaux et de bâches. Le « Home » de Stepney a été sérieusement agrandi ; Léopold House a été plus que doublée ; la Maison du Travail pour les jeunes gens indigents a été aussi agrandie ; l'Hôpital de la Reine a été reconstruit. J'ai réorganisé notre plan d'émigration ; la grande Ferme Manitoba commence à se développer ; un Refuge pour les jeunes filles a été ajouté, ainsi que le Parc d'enfants pour les infirmes indigents ; tandis que beaucoup d'autres extensions et additions ont pris place dans l'économie de nos Institutions. Tout ceci a augmenté considérablement mes fardeaux financiers déjà si lourds. Mais au milieu de ces nécessités sans cesse croissantes, notre Seigneur a mis au coeur de Ses serviteurs de se souvenir de Son oeuvre, par mes mains, par une plus grande libéralité, et bien qu'une grande partie du fardeau ne soit pas encore enlevée, puisque j'ai dû prendre une hypothèque, j'ai cependant la joie de faire connaître l'encouragement qui a suivi mes efforts en vue d'élargir les portes de nos Cités de Refuge pour les Petits ».

Cette liste n'épuise nullement les développements de l'année jubilaire. Au cours de ces douze mois, dix-neuf cottages ont été ouverts dans le « Girls's Village ». Mille ares de terrain ont été ajoutés à la Ferme Manitoba, et trois maisons à Stepney Causeway pour l'aménagement du Bureau principal ; de plus, cinq nouveaux métiers ont été installés.
Ce programme de 1887 marque une réelle avance, car Barnardo écrivait. à ce sujet :
« En conséquence de ces agrandissements matériels... je commençai l'année 1888 avec plus de place et un matériel plus complet que je n'avais pu le faire au cours de l'histoire précédente des « Homes » et chaque jour j'ai pu me rendre compte de l'avantage de locaux plus vastes mis ainsi à ma disposition. Cette année a été une année de consolidation, de progrès réels dans l'organisation ; de grandes bénédictions, dans les choses spirituelles aussi bien que dans les temporelles. Ces extensions m'ont permis de classer et de subdiviser les différents jeunes qui demeurent là, selon leur âge, leurs connaissances et leurs circonstances, d'une façon plus minutieuse qu'il ne m'était possible de le faire précédemment. L'enseignement donné a été plus complet et la surveillance plus attentive ; et j'ai joui personnellement de la liberté acquise de laisser plus largement ouverte la porte de nos maisons, pour toute petite créature abandonnée qui réclamait le privilège d'être entourée, soignée, dirigée ».

Dans le regard que jette Barnardo sur son Oeuvre jusqu'en 1888, dans son rapport Something Attempted Something Done, il insiste en particulier sur les « Homes » pour orphelins et enfants indigents. Les autres « branches » de l'oeuvre, comprenant les différentes « Ragged Schools » du jour et du soir, l'Eglise populaire, les Palais du Café, le Dispensaire médical, la Maison des diaconnesses, l'Institut des jeunes filles des factoreries, les Refuges de nuit, le Secours en plein air, etc.... avaient beaucoup prospéré ; mais le centre de tout était alors les « Homes ». Et Barnardo tenait fidèlement un registre de cette immense famille qui comptait déjà plus de 12.000 enfants, et dont un grand nombre était déjà en pays lointain ; chacun d'entre eux était pour lui un « enfant » et non le rouage d'une machine.

Quel était donc le passé des jeunes garçons et des fillettes qui vinrent demeurer dans ce qui était alors « la plus grande famille du monde » ? On ne peut citer ici que quelques cas ; mais chacun d'eux est le type de centaines d'autres racontés par ceux dont la tâche était de découvrir tous les faits vérifiables concernant la vie passée des postulants.

