Vers le milieu de sa vie, Barnardo
méditant sur l'importance de ses
premières études missionnaires,
s'émerveillait de la façon dont il
avait été conduit :
« La sagesse et la
bonté de Dieu, disait-il, me furent
clairement révélées dans tout
ce qui m'était arrivé auparavant et
dans la manière dont j'avais
été préparé, sans le
savoir, à cette oeuvre missionnaire, dans la
Métropole. Je comprends maintenant que cet
appel pour la mission médicale en Chine a
été absolument nécessaire
à l'oeuvre de Londres.
En effet :
1° Il m' a complètement
détaché du foyer et de tous les liens
de famille ;
2°Il m'a permis de conserver,
toujours aussi vivant, dans mon coeur, l'esprit
missionnaire qu'un travail ordinaire aurait pu me
faire perdre ;
3° Sans cet appel à la
mission je ne me serais jamais établi dans
l' « East-End » et je n'aurais
probablement jamais rencontré mon premier
enfant abandonné...
Si par la suite, je regardai parfois,
avec ardeur, vers la Chine, ce fut seulement pour
supplier Dieu, puisque je ne pouvais y aller
moi-même, d'être un instrument entre
ses mains pour en diriger
« d'autres » de ce
côté-là. »
Aujourd'hui tout le monde a entendu
parler du mouvement missionnaire spécial,
créé par Barnardo. Mais il en est peu
qui connaissent l'histoire de son développement et
il en est
moins encore qui soient familiarisés avec le
petit « grain de moutarde » qui
lui donna naissance.
L'école d'Ernest Street initia
Barnardo au mystère de l'enfance dans les
taudis de l' « East-End », et
fit germer en lui son premier désir de
créer des systèmes nouveaux pour
lutter contre les problèmes qu'il
rencontrait. Il y avait, parmi ses
collègues, des gens qui ne pouvaient
supporter la moindre divergence de vues :
aussi se refusèrent-ils à suivre
Barnardo lorsqu'il leur suggéra des
innovations un peu révolutionnaires. Cette
étroitesse de vues l'agaçait et il
cherchait un cadre où il put librement
mettre à l'essai ses nouveaux plans.
C'est dans cette disposition d'esprit
agitée, mais sans toutefois abandonner la
direction d' « Ernest Street »,
que Barnardo, aidé par deux ou trois
étudiants, ouvrit l'école «
Donkey Shed Ragged School » ; et
c'est là qu'il découvrit Jim Jarvis
et le terrible problème des enfants
abandonnés.
Il fallait, cependant, donner à
Jim un foyer, sans compter qu'il avait toute une
tribu de vagabonds dans la même situation que
lui. De là, la nécessité d'un
« Home ». Mais,
encouragé par l'intérêt que
manifestait Shaftesbury, Barnardo rêva
bientôt de quelque chose de plus vaste qu'un
« Home » ou qu'une école
et qui pourtant les aurait compris tous les deux.
Déjà se dessinait, dans son esprit,
la vision d'une Mission Chrétienne, qui se
serait occupée de toutes les questions
pressantes intéressant les enfants et les
jeunes gens des taudis. Et cette vision grandit et
prit de telles proportions, que tout le reste
parût bientôt fort peu de
chose.
Les premiers linéaments du
rêve de Barnardo nous sont
révélés dans une lettre au
Revival, datée du 23 juillet 1867. Barnardo
insistait sur le besoin pressant d'une oeuvre
missionnaire parmi les jeunes gens et les jeunes
filles qui, la nuit, rôdaient par les rues et
fréquentaient les cabarets les plus affreux.
