Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

Évolution créatrice

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Au début de l'année 1869, la « Mission des Jeunes dans l'East End » apparaissait comme un enfant qui a trop grandi dans ses vêtements. On ne pouvait trouver un coin qui ne fut habité et par beau temps, les cours de toutes les maisons et les ruelles, sur lesquelles s'ouvrait la Mission, étaient remplies de bancs et de tables.
« Monsieur, on étouffe », criait un enfant, dans une école. « Monsieur, je ne peux pas respirer », pleurnichait un autre ; et ces plaintes n'étaient pas une plaisanterie. Barnardo se demandait s'il y avait jamais eu auparavant, une classe aussi encombrée ; lui-même pouvait à peine respirer, quelquefois. Cette congestion n'était d'ailleurs pas particulière aux écoles.

Voyons maintenant la « Communauté ». Elle se réunissait dans une « petite chambre haute », et sur les dix-huit personnes présentes, seize d'entre-elles s'étaient converties par l'influence de Barnardo. Mais elle s'accrut si rapidement, que, mois après mois, elle fut contrainte à chercher plus de place. La « petite chambre haute », devint peu à peu le local le plus vaste dont la Mission put se glorifier. Au bout de quatre mois, elle occupait la plus grande salle, pouvant contenir soixante-dix personnes. Mais elle fut bientôt surpeuplée. Au début de l'année 1869, quand la communauté s'assemblait, le dimanche à trois heures de l'après-midi, Barnardo devait se tenir sur le seuil des portes, pour prêcher, ou sur un escalier, pour que sa voix pût se faire entendre dans les différentes salles combles. Et il était encore impossible de faire entrer tous ceux qui le désiraient.

La croissance de cette communauté n'était due à aucune mesure sensationnelle. Ses membres n'avaient d'autre nom que celui de « Chrétiens » et ils avaient toute liberté pour devenir membre de n'importe quelle église. Ils disaient qu' « aucune, différence de jugement ou d'expérience ne doit empêcher la communion de ceux qui aiment le Seigneur Jésus-Christ ». Ils ne confessaient « aucune foi, étroite ou large, si ce n'est la foi en la Parole de Dieu toute Entière » ; et comme « ils comprenait toute la valeur de la communion des saints », ils se rencontraient « le dimanche après-midi » pour « rompre le pain et adorer ». Ils désiraient s'attacher « par la Grâce de Dieu à cette simplicité de Christ, non seulement pour les choses extérieures, mais aussi pour les questions spirituelles ; et, évitant les « querelles de mots », ils luttaient vaillamment pour obtenir la foi promise un jour aux saints. Leur unique Grand Prêtre était Jésus ; leur seul sacrifice, « un sacrifice total et complet » ; et ils désiraient « offrir à Dieu, avec son peuple et en tous lieux, des sacrifices spirituels qui lui soient agréables... ».

Cette communauté, n'avait pas de « pasteur établi ». Des « Frères », des Quakers, des Baptistes et des Méthodistes y prêchaient. Mais bien que Barnardo ne fut pas un ministre ordonné de l'Eglise, il ne « rejetait pas le ministère chrétien », et ce jeune homme, plein de zèle, avait véritablement pour son troupeau, « un coeur de pasteur ». Il y avait pourtant sur son chemin, deux obstacles à l'exercice complet du ministère pastoral : son « manque de temps et de capacité ». « Je suis fermement persuadé d'avoir reçu un appel pour être Évangéliste, écrit-il, mais je ne suis pas du tout aussi certain de la vocation pastorale ». Mais le jour, devait bientôt arriver où d'autres seraient désignés pour la tâche pastorale, permettant ainsi à Barnardo de se consacrer à son appel particulier.

La Mission était alors semblable à une chrysalide, faisant éclater sa prison et l'agrandissement était devenu un devoir impérieux ; cela fut bientôt possible, grâce à des amis de l'oeuvre. On ajouta d'abord une maison contiguë, puis une seconde, et vers la fin de l'année 1869, les locaux étaient aussi surpeuplés qu'au début, lorsque la Mission ne possédait que les deux petites maisons. Mais, en attendant, les murs qui reliaient les quatre cours avaient été abattus et sur les murs extérieurs on avait bâti un toit qui pouvait abriter une assemblée de trois cents personnes. Pourtant, de tels aménagements étaient encore insuffisants. Une activité plus vaste avait été de pair avec l'agrandissement des locaux ; et du fait de cette nouvelle activité, la Mission était assiégée par une foule de plus en plus nombreuse. Au printemps 1870, les voisins se plaignaient de ne pouvoir rentrer chez eux, sans escalader des tables, des bancs, des chaises et des escabeaux.

Il fallait alors, faire un pas plus hardi en avant ; et déjà, on faisait la quête parmi les amis. L'exécution de ces plans aurait suffi, semble-t-il, à remplir chaque heure de la journée d'un homme fort et capable. Cependant Barnardo, alors âgé de, vingt-quatre ans, poursuivait ses études de médecine, tout en dirigeant cette oeuvre. Il trouvait encore le temps d'aller, une fois par semaine, à la maison de l'Industrie d'Annie Macpherson, à Bethnal Green, pour parler aux jeunes garçons, que cette personne remarquable préparait en vue de l'émigration au Canada. Le zèle de Barnardo pour cette oeuvre est particulièrement intéressant, car, en juillet 1868, il avait établi le principe suivant : l'émigration de personnes qualifiées dans les colonies britanniques, en particulier au Canada, doit être considérée comme le principal remède contre le chômage, et avant d'avoir organisé lui-même, l'émigration, il envoya au Canada des centaines de ses « garçons », sous la direction d'Annie Macpherson.