R. M., admis au « Home » des petits garçons, âgé de six ans, de Jersey, est ainsi dépeint : « Un petit gamin aux cheveux clairs et aux yeux bleus, débilité par manque de nourriture convenable. Les faits qui l'amenaient à être admis sont les suivants : « Le père, artiste lithographe, est mort de la tuberculose il y a quatre ans. La mère et l'enfant sont entièrement dénués de tout et celle-ci, une femme très active et respectable, en est réduite à vendre des briquets dans la rue... Tous deux habitent dans un affreux hôtel meublé. Ils sont absolument sans amis et n'ont l'adresse d'aucun parent ».

Le cas de W. S. B., âgé de six ans, également admis au même « Home », la même année (1888), n'est guère différent : « Se trouve dans la plus grande détresse ; la mère nous supplia elle-même de lui venir en aide. L'Inspecteur de l'enfance la trouva avec huit petits enfants dans une misère indescriptible. Le père, voyageur de commerce, avait autrefois une bonne situation ; il est maintenant dans un asile d'aliénés. La mère est sans travail ; la pièce est presque vide, les enfants à demi-morts d'inanition ».

Une étude des rapports remis au « Château des Bébés » nous révèle les mêmes histoires.

S. E., âgée de deux mois, était « une petite fille au visage étrange et flétri, plus petit que la paume de la main. Sa mère est une incurable, atteinte d'hydropisie, vivant chez sa mère, cruellement abandonnée par son indigne époux constamment ivre, qu'on ne peut retrouver. Quatre enfants dont elle ne peut s'occuper. Sa mère, une pauvre veuve totalement indigente. Tous les parents sont dans la plus grande misère ».

« Billy », âgé de deux ans ; sa mère essaya de se noyer et lui avec elle et elle... réussit, en noyant le petit enfant qu'elle portait. Au sujet de T. R. (deux mois), on apprit ceci : « La mère mourut d'inanition et d'inquiétude quatre jours après la naissance de son enfant. Le père âgé, atteint d'une maladie de coeur ; entièrement brisé par la maladie et incapable de travailler. Il y a un autre enfant et tous trois meurent actuellement d'inanition. Aucun parent pour les assister ». Le cas de J. B. (trois mois) est également tragique. « Orphelin. Sa mère mourut à sa naissance. Le père, un journalier, est sur le point de mourir... Ce bébé et sa soeur, âgée de onze ans, n'ont pas de foyer ; aucun parent ne peut les assister ; tous deux ont été admis ». Les histoires du « Girl's Village Home », du « Home » de Stepney pour les garçons, des sections pour les enfants mis en pension dans des familles, etc.... révèlent des conditions aussi navrantes. L'histoire de J. C. N. (4 ans), admise au « Girl's Village Home », en 1888, n'est pas un cas isolé. « Une petite créature intelligente et affectueuse, qui sort d'un triste milieu. La mère, une prostituée, habite dans un affreux hôtel meublé, dans le cabaret duquel la petite fille a dû monter sur la table, réciter des pièces obscènes et chanter d'horribles chansons. Trois soeurs de la mère mènent une vie aussi dégradante ; les grands-parents, dissolus et indignes ».

Voici les faits qui ont permis l'admission de trois soeurs au « Village Home » :
« Actuellement sans foyer et totalement indigentes avec leurs parents, tous deux vagabonds et ivrognes, et littéralement sans un toit pour les abriter. Ont dormi, la nuit, pendant trois mois, sous un buisson de houx, sur un champ de course bien connu. Le jour elles ont erré, où elles ont voulu. Les parents, pris par la boisson, sont tombés de plus en plus bas et sont devenus semblables à des bêtes ; sont d'une saleté si repoussante que personne ne veut les employer ou même leur louer une pièce... ».

R. M. P. (âgé de sept ans), était « un pauvre petit infirme sauvé d'une maison misérable dans une ville d'Écosse. À mené une vie chargée de misère ; reçut un coup de pied si brutal et fut si grièvement blessé que, après avoir passé plusieurs semaines dans une infirmerie, sa main droite dut être amputée. Les parents, dégradés, vivant séparés, le père mène une vie de vagabond. L'enfant a été trouvé par un homme bienveillant, abandonné sur un escalier... ».