Quelques paragraphes de cette
lettre montraient bien où en était
Barnardo :
« Peu de temps après
mon arrivée dans la métropole, je
commençai à prêcher en plein
air, dans les rues étroites, les impasses et
les ruelles de Stepney, en compagnie d'un serviteur
de Dieu. Nous n'étions pas
découragés par l'opposition que nous
rencontrions, mais regardant à Dieu, pour
les résultats, nous essayions de semer, dans
la faiblesse et souvent avec « crainte et
tremblement », la précieuse
semence du Royaume... Nous travaillions à
cela, particulièrement le dimanche,
dirigeant parfois quatre ou cinq services, en
différents endroits, le même jour. Un
fait nous frappait particulièrement :
tandis que la moitié environ de nos
auditoires se composait d'enfants et le quart
à peine de leurs parents, le dernier quart
et souvent même davantage était
formé par cette classe la plus
inférieure de la société, qui
remplit les prisons et constitue la foule des
femmes perdues qui, la nuit, traînent dans
nos rues. C'étaient surtout des jeunes gens
et des jeunes filles entre treize et dix-huit ans
qui venaient à nous avec leur coeur avide de
notre message d'amour ».
Puis il raconte qu'il invitait toujours
ses auditeurs de la rue à suivre les classes
d'Ernest Street et il continue, pour montrer
à quel genre d'élèves il avait
affaire : « Un dimanche soir, un
agent pénétra dans l'école, et
ayant regardé autour de lui... prit à
part le directeur et lui demanda s'il se doutait du
genre de personnes qui l'entouraient. Sur sa
réponse négative, l'agent lui
expliqua qu'un tiers au moins avait
été une fois en prison (il les
reconnaissait) et que beaucoup d'autres y avaient
été deux fois et même
plus ».
Plus loin, Barnardo informe ses lecteurs
des conditions dans lesquelles lui et ses aides
devaient travailler. Même en
été « plus d'une centaine
de personnes se pressaient dans une salle basse,
étroite et mal aérée,
contenant à peine quatre-vingt-six
places ». En hiver, ils
devaient souvent « fermer la
porte » à cause du manque de
place, laissant ainsi dehors autant de personnes
qu'il en était entré et ceux qui
étaient ainsi exclus trouvaient un abri et
un bon accueil dans les cabarets et les tavernes du
voisinage. Mais une autre catégorie de gens
excitait la pitié de Barnardo. À
côté de ceux qui demandaient en vain
leur admission dans les « Ragged
Schools », « il y avait un
très grand nombre de personnes qui
n'entraient jamais dans une école, une
chapelle ou une église et qui, sans se
soucier, le moins du monde, de leur vie
spirituelle, passaient le dimanche dans les pires
lieux de débauche ». C'est pour
ceux-là, à l'écart de toute
influence morale, que Barnardo entendit un appel
spécial : « Ce sont
ceux-là que je veux atteindre. Dieu me les a
mis sur le coeur. Je suis ému de compassion
pour ces pauvres âmes errantes, comme des
brebis qui n'ont point de berger ! Mais que
faire ? Comment les atteindre
efficacement ? »
La solution qu'offrait ; Barnardo
aux lecteurs du Revival était la
suivante :
« Après avoir
réfléchi et prié longuement,
le plan suivant s'est imposé à mon
esprit ; et je le crois, avec l'aide de Dieu
et d'après mon expérience avec ces
gens, parfaitement applicable. Il faudrait :
se procurer un vaste bâtiment, pouvant
contenir environ six cents personnes ; obtenir
l'aide personnelle et volontaire d'une cinquantaine
de frères et soeurs zélés des
nombreuses Églises ou Chapelles
Évangéliques des environs, puis
commencer nos efforts par un grand thé, dont
les invitations seraient distribuées
uniquement parmi ceux que l'on veut atteindre. Par
la suite, ouvrir cette salle le dimanche, à
une heure fixe, pour les enfants, les jeunes gens
et les jeunes filles de cette catégorie.
