Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

Un grain de moutarde

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Vers le milieu de sa vie, Barnardo méditant sur l'importance de ses premières études missionnaires, s'émerveillait de la façon dont il avait été conduit :
« La sagesse et la bonté de Dieu, disait-il, me furent clairement révélées dans tout ce qui m'était arrivé auparavant et dans la manière dont j'avais été préparé, sans le savoir, à cette oeuvre missionnaire, dans la Métropole. Je comprends maintenant que cet appel pour la mission médicale en Chine a été absolument nécessaire à l'oeuvre de Londres.

En effet :
1° Il m' a complètement détaché du foyer et de tous les liens de famille ;
2°Il m'a permis de conserver, toujours aussi vivant, dans mon coeur, l'esprit missionnaire qu'un travail ordinaire aurait pu me faire perdre ;
3° Sans cet appel à la mission je ne me serais jamais établi dans l' « East-End » et je n'aurais probablement jamais rencontré mon premier enfant abandonné...

Si par la suite, je regardai parfois, avec ardeur, vers la Chine, ce fut seulement pour supplier Dieu, puisque je ne pouvais y aller moi-même, d'être un instrument entre ses mains pour en diriger « d'autres » de ce côté-là. »

Aujourd'hui tout le monde a entendu parler du mouvement missionnaire spécial, créé par Barnardo. Mais il en est peu qui connaissent l'histoire de son développement et il en est moins encore qui soient familiarisés avec le petit « grain de moutarde » qui lui donna naissance.

L'école d'Ernest Street initia Barnardo au mystère de l'enfance dans les taudis de l' « East-End », et fit germer en lui son premier désir de créer des systèmes nouveaux pour lutter contre les problèmes qu'il rencontrait. Il y avait, parmi ses collègues, des gens qui ne pouvaient supporter la moindre divergence de vues : aussi se refusèrent-ils à suivre Barnardo lorsqu'il leur suggéra des innovations un peu révolutionnaires. Cette étroitesse de vues l'agaçait et il cherchait un cadre où il put librement mettre à l'essai ses nouveaux plans.

C'est dans cette disposition d'esprit agitée, mais sans toutefois abandonner la direction d' « Ernest Street », que Barnardo, aidé par deux ou trois étudiants, ouvrit l'école « Donkey Shed Ragged School » ; et c'est là qu'il découvrit Jim Jarvis et le terrible problème des enfants abandonnés.

Il fallait, cependant, donner à Jim un foyer, sans compter qu'il avait toute une tribu de vagabonds dans la même situation que lui. De là, la nécessité d'un « Home ». Mais, encouragé par l'intérêt que manifestait Shaftesbury, Barnardo rêva bientôt de quelque chose de plus vaste qu'un « Home » ou qu'une école et qui pourtant les aurait compris tous les deux. Déjà se dessinait, dans son esprit, la vision d'une Mission Chrétienne, qui se serait occupée de toutes les questions pressantes intéressant les enfants et les jeunes gens des taudis. Et cette vision grandit et prit de telles proportions, que tout le reste parût bientôt fort peu de chose.

Les premiers linéaments du rêve de Barnardo nous sont révélés dans une lettre au Revival, datée du 23 juillet 1867. Barnardo insistait sur le besoin pressant d'une oeuvre missionnaire parmi les jeunes gens et les jeunes filles qui, la nuit, rôdaient par les rues et fréquentaient les cabarets les plus affreux. Quelques paragraphes de cette lettre montraient bien où en était Barnardo :
« Peu de temps après mon arrivée dans la métropole, je commençai à prêcher en plein air, dans les rues étroites, les impasses et les ruelles de Stepney, en compagnie d'un serviteur de Dieu. Nous n'étions pas découragés par l'opposition que nous rencontrions, mais regardant à Dieu, pour les résultats, nous essayions de semer, dans la faiblesse et souvent avec « crainte et tremblement », la précieuse semence du Royaume... Nous travaillions à cela, particulièrement le dimanche, dirigeant parfois quatre ou cinq services, en différents endroits, le même jour. Un fait nous frappait particulièrement : tandis que la moitié environ de nos auditoires se composait d'enfants et le quart à peine de leurs parents, le dernier quart et souvent même davantage était formé par cette classe la plus inférieure de la société, qui remplit les prisons et constitue la foule des femmes perdues qui, la nuit, traînent dans nos rues. C'étaient surtout des jeunes gens et des jeunes filles entre treize et dix-huit ans qui venaient à nous avec leur coeur avide de notre message d'amour ».