Prenons encore le cas de W. L., admis au « Home » de Stepney, à l'âge de treize ans. « Un pauvre petit garçon avec une mâchoire de travers. À été pris par un artiste des rues et promené par les rues de Londres pour exciter la sympathie et la pitié. Le père est mort. La mère est une femme qui boit, et sans aucune moralité, que l'on trouva absolument ivre sur le même lit que son mari déjà mort. Elle avait été renvoyée chaque fois des hôtels meublés à cause de son ivresse et du non-paiement du loyer... ».

Ces cas, pris parmi les admissions de Barnardo en 1888, sont le type de ceux des 1.768 enfants reçus cette année-là. Mais il ne faudrait pas en conclure que cet énorme chiffre représente le total des demandes ; au cours de l'année 1888, 7.298 demandes furent reçues et bien qu'un quart seulement des enfants intéressés fussent trouvés, après recherches, totalement indigents et par conséquent dignes d'être pris, néanmoins plus de 1.200 parmi ceux qui furent refusés, furent envoyés en mer, obtinrent une situation, ou furent assistés d'une autre manière par les soins de Barnardo. Cependant, une bonne moitié des demandes furent refusées comme ne remplissant pas les conditions ; des enquêtes minutieuses ayant prouvé que ces candidats avaient des parents ou des amis que l'on pourrait persuader de se charger de ces enfants. En effet, Barnardo refusa résolument, dès le début, d'être trompé par ceux qui cherchaient à éviter les responsabilités et à les rejeter sur les « Homes ». Il ne refusait aucun enfant totalement indigent ; mais il fallait que le dénûment complet fut prouvé, pour qu'un enfant fut admis définitivement.

Il est également remarquable que, parmi les demandes reçues en 1888, il y en avait de tous les points de l'Angleterre, du Pays de Galles, de l'Écosse et de l'Irlande ; et parmi les admissions il y avait des enfants de toutes les villes du Royaume-Uni ; et ce fait était de plus en plus apparent depuis 1877. En conséquence, il est évident que l'un des effets de l'arbitrage, fut d'élever les « Homes » à la dignité d'Institution nationale. Ceci n'est guère surprenant ; car le jugement établit que Barnardo s'occupait des enfants que la nation avait abandonnés ; et cependant les « Homes » réformaient tellement leurs vies qu'ils devenaient une richesse pour la société. En 1888, il y avait par tout le royaume, un grand nombre de jeunes gens et de jeunes filles qui avaient été élevés et instruits dans les « Homes » de Barnardo, quels que fussent les antécédents qui pesaient sur eux ; peu à peu, il apparut clairement qu'ils étaient des citoyens honnêtes, sobres, respectables, passés maîtres en leur métier, généreux et d'un grand rendement social, des citoyens capables de former la structure d'une nation.

On pouvait observer des faits semblables même au delà du Royaume-Uni, car en 1888, Barnardo avait fait émigrer 3.713 de ses protégés, aux avant-postes de l'Empire Britannique, où, 98 % d'entre eux, s'étaient montrés de véritables pionniers. Et ces « anciens » et « anciennes », une fois partis, n'oubliaient pas les « Homes » qui les avaient rendus capables de gagner leur vie ; car bien que vers 1888, la plupart des protégés de Barnardo dans l'Empire, fussent encore trop jeunes pour avoir beaucoup de revenus, à eux seuls ils envoyaient déjà des contributions volontaires de centaines de livres chaque année.

