La vie de Barnardo fut remplie d'aventures
de toutes sortes inspirées par sa foi. Une
nuit, alors qu'il faisait une tournée dans
les hôtels meublés d'un quartier
connu, il fut assailli par des individus grossiers
qui le dépouillèrent de son chapeau,
son pardessus, sa montre, sa chaîne et son
stylo, et s'emparèrent de l'argent qui se
trouvait dans ses poches. Un instant plus tard, ils
avaient disparu. Barnardo savait qu'il était
inutile d'essayer de les poursuivre. Quoiqu'il se
fut séparé à regret de ses
biens, il était impuissant à les
retrouver ; aussi poursuivit-il ses visites.
Mais à son plus grand étonnement, il
se trouva, un moment après, face à
face avec l'un des voleurs qui s'écria en
lui présentant ses affaires :
« Si nous avions su que vous étiez
le docteur Barnardo, nous ne vous aurions jamais
touché. Nous vous demandons pardon,
Monsieur ! »
Cette expérience est
caractéristique, comme beaucoup d'autres que
fit Barnardo dans les hôtels meublés
de l' « East-End ». En 1851,
Lord Shaftesbury présenta un projet de loi,
pour l'enregistrement et l'inspection des
hôtels meublés au sujet duquel Dickens
écrivit : « C'est la
meilleure loi qui ait jamais passé au
Parlement anglais ». Mais bien que cette
loi obligeât l'enregistrement et
l'inspection, limita le nombre des occupants et
contraignit ces hôtels meublés
à prendre certaines mesures
d'hygiène, cependant les conditions de ces hôtels
meublés
étaient encore bien mauvaises. Lorsque
Barnardo commença son oeuvre missionnaire,
de nombreux hôtels meublés de Londres
étalaient leur corruption physique, morale
et spirituelle. Et certains d'entre eux,
fréquentés par des jeunes gens entre
douze et vingt ans, étaient parmi les
pires.
Barnardo avait essayé pendant des
années de pénétrer dans l'un
de ces meublés connus comme un repaire de
jeunes voleurs, mais en vain. Il était
gardé de près : le
« délégué »,
un énorme géant, ne permettait
à aucun étranger d'en franchir le
seuil. Plus d'une fois, Barnardo s'étant
attardé devant l'entrée, il lui
proposa d'un ton bourru d' « aller
s'occuper de ses affaires ». Mais un
jour, tout changea. Barnardo parcourait de nuit le
quartier de Drury Lave et s'approchait de ce
repaire de voleurs lorsqu'il remarqua le visage
très sombre du
« délégué »
qui se tenait devant la porte. Au lieu de prendre,
comme de coutume, un air courroucé à
l'approche de l'étudiant en médecine,
il eut, au contraire, l'air manifestement
soulagé de le voir. Aussitôt il lui
fit signe d'entrer et lui dit d'un air très
agité qu'un des habitués venait de
contracter une fièvre violente.
« Voulez-vous l'examiner, docteur ?
Et pour l'amour du ciel, préservez-nous de
la quarantaine ! »
L'occasion que Barnardo attendait depuis
si longtemps était enfin
arrivée ; on le conduisit
immédiatement auprès du jeune malade.
Il y avait dans la chambre plusieurs jeunes gens
qui ne paraissaient pas plus de dix-neuf ans. Le
malade était un garçon nerveux de
seize à dix-sept ans, et la fièvre,
bénigne, devait céder au
traitement ; aussi la quarantaine
était-elle inutile. Mais le jeune
garçon devait garder le lit quinze jours et
Barnardo vint le visiter une et même deux
fois par jour. Il apprit bientôt quelque
chose des secrets de ce lieu et son appellation de
« cuisine de voleurs » se
trouva justifiée. C'était un antre de
voleurs où l'on vendait fréquemment
à des receleurs des marchandises volées, pour
le septième ou le dixième de leur
valeur marchande.
Barnardo comprit aussi en peu de temps
deux choses très significatives ;
premièrement que la plus grande partie de la
clientèle de la maison ne savait ni lire, ni
écrire ; deuxièmement que s'il
visitait son malade le soir, il trouvait presque
tous les jeunes garçons « à
la maison ». Il mit à profit cette
constatation. À sa troisième visite,
il avait apporté un exemplaire de La Case de
l'Oncle Tom, qu'il voulait lire à son malade
pour l'aider à passer les longues heures
d'inaction au lit. Mais, à sa grande
surprise, il avait à peine commencé
sa lecture que tous les jeunes gens
l'entourèrent « tout yeux et tout
oreilles ». Comprenant alors l'occasion
offerte, il prolongea sa visite jusqu'à une
heure avancée de la soirée, et
lorsqu'après avoir soigné son malade,
il reprit sa lecture, presque tous les jeunes
garçons de la maison
l'écoutaient.
Le quatrième soir, il arriva
particulièrement tard et passant par la
cuisine pour aller retrouver son malade, il
remarqua un jeune garçon de dix-sept ans
environ qui faisait rôtir un hareng devant le
feu. Son apparence arrêta un instant
Barnardo. Il avait un visage fin, des traits
réguliers et une silhouette
athlétique. À cause de son maintien,
sa présence dans cet antre semblait un
paradoxe. Il n'avait pas le regard furtif et la
bouche contractée si particulière aux
voleurs ; il semblait parfaitement à
son aise, tout à fait maître de
lui.