Mais revenons à Hope Place, il était impossible d'agrandir davantage les locaux de la Mission. Barnardo cherchait à y adjoindre une autre maison lorsqu'il découvrit, au 18 Stepney Causeway, un vaste immeuble qui répondait à ses besoins. Il le loua, à bail, sur le champ, au prix de 45 livres par an, plus un impôt de 12 livres.

Cet immeuble n'était pas seulement destiné à décongestionner Hope Place : il devait surtout être un « Home » pour les jeunes garçons indigents. Il est vrai que Jim Jarvis et d'autres protégés de Barnardo, s'étaient embarqués pour le Canada, selon leur désir, au mois de mai 1870, avec Annie Macpherson, complétant ainsi son originale caravane de cent jeunes garçons ; mais Barnardo avait encore une grande « famille » en pension, et il pensait maintenant que ces garçons devraient être élevés tous ensemble, dans une maison, où leur éducation serait dirigée avec soin ; en outre, il connaissait encore de nombreux gamins sans foyer et il désirait les secourir.

Placé en face de problèmes financiers délicats, il sentit que l'heure n'était pas venue de recevoir uniquement des enfants indigents. À ce stade de l'oeuvre, les dépenses d'une telle entreprise auraient été prohibitives ; et il savait bien qu'il lui faudrait mettre à l'épreuve de l'expérience ses méthodes d'essai. Le plan primitif du « Home » devait venir en aide à trois types de jeunes garçons :

1° Ces « véritables indigents » qu'il faudrait « nourrir, loger et vêtir et à qui il faudrait apprendre un métier » ;
2° « les jeunes gens qui cherchent du travail mais pour lesquels il n'y a aucune issue pour le moment » ;
3° « des jeunes garçons qui travaillent, sérieux, bons et honorables, qui ont profondément besoin d'un foyer chrétien » et pourraient payer une modeste pension.

La première mention que Barnardo fit de ce projet de « Home » est dans une lettre à un de ses amis.
« Notre « Home » de jeunes garçons », écrit-il, « comprendra, une fois terminé, cinquante dortoirs pouvant contenir soixante enfants. Les charpentiers, les plombiers, les peintres et les employés du gaz sont à l'oeuvre. On installera les lavabos, les cuvettes, les salles de bain, ainsi qu'une cuisine pratique, une buanderie, et un appartement privé pour le « père et la mère de famille » ; le tout étant fait aussi simplement et économiquement que possible pour l'usage constant auquel on le destine. »

Tel était le plan de la Maison des jeunes gens ; mais Barnardo comprenait aussi leur besoin de sports, car sa lettre nous montre qu'on a préparé un terrain de jeu. Le premier « Home » était créé ; et les réparations nécessaires étaient si avancées que Barnardo espérait pouvoir l'ouvrir dans trois semaines. Mais son éternelle bête noire se trouvait sur sa route. « Vous sympathiserez avec moi, j'en suis sûr, conclut-il, si j'ajoute que, par manque de fonds, je crains d'être obligé d'arrêter les travaux dans quelques jours, car je suis décidé à ne pas faire de dettes ». Si l'attente de Barnardo s'était réalisée, il aurait ouvert le « Home » au mois de septembre 1870, mais l'ouverture fut retardée de dix semaines, par manque d'argent ; et quand la cérémonie eut lieu, sa simplicité était presque austère. Une lettre de Barnardo, publiée par le Christian et datée du 8 décembre 1870, nous raconte cette séance d'ouverture :

« Mes bien chers amis, notre « Home » de jeunes gens s'est enfin ouvert. Nous n'avions invité aucun ami du dehors, ni aucun souscripteur. Nous avions rassemblés seulement nos chers compagnons d'oeuvre, le père, la mère et le maître d'école du « Home » et nos chers garçons, et tous ensemble nous consacrâmes solennellement cette entreprise à Celui qui, par la protection de Sa Grâce, avait permis l'exécution de ce projet. Ce fut une heure précieuse, une intercession avec Dieu, si simple, si enfantine, des larmes si sincères, en demandant qu'il nous fasse miséricorde, comme si nous étions encore perdus, père, mère, amis ».

Le programme de Barnardo s'étendit alors rapidement, car ce « Home » faisait partie de la « Mission des Jeunes dans l'East End ». La coupe du bois, la cordonnerie et la fabrication des brosses furent bientôt des industries florissantes dans les murs de la Mission ; tandis qu'au dehors une armée de cireurs et des brigades de commissionnaires de la ville, en uniforme spécial, effectuaient un service public qui démontrait à tous les résultats pratiques de l'oeuvre de Barnardo. Le programme du « Home » ne tolérait pas la paresse. Chaque heure de la journée avait son occupation. Entre l'heure du lever, six heures du matin et celle de l'extinction des lumières, dix heures du soir, l'emploi du temps comprenait : la prière du matin et du soir, deux heures de classe, un temps de travail technique, trois repas, des exercices physiques, des jeux en plein air, un moment pour la lecture, et la méditation, et un autre pour le ménage ; car on apprenait aussi aux garçons à faire leur lit, à balayer et à frotter les parquets, à laver leurs vêtements et à s'occuper de nombreux devoirs ménagers.

