Barnardo méditait sur cette
étonnante découverte et, de plus en
plus, l'appel de l'
« East-End » devenait
insistant, tandis que celui de la Chine devenait
moins pressant pour lui, Se pouvait-il que
« sa Chine » fût toute
proche ? Quand cette idée fit jour pour
la première fois, Barnardo pensa que
c'était une manoeuvre de Satan, qu'il
fallait exorciser tout de suite. Ne
s'était-il pas offert pour être
missionnaire en Chine ? Oserait-il
lâcher le manche de la charrue ? Mais
que cet appel fut la voix d'un démon ou d'un
ange, il ne pouvait la faire taire.
Lâcher le manche de la
charrue ? L'appel persista. Certainement Dieu
avait d'autres sillons à labourer, aussi
importants que ceux de la Chine. Le
véritable missionnaire ne doit-il pas se
contenter de servir, là où ses
talents porteront le plus de fruits ? Ne se
pouvait-il donc pas que sa main fut plus apte
à tenir la charrue dans l'
« East-End » qu'en
Chine ?
En attendant, il accomplit sans retard,
son plus pressant devoir. Après avoir
gardé Jim Jarvis, chez lui, pendant quelques
jours, il demanda l'aide de ses amis ; et l'on
trouva, pour Jim, un foyer et une humble famille
chrétienne où il fut reçu
comme pensionnaire. Il goûta là, pour
la première fois de sa vie, les
privilèges de la vie de famille. Il alla
aussi, régulièrement, à
l'école pour la première fois et il
se montra un élève studieux et intelligent. Mais,
après
quelques années d'école, la soif de
l'aventure naquit chez lui. Il avait beaucoup
entendu parler de l'attrait des immenses
étendues du Canada, et son ambition
était de posséder une ferme
canadienne. Si nous pouvons anticiper sur
l'histoire de Jim, nous dirons que son ambition fut
satisfaite ; car, quinze ans après
avoir quitté l'Angleterre, il était
devenu un riche fermier canadien, très
respecté dans son village.
Mais revenons à cette nuit
mémorable. On se souvient que Jim dit,
étourdiment : « Irons-nous
voir un autre
« plumard » ? et qu'il
ajouta : « Il y en a encore des
quantités » ; mais Barnardo
était trop navré pour en voir
davantage. Cependant, le premier choc passé,
il sentit qu'il était de son devoir,
d'examiner plus attentivement, le problème
auquel il s'attaquait. S'agissait-il de conditions
accidentelles ? Un tel spectacle pouvait-il se
voir tous les jours de la semaine ? Et si
c'était vrai, où trouver encore
d'autres « plumards » ?
Quelle était l'étendue de cette tribu
de jeunes garçons abandonnés ? Y
avait-il des petites filles dans les mêmes
conditions ? Et surtout, comment placer devant
la conscience des chrétiens la
responsabilité d'une situation si
honteuse ?
Avec l'