En quittant la cuisine, Barnardo,
avisant un jeune garçon, lui demanda qui
était ce jeune homme. « Mais c'est
Punch ! répondit-il, c'est le roi de
cette maison ! Il n'y a pas un autre
garçon à Londres qui connaisse son
métier comme Punch. Il vole certainement
plus qu'une douzaine de camarades. Et il ne s'est
jamais fait pincer ! »
Ce soir-là, Punch se joignit
à ses compagnons autour du lit du malade et
tandis que l'histoire se poursuivait, il semblait
absolument sous
le
charme. Dès ce moment. là, il ne
manqua pas un mot de l'histoire, jusqu'à ce
que le livre fut fermé, et ensuite lorsque
Barnardo lut Le Voyage du Chrétien,
son intérêt s'accrut encore.
Finalement, le malade étant
guéri, Barnardo annonça qu'il ne
viendrait plus leur lire. Plusieurs jeunes
garçons demandèrent alors à
être admis au « Home »
où ils pourraient apprendre à lire.
Punch hésitait. Il était vaincu par
le désir ardent d'apprendre à
lire : mais s'imaginant que le
« Home » était une
véritable prison, il grignotait prudemment
l'appât. Finalement, après des
centaines de questions, il demanda la permission
d'entrer pour une année seulement, disant
expressément que si à ce
moment-là, il n'avait pas appris à
lire, il aurait la permission de partir comme il
était venu. Barnardo, comprenant bien de
quelle trempe était Punch, accepta sans
remords ; ainsi entra au
« Home », ce « Roi
des voleurs ».
Barnardo, pour des raisons manifestes,
surveillait de très près les
progrès du jeune garçon et l'amenait
fréquemment dans son bureau pour l'occuper
à des besognes particulières ;
et peu à peu, certains faits furent mis en
lumière. Punch n'avait jamais connu, ni son
père, ni sa mère. Ses premiers
souvenirs remontaient à un Asile de Pauvres
où il était affreusement
maltraité et dont il s'échappa,
à l'âge de neuf ans. Pendant quelque
temps, il essaya de « gagner. sa
vie » en vendant des allumettes ;
mais c'était une tâche difficile, car
il était souvent obligé de
« dormir dehors » et devait se
contenter d'un repas par jour. C'est alors, qu'une
nuit, dans un hôtel meublé, un copain
habile se moquant de sa simplicité, promit
de lui apprendre à
« voler ». « Il est
facile à, ce jeu-là de gagner une
demi-couronne ou, si tu as de la chance, cinq
shillings en un clin d'oeil. Mais en vendant des
allumettes il te faut toute une journée pour
gagner un sou ou deux ».
Punch accepta la philosophie de son
compagnon et commença
immédiatement son éducation en vue de
« la profession », et il devint
si expert dans l'art de voler qu'au bout de trois
ans ses compagnons le reconnurent pour leur
« Roi ». Et même
après qu'il eût passé plusieurs
semaines au « Home », il ne
semblait pas qu'il eut pris la moindre conscience
de la valeur morale du vol. C'était toujours
pour lui un jeu d'habileté.
Un jour qu'il mettait de l'ordre dans le
bureau de Barnardo et que celui-ci le questionnait
sur son passé, Punch commença
à se vanter hautement de ses exploits de
« voleur » qui « ne
s'était jamais fait prendre ».
Barnardo, en entendant ces contes fantastiques, le
réprimanda fortement d'exagérer
ainsi. Punch se tut aussitôt et tous deux se
remirent au travail. Vingt minutes plus tard
environ, le jeune garçon demanda l'heure au
docteur. Ce dernier mit sa main dans la poche de
son gilet ; sa montre avait disparu ! Il
en était de même de sa chaîne,
son agenda, son canif et son mouchoir ! Punch
se mit à ricaner et soulevant une feuille de
buvard sur une table voisine, découvrit tous
les objets disparus.
À la suite de cet incident,
Barnardo parla à Punch du mal que
représentait le vol, mais sans aucun
résultat ; aussi essaya-t-il une autre
tactique. Il savait que Punch s'était
lié d'amitié avec un jeune
garçon du « Home »,
d'une honnêteté irréprochable,
nommé James. Il lui dit que si James
apprenait qu'il était un voleur leur
amitié cesserait aussitôt. Punch parut
embarrassé et l'entretien se termina
là.
Quelques jours plus tard, Punch entra
dans le bureau de Barnardo, l'air abattu et les
yeux gonflés, déclarant qu'il devait
quitter le « Home »
immédiatement. Le docteur voulut
connaître la cause de cette demande
péremptoire, et Punch lança comme une
flèche cette accusation : Vous m'avez
fait un sale coup, vous savez ! James m'a
appelé
« voleur ».
Barnardo l'assura qu'il y avait une
erreur et tous deux
s'agenouillèrent bientôt. Le docteur
pria d'abord, puis Punch ; et avant de se
relever, le jeune homme avait perdu tout l'orgueil
de ses anciens exploits. De ce jour, le vol fut un
chapitre clos dans l'histoire de sa vie.