Puis il raconte qu'il invitait toujours ses auditeurs de la rue à suivre les classes d'Ernest Street et il continue, pour montrer à quel genre d'élèves il avait affaire : « Un dimanche soir, un agent pénétra dans l'école, et ayant regardé autour de lui... prit à part le directeur et lui demanda s'il se doutait du genre de personnes qui l'entouraient. Sur sa réponse négative, l'agent lui expliqua qu'un tiers au moins avait été une fois en prison (il les reconnaissait) et que beaucoup d'autres y avaient été deux fois et même plus ».

Plus loin, Barnardo informe ses lecteurs des conditions dans lesquelles lui et ses aides devaient travailler. Même en été « plus d'une centaine de personnes se pressaient dans une salle basse, étroite et mal aérée, contenant à peine quatre-vingt-six places ». En hiver, ils devaient souvent « fermer la porte » à cause du manque de place, laissant ainsi dehors autant de personnes qu'il en était entré et ceux qui étaient ainsi exclus trouvaient un abri et un bon accueil dans les cabarets et les tavernes du voisinage. Mais une autre catégorie de gens excitait la pitié de Barnardo. À côté de ceux qui demandaient en vain leur admission dans les « Ragged Schools », « il y avait un très grand nombre de personnes qui n'entraient jamais dans une école, une chapelle ou une église et qui, sans se soucier, le moins du monde, de leur vie spirituelle, passaient le dimanche dans les pires lieux de débauche ». C'est pour ceux-là, à l'écart de toute influence morale, que Barnardo entendit un appel spécial : « Ce sont ceux-là que je veux atteindre. Dieu me les a mis sur le coeur. Je suis ému de compassion pour ces pauvres âmes errantes, comme des brebis qui n'ont point de berger ! Mais que faire ? Comment les atteindre efficacement ? »

La solution qu'offrait ; Barnardo aux lecteurs du Revival était la suivante :
« Après avoir réfléchi et prié longuement, le plan suivant s'est imposé à mon esprit ; et je le crois, avec l'aide de Dieu et d'après mon expérience avec ces gens, parfaitement applicable. Il faudrait : se procurer un vaste bâtiment, pouvant contenir environ six cents personnes ; obtenir l'aide personnelle et volontaire d'une cinquantaine de frères et soeurs zélés des nombreuses Églises ou Chapelles Évangéliques des environs, puis commencer nos efforts par un grand thé, dont les invitations seraient distribuées uniquement parmi ceux que l'on veut atteindre. Par la suite, ouvrir cette salle le dimanche, à une heure fixe, pour les enfants, les jeunes gens et les jeunes filles de cette catégorie. Préparer six à huit grands calicots, les invitant à cette salle de réunion, portés dans les rues de la paroisse deux heures avant le service, par quelques jeunes de mon école qui chanteront des cantiques et rentreront à l'heure du service en ramenant la foule. Puis après les avoir fait entrer, et avoir cherché la sagesse auprès de Celui qui en est la source, nous placerons devant eux Christ et Son Amour infini, afin que par Sa Grâce, beaucoup soient amenés à Lui... Naturellement, nous tâcherons d'avoir pour ces services du dimanche, des prédicateurs différents ayant déjà l'expérience de ce genre de réunions et que cela intéresse ».

Ce fut la première suggestion imprimée du projet missionnaire de Barnardo. Mais d'où lui viendraient les finances nécessaires pour le réaliser ? Ce problème n'embarrassa pas le jeune Barnardo. Il n'était lui-même qu'un étudiant et bien peu de ces compagnons des « Ragged Schools » étaient plus fortunés que lui ; mais il avait foi en Dieu et des sympathisants lui avaient déjà promis 25 livres sterling. Avec assurance et confiance dans le résultat, il s'adressa aux « serviteurs de Dieu » qui liraient sa lettre, en leur demandant de lui avancer 200 livres sterling, pour commencer son oeuvre missionnaire : sa déclaration impliquait qu'ils auraient un peu plus tard, le privilège de donner bien davantage.