Il n'est pas surprenant que le « Home » de Stepney Causeway, ouvert vingt-quatre heures par jour, avec la présence constante du « père » et de la « mère de famille », fut considéré, peu à peu, comme le centre de l'oeuvre missionnaire. En réalité, Stepney Causeway fut bientôt reconnu comme quartier général, et « Hope Place » où la Mission avait été baptisée, fut considérée comme l'annexe, bien qu'elle ne cessât aucune de ses activités. Mais pendant bien des années encore, l'oeuvre avec toutes ses ramifications ne cessa de s'appeler la « Mission des Jeunes dans l'East End » et c'est sous ce nom-là qu'elle fut connue dans toute l'Angleterre.

Depuis l'arrivée de Barnardo à Londres, en avril 1866, jusqu'à l'ouverture du « Homes », en décembre 1870, les enjambées de ce jeune enthousiaste semblent assez rapides, mais par la suite, son oeuvre bondit en avant comme poussée par une force surnaturelle. Un coup d'oeil sur les comptes nous révélera l'extension de la Mission. Jusqu'en juillet 1867, Barnardo ne fit aucun appel public de fonds : après cette date, il donna chaque année un rapport financier, dont la lecture nous émerveille. Le premier rapport, du 15 juillet 1867 au 15 juillet 1868, montre que les recettes s'élevaient à cette époque à 214 livres, 15 shillings. L'année suivante, les recettes avaient triplé ; elles triplèrent encore l'année suivante. Après l'ouverture du « Home », les recettes annuelles atteignirent presque, 7.000 livres et entre le 31 mars 1876 et le 31 mars 1877, elles furent de 30.000 Livres. Ces chiffres nous montrent l'accroissement remarquable, de l'oeuvre pendant une décade. Mais le plus remarquable est que l'on confia tout cet argent à un jeune étudiant plein de zèle évangélique, qui en avait seul la charge, et qui n'eut, pendant des années, aucun conseil financier pour l'aider dans la gestion de ces fonds. Dans son Premier Jubilé, Barnardo déclare simplement qu'il avait seul, le contrôle de tous les fonds : « Les chrétiens désireux d'aider l'oeuvre missionnaire doivent se rappeler, avant de le faire, que leurs dons ou leurs souscriptions parviendront à un simple particulier - que je n'ai ni comité, ni trésorier, ni secrétaire, autre que moi-même dans la direction financière de la Mission - que leurs noms ne seront jamais imprimés, mais que je leur répondrai moi-même et leur accuserai réception de leur souscription ».

Dans un autre paragraphe, il insiste sur ce fait, qu'il désire éviter tout ce qui « peut ressembler aux louanges humaines » ; et il continue en ces termes : « C'est à cette fin, que les noms des donateurs ne seront pas imprimés ; les initiales seules seront données. Je crois qu'il est juste de dénoncer l'habitude répandue de publier en entier les noms et adresses des donateurs, comme contraire à l'Écriture, parce qu'elle conduit aux aumônes faites « pour être vues des hommes », et à désobéir à cette exhortation : « Mais quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main droite, afin que ton aumône se fasse en secret et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra ».

Mais bien qu'il maintint ce contrôle autocratique, Barnardo « sollicita » néanmoins « l'examen le plus complet des affaires de la Mission » ; car chaque donateur, désireux de le faire, pouvait voir les livres de comptes à toute heure du jour, « sans qu'il fut besoin de prévenir à l'avance ». Il publiait aussi, régulièrement, les initiales de tous les donateurs connus et le mois pendant lequel ils avaient envoyé leurs dons, et il faisait précéder ces initiales de M., Mme, Mlle, Pasteur, etc.... suivant les indications qui lui parvenaient ; tandis que les dons anonymes étaient publiés avec les informations qu'il pouvait obtenir. En un mot, il était rendu compte de chaque souscription et chacun pouvait aisément vérifier ce qu'il avait donné. De fait, personne n'aurait eu de raison de se plaindre, de la manière dont Barnardo rendait ses comptes.

Pourtant le jour était proche où, sous les assauts de ses ennemis, les méthodes de Barnardo devaient être attaquées et bien qu'il sortit indemne de « la vallée de l'humiliation », il y apprit l'erreur qui consiste à contrôler personnellement et seul les finances d'une oeuvre de charité. Mais nous verrons cela plus tard. Revenons maintenant à l'année 1870 pour retracer l'évolution de l'oeuvre missionnaire.

Quand Barnardo avait loué l'immeuble de Stepney Causeway, on lui avait accordé le droit de location sur les locaux avoisinants, si plus tard il en avait besoin.
Et il fut heureux d'avoir pris cette précaution, car bientôt le numéro 18 débordait sur le numéro 20 et même sur le 22, si bien qu'en peu d'années, Barnardo avait dans Stepney Causeway, tous les immeubles du numéro 18 au numéro 26. Et il ouvrait simultanément une douzaine de différents centres, dans d'autres quartiers.
Mais quelle était la nécessité d'une telle expansion ?