Au bout de sept mois, Punch lisait
couramment, aussi Barnardo lui fit-il
présent d'une Bible et d'un exemplaire de La
Case de l'Oncle Tom. À la fin de
l'année, alors qu'il était libre de
s'en aller, il demanda la permission de rester plus
longtemps et d'apprendre un métier. Il
devint, en deux ans, un cordonnier expert qui
apprenait le métier aux autres
garçons. Trois ans après son
admission au « Home » on
demandait un habile cordonnier pour établir
et surveiller une cordonnerie dans une autre
institution. C'était une bonne occasion et
Barnardo fit venir Punch. Mais à son
étonnement des larmes jaillirent des yeux du
jeune homme : « Je suis bien
peiné, Monsieur, vous voulez vous
débarrasser de moi ».
Barnardo le détrompa
aussitôt ; et l'ancien voleur s'en alla
à son poste de direction où il donna
entière satisfaction et fut, pour les jeunes
garçons qu'il enseignait, un exemple de
chrétien vivant.
Toutes les aventures de Barnardo dans
les bouges ne se terminèrent pas aussi bien.
Tout pécheur exercé qu'il fut, dans
ces eaux troubles, il arrivait parfois que
« l'anguille humaine » qu'il
essayait de saisir, l'attrapait lui-même. Un
soir, dans un hôtel meublé
renommé, une jeune fille de dix-sept ans
environ, qui l'avait épié, se mit
à crier en l'apercevant :
« Molly ! Molly voici le type qui
nous a enlevé nos compagnons ». Un
instant plus tard, Barnardo était
entouré par un cercle de jeunes filles en
furie, qui lui tiraient les cheveux, le frappaient
au visage, déchiraient ses vêtements
et finalement le renversèrent sur le sol.
Quelques-unes le maintenaient par terre tandis que
les autres le battaient à coup de
pantoufles. Et lorsqu'enfin il
eut réussi à se débarrasser de
ses assaillantes et à s'enfuir, il
était tout contusionné, ses lunettes
étaient brisées et ses
vêtements déchirés.
Voici quelle était la cause de ce
châtiment : Barnardo venait de persuader
quelques jeunes gens de quitter cet hôtel
meublé - où chaque soir des jeunes
filles de mauvaise vie venaient danser avec eux -
pour entrer dans un hôtel modèle pour
les jeunes travailleurs, dirigé par Quintin
Hogg.
Les incidents que nous venons de relater
ne sont que le type de centaines d'autres ;
mais il est une expérience unique dans la
vie du docteur, c'est celle qu'il fit dans un
certain meublé. Il ne dormit qu'une fois
dans un hôtel meublé, mais cette
aventure resta toujours pour lui, un
cauchemar.
Après avoir
pénétré souvent dans des
hôtels meublés, Barnardo décida
de taire lui-même l'expérience d'une
nuit dans un de ces bouges ; il organisa son
expédition avec l'aide de Mick Farrel, un
petit Irlandais âgé de treize ans
environ, qui avait dormi dans presque tous les
bouges de l' « East-End ». Il
ne se rasa plus pendant plusieurs jours et sa barbe
avec un peu de poussière et de boue
répandues judicieusement sur son visage, sa
tête et ses mains formaient
déjà l'essentiel de son
déguisement. Des pantalons et une veste en
haillons, un vieux chapeau déformé,
un mouchoir rouge très sale, des souliers
éculés et un morceau de corde pour
suspendre ses pantalons, complétèrent
ce déguisement. Ainsi commença
l'aventure avec l'intrépide Mick pour
guide.
Tout le long du chemin jusqu'à
K... Street, Mick vantait le meublé
particulier vers lequel il conduisait Barnardo. Il
n'était fréquenté que par la
haute pègre, « des gens qui
avaient un bon travail, en
vérité » ; cependant
pour quatre « pence » vous
pouviez avoir des draps « blancs comme
des lis » et avec cela un logement
« digne d'un roi ».
En arrivant dans une rue
« étroite et infecte »,
Barnardo se trouva enfin devant le merveilleux
hôtel. C'était un édifice
farouche à plusieurs étages et
au-dessus de la porte s'étalait une
enseigne : « Lits pour hommes 4
« pence ». Barnardo enleva ses
lunettes, enfonça son vieux chapeau
déformé sur ses yeux, resserra la
corde autour de sa taille et suivit Mick. Ils
arrivèrent bientôt devant le patron
qui s'écria, en reconnaissant Mick :
« Bonjour mon garçon !
Où étais-tu pendant tout ce
temps ? À ta maison de campagne sans
doute, cela ne m'étonnerait pas »
Le pince-sans-rire affirma qu'il en était
bien ainsi et la plaisanterie terminée, le
patron leur indiqua les lits 17 et 18, les plus
splendides qu'on puisse trouver ; dans l'un
d'eux, Gladstone venait dormir quand il voulait
être élégant.
Eu arrivant à sa couchette,
Barnardo remit ses lunettes et observa
soigneusement la scène. La pièce
était malpropre et sordide ;
l'atmosphère, était chargée de
fumée, de poussière et de mauvaises
odeurs. Dans la vague lumière apparaissaient
trente-quatre lits, presque tous occupés par
des jeunes garçons entre dix et dix-sept
ans. C'était la coutume, apparemment,
d'enlever jusqu'au dernier vestige de,
vêtements avant de « sauter dans
son lit », car, de tous
côtés, émergeaient des bras nus
et des poitrines découvertes. Mais son
étonnement s'accrut encore lorsqu'en
regardant auprès des lits, il
n'aperçut nulle part de traces de
vêtements.