Lorsqu'on se rappelle que Barnardo était alors à Londres, depuis quinze mois seulement, et que, à part ses relations avec Lord Shaftesbury, il était totalement inconnu dans les quartiers riches, cet appel apparaît comme un magnifique exemple de foi ; cependant pour Barnardo c'était aussi naturel que respirer. Depuis sa conversion, il avait employé son temps, ses dons et ses moyens, comme des biens de Dieu, dont il était, temporairement, l'intendant. Le Revival circulait parmi des gens qui faisaient profession de christianisme. Pourquoi donc ne seraient-ils pas intéressés autant que lui-même, à voir se poursuivre ce projet missionnaire ? Eux aussi étaient des intendants de Dieu ! Et ceci, n'était-ce pas nettement l'oeuvre de Dieu ? Telle était la logique, de Barnardo ; il ne se dit jamais qu'il « mendiait » ; il ouvrait simplement un champ nouveau à l'action chrétienne.

Ainsi donc, après avoir fait ressortir la « nécessité immédiate » de l'oeuvre, et rappelé à ses lecteurs l'importance qu'il y avait à « commencer » avant l'hiver, il poursuit :
« Je supplie les frères et les soeurs que Dieu a comblés de biens terrestres, de considérer, dans la prière, la nécessité réelle qui m'a conduit à leur faire connaître cette oeuvre, toute à la gloire de Dieu.
Serons-nous arrêtés, dès le début, par le manque d'aide financière, parce que de nombreux enfants de Dieu, qui liront cet article et « ont de quoi épargner », refuseraient à des milliers d'âmes, qui ne sont ni en Afrique ni aux Indes, la Parole de Vie, et ces âmes de l' « East-End » périraient maintenant faute de connaissance ? »

Peu après la parution de cette lettre, Barnardo écrivit au Revival pour informer ses lecteurs de la proposition qu'on venait de lui faire : On lui avait offert « à l'improviste » des « locaux vastes et convenables pouvant contenir un millier de personnes ». Aussi attendait-il maintenant « un secours plus grand en argent et en personnes », pour commencer son oeuvre. Il demandait de nouveau « la contribution du peuple de Dieu » et il invitait « quarante ou cinquante frères et soeurs évangéliques de toutes dénominations, riches ou pauvres » à offrir « une aide personnelle et volontaire ». La conclusion de sa requête fait supposer que l'aide personnelle et l'argent n'arrivaient pas aussi vite qu'il l'avait espéré : « Que Dieu, lui-même, place sur le coeur de tous ceux qui lisent ce journal, le profond besoin spirituel de ces jeunes « malheureux » et de ces pauvres enfants de l' « East-End ».

À la suite de ce premier appel, il reçut 90 livres sterling ; et bien qu'il en eût demandé 200, Barnardo décida de commencer, comptant recevoir d'autres secours, à mesure que l'oeuvre avancerait.

Avant qu'une année se fût écoulée, il avait, reçu plus de 200 livres. Mais en attendant il se jetait à l'eau. Il retint les locaux qu'on lui offrait : « The Assembly Rooms », au-dessus du bar « King's Arms », situé au carrefour de Mile End Road et de Beaumont Square ; mais handicapé par le manque de fonds, il dut sérieusement diminuer son programme. Son appel concerna l'activité du dimanche et il demanda des ouvriers pour ce jour. Mais il est évident que s'il avait l'aide nécessaire, il projetait des efforts supplémentaires pour les soirs de semaine. Mais comme il ne reçut que la moitié seulement de la somme demandée, il décida, pour le moment, de se contenter du programme du dimanche.

Avant l'ouverture de la mission, Barnardo eut à faire face à l'incompréhension de certains de ses collègues. Dans sa lettre au Revival, il avait parlé de l'oeuvre de l'école d'Ernest Street ; or quelques-uns de ses collègues maintenaient que l'école devait avoir un contrôle sur la nouvelle entreprise, et devait recevoir une partie des fonds que l'appel de Barnardo avait apportés ; ils disaient que certains souscripteurs avaient envoyé de l'argent, en croyant que l'oeuvre missionnaire, serait placée sous la direction de l'école d'Ernest Street.