Préparer six à huit grands calicots,
les invitant à cette salle de
réunion, portés dans les rues de la
paroisse deux heures avant le service, par quelques
jeunes de mon
école qui chanteront des cantiques et
rentreront à l'heure du service en ramenant
la foule. Puis après les avoir fait entrer,
et avoir cherché la sagesse auprès de
Celui qui en est la source, nous placerons devant
eux Christ et Son Amour infini, afin que par Sa
Grâce, beaucoup soient amenés à
Lui... Naturellement, nous tâcherons d'avoir
pour ces services du dimanche, des
prédicateurs différents ayant
déjà l'expérience de ce genre
de réunions et que cela
intéresse ».
Ce fut la première suggestion
imprimée du projet missionnaire de Barnardo.
Mais d'où lui viendraient les finances
nécessaires pour le réaliser ?
Ce problème n'embarrassa pas le jeune
Barnardo. Il n'était lui-même qu'un
étudiant et bien peu de ces compagnons des
« Ragged Schools »
étaient plus fortunés que lui ;
mais il avait foi en Dieu et des sympathisants lui
avaient déjà promis 25 livres
sterling. Avec assurance et confiance dans le
résultat, il s'adressa aux
« serviteurs de Dieu » qui
liraient sa lettre, en leur demandant de lui
avancer 200 livres sterling, pour commencer son
oeuvre missionnaire : sa déclaration
impliquait qu'ils auraient un peu plus tard, le
privilège de donner bien davantage.
Lorsqu'on se rappelle que Barnardo
était alors à Londres, depuis quinze
mois seulement, et que, à part ses relations
avec Lord Shaftesbury, il était totalement
inconnu dans les quartiers riches, cet appel
apparaît comme un magnifique exemple de
foi ; cependant pour Barnardo c'était
aussi naturel que respirer. Depuis sa conversion,
il avait employé son temps, ses dons et ses
moyens, comme des biens de Dieu, dont il
était, temporairement, l'intendant. Le
Revival circulait parmi des gens qui faisaient
profession de christianisme. Pourquoi donc ne
seraient-ils pas intéressés autant
que lui-même, à voir se poursuivre ce
projet missionnaire ? Eux aussi étaient
des intendants de Dieu !
Et
ceci, n'était-ce pas nettement l'oeuvre de
Dieu ? Telle était la logique, de
Barnardo ; il ne se dit jamais qu'il
« mendiait » ; il ouvrait
simplement un champ nouveau à l'action
chrétienne.
Ainsi donc, après avoir fait
ressortir la « nécessité
immédiate » de l'oeuvre, et
rappelé à ses lecteurs l'importance
qu'il y avait à
« commencer » avant l'hiver, il
poursuit :
« Je supplie les frères
et les soeurs que Dieu a comblés de biens
terrestres, de considérer, dans la
prière, la nécessité
réelle qui m'a conduit à leur faire
connaître cette oeuvre, toute à la
gloire de Dieu.
Serons-nous arrêtés,
dès le début, par le manque d'aide
financière, parce que de nombreux enfants de
Dieu, qui liront cet article et « ont de
quoi épargner », refuseraient
à des milliers d'âmes, qui ne sont ni
en Afrique ni aux Indes, la Parole de Vie, et ces
âmes de l' « East-End »
périraient maintenant faute de
connaissance ? »
Peu après la parution de cette
lettre, Barnardo écrivit au Revival pour
informer ses lecteurs de la proposition qu'on
venait de lui faire : On lui avait offert
« à l'improviste » des
« locaux vastes et convenables pouvant
contenir un millier de personnes ». Aussi
attendait-il maintenant « un secours plus
grand en argent et en personnes », pour
commencer son oeuvre. Il demandait de nouveau
« la contribution du peuple de
Dieu » et il invitait
« quarante ou cinquante frères et
soeurs évangéliques de toutes
dénominations, riches ou pauvres »
à offrir « une aide personnelle et
volontaire ». La conclusion de sa
requête fait supposer que l'aide personnelle
et l'argent n'arrivaient pas aussi vite qu'il
l'avait espéré : « Que
Dieu, lui-même, place sur le coeur de tous
ceux qui lisent ce journal, le profond besoin
spirituel de ces jeunes
« malheureux » et de ces
pauvres enfants de l'
« East-End ».