Nous allons le voir maintenant. Au début de l'histoire des « Homes », un jour d'hiver, un enfant de onze ans environ, à demi-nu et mourant de faim, entra à « Stepney Causeway ». Sa mère l'avait jeté à la rue à l'âge de sept ans et depuis ce temps-là, John Somers, surnommé « Poil de Carotte » par ses camarades, à cause de ses taches de rousseur, ne voyait jamais sa mère, si ce n'est quand elle l'attrapait dans la rue et pillait ses poches en quête d'argent pour acheter du genièvre. Or, « Poil de Carotte » gelé et affamé suppliait qu'on l'admit au « Home ». Barnardo écouta, le coeur navré, l'histoire de l'enfant, mais tous les lits étaient occupés et il n'y aurait aucun départ avant huit jours. Il consola de son mieux le petit garçon, lui donna un repas chaud et une « demi-couronne » et lui promit qu'il y aurait une place pour lui, dans une semaine. Aussi, « Poil de Carotte » s'en alla-t-il, le coeur plus léger. Mais les jours suivants furent pluvieux, orageux et froids. Personne ne voulait des allumettes que « Poil de Carotte » essayait de vendre ; chacun était trop occupé pour s'intéresser aux malheurs d'un pauvre enfant, sans feu ni lieu. Le jour qui devait précéder l'admission de « Poil de Carotte », peu après l'aurore, à Biblingsgate, deux ouvriers découvrirent en retournant une futaille vide, deux petits garçons apparemment endormis. L'un d'eux s'éveilla. aussitôt et s'enfuit avec l'agilité d'un chat. L'autre paraissait profondément endormi ; alors un des hommes le secoua, mais sans résultat. Il était immobile, comme en léthargie.
L'ouvrier le souleva et touchant son visage, il tressaillit et s'éloigna brusquement. « Poil de Carotte » était mort !

L'enquête du coroner révéla qu'il « avait succombé aux effets du froid et de la faim ». Le petit visage, amaigri par les privations et le corps osseux, disaient toute son histoire. Le verdict fut : « Mort par épuisement, dû au froid et au manque de nourriture ». Cette tragédie, transperça l'âme de Barnardo. Il ne cessait de penser qu'il avait renvoyé « Poil de Carotte » de son « Home » ; il se sentait indirectement responsable de sa mort. Toutefois, le passé était irréparable et le remords ne servait à rien. Barnardo n'avait qu'une chose à faire. Il résolut, avec l'aide de Dieu, de ne plus jamais renvoyer un enfant abandonné. Il suspendit donc, au quartier général, un grand écriteau : « AUCUN ENFANT ABANDONNE NE SERA REFUSÉ ».

Cette inscription était une extraordinaire proclamation de foi. Elle est demeurée, depuis lors, la règle fondamentale des « Homes » et bien que leur foi fut souvent mise à l'épreuve, « le pot de farine et la cruche d'huile » ne leur ont jamais manqués.

Cette marche en avant n'était pas, cependant, limitée aux « Homes ». Quelques mois après l'établissement du premier « Home », la Mission ouvrit une grande « Ragged School », dans Sahmon's Lane, qui fut un bienfait pour les habitants de ce quartier sordide et un peu plus tard, elle ouvrait, au mois de septembre 1870, dans North Street, à Lime House, un dépôt de tracts et de saine littérature, qui, en fournissant une lecture spirituelle aux pauvres gens, était comme une oasis dans ce désert de péché.
Mais un autre fait est encore plus significatif. Vers la fin de l'année 1871, Lord Shaftesbury demanda à Barnardo, d'examiner avec soin les récits de « ses enfants » et de préparer des statistiques pour connaître les causes de leur dénûment. Barnardo accepta volontiers : « Je disposai, en plusieurs colonnes, les différentes causes que je pouvais connaître... pour lesquelles ces enfants devenaient candidats de nos « Homes » et ce fait étonnant m'apparut (doublement étonnant, parce que je n'étais pas, à cette époque, un abstinent véritable, ni même en sympathie avec le mouvement de tempérance) qu'environ 85 % d'entre eux devaient leur misère sociale et leur détresse profonde à l'influence directe ou indirecte de la boisson, chez leurs parents, leurs grands-parents ou d'autres membres de leurs familles ».

Indigné par cette révélation, Barnardo devint immédiatement membre de la Société de Tempérance, unissant ainsi la cause de la tempérance à la morale de Christ, qui veut « qu'aucun de ces petits ne périsse ». Des plans furent donc établis, pour une attaque dirigée contre le commerce de la boisson. Après beaucoup de préparation et de prière, Barnardo aidé par sa « communauté », invita Joshna et Mary Poole à diriger, en coopération avec la Mission de l' « East-End », une campagne d'évangélisation. Elle commença en août 1872. Le centre des opérations était une vaste tente, pouvant contenir 3.000 personnes, située eu face d' « Edinburg Castle », le plus affreux « Palais du Genièvre » de Lime House. Barnardo et ses compagnons allaient braver le lion dans sa tanière.