Il en résulta des frottements dont la conclusion fut la démission de Barnardo ; il renonçait à la direction de l'école. Il écrivit de nouveau au Revival : « Si quelque souscripteur s'est mépris sur le contenu de ma lettre et désire que son argent soit versé à l'ancienne école, qu'il veuille bien me communiquer son désir, afin que je puisse m'y conformer ». Cependant la lecture de la « Liste de souscription » et du « Bilan annexé » au premier Rapport annuel de Barnardo, nous apprend qu'une seule souscriptrice - « Madame H. G. G. » qui avait envoyé 5 livres sterling - demandait le transfert de son don. Elle désirait que la moitié de sa souscription fût versée à l'école d'Ernest Street, et que l'autre restât pour l'oeuvre spéciale de Barnardo. Tous les autres souscripteurs laissèrent à Barnardo la liberté d'agir selon ses directives spirituelles. Malgré cette incompréhension qui amena la démission de Barnardo de l'école d'Ernest Street, il n'y eut aucune inimitié entre ses anciens collègues et lui. Sa lettre de démission contient l'assurance de ses sentiments bienveillants envers l'ancienne école. « Cette institution, écrit-il, aura toujours ma plus chaude sympathie, mes plus ardentes prières et, Dieu voulant, mon aide autant qu'il me sera possible de le faire ».

Quand Barnardo retint les « Assembly Rooms », il savait qu'il se lançait dans une entreprise beaucoup plus aventureuse et difficile que celles qu'il avait dirigées jusque-là. Son travail de pionnier, à Dublin, avait été mené sur une petite échelle. L'école d'Ernest Street était pleine lorsqu'il y avait une centaine d'enfants ; quand à l'école du Donkey Shed, on peut juger de sa capacité par l'importance de son loyer : deux shillings par semaine. En réalité, comme expérience, l'école du Donkey Shed ne fut pas en elle-même un succès. Sa vie fut brève et il est probable qu'elle eût été rayée du récit de l'oeuvre de Barnardo si elle n'avait pas été l'instrument de la découverte de Jim Jarvis. Lorsqu'on jette un regard en arrière, elle apparaît uniquement comme un soubassement à une construction plus parfaite.

L'ouverture des « Assembly Rooms » que Barnardo considérait comme une grande entreprise missionnaire et la séance d'inauguration furent préparées avec le plus grand soin. Le 5 novembre 1867, l'entreprise était « lancée » par un grand thé gratuit offert à « plus de 2.347 jeunes gens et jeunes filles, hommes, femmes et enfants, dont les aînés étaient pour la plupart des voleurs et de pauvres filles perdues. Il fallut faire plusieurs services pour nourrir tous ces affamés, mais Barnardo était entouré d'une troupe de vaillants volontaires qui, unissant leurs efforts, offrirent à chacun « un goûter copieux ». Cependant cette fête fut préparée avec tant de soin et d'économie, qu'elle ne coûta pas plus de 27 livres sterling, 3 shillings et 11 pences, exactement 3 « pence » par personne. Cet exploit montre bien le génie de Barnardo. Tout le goûter avait été préparé dans les locaux, le travail était bénévole et les provisions de pain, de beurre, de confiture et de gâteaux, avaient été fournies, au prix coûtant, par des amis. Chaque « penny » avait rapporté le double de sa valeur.

Le fait d'avoir nourri toute cette multitude était un véritable succès ; mais on ne pouvait en dire autant du but profond de l'entreprise. Dans son Premier Jubilé, Barnardo n'essaye pas de montrer la situation en rose ». Tout bien considéré, il déclara ce goûter : « peu satisfaisant ». Jamais pareille cohue, disait-il, ne s'était vue à Stepney. « Le bruit et le tumulte étaient terribles » ; aussi n'eut-il pas le loisir de dire tout ce qu'il voulait ». Cependant, « il n'était pas découragé » ; « car après le départ du plus grand nombre, plusieurs des plus âgés restèrent, qui cherchaient le salut ».

Telle fut l'inauguration des « Assembly Rooms », Le dimanche suivant, l'oeuvre véritable de la Mission commença. Barnardo et ses collaborateurs défilèrent dans les rues, une heure avant la réunion. Ils chantaient des cantiques et promenaient des calicots, invitant les jeunes gens et les jeunes filles à se rendre à la Mission ; et, bien que cette méthode d'invitation eût ses inconvénients, comme le prouvèrent les projectiles lancés à la tête des missionnaires, elle remplit cependant son but. Dix minutes avant le retour de la procession, les « Assembly Rooms » étaient pleines ; et cette manière de faire fut continuée pendant six semaines. Il vint alors un nouveau propriétaire aux « King's Arms » qui, le dimanche suivant. lorsque Barnardo arriva pour préparer la procession, lui refusa l'accès de la salle. La Mission avait commencé à changer les habitudes de nombreux jeunes gens, qui avaient été jusque-là de fidèles habitués du bar de « King's Arms » ; aussi le propriétaire refusa-t-il absolument l'usage de la salle.