À la suite de ce premier appel,
il reçut 90 livres sterling ; et bien
qu'il en
eût demandé 200, Barnardo
décida de commencer, comptant recevoir
d'autres secours, à mesure que l'oeuvre
avancerait.
Avant qu'une année se fût
écoulée, il avait, reçu plus
de 200 livres. Mais en attendant il se jetait
à l'eau. Il retint les locaux qu'on lui
offrait : « The Assembly
Rooms », au-dessus du bar
« King's Arms », situé
au carrefour de Mile End Road et de Beaumont
Square ; mais handicapé par le manque
de fonds, il dut sérieusement diminuer son
programme. Son appel concerna l'activité du
dimanche et il demanda des ouvriers pour ce jour.
Mais il est évident que s'il avait l'aide
nécessaire, il projetait des efforts
supplémentaires pour les soirs de semaine.
Mais comme il ne reçut que la moitié
seulement de la somme demandée, il
décida, pour le moment, de se contenter du
programme du dimanche.
Avant l'ouverture de la mission,
Barnardo eut à faire face à
l'incompréhension de certains de ses
collègues. Dans sa lettre au Revival, il
avait parlé de l'oeuvre de l'école
d'Ernest Street ; or quelques-uns de ses
collègues maintenaient que l'école
devait avoir un contrôle sur la nouvelle
entreprise, et devait recevoir une partie des fonds
que l'appel de Barnardo avait
apportés ; ils disaient que certains
souscripteurs avaient envoyé de l'argent, en
croyant que l'oeuvre missionnaire, serait
placée sous la direction de l'école
d'Ernest Street.
Il en résulta des frottements
dont la conclusion fut la démission de
Barnardo ; il renonçait à la
direction de l'école. Il écrivit de
nouveau au Revival : « Si quelque
souscripteur s'est mépris sur le contenu de
ma lettre et désire que son argent soit
versé à l'ancienne école,
qu'il veuille bien me communiquer son désir,
afin que je puisse m'y conformer ».
Cependant la lecture de la « Liste de
souscription » et du « Bilan
annexé » au premier Rapport annuel
de Barnardo, nous apprend qu'une seule
souscriptrice - « Madame H. G.
G. » qui avait envoyé 5 livres
sterling - demandait le transfert
de son don. Elle désirait que la
moitié de sa souscription fût
versée à l'école d'Ernest
Street, et que l'autre restât pour l'oeuvre
spéciale de Barnardo. Tous les autres
souscripteurs laissèrent à Barnardo
la liberté d'agir selon ses directives
spirituelles. Malgré cette
incompréhension qui amena la
démission de Barnardo de l'école
d'Ernest Street, il n'y eut aucune inimitié
entre ses anciens collègues et lui. Sa
lettre de démission contient l'assurance de
ses sentiments bienveillants envers l'ancienne
école. « Cette institution,
écrit-il, aura toujours ma plus chaude
sympathie, mes plus ardentes prières et,
Dieu voulant, mon aide autant qu'il me sera
possible de le faire ».
Quand Barnardo retint les
« Assembly Rooms », il savait
qu'il se lançait dans une entreprise
beaucoup plus aventureuse et difficile que celles
qu'il avait dirigées jusque-là. Son
travail de pionnier, à Dublin, avait
été mené sur une petite
échelle. L'école d'Ernest Street
était pleine lorsqu'il y avait une centaine
d'enfants ; quand à l'école du
Donkey Shed, on peut juger de sa capacité
par l'importance de son loyer : deux shillings
par semaine. En réalité, comme
expérience, l'école du Donkey Shed ne
fut pas en elle-même un succès. Sa vie
fut brève et il est probable qu'elle
eût été rayée du
récit de l'oeuvre de Barnardo si elle
n'avait pas été l'instrument de la
découverte de Jim Jarvis. Lorsqu'on jette un
regard en arrière, elle apparaît
uniquement comme un soubassement à une
construction plus parfaite.