Ce mystère fut éclairci
par Mick : il lui expliqua que les
« copains » mettaient leurs
vêtements sous leur oreiller et leurs
souliers dans leur lit « pour
empêcher qu'ils soient
volés ». Mais la chemise
était l'objet d'un soin tout spécial,
comme le démontra bientôt Mick. Il
ôta sa chemise, la roula en boule et la fit
pénétrer sous le coutil, expliquant
qu'elle était ainsi protégée
de la vermine. Il annonça que les
initiés aux mystères des
meublés prenaient toujours cette
précaution. Cette information donnée, Mick,
alors entièrement dévêtu,
s'écria : « Au
lit » et il se plongea entre ses draps
« blancs comme neige ». Puis,
se nichant confortablement, il ajouta :
« Voici ce que j'appelle un
véritable meublé
vraiment ! ».
Barnardo ne pouvait se résoudre
à suivre l'exemple de Mick. Il enleva la
plupart de ses vêtements, mais il se refusa
à entrer dans son lit sans vêtement
aucun. La curiosité le poussa
également à examiner ses draps
« blancs comme neige ».
C'était des draps de « grossier
calicot aussi jaune que possible ». Mais
- et c'était pire - ils étaient
couverts de marques indélébiles
rappelant plus d'un conflit passé avec la
gent insecte.
Barnardo prit cependant son courage
à deux mains et se mit au lit promptement.
« L'odeur des draps et de l'oreiller
était accablante », mais serrant
les dents, il résolut de la braver, et comme
il était tard et l'atmosphère remplie
de buée chaude, il s'endormit
bientôt.
« Pendant combien de temps
dormis-je ainsi, je ne sais, mais je
m'éveillai soudain d'un rêve affreux.
Je croyais que mes compagnons de chambre m'avaient
dénoncé comme espion et, pour me
châtier, chacun d'eux m'égratignait
par tout le corps avec des épingles et ils
me frottaient ensuite avec du poivre. J'en appelais
contre leur cruauté ; je luttais, mais
en vain. Maintenant les épingles arrivaient
jusqu'à mon visage et il me semblait
même que le poivre pénétrait
mes yeux et mon nez, me piquant, me brûlant,
j'en devenais presque fou ! En essayant de
donner un coup de pied à l'un de mes
assaillants, je roulai hors de mon lit et
m'éveillai soudain... pour retrouver
l'horrible réalité dans un rapide
coup d'oeil, car, éveillé maintenant
dans mon lit que j'avais rejoint, je trouvai que
les sensations que j'avais ressenties dans mon
rêve n'étaient pas le produit de mon
imagination ! Le gaz brûlait
encore ; je regardai mes bras et mes mains qui
me piquaient horriblement. Ils étaient
couverts de marques et de pustules. Alarmé, je
m'assis sur mon lit... La vérité est
que les draps étaient couverts de myriades
d'insectes en marche qui regardaient mon corps
comme leur juste propriété. J'appelai
Mick. Il ne m'entendit pas. Je bondis hors de mon
lit et remontai complètement le gaz. Je
m'aperçus alors que le plancher, les murs et
le plafond avaient également changé
de couleur. La chambre fourmillait de petites
bêtes. Je souffrais alors horriblement ;
un bataillon d'insectes parcourait mon corps et
faisait un festin de roi à mes
dépens. J'aurais hurlé de
douleur... ».
Se tournant alors vers Mick, Barnardo le
secoua vigoureusement, en criant :
« Lève-toi, mais lève-toi
donc, tout de suite ! Il faut que je m'en
aille, sinon je deviendrai
fou ! ».
Mick se réveilla difficilement et
s'écria, en apprenant la cause de
l'anxiété de son compagnon :
« Eh ! bien, ce n'est rien du
tout ! Je les ai vues bien pires sur moi... il
y en avait deux fois plus ! » Mais
Barnardo, presque hors de lui de douleur,
n'était pas en état de discuter. Il
persuada vivement Mick d'enfiler ses
vêtements misérables, pour aller
chercher un refuge au dehors sans tarder. Mais
avant de gagner la rue, ils durent apaiser le
propriétaire, furieux d'être
dérangé à cette heure de la
nuit. Mick était à la hauteur de sa
tâche. « Son compagnon,
expliqua-t-il, était malade et ne pouvait
pas rester. Mais de toute façon nous avons
payé et nous n'avons que faire de vos
jérémiades ! »
Une fois dehors, Barnardo,
« à plusieurs
reprises », respira « à
longs traits l'air frais de la nuit ». La
rue était étroite et sale, mais elle
semblait un « paradis »
à côté de « cet antre
abject, rempli de fumée et de
buée ».
En arrivant chez lui il prit
aussitôt un bain très chaud puis, se
regardant dans une glace, il eut un choc :
« J'écris très
sérieusement en déclarant qu'aucun de
mes anciens amis n'aurait reconnu le visage qui se reflétait
dans ma glace.