Cette nouvelle tomba comme une bombe sur les projets de Barnardo. S'il n'avait pas eu « l'assurance que Dieu l'avait conduit jusque là », il aurait cessé tout travail, car son chemin « semblait coupé ». Cependant les événements lui apparurent bientôt sous un autre jour. Une semaine plus tard, Barnardo tomba « gravement malade » et « pendant près de deux mois » il ne put « prendre part à aucun service ». Alors, regardant en arrière, il expliqua : « Si l'oeuvre n'avait pas été arrêtée ainsi, nous aurions dû, de toute façon, fermer les écoles, car, à cette époque, aucun de nos frères n'aurait accepté la direction... Plus tard encore, Barnardo se rendit mieux compte des conquêtes positives qui surgirent de cette défaite apparente. Le bouleversement de ses plans détruisit en lui tout vestige d'orgueil. Cet événement prouvait sa « faiblesse totale » et le rejeta complètement vers Dieu, par la foi. Mais c'était aussi la marque d'une bénédiction dans l'épreuve ; avec son faible capital et la lourde dépense nécessaire pour faire marcher une si vaste salle, il lui était impossible de développer l'oeuvre de semaine qu'il projetait et qui, plus tard, devait grandir d'étonnante façon.

Si, avec le recul, Barnardo put considérer la fermeture forcée des « Assembly Rooms », comme un bienfait providentiel, il ne douta jamais cependant, d'avoir été conduit par Dieu, à les ouvrir.

Le plus infatigable de tous ses collaborateurs et qui le seconda toute sa vie, se convertit et se donna au service de Christ, au cours de, cette mission ; tandis que le « grand thé » et les courageuses processions faisaient connaître le but de la Mission, dans des quartiers où, plus tard, elle prit racine et se développa.

L'entreprise des « Assembly Rooms », de même que l'école Donkey Shed n'a d'importance que par son association avec quelque chose de plus grand. Mais il est plus facile de reconnaître rétrospectivement la valeur dernière des événements, qu'au moment même où l'on subit une défaite apparente. Barnardo était donc très abattu. Il avait concentré tous ses efforts sur un plan magnifique qui s'était écroulé comme un château de cartes. Ses finances étaient également déplorables, et maintenant il devait recommencer à bâtir avec ses outils brisés. Ceci aurait suffi à ébranler la foi du serviteur le plus zélé. Mais voici qu'au moment même où il mûrissait des plans de reconstruction, une maladie grave l'arrêta.

Le recommencement fut donc, nécessairement, des plus modestes. Tandis que Barnardo était alité, un groupe de collaborateurs, à sa requête, et « pour ne pas cesser l'oeuvre complètement » loua une petite salle dans « une pauvre rue » ; et c'est là que commença son activité des soirs de semaine qu'il dirigeait de son lit. Cette salle était utilisée comme école gratuite, salle de lecture, réunion de couture, chaque soir pour une activité différente, « avec beaucoup de difficultés, mais aussi avec des résultats encourageants ».

Vers la fin du mois de janvier 1868, Barnardo était assez bien remis pour chercher, lui-même, un local plus important. Le grain de moutarde avait déjà des pousses qui demandaient plus de terrain, d'air et de soleil. Elles croissaient si rapidement que le 2 mars 1868, la Mission fut transférée dans des locaux plus vastes. On avait loué, à Hope Place, deux petites maisons de quatre pièces chacune, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles. C'est là que la Mission fut vraiment baptisée : « La Mission des Jeunes de l'East End », appellation que Barnardo préféra toujours. En fait son premier rapport imprimé, daté du 15 juillet 1868, est surtout une vue d'ensemble sur le travail des quatre premiers mois dans ces petites maisons. Et l'oeuvre s'était déjà tellement étendue que le rapport comprend cinquante-six pages in-octavo, pleines d'intérêt du début à la fin.