L'ouverture des « Assembly
Rooms » que Barnardo considérait
comme une grande entreprise missionnaire et la
séance d'inauguration furent
préparées avec le plus grand soin. Le
5 novembre 1867, l'entreprise était
« lancée » par un grand
thé gratuit offert à « plus
de 2.347 jeunes gens et jeunes filles, hommes,
femmes et enfants, dont les aînés
étaient pour la plupart des voleurs et de
pauvres filles perdues. Il fallut faire plusieurs
services pour nourrir tous ces affamés, mais Barnardo
était
entouré d'une troupe de vaillants
volontaires qui, unissant leurs efforts, offrirent
à chacun « un goûter
copieux ». Cependant cette fête fut
préparée avec tant de soin et
d'économie, qu'elle ne coûta pas plus
de 27 livres sterling, 3 shillings et 11 pences,
exactement 3 « pence » par
personne. Cet exploit montre bien le génie
de Barnardo. Tout le goûter avait
été préparé dans les
locaux, le travail était
bénévole et les provisions de pain,
de beurre, de confiture et de gâteaux,
avaient été fournies, au prix
coûtant, par des amis. Chaque
« penny » avait rapporté
le double de sa valeur.
Le fait d'avoir nourri toute cette
multitude était un véritable
succès ; mais on ne pouvait en dire
autant du but profond de l'entreprise. Dans son
Premier Jubilé, Barnardo n'essaye pas de
montrer la situation en rose ». Tout bien
considéré, il déclara ce
goûter : « peu
satisfaisant ». Jamais pareille cohue,
disait-il, ne s'était vue à Stepney.
« Le bruit et le tumulte étaient
terribles » ; aussi n'eut-il pas le
loisir de dire tout ce qu'il voulait ».
Cependant, « il n'était pas
découragé » ;
« car après le départ du
plus grand nombre, plusieurs des plus
âgés restèrent, qui cherchaient
le salut ».
Telle fut l'inauguration des
« Assembly Rooms », Le dimanche
suivant, l'oeuvre véritable de la Mission
commença. Barnardo et ses collaborateurs
défilèrent dans les rues, une heure
avant la réunion. Ils chantaient des
cantiques et promenaient des calicots, invitant les
jeunes gens et les jeunes filles à se rendre
à la Mission ; et, bien que cette
méthode d'invitation eût ses
inconvénients, comme le prouvèrent
les projectiles lancés à la
tête des missionnaires, elle remplit
cependant son but. Dix minutes avant le retour de
la procession, les « Assembly
Rooms » étaient pleines ; et
cette manière de faire fut continuée
pendant six semaines. Il vint alors un nouveau
propriétaire aux « King's Arms » qui, le
dimanche
suivant. lorsque Barnardo arriva pour
préparer la procession, lui refusa
l'accès de la salle. La Mission avait
commencé à changer les habitudes de
nombreux jeunes gens, qui avaient été
jusque-là de fidèles habitués
du bar de « King's
Arms » ; aussi le
propriétaire refusa-t-il absolument l'usage
de la salle.
Cette nouvelle tomba comme une bombe sur
les projets de Barnardo. S'il n'avait pas eu
« l'assurance que Dieu l'avait conduit
jusque là », il aurait
cessé tout travail, car son chemin
« semblait coupé ».