Boursouflé, gonflé, rouge et
livide... on pourrait difficilement imaginer un
visage qui ressembla davantage à celui d'un
lutteur professionnel. Il me fallut trois semaines
pour être visible de
nouveau... ».
Mick cependant affirmait toujours que
l'expérience de Barnardo était de
second ordre. « Eh ! quoi, Monsieur,
j'ai vu des punaises rusées qui gravissaient
un mur et atteignaient le plafond, puis se
laissaient tomber sur un dormeur, parce qu'elles ne
pouvaient pas grimper le long du bois du
lit »
Mais les aventures provoquées par
la foi de Barnardo ne se limitaient pas aux garnis
et aux cabarets. On l'appela dès le
début - et avec raison - « le
jeune homme à la lanterne » ;
car, entre minuit et trois heures du matin, il
allait chercher dans les hangars, les
étables et les barques, dans les barils et
les caisses à claire-voie et sauver,
à la lumière de son fanal, des
centaines d'enfants abandonnés pour les
conduire avec une sollicitude paternelle, à
son Refuge d'Amour. Et même lorsqu'il
n'était pas occupé à cette
tâche, il se reposait rarement pendant ces
heures de la nuit et parfois même pas avant
l'aurore. Un de ses amis, le docteur Milne, disait
de lui : « Tandis que les autres
dormaient, lui étudiait et
travaillait ».
Au début de la mission, lorsque
Barnardo prêchait dans les rues, ou promenait
des bannières en tête d'une
procession, on lui jetait parfois des seaux d'eau
sale des fenêtres les plus
élevées. On lui lançait
à la tête des tomates, des pommes ou
des oeufs pourris et il ne pouvait pas toujours
éviter le projectile. Plus d'une fois, des
chats, des rats ou des lapins morts furent
précipités par les ciel-ouverts des
« halls » dans lesquels il
prêchait ; et il avait très
souvent l'humiliation de voir son chapeau
enlevé de sa tête et envoyé
d'un coup de pied dans la gouttière. Mais de
telles expériences ne le
découragèrent jamais ; elles
semblaient seulement clarifier son esprit et
augmenter son zèle. Un camarade de Barnardo,
étudiant en médecine, qui se moquait
lui-même du « sens trop
rigide ». que Barnardo
« donnait au mot devoir »,
admettait qu'au retour de ses exploits son visage
« portait sa plus heureuse expression -
non pas celle de la joie du triomphe, mais celle de
la joie du combat, qui est le propre des vaillants
et des forts ».
Parmi les premières aventures de
Barnardo, il n'en n'est pas de plus courageuse ni
de plus riche en signification pour l'avenir que
celle du sauvetage des fillettes et des jeunes
filles. Ses « Homes » avaient
commencé leur tâche uniquement parmi
les jeunes garçons et jusqu'en 1873, il n'y
eut aucun projet pour recevoir les fillettes de la
même façon. Mais l'expérience
lui imposa la conviction qu'il n'aurait accompli
que la moitié de sa tâche, tant qu'il
n'aurait pas fait des plans pour recevoir les
jeunes filles dans les mêmes conditions. Il
découvrit, à plusieurs reprises, en
visitant les hôtels meublés, des
fillettes de treize à quatorze ans avec des
bébés illégitimes et
fréquemment des jeunes garçons
sauvés l'avaient imploré d'aider
leurs soeurs malheureuses. Les titres mêmes
de certains de ses premiers tracts reflètent
la complexité et la difficulté du
problème des jeunes filles qu'il devait
affronter : Comment je pus ramener deux jeunes
filles.... Celles qui n'avaient jamais eu de
maison, Comment ai-je pu les repêcher.
Ceux-ci ne sont que les types de centaines d'autres
tracts dans lesquels il exposait le problème
du sauvetage des jeunes filles abandonnées,
ou vivant dans un milieu totalement
immoral.
Comment ce problème fut-il
envisagé ? Dans quelles conditions
Barnardo commença-t-il son oeuvre de
sauvetage ?
Cette question nous fait revenir en
arrière, à l'époque du mariage
de Barnardo. Pendant son voyage de noce, une lettre
enflammée de M. Cheyne Brady, parue dans le
Christian, suggérait que le plus beau
présent de noce qu'on put offrir aux jeunes
époux, serait la création d'un fond
pour la fondation d'un « Home »
pour les jeunes filles. Barnardo
répondit : « C'était
depuis deux ans le désir le plus ardent de
mon coeur ».
Le développement fut ensuite
très rapide. M. John Sands offrit
« Mossford Lodge », petite
propriété située à
Barkingside, dans le comté d'Essex, comme
centre du nouveau projet et d'autres amis
donnèrent les fonds nécessaires
à la transformation et à
l'ameublement du bâtiment. C'est ainsi que
Barnardo et sa jeune femme revinrent de leur voyage
de noce pour s'installer à Mossford
Lodge ; et en octobre 1873, les
aménagements étaient assez
avancés pour permettre l'admission des douze
premières fillettes. Une année plus
tard, cinquante fillettes, autrefois
abandonnées, vivaient à Mossford
Lodge et le nombre des pensionnaires ne fit que
s'accroître. Mais il y avait en
réserve des problèmes troublants. Les
histoires de la vie des premières fillettes
étaient « effrayantes par ce
qu'elles révélaient du degré
de dégradation et de négligence au
milieu duquel elles avaient vécu. L'une
d'elles avait « essayé deux fois
de se suicider » ; l'autre,
âgée de neuf ans, « avait
rempli de sable la bouche d'un bébé
puis s'était assise sur sa
tête ». D'autre part, le
« Home » avait d'abord
adopté le système des dortoirs qui
consistait à mettre ensemble un grand nombre
de jeunes filles et de fillettes et à
organiser leur vie comme dans un pensionnat. De
là, que de
désillusions !