Les résultats de cette campagne furent des conversions durables par centaines, parmi lesquelles celles de buveurs, de prostituées et de voleurs. Quelques-uns de ceux qui semblaient réprouvés sans espoirs, devinrent ainsi, pour toute leur vie, des ouvriers de la Mission. Les résultats de tempérance ne furent pas moins remarquables. Chaque converti signait un engagement et des centaines en signèrent, qui ne firent jamais profession de convertis.

Barnardo écrivit pendant cette campagne : « Les scènes dont nous sommes les témoins chaque soir sont telles que je ne me souviens pas d'en avoir jamais vu de semblables à aucune période, de ma vie spirituelle. Dimanche dernier, deux mille cinq cents personnes se pressaient pour écouter la Parole de vie et pendant les heures qui suivirent, nous eûmes affaire à des âmes angoissées... ». Et plus loin : « Le résultat de cette mission sous la tente fut qu'un grand nombre de nos chers ouvriers signèrent un engagement de tempérance. Près de quatre mille engagements furent pris sous la tente par des personnes adultes ; ces engagements furent notés et les personnes visitées et entourées ».

Mais le résultat le plus dramatique de cette campagne fut la fermeture de deux célèbres tavernes, par suite de la perte de leurs pratiques ; l'une d'elles était « Edinburg Castle ».

Avant de commencer la Mission sous la Tente, Samuel Morley, Annie Macpherson et Barnardo, avaient visité « Edinburg Castle ». Ils découvrirent le « palais flamboyant de l'alcool » ; l'entrée était bien éclairée et attrayante et au fond se trouvait un « music-hall d'affreuse réputation ». Barnardo raconte les impressions que lui ont laissé cette visite : « Le spectacle qui se déroulait sous nos yeux s'imprima profondément dans notre mémoire. Le bar, de même que le music-hall, étaient surpeuplés, on voyait surtout des jeunes gens et des jeunes femmes. Le commerce bruyant de l'alcool allait bon train et les chansons les plus applaudies étaient celles qui contenaient surtout des termes sales et des gestes équivoques. Autour de la salle se trouvaient des statues de nu qui, je suppose, devaient être d'autant plus artistiques qu'elles répugnaient aux gens convenables... Nous nous trouvions en présence d'une agence de démoralisation de la pire espère.

« Lorsque la plupart des pratiques du bar d'Edinburg Castle se furent retirées et que le music-hall fut pratiquement vide, résultats visibles de la Mission sous la Tente, Barnardo comprit que cette campagne avait été conduite par la Providence. Mais lorsque l'immeuble fut mis en vente, il lui sembla voir clairement la main de Dieu lui faire signe d' « entrer et de prendre possession du terrain ». En conséquence, il ne perdit pas un instant pour appeler les « serviteurs de Dieu » à se joindre à lui, pour acquérir cette forteresse de l'iniquité, pour le service de Christ. Il écrivit aussitôt dans une lettre au Christian :
« Un des résultats immédiats de la Mission sous la Tente est la mise en vente de deux bars voisins. L'un d'eux est complètement fermé. L'autre est une vaste maison comprenant dix-huit pièces ; une vaste salle bien aérée contient deux cents personnes ; une autre grande salle de concert avec mille cent places et le terrain qui entoure l'immeuble est assez vaste pour nous permettre, s'il est nécessaire, des réunions en plein air ou sous la tente par beau temps. Déjà, de nombreux enchérisseurs sont venus le voir, en prévision de la vente prochaine, et nous entendons dire qu'elle sera réouverte comme music-hall et salle de concert.

« Je frémis à cette pensée et le ne puis que prier le Seigneur de permettre à l'un de ses serviteurs de mettre ceci à ses pieds pour son saint service. Je recevrai et je répondrai avec reconnaissance à toute communication à ce sujet, souhaitant ardemment que Dieu remplisse le coeur de ses serviteurs de souci et de sympathie pour les pauvres habitants de l' « East-End » qui viennent d'être amenés à l'Évangile éternel ».

Cet appel aux « Serviteurs de Dieu » amena la réponse désirée. Quelques semaines plus tard, la Mission entrait en possession d' « Edinburg Castle ». Le mardi 22 octobre était le jour fixé pour la vente aux enchères ; mais Barnardo savait qu'un music-hall de West-End désirait l'acheter. Aussi, une heure avant la vente aux enchères acheta-t-il l'immeuble, par adjudication privée, pour 4.200 livres, dont 840 livres payables d'avance jusqu'à l'examen des contrats.

Le jour où l'on devait payer le dernier versement, il manquait encore 110 livres pour atteindre l'énorme total. Cependant on n'emprunta pas un « penny » ; à onze heures du matin un ami vint « pour donner un dernier coup à la citadelle ». C'était un billet de 100 livres. Un autre apporta 10 livres et « à midi, la somme totale de 100 livres était réunie, avec la promesse de 100 livres pour l'ameublement. Barnardo écrivait à ce sujet : « Que notre Dieu est bon ; qu'Il est fidèle dans ses alliances. Mes frères bien-aimés, unissons-nous dans un chant de louanges et de triomphants Alléluias ! ».

Tout cet argent était envoyé à Barnardo personnellement. Il n'avait ni trésorier, ni secrétaire et on ne publiait aucun nom de donateurs. Cependant, telle était la confiance en son honnêteté que, parmi les donateurs, se trouvaient Lord Shaftesbury, l'honorable Arthur Ninnaird (qui devint plus tard Lord Kinnaird) et Lord Radstock, qui donna à lui seul 1.000 livres sterling.