Cependant les événements lui
apparurent bientôt sous un autre jour. Une
semaine plus tard, Barnardo tomba
« gravement malade » et
« pendant près de deux
mois » il ne put « prendre part
à aucun service ». Alors,
regardant en arrière, il expliqua :
« Si l'oeuvre n'avait pas
été arrêtée ainsi, nous
aurions dû, de toute façon, fermer les
écoles, car, à cette époque,
aucun de nos frères n'aurait accepté
la direction... Plus tard encore, Barnardo se
rendit mieux compte des conquêtes positives
qui surgirent de cette défaite apparente. Le
bouleversement de ses plans détruisit en lui
tout vestige d'orgueil. Cet événement
prouvait sa « faiblesse
totale » et le rejeta complètement
vers Dieu, par la foi. Mais c'était aussi la
marque d'une bénédiction dans
l'épreuve ; avec son faible capital et
la lourde dépense nécessaire pour
faire marcher une si vaste salle, il lui
était impossible de développer
l'oeuvre de semaine qu'il projetait et qui, plus
tard, devait grandir d'étonnante
façon.
Si, avec le recul, Barnardo put
considérer la fermeture forcée des
« Assembly Rooms », comme un
bienfait providentiel, il ne douta jamais
cependant, d'avoir été conduit par
Dieu, à les ouvrir.
Le plus infatigable de tous ses
collaborateurs et qui le seconda toute sa vie, se
convertit et se donna au service de Christ, au
cours de, cette mission ; tandis que le
« grand
thé » et les courageuses
processions faisaient connaître le but de la
Mission, dans des quartiers où, plus tard,
elle prit racine et se développa.
L'entreprise des « Assembly
Rooms », de même que l'école
Donkey Shed n'a d'importance que par son
association avec quelque chose de plus grand. Mais
il est plus facile de reconnaître
rétrospectivement la valeur dernière
des événements, qu'au moment
même où l'on subit une défaite
apparente. Barnardo était donc très
abattu. Il avait concentré tous ses efforts
sur un plan magnifique qui s'était
écroulé comme un château de
cartes. Ses finances étaient
également déplorables, et maintenant
il devait recommencer à bâtir avec ses
outils brisés. Ceci aurait suffi à
ébranler la foi du serviteur le plus
zélé. Mais voici qu'au moment
même où il mûrissait des plans
de reconstruction, une maladie grave
l'arrêta.
Le recommencement fut donc,
nécessairement, des plus modestes. Tandis
que Barnardo était alité, un groupe
de collaborateurs, à sa requête, et
« pour ne pas cesser l'oeuvre
complètement » loua une petite
salle dans « une pauvre
rue » ; et c'est là que
commença son activité des soirs de
semaine qu'il dirigeait de son lit. Cette salle
était utilisée comme école
gratuite, salle de lecture, réunion de
couture, chaque soir pour une activité
différente, « avec beaucoup de
difficultés, mais aussi avec des
résultats encourageants ».
Vers la fin du mois de janvier 1868,
Barnardo était assez bien remis pour
chercher, lui-même, un local plus important.
Le grain de moutarde avait déjà des
pousses qui demandaient plus de terrain, d'air et
de soleil. Elles croissaient si rapidement que le 2
mars 1868, la Mission fut transférée
dans des locaux plus vastes. On avait loué,
à Hope Place, deux petites maisons de quatre
pièces chacune, l'une pour les
garçons, l'autre pour les filles. C'est
là que la Mission fut vraiment
baptisée : « La Mission des
Jeunes de l'East End »,
appellation que Barnardo préféra
toujours. En fait son premier rapport
imprimé, daté du 15 juillet 1868, est
surtout une vue d'ensemble sur le travail des
quatre premiers mois dans ces petites maisons. Et
l'oeuvre s'était déjà
tellement étendue que le rapport comprend
cinquante-six pages in-octavo, pleines
d'intérêt du début à la
fin.