Avant longtemps, Barnardo fit une
découverte qui lui fit comprendre que son
programme de sauvetage pour les jeunes filles avait
été mal conçu :
« Un soir, je surpris une conversation
malsaine dans ce que je croyais être notre
heureux « Home »
chrétien, et je réalisai alors, en un
instant, quelles forces cachées du mal
étaient à l'oeuvre, détruisant
tout ce que nous avions espéré
obtenir. Tandis que j'écoutais avec horreur,
je sentis vraiment que j'avais probablement fait
plus de mal que de bien... Nul ne peut imaginer le
désespoir accablant qui semblait
m'écraser quand je compris que mes beaux
plans produisaient de tels
résultats ! »
Barnardo était abasourdi. Tous
ses plans pour sauver les fillettes
abandonnées avaient échoué.
Devait-il abandonner cette branche de son oeuvre et
confesser sa défaite ? Il se mit
à prier : « Je dis à
notre Père que j'étais prêt
à tout abandonner à l'instant et
à reconnaître... que j'avais eu tort.
Alors la paix revint dans mon coeur ».
Mais la lumière ne s'était pas encore
levée ; il cherchait toujours une
directive. Alors une nuit, l'esprit oppressé
par ce problème, il fit un rêve ;
et comme par une révélation, son
problème était résolu dans ce
rêve.
Mme Barnardo a rapporté à
l'auteur le souvenir de cette nuit
mémorable :
« Vers le milieu de la nuit,
mon mari s'éveilla brusquement en
m'appelant : « Syrie, Syrie !
Je viens d'avoir la révélation de ce
que nous devons faire pour nos
fillettes ». Puis,
s'écriant : Psaume LXVIII, 6 :
« Dieu donne une famille à ceux
qui étaient abandonnés »,
il bondit hors de son lit, donna de la
lumière et chercha sa Bible pour
vérifier l'exactitude de la citation. Il se
remit au lit alors, et me raconta son rêve
avec une très grande joie. « Je
vois, dit-il, une maisonnette recouverte de lierre
et toute entourée de fleurs, dont la baie
vitrée était brillamment
éclairée. Je m'approchai et regardai
à l'intérieur. La pièce que je
vis avait toute l'apparence d'un foyer heureux et
confortable. Le mobilier était simple, mais
de bon goût ; il y avait aux murs de
belles gravures. Au centre de la pièce se
trouvait une grande table, à laquelle
était assise une jeune
femme vigoureuse, l'air heureux, et autour d'elle
se groupaient quinze à seize fillettes au
visage radieux. Je regardai alors plus
attentivement et je m'aperçus que la jeune
femme lisait à haute voix dans la Bible de
famille, ouverte au Psaume
soixante-huitième. J'écoutai et je
l'entendis lire le sixième verset :
« Dieu donne une famille à ceux
qui étaient abandonnés ».
Arrêté par ces paroles, je me mis
à observer attentivement le visage des
fillettes et soudain je reconnus chaque visage pour
être celui d'une de nos petites, mais leur
attitude était
transformée ! »
Après avoir raconté son
rêve, Barnardo s'écria :
« Syrie, ceci est une
révélation ! Dieu veut me faire
connaître que nos fillettes doivent
être séparées en familles, et
habiter dans des maisons, avec une mère de
famille aimante pour surveiller le
foyer ! ». Aussitôt
levé, Barnardo écrivit au Christian,
exposant sa vision de « cottages
homes » pour les fillettes, et il
demandait de l'aide pour donner suite à ce
projet. Mais, après la publication de cet
appel, les jours passaient sans aucun
résultat ; et Barnardo, craignant
d'avoir agi avec témérité, se
sentait mal à l'aise. Avait-il
été faussement influencé par
son rêve ? N'était-ce qu'un
réflexe psychologique de son cerveau
surmené ? Dans cet état
d'incertitude, il sentit le besoin de se
rafraîchir spirituellement et décida
alors de se rendre à une convention
chrétienne à Oxford.