Barnardo continua de diriger cette nouvelle branche de l' « East End Juvenile Mission », mais l'immeuble était dévolu à sept administrateurs « choisis parmi les différentes sections de l'Eglise des Professants ».

Le jour où Barnardo acheta « Edinburg Castle », on lui offrit une avance de 500 livres. Mais de telles propositions tombaient dans l'oreille d'un sourd. Six jours après l'acquisition, il y eut au « Castle » un grand thé, suivi d'un service d'action de grâce sous la Tente, qui marquèrent un nouveau bond en avant de son oeuvre. Bien des réparations étaient nécessaires avant que l'ancien palais du gin fut en état de rendre de grands services à la Mission ; aussi l'ouverture officielle fut elle retardée jusqu'à ce que les transformations fussent accomplies. Dans l'intervalle il n'y eut cependant pas de « temps mort ».

Au bout d'une quinzaine de jours, la « communauté » fut organisée en église et devint l' « Église de la Mission Populaire », avec des diacres et des anciens ; Barnardo fut « élu » pasteur du troupeau à l'unanimité. Cette église comptait, à sa première réunion au « Castle », deux cent cinquante membres et cinquante personnes désireuses de le devenir.

Pendant la Mission de Réveil sous la Tente, Barnardo cherchait une manière de venir à bout des débits d'alcool ; mais ce n'est qu'après avoir commencé les transformations d' « Édimbourg Castle », qu'il trouva son plan. Les décorateurs étaient à l'oeuvre dans la salle centrale du bar lorsque Barnardo, à la vue des miroirs brillants, des candélabres dorés et des couleurs vives qui couvraient les murs, pensa soudain : « N'est-ce pas tout ceci qui attire les ouvriers dans les bars ? Et ne pouvons-nous pas conserver tous ces attraits tout en supprimant la vente de l'alcool ? ». Sur le champ il décida de laisser les comptoirs, les miroirs, les candélabres et toutes les autres « attractions ». Il n'enleva que ce qui était malfaisant, déterminé à faire de cet ancien centre de débauche, la citadelle de son oeuvre de tempérance. Ainsi donc, le palais du gin fut transformé en un palais du café. où l'on vendait toutes les boissons possibles non alcoolisées ; on servait également des repas à un prix minime ; on y trouvait des journaux, des revues et des jeux honnêtes. La manière de voir de Barnardo se résume dans cette phrase : « L'ouvrier est séduit par l'artifice du publicain ; pourquoi ne serait-il pas attiré par des moyens du même genre, mais dans un but honnête ?

L'inauguration officielle du « Castle » fut annoncée comme un événement triomphal. Les préparatifs étaient achevés. « Edinburg Castle » avait été repeint à l'extérieur et à l'intérieur. Des textes bibliques étaient peints sur les murs ; de belles gravures encadrées avec goût y étaient suspendues. Après de nombreux nettoyages et fumigations, cet ancien «Palais du gin » semblait rayonner de beauté, de sérénité et de paix.

Le 14 février 1873, date importante dans l'histoire de l'oeuvre de Barnardo, le « Castle » fut solennellement inauguré. Plus que quiconque, quelqu'un pouvait donner une importance capitale à cette cérémonie. C'était Lord Shaftesbury, dont on avait obtenu la présence. Il déclara le « Castle » ouvert, pour remplir sa « nouvelle et glorieuse mission » et dans son discours, il prononça des paroles que Barnardo aimait à redire : « Les Églises et les Chapelles », disait-il, « font, sans doute, de leur côté, une oeuvre excellente, mais il est triste de constater qu'elles manquent totalement d'esprit missionnaire et s'occupent trop exclusivement de leurs troupeaux. Elles paraissent croire qu'il est suffisant d'ouvrir une chapelle et de faire connaître qu'on s'occupe là de religion, alors que cela n'a suffi et ne suffira jamais pour amener les masses à la religion. Maintenant, comme autrefois, cette parole est toujours l'ordre de Dieu : Va dans les chemins et le long des haies et ceux que tu trouveras, contrains-les d'entrer. Les classes ouvrières ne sont pas entrées et n'entreront jamais tant que les choses seront telles qu'aujourd'hui... Il faut une oeuvre vivante et conquérante, la prédication en plein air et les visites de maison en maison ; en résumé - s'écriait Lord Shaftesbury - il faut employer tous les moyens pour apporter la Vérité au coeur et à la conscience de chacun... Telle est la grande tâche qu' « Edinburg Castle » a entreprise sous le regard de Dieu, avec l'aide de l'Eglise populaire ». Puis, parlant du Palais du Café, il priait Dieu d'en faire le prototype de nombreux efforts semblables « pour permettre la fraternité, la distraction et les rapports sociaux, en dehors de cette atmosphère dangereuse créée par la vente des boissons alcooliques ».