Et maintenant par quel moyen mystérieux pouvait-on transformer ces jeunes abandonnés, indigents, en des citoyens qui honoraient leur père nourricier et ses « Homes » ? La première de ces causes de transformation était une influence spirituelle profonde. Un jour, un ecclésiastique zélé reprocha à Barnardo de n'avoir élevé ni croix, ni autels dans ses « Homes ». Il répondit aussitôt : « Il n'y en n'a point ! mais ne voyez-vous pas la Bible partout ? Elle est, non seulement notre principal livre, elle est l'inspiration même de ces « Homes » Barnardo et ses collègues considéraient leur tâche comme une vocation et non comme un emploi, et s'il se trouvait dans le bercail un instructeur qui « n'aimait pas profondément son travail », il changeait promptement d'attitude ou donnait sa démission. Car l'esprit missionnaire, dans lequel les « Homes » avaient été fondés, laissait son empreinte dans chaque branche ; et au jeu comme au travail, par de nombreux moyens, on encourageait les enfants, par le précepte et par l'exemple, « à pratiquer la justice, à aimer la miséricorde et à marcher humblement avec Dieu » ; tandis que l'enseignement de Celui qui résumait la Loi et les Prophètes dans le Commandement de l'Amour, formait l'atmosphère même que respiraient les enfants Barnardo. La religion n'était donc pas un accessoire dans les « Homes », c'était plutôt l'essence même de leur vie.

Mais bien que la religion fut pour Barnardo le tout et le but de la vie, il ne méprisa jamais les occupations matérielles. En effet, il croyait que la différenciation courante entre le séculier et le sacré était tragiquement trompeuse ; pour lui, aucun travail honnête accompli honnêtement n'était jamais uniquement matériel ; tandis que, par ailleurs, une chose ne pouvait être véritablement sacrée que si elle ennoblissait la vie. En conséquence, ses écoles, ses ateliers, ses terrains de jeux et ses salles d'exercices jouaient un rôle important dans son oeuvre ; ils aidaient à développer cette virilité robuste à laquelle il tendait constamment.

Il accepta avec joie la recommandation des arbitres de placer ses écoles sous le contrôle du Gouvernement et ceci eut de bons résultats. En se pliant aux règlements du Gouvernement, les « Homes » de Barnardo obtinrent, pour leurs différentes écoles, des subventions officielles, et prouvèrent qu'elles étaient des entreprises d'éducation efficaces, malgré de très graves difficultés. Nous avons un extrait du Rapport de l'Inspecteur de la Reine, du Conseil privé de l'Éducation, daté de 1888, au sujet des écoles des « Homes » à Stepney. « Les directeurs des écoles doivent être félicités, non seulement pour l'achèvement des nouveaux locaux spacieux, mais encore pour l'amélioration correspondante du travail... L'écriture est l'objet d'une grande attention et l'arithmétique écrite est bonne. L'arithmétique orale est en progrès. La grammaire est enseignée avec beaucoup de succès ; aussi recommande-t-on la plus grande subvention pour sa grande efficacité... » Le Rapport de l'Inspecteur au sujet de la maison Léopold n'est pas moins flatteur. « Cette école a de beaux résultats ». Il ajoute que « ses progrès sont tout à l'honneur du corps enseignant ». Les exercices de chant sont « très satisfaisants » et l'école est « dans un ordre parfait ». Le Rapport de l'Inspecteur sur l'école du « Village Home » est le suivant : « Cette vaste école est, comme toutes les autres, très habilement organisée et bien disciplinée ». Mais, en dépit des agrandissements de 1887, le Rapport déclare que « le nombre actuel des enfants est encore trop grand pour les locaux existants, et à moins de parer à cet accroissement par des agrandissements correspondants, cette école sera sérieusement surpeuplée au cours de cette année ». Des louanges spéciales sont faites pour « la bonne discipline de la classe enfantine » et « la correction générale des enfants lorsqu'ils répondent aux questions posées », tandis que « l'efficacité de l'enseignement et le soin donné aux exercices physiques » sont déclarés « très honorables ».

Tels sont les rapports circonstanciés des inspecteurs du Gouvernement. Mais le système de Barnardo ne se limitait pas aux sujets prescrits par le programme d'études du Gouvernement et ses plus beaux enseignements n'étaient pas ceux qui lui valaient une subvention nationale. Ainsi la connaissance de la Bible, acquise par l'ensemble des enfants Barnardo, confondait les écoles moyennes du Gouvernement ; il en était de même de la musique, de l'artisanat et de l'éducation physique. Dès le début, les écoles de Barnardo montrèrent un véritable génie dans l'enseignement de la musique d'orchestre, du chant choral et des centaines de protégés de Barnardo, devinrent par la suite des chefs d'orchestre et dirigèrent des choeurs dans les villes où ils s'établirent. On enseignait un métier à chaque jeune garçon ou jeune fille et on lui apprenait également la joie des exercices physiques et des jeux organisés.