Une simple lecture du Rapport du Premier
Jubilé fait connaître ce grain de
moutarde, d'où sortit toute l'oeuvre de
Barnardo. Pendant près de cinq mois les
activités de la « Mission des
Jeunes dans l'East End » comprirent des
services religieux, au cours desquels Barnardo
considéré comme le « Berger
du troupeau », baptisa par immersion
trente convertis, et une École du Dimanche
dont la moyenne était de trois cents
enfants. Les salles étaient toujours
remplies ! Ces activités étaient
le centre de l'oeuvre missionnaire, mais chaque
jour de la semaine avait son programme. On organisa
en plus de l'Eglise et de l'École du
Dimanche, des réunions d'études
bibliques séparées pour les enfants,
les jeunes gens et les adultes ; mais ces
réunions n'étaient pas mixtes. On
créa aussi des réunions de
prière le dimanche matin, et trois soirs par
semaine, des écoles du soir, une
bibliothèque, gratuite, un cercle de
lecture, un bureau de placement, une brigade de
cireurs, une réunion de couture et une
brigade des tracts, sans compter les
réunions supplémentaires pour des cas
particuliers. Ainsi la nuit du Vendredi Saint,
Barnardo et ses collègues, aidés par
leurs jeunes convertis, tinrent une réunion
de prière de dix heures du soir à
cinq heures du matin, où, à part un
moment de repos, on ne cessa d'assiéger
« le Trône de la
Grâce » pour exposer à Dieu
les besoins de la Mission et lui demander
l'accomplissement de Ses promesses.
Tel était le programme de la
« Mission des Jeunes dans
l'East-End » au cours du mois de juillet
1868. Il est vrai que cette mission était
une « Ragged School, mais elle était plus que
cela. Dès le début de son association
avec le système des « Ragged
Schools », Barnardo avait senti le besoin
d'un programme plus vaste.
Nul n'appréciait autant que lui
l'oeuvre accomplie par les « Ragged
Schools », parmi les enfants
délaissés. Cependant il critiquait
leur travail qui rappelait trop celui d'une
école et manquait de cet esprit d'aventure
qui caractérise une Mission
Chrétienne vivante. Il s'était
souvent plaint de ce que les « Ragged
Schools » n'étaient ouvertes que
le dimanche et deux ou trois soirs par semaine,
tandis qu'il rêvait, depuis longtemps d'une
mission dont la porte serait toujours ouverte et
qui aurait un programme pour chaque jour de la
semaine. Et maintenant, après de nombreuses
vicissitudes, son rêve prenait corps et
commençait à vivre.
Toutes ces activités avaient
commencé par les deux petites maisons de
Hope Place. Mais déjà, Barnardo
dirigeait une autre branche de l'oeuvre
missionnaire, qui allait devenir très
importante. Avec l'aide de quelques amis, il prit
la responsabilité non seulement de
l'éducation de Jim Jarvis, mais de plusieurs
autres vagabonds, pour lesquels il avait
trouvé des foyers chez d'humbles
chrétiens.
Le jour allait bientôt se lever
où la « famille
Barnardo », qui s'accroissait d'une
façon étonnante, devait trouver un
asile sous le toit de la « Mission des
Jeunes dans l'East-End ». La plupart de
ces jeunes garçons avaient vécu si
longtemps dans les rues, qu'ils se soumettaient
avec peine aux contraintes de la vie de famille.
Ils avaient besoin d'être disciplinés
et d'apprendre un métier ; on comprit
alors qu'il était nécessaire de les
élever tous ensemble, sous un même
toit, où les influences réunies de
l'école, de l'atelier, du foyer et de la
Mission les rendraient plus aptes à mener au
milieu du monde, une vie d'honnête
travailleur.
Mais l'histoire de l'édification
des « Homes » de Barnardo ne doit pas
nous
retenir ici. Qu'il suffise de rappeler qu'ils
faisaient partie de son grand rêve
missionnaire. En 1868, le grain avait suffisamment
germé pour qu'on puisse énoncer les
caractéristiques de son oeuvre :
Tous ces points étaient en germe dans l'oeuvre de la « Mission des Jeunes dans l'East-End » en 1868 ; mais le développement extraordinaire de cette Mission pendant les quelques années qui suivirent, est sans précédent, dans l'histoire des oeuvres de la véritable charité.
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