Un enthousiasme extraordinaire jailli de toutes parts dans cette immense assemblée, accueillit ce discours et, la cérémonie terminée, des centaines d'auditeurs déclarèrent avoir vécu, ce jour-là, l'événement qui inspirerait toute leur vie. Il n'est pas surprenant que ce discours réveillât des émotions profondes, car, parmi les auditeurs de Lord Shaftesbury se trouvaient les hommes qu'il avait émancipés par ses efforts et délivrés de leur première et inhumaine condition dans les usines, les ateliers ou la mine. Il y avait aussi d'anciens ramoneurs et ceux qu'il avait arrachés, tout jeunes, aux horribles briqueteries, aux ateliers d'imprimerie de calicot et aux équipes agricoles. Et nombreux étaient ceux dont le coeur était plein de reconnaissance envers ce vétéran de l'action sociale, pour le congé du samedi après-midi, les parcs publics, les « Ragged Schools », les instituts ouvriers, l'amélioration des logements, l'Union Chrétienne de jeunes gens, et d'autres réformes importantes. De plus, lorsqu'il parla du but de, tempérance du Palais du Café, beaucoup se souvinrent de la loi qu'il avait fait voter, pour faire cesser l'atroce coutume de payer des salaires en bons de boisson et qu'il avait, le premier, donné l'exemple en menant une campagne électorale sans offrir de la bière ou du gin ; qu'il avait fait réduire le nombre d'heures de vente des liqueurs le dimanche et que, lors de l'inauguration du premier bloc de maisons modèles en Angleterre, qui comprenait 1.400 maisons avec gardiens dans Battersea, il avait stipulé dans les contrats que cette propriété ne pourrait jamais être menacée par l'installation d'un commerce d'alcool dans son périmètre.

Le Palais du Café eut, dès le début, un véritable succès social et financier. Il attira un grand nombre d'ouvriers et, comme foyer de rencontre, dépassa considérablement les bars voisins. Mais chose plus importante, il créa une atmosphère idéale, sans laquelle la multitude qui avait signé des engagements pendant le Réveil n'aurait pu les tenir.

L'Eglise populaire n'eut, d'ailleurs, pas moins de succès. Tous les dimanches soirs, le music-hall transformé était rempli d'adorateurs, et quand après l'agrandissement d' « Edinburg Castle » en 1884, le nouveau « Hall » put contenir 3.200 personnes, il était aussi bondé que le précédent. Pendant quinze années encore Barnardo, sans négliger aucun autre de ses devoirs, occupa le poste honoraire de pasteur principal et il prêchait à cette multitude jusqu'à trois fois par semaine. Sa puissance comme prédicateur était telle qu'on lui conseilla fortement de se consacrer plus particulièrement à cette tâche et de laisser à d'autres le soin des autres branches de, la Mission. Mais il n'accepta jamais cette proposition : « Je sens que mon Maître m'a appelé et m'a donné comme tâche, mes enfants ; rien ne pourra me les faire abandonner.

Cependant, même après que le travail pressant l'eût contraint à laisser la tâche pastorale de l'Eglise Populaire, Barnardo resta actif dans cette oeuvre ; il y prêchait fréquemment et surveillait toutes ses activités. « J'affirme sans hésiter, déclarait-il, que ceux qui disent que les classes ouvrières sont hostiles au christianisme sont absolument mal informés. Je suis persuadé que l'Évangile prêché fidèlement, en anglais pur et simple, et avec une conviction personnelle, sera comme toujours un puissant attrait pour les classes ouvrières et les pauvres en général. À « Edinburg Castle » nous avons le dimanche matin une nombreuse congrégation de travailleurs décents et respectables, à une heure où leurs semblables sont sensés être encore dans leur lit ou au bar voisin... Le dimanche après-midi nous avons, en général, 2.500 présences. Le soir, le Hall est plein à craquer et je ne sais pas de spectacle plus encourageant que celui du « Castle » entre sept et huit heures trente, quand nos 3.200 places sont occupées ».

Il ne faudrait pourtant pas s'imaginer que l'Eglise Populaire n'était qu'un centre de prédication. Il y eut bientôt un groupe important de diaconesses qui dirigeaient des études bibliques, des réunions de mères de famille et de jeunesse... et personne ne connaissait mieux qu'elles les foyers de l' « East-End ». De plus, la « Ragged School » de la rue Copperfield, qui fut créée à la suite de l'oeuvre du « Castle » et dont l'équipe se composait de personnes converties de l'Eglise, Populaire, cette école devint bientôt la plus grande des « Ragged Schools » de Londres, et son enseignement était tel que, chaque année, les inspecteurs du gouvernement demandaient pour elle une plus grande subvention.

Cependant, ce n'est pas à Barnardo seul qu'était due la puissance qui jaillissait de cette Église. Elle devait beaucoup à Joshna et Mary Poole, ainsi qu'aux services spéciaux de Moody et de Sankey en 1874 et 1883, et parmi ses dates importantes, il faut noter la campagne d'évangélisation dirigée par « Oncle Tom », celui qu'a immortalisé H. Beecher-Stove, dans La Case de l'oncle Tom. Ce sympathique noir, qui portait sur son corps les profondes cicatrices des fers de l'esclavage, alla droit au coeur des auditoires de « East-End » et il laissa une impression durable à l'Eglise Populaire. Néanmoins, c'est à Barnardo surtout que l'Eglise devait sa force et son action.