Sur le quai de la gare, il rencontra
« un frère
chrétien » qu'il savait être
l'un des hommes « les plus pieux qui
fussent »... « un homme dont le
visage même parlait de la Paix de Dieu qui
habitait en lui ». Il se rendait aussi
à la même Convention et tous deux
pénétrèrent dans le même
compartiment. Puis, comme s'il avait lu dans
l'esprit du docteur, il se mit à le
questionner, avec une, réelle sympathie, au
sujet de son oeuvre. Barnardo lui exposa tous ses
doutes alors son compagnon lui demanda avec
émotion « Si Dieu vous montre que le plan que
vous
avez
en vue est trop vaste et que vous devez
l'abandonner, êtes-vous prêt à
le faire ? »
Barnardo médita un instant, mais,
sentant que sans « l'approbation et la
bénédiction de Dieu », il
valait mieux ne pas réussir « du
point de vue terrestre », il
répondit fermement. « Oui, je suis
prêt à cela ». Son ami
reprit : « Nous allons à
Oxford pour chercher un rafraîchissement
spirituel. Puisque nous sommes seuls dans ce
compartiment, agenouillons-nous ensemble pour
présenter à Dieu votre cas et lui
demander, si c'est Sa volonté, de vous
montrer clairement, avant de quitter Oxford, si
vous devez aller de l'avant ou revenir en
arrière ». Ils se mirent à
genoux et « présentèrent
à Dieu le cas de ces enfants ».
Puis ils se relevèrent
« légers et
fortifiés ». En arrivant à
Oxford, il fut convenu que cet ami viendrait
déjeuner le lendemain matin avec Barnardo,
à l'hôtel de ce dernier ; puis
ils se séparèrent.
Le lendemain matin, Barnardo
était en train de s'habiller lorsqu'il
entendit frapper à sa porte. Pensant que
c'était le garçon d'hôtel qui
lui apportait de l'eau chaude, il
répondit :
« Entrez ! » Un homme
passa sa tête dans l'entrebâillement de
la porte. « Ses cheveux étaient
ébouriffés ; il était
évidemment incomplètement
vêtu ! "Êtes-vous le docteur
Barnardo ? » demanda-t-il. Je
répondis :
« Oui... » « Vous
avez l'intention de bâtir un village pour les
petites filles à Ilford, n'est-ce pas ?
Et il vous faut des maisons ? » Je
répondis : « Oui, c'est
exact ». Il reprit : « En
avez-vous déjà ? » Il
n'entrait toujours pas, gardant sa tête dans
l'entrebâillement de la porte. Je
répliquai : « Non, pas
encore... » « Eh ! bien,
s'écria-t-il, inscrivez-moi pour la
première. Bonjour Monsieur... » et
il disparut. »
Barnardo était abasourdi, il ne
savait même pas le nom de cet homme. Mais, se
ressaisissant, il se précipita à
demi-vêtu dans le couloir, rejoignit
l'étranger et le ramena dans sa chambre. Ils
s'entendirent alors plus complètement pour
la construction de la première maison du
village des petites filles. Ce donateur avait lu
l'appel de Barnardo dans le Christian, et
après avoir discuté là-dessus
avec sa femme, ils avaient décidé
l'érection d'un cottage en souvenir de leur
petite fille, morte peu de temps auparavant. Cet
homme était venu à Oxford pour la
Convention chrétienne. Ayant appris que
Barnardo était dans le même
hôtel et que leurs chambres étaient
sur le même palier, il s'était
précipité, sans même prendre le
temps de s'habiller entièrement, pour lui
annoncer ce don.
À huit heures, Barnardo retrouva son
compagnon de voyage dans la salle à manger.
Avant même que Barnardo eut mentionné
le don, il sentit une telle joie dans l'âme
de ce dernier, qu'il lui cita ce texte avec
calme : « Il arrivera qu'avant
même qu'ils m'appellent je répondrai,
et tandis qu'ils parleront encore je les
entendrai ».
Telle est l'histoire du premier cottage
du « Girls Village Home, ».
Mais d'autres suivirent, dont l'origine nous
arrêterait également. Le 9 juin 1875,
Lord Aberdeen posa la première pierre des
onze premières maisons ; et un an plus
tard, le 9 juillet 1876, le « Village
Home » qui comprenait treize maisons et
une buanderie, fut « ouvert »
par Lord Cairus.
Le rêve de Barnardo devint ainsi
une réalité ; et ce plan de
maisons eut un succès remarquable. Sur les
pelouses, qui entouraient Mossford Lodge,
s'éleva bientôt le plus
délicieux village du monde ; la maison
avec la « mère » et sa
famille en était le centre autour duquel se
développait tout le village. En outre, le
plan du village se conformait exactement au
rêve de Barnardo. Des plantes grimpantes
recouvrirent bientôt les murs ; des
fleurs, des haies et des buissons ornèrent
les environs du village ; chaque cottage fut
meublé avec goût,
chacun possédait la Bible, et chacun avait
sa « mère de famille »
autour de laquelle se groupait une famille
d'heureuses fillettes.
L'accroissement du village fut extraordinaire.
À la mort de Barnardo, vingt-neuf ans
après son ouverture, il pouvait se glorifier
de soixante-dix cottages dont plusieurs avaient
été comme le premier,
érigés « en
souvenir ». Les services qu'il avait
rendus étaient également
incalculables, car avant le départ de
« son fondateur », le village
avait logé, vêtu, nourri,
élevé, éduqué et
enseigné un métier à neuf
mille jeunes filles, tandis que les fillettes qui y
vivent actuellement sont plus d'un millier.
Cependant ces chiffres ne représentent
qu'une fraction du nombre de fillettes indigentes
recueillies par les « Homes »
avant la mort du docteur. Quand Barnardo mourut,
âgé de soixante ans, il avait
sauvé soixante mille enfants dont 40%
étaient des jeunes filles.