Toutefois il y a d'autres faits derrière ce succès des « Homes ». Leur fondateur, étant docteur, était naturellement intéressé par le bien-être physique de ses enfants ; mais cet intérêt était encore accru par l'importance qu'il donnait à la doctrine paulinienne, c'est-à-dire que le corps est le temple du Saint-Esprit. De là, il regardait comme un devoir religieux de faire tout son possible pour donner à ses enfants une bonne santé, et bien qu'aucun luxe ne fut admis, les appétits les plus voraces étaient satisfaits. Aussi, en 1888, le compte de nourriture seul dépassait-il 100 livres sterling par jour. Mais cet argent était sagement dépensé, car les aliments nourrissants, les habitudes régulières, les jeux, le travail de l'esprit et une surveillance spirituelle sur la vie contribuaient largement à la faiblesse étonnante de la mortalité dans les « Homes ». Dans plusieurs branches, la mortalité annuelle était inférieure à 4 pour 1.000 ; et ce qui en 1888 l'amena à 12,8 pour 1.000, fut le grand nombre, de bébés sous-alimentés admis aux « Homes », certains n'ayant pas plus de quelques semaines.

Avant la fin de cette période contrôlée, un département nouveau fut établi qui compléta le caractère national de l'oeuvre de Barnardo. La publicité que l'arbitrage donna aux « Homes » ayant fortement augmenté, les demandes des Églises, des Écoles du Dimanche, etc... pour des réunions présidées par les délégués de Barnardo, le directeur et certains membres de son personnel durent faire de grands voyages pour organiser de vastes réunions et des conférences ; aussi vers 1888 de nouveaux aides étaient-ils nécessaires.

C'est pourquoi, cette même année, le pasteur W. H. Mayers (jeune pasteur baptiste remarquablement doué) abandonna le pastorat et son importante Église de Bristol, pour devenir premier « Secrétaire de la Députation » et son travail eut un tel résultat que bientôt d'autres pasteurs furent nommés : quelques-uns de l'Eglise anglicane, d'autres parmi les non-conformistes.

Ce que nous venons de raconter n'est qu'un aperçu de quelques activités de Barnardo jusqu'en 1888, et si cela nous montre la croissance rapide des « Homes », il y avait cependant d'autres branches de son oeuvre aussi vigoureuses. Un simple coup d'oeil sur le programme de Barnardo nous remplit d'étonnement. De « la manière la plus brève possible », il expose ainsi le plan général de sa Mission :


OBJETS :
1. Sauver, éduquer, donner un enseignement professionnel et placer les Orphelins et les Enfants indigents.
2. Évangéliser les masses de l' « East-End ».
3 Soigner les malades et soulager les pauvres qui en sont dignes.

MOYENS :
1.

a) Agences de Recherche pour découvrir les enfants abandonnés.
b) Des logements gratuits.
c) De grands « Homes » industriels.
d) De petits « Homes ».
e) Mises en pension dans des familles. f) Émigration.

2.

a) Salles missionnaires.
b) Maison de diaconesses.
c) Groupes de Tempérance.
d) Écoles du Dimanche et « Ragged Schools ».

3.

a) Missions médicales. b) Repas gratuits. c) Secours général. d) Émigration et expatriement.


PRINCIPES :

On reçoit les Enfants indigents :
1. Sans aucune limite d'âge, de sexe, de foi ou de nationalité ;
2. Sans prendre garde à aucune sorte d'infirmité physique les enfants boiteux, aveugles, sourds et muets, incurables et même ceux qui ont été abandonnés comme morts, peuvent être admis, s'ils sont réellement indigents ;
3. À toute heure du jour ou de la nuit ;
4. Uniquement selon leurs mérites, sans choix et en dehors de toute intervention de riches protecteurs.