Tandis que la mission s'étendait de plus en plus vers de nouvelles activités, son fondateur transformait complètement sa vie pour ses affaires privées. Jusqu'en 1871, il n'est pas question de sentiment dans la vie de Barnardo. Il semblait aimer tellement son oeuvre qu'il paraissait insensible aux charmes de l'amour ; mais ce lutin ingénieux eut enfin son jour : Celle qu'il atteignit était Syrie-Louise Elmslie, fille unique de William Elmslie, un riche industriel de la ville, résidant à Richmond.

Miss Elmslie avait été élevée dans un milieu très mondain et dans une atmosphère de luxe. Des précepteurs particuliers avaient dirigé son éducation ; on lui accordait toutes ses fantaisies. La religion avait eu une très petite place dans son éducation et le dimanche, dans son milieu, ne différait guère des autres jours de la semaine. Cependant à l'âge de dix-huit ans, sous l'influence de Lord Radstock et du Docteur F.-B. Meyer, elle, passa par une expérience religieuse, qui réveilla son âme et changea sa vie. Elle commença aussitôt à travailler dans les « Ragged Schools » de Richmond et s'y donna entièrement.

Après quelques années de travail dans cette oeuvre, en automne 1871, Miss Elmslie organisa sa grande réunion récréative, précédée d'un thé pour tous les garçons pauvres du quartier. Elle avait entendu parler de Barnardo et l'invita à parler aux enfants. Il vint, prit le thé avec eux et leur adressa un message qui captiva leur attention. Il ne put voir Miss Elmslie avant d'avoir achevé de parler. Jusque-là, elle était trop occupée pour recevoir l'orateur. Mais lorsqu'ils se rencontrèrent, ils se firent mutuellement impression. Barnardo admira le talent avec lequel Miss Elmslie avait organisé la réunion ; elle, admira l'influence magnétique qu'il exerçait sur ces rudes garçons. Mais de plus, chacun admirait l'autre pour des raisons qu'ils n'auraient pu eux-mêmes définir.

Ce fut leur première rencontre, mais le sort avait décidé qu'ils se rencontreraient de nouveau le lendemain. À la gare de Paddington, Barnardo avait pris un billet de troisième classe pour se rendre dans une localité à deux heures de Londres lorsqu'il se heurta presque à Miss Elmslie et à son père qui allaient dans la même direction, à une station plus éloignée. Mais ils voyageaient en première classe. Aussi retourna-t-il précipitamment changer son billet et il se joignit alors aux Elmslie. Cette rencontre imprévue ne fit qu'augmenter l' « admiration » des deux côtés. Barnardo admit plus tard que l'amour l'avait touché à ce moment, tandis que Miss Elmslie confiait à une de ses amies que « ce petit coquin » lui avait enlevé son calme accoutumé.
Mais Barnardo, absorbé par son travail, n'avait pas le temps de penser à l'amour ; aussi fit-il son possible pour chasser de son esprit Miss Elmslie et son charme, mais en vain. Sa vue hantait ses rêves. Il ne la revit pourtant que dix-huit mois après, et cette rencontre fut tout aussi imprévue que la première.

Au printemps 1873, aux funérailles du pasteur William Pennefather, Miss Elmslie perdit ses amis dans la foule et voici qu'elle se trouva tout à coup en face de Barnardo. Elle cessa de chercher ses amis ; Barnardo s'offrit à l'accompagner chez elle et avant de se séparer, ils savaient qu'ils « s'aimaient ».

Quelques jours plus tard, ils se fiancèrent, Barnardo alla jusqu'à Richmond pour demander le consentement de M. Elmslie. Mais tout s'était passé si rapidement et Barnardo connaissait si peu la famille Elmslie que, reçu à la gare par sa fiancée et son plus jeune frère, Harry (âgé de neuf ans et assis à côté du cocher, tout au sommet du « cab »), il demanda si ce « délicieux petit garçon » était le fils du cocher.
Tout alla bien, malgré ces impairs. Quatre semaines plus tard, le « Metropolitan Tabernacle » était plein à craquer pour la célébration du mariage de l'heureux couple. En l'absence du pasteur Ch. H. Spurgeon, ils furent mariés par trois amis intimes : le Docteur Graham Guinness, Lord Radstock et Henry Varley, un évangéliste.

Leur voyage de noces dura six semaines ; cependant la vie de Barnardo était si étroitement unie à son oeuvre qu'il ne put, même en ces jours mémorables, s'arracher à la mission et à « ses garçons ». Et sa jeune épouse ne le désirait pas non plus ! Ils écrivaient des vingtaines de lettres et les heures s'écoulaient, heureuses, à lire à haute voix et à réfléchir ensemble à de nouveaux plans pour agrandir leur oeuvre. D'ailleurs, ces méditations ne furent pas vaines, car de là naquit bientôt l'une des branches les plus importantes des « Homes » de Barnardo.

Les six semaines de vacances terminées, le jeune couple eut une soirée d'accueil pour saluer son retour. En cette circonstance toutes les places du grand Hall d' « Edinburg Castle » étaient occupées, et quand Lord Shaftesbury, au nom de l'Eglise Populaire, offrit à Madame Barnardo un service à thé en argent, l'émotion fut à son comble. L'assemblée se leva et remplit l'air de ses acclamations. Barnardo semblait le héros de l' « East-End » et maintenant qu'il était marié, ses admirateurs attendaient de lui de plus grandes choses encore.

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