Mais revenons à ces premiers
jours. Chaque expansion nouvelle impliquait de
nouveaux appels, de nouvelles
responsabilités et de nouveaux
problèmes ; et Barnardo ne recula
devant aucun. Un pessimiste est, dit-on, celui qui
voit un danger dans toute opportunité ;
un optimiste, celui qui voit une occasion dans tout
danger. À ce compte, Barnardo était
un parfait optimiste. En 1874, par exemple, son
oeuvre avait pris une telle extension, qu'il se
rendit compte qu'il courait le risque de perdre
tout contact personnel avec ses collaborateurs.
Intrépide, il acheta et édita le
Trésor des Enfants, organe qui lui donnait
l'occasion d'interpréter, pour ses
collaborateurs, le problème de l'enfance
qu'il affrontait. Peu de temps après avoir
acheté « Edinburg
Castle », il comprit pour son Oeuvre
missionnaire, le danger qui provenait de
« Dublin Castle », un immense
« Palais du Gin » situé
dans Mile End Road. Il l'acheta sans perdre de
temps et le transforma en un centre missionnaire et
un Palais du Café qui n'eut pas moins de succès
qu' « Edinburg Castle ». Vers
la fin de l'année 1874, désirant
convoquer une grande réunion
représentative, il prévit qu'il n'y
aurait pas assez de place dans le grand Hall
d'Edinburg Castle, ni sous la Tente du
Réveil ; de là surgit, pour lui,
l'occasion de former d'autres plans : Avec le
concours du pasteur C.-H. Spurgeon, la
réunion fut convoquée au Metropolitan
Tabernacle, dans lequel se pressèrent plus
de cinq mille personnes désireuses de
manifester leur intérêt pour la
Mission. En 1875, pressé constamment par son
oeuvre, il sentit qu'il risquait de s'enfermer dans
ses idées ; comprenant ce danger, il
trouva là l'occasion de faire un voyage en
Écosse et en Irlande pour étudier les
efforts faits dans ces pays pour élever les
enfants orphelins ou abandonnés. Et aucun
centre n'échappa à son regard
critique et observateur.
Cependant les vicissitudes de ces
premières années forment une histoire
trop longue pour être racontée ici. En
mars 1876, malgré de nombreux devoirs
pressants, Barnardo passa ses derniers examens de
médecine et fut licencié du
Collège Royal de Médecine d'Edinburg.
En conséquence il fut inscrit comme
médecin de Londres et selon
l'étiquette médicale fut
appelé correctement
« Docteur » Barnardo ;
bien qu'on doive se rappeler qu'il n'est
probablement pas un médecin sur dix qui ait
le droit légal de s'appeler
véritablement
« Docteur », car il en est peu
qui passent l'examen de Docteur en
Médecine.
En 1876, l'oeuvre de Barnardo
étant alors reconnue par des experts, il fut
invité par le Congrès des Sciences
sociales, assemblé à Liverpool,
à lire une notice concernant les
« Preventive Homes » devant
cette auguste assemblée. La même
année, « pour éloigner les
cochers de la tentation des
cafés », il inaugura le premier
Refuge anglais pour les cochers, où l'on
trouvait des repas à prix modiques, des
salles de lecture, etc... et de nos jours, tous les
Refuges de Londres ont été construits sur ce
modèle. C'est encore cette même
année qu'il ouvrit au 19, Stepney Causeway,
une infirmerie pour les enfants, qui donna plus
tard naissance à plusieurs hôpitaux
Barnardo, tandis que plusieurs centres de la
Mission reculaient leurs limites, cette
année-là.
Le mois de janvier 1877 marque l'origine
de Jour et Nuit, l'organe officiel des
« Homes », et Barnardo fut
jusqu'à sa mort, l'éditeur de ce
journal qui avait des lecteurs dans le monde
entier. À cette époque
également, l'oeuvre des diaconesses de la
Mission commencée en 1875, avait pris une
telle extension que deux maisons de Row Road
étaient occupées par la
« Maison Protestante
Évangélique des
Diaconesses », où dix-huit
à vingt-cinq jeunes femmes, en
résidence, préparées avec
soin, travaillaient parmi les pauvres de l'East-End
comme des anges de Dieu.
Mais, tandis que l' « East End
Juvenile Mission » allait de l'avant
comme tout mouvement conquérant. elle se
faisait des ennemis aussi bien que des amis. Et
bien que certains de ses antagonistes fussent
sincères, la majorité suivant
l'exemple des serviteurs congédiés,
des publicains irrités, des colporteurs de
scandales et des besogneux crédules, ne fit
qu'attiser le feu de la méchanceté.
Mais bien que Barnardo ait été alors
contraint de traverser la « fournaise
ardente », aucun de ses cheveux n'y fut
brûlé ; et quand enfin, les
braises de la controverse se furent
éteintes, il apprit, comme Henry Ward
Beecker, à remercier Dieu pour ses ennemis,
car bien qu'ils fussent exaspérants sur le
moment, ils se montrèrent, à la fin,
d'une plus grande valeur que bien des amis.
Mais pourquoi anticiper ?
Nous allons voir maintenant les faits de
ce drame, si intensément humain, dans lequel
l'honneur même de Barnardo fut mis en
question.
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