Ce schéma du programme de Barnardo en 1888 représente à peine les proportions qu'avaient atteint la Mission. Nous avons vu quelques détails de l'oeuvre des « Homes » à cette époque. L'activité de sa « Copperfield Ragged School » montre l'une de ses nombreuses possibilités tout à fait différentes des « Homes ». La classe biblique du dimanche et des jours de semaine de la rue Copperfield était une des nombreuses « Ragged Schools » dirigées par l' « East-End Juvénile Mission », et ses élèves étaient si pauvres que « 30 % d'entre eux, un certain matin, étaient venus à l'école sans avoir déjeuner 30 % n'avaient eu qu'un morceau de pain sec avant de quitter leur maison et 60 % n'attendaient pas de dîner ! ». Cependant de tous ces élèves que la Mission avait largement nourris, en 1877 cette école présenta à des examens du Gouvernement 455 enfants, et 402 - soit 88,4 % -, réussirent dans toutes les branches.

Ces résultats étaient beaucoup plus satisfaisants que ceux qu'obtenaient les écoles du Gouvernement dans les mêmes conditions. Ainsi l'État apprit peu à peu et comme malgré lui, grâce aux « Ragged Schools », la folie qu'il y a à vouloir instruire un enfant quand son estomac est tenaillé par la faim.

Barnardo a brièvement expliqué le plan de son oeuvre missionnaire en 1888 :
Je me destine tout d'abord au sauvetage de l'enfance et, grâce à Dieu, les « Homes » ont, par mes soins travaillé sur une base plus vaste que tout autre institution dans le monde... Mais, en outre, notre Mission de l' « East-End » a, dès le début, entrepris la tâche d'évangéliser les adultes pauvres. Elle comprend des agences pour les visites aux malades, aux personnes âgées et aux déchus ; des sections pour soulager et soigner les malades, à la fois à la mission médicale et chez eux ; pour enseigner la Bible aux enfants des ouvriers pauvres, pour distribuer des repas gratuits ou de la nourriture à un prix très bas pour les affamés (enfants et adultes) ; pour distribuer des vêtements de toutes sortes, chaussures, etc... Pour fournir aux mères nécessiteuses le berceau et la layette à la naissance ; pour envoyer les convalescents indigents à la mer ou à la campagne ; pour payer une rente aux vieillards et aux infirmes ; pour retirer du Mont-de-piété les outils et instruments nécessaires à l'ouvrier qui cherche une place ; pour permettre aux personnes sans travail, en particulier aux jeunes filles, d'obtenir une situation ; pour aider les femmes pauvres par des prêts de machines à coudre et à repasser, etc... En un mot, tout un système méthodique de secours appliqué avec soin, dont le but est de relever les tombés, de réjouir les abattus, de redonner du courage aux découragés de la lutte pour la vie ».

Telles étaient les proportions que l'oeuvre de Barnardo avait atteint vers la fin de cette seconde période de onze années. Ainsi nous avons eu assez d'exemples pour comprendre clairement que l'arbitrage qui avait menacé l'oeuvre d'un désastre était devenu une bénédiction. Il désarma les critiques et confondit les ennemis. Mais - chose plus importante - il révéla à Barnardo les points vulnérables de son oeuvre. De là, sortit le Comité directeur qui apporta au docteur le concours de quelques âmes parmi les plus nobles du Royaume, et la Mission devint ainsi moins personnelle et sa vie plus, assurée. Mais il en résulta encore un autre avantage : Les « Homes » furent entourés d'une plus grande protection légale qui, affermissant leur fondation, assura leur permanence.

Pour aussi étonnant que fut l'accroissement de la Mission pendant les onze années qui précédèrent l'arbitrage, son développement au cours des onze années qui suivirent fut au moins quatre fois plus grand. Il devint alors absolument évident que Barnardo avait passé de l'épreuve au triomphe ; mais quelle fut la grandeur de ce triomphe ? Nous le verrons maintenant par une enquête que fit une commission royale, dirigée par l'un des ministres d'État les plus éminents de cette époque.

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