Une simple lecture du Rapport du Premier Jubilé fait connaître ce grain de moutarde, d'où sortit toute l'oeuvre de Barnardo. Pendant près de cinq mois les activités de la « Mission des Jeunes dans l'East End » comprirent des services religieux, au cours desquels Barnardo considéré comme le « Berger du troupeau », baptisa par immersion trente convertis, et une École du Dimanche dont la moyenne était de trois cents enfants. Les salles étaient toujours remplies ! Ces activités étaient le centre de l'oeuvre missionnaire, mais chaque jour de la semaine avait son programme. On organisa en plus de l'Eglise et de l'École du Dimanche, des réunions d'études bibliques séparées pour les enfants, les jeunes gens et les adultes ; mais ces réunions n'étaient pas mixtes. On créa aussi des réunions de prière le dimanche matin, et trois soirs par semaine, des écoles du soir, une bibliothèque, gratuite, un cercle de lecture, un bureau de placement, une brigade de cireurs, une réunion de couture et une brigade des tracts, sans compter les réunions supplémentaires pour des cas particuliers. Ainsi la nuit du Vendredi Saint, Barnardo et ses collègues, aidés par leurs jeunes convertis, tinrent une réunion de prière de dix heures du soir à cinq heures du matin, où, à part un moment de repos, on ne cessa d'assiéger « le Trône de la Grâce » pour exposer à Dieu les besoins de la Mission et lui demander l'accomplissement de Ses promesses.

Tel était le programme de la « Mission des Jeunes dans l'East-End » au cours du mois de juillet 1868. Il est vrai que cette mission était une « Ragged School, mais elle était plus que cela. Dès le début de son association avec le système des « Ragged Schools », Barnardo avait senti le besoin d'un programme plus vaste.

Nul n'appréciait autant que lui l'oeuvre accomplie par les « Ragged Schools », parmi les enfants délaissés. Cependant il critiquait leur travail qui rappelait trop celui d'une école et manquait de cet esprit d'aventure qui caractérise une Mission Chrétienne vivante. Il s'était souvent plaint de ce que les « Ragged Schools » n'étaient ouvertes que le dimanche et deux ou trois soirs par semaine, tandis qu'il rêvait, depuis longtemps d'une mission dont la porte serait toujours ouverte et qui aurait un programme pour chaque jour de la semaine. Et maintenant, après de nombreuses vicissitudes, son rêve prenait corps et commençait à vivre.

Toutes ces activités avaient commencé par les deux petites maisons de Hope Place. Mais déjà, Barnardo dirigeait une autre branche de l'oeuvre missionnaire, qui allait devenir très importante. Avec l'aide de quelques amis, il prit la responsabilité non seulement de l'éducation de Jim Jarvis, mais de plusieurs autres vagabonds, pour lesquels il avait trouvé des foyers chez d'humbles chrétiens.

Le jour allait bientôt se lever où la « famille Barnardo », qui s'accroissait d'une façon étonnante, devait trouver un asile sous le toit de la « Mission des Jeunes dans l'East-End ». La plupart de ces jeunes garçons avaient vécu si longtemps dans les rues, qu'ils se soumettaient avec peine aux contraintes de la vie de famille. Ils avaient besoin d'être disciplinés et d'apprendre un métier ; on comprit alors qu'il était nécessaire de les élever tous ensemble, sous un même toit, où les influences réunies de l'école, de l'atelier, du foyer et de la Mission les rendraient plus aptes à mener au milieu du monde, une vie d'honnête travailleur.

Mais l'histoire de l'édification des « Homes » de Barnardo ne doit pas nous retenir ici. Qu'il suffise de rappeler qu'ils faisaient partie de son grand rêve missionnaire. En 1868, le grain avait suffisamment germé pour qu'on puisse énoncer les caractéristiques de son oeuvre :

1° L'âme de toute l'organisation était une Mission chrétienne.
2° Cette Mission était primitivement destinée à travailler parmi les jeunes.
3° Elle était fondée nettement sur cet enseignement de Jésus : « Ce n'est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux, qu'un seul de ces petits périsse ».
4° La mission devait avoir des « Homes » pour les enfants indigents.
5° Ces « Homes » devaient être fondés sur ce principe : l'enfant le plus infortuné, quelque fût son ascendance et pourvu qu'il ne fût pas atteint de maladie mentale, pouvait être élevé de façon à honorer Dieu et son pays.

Tous ces points étaient en germe dans l'oeuvre de la « Mission des Jeunes dans l'East-End » en 1868 ; mais le développement extraordinaire de cette Mission pendant les quelques années qui suivirent, est sans précédent, dans l'histoire des oeuvres de la véritable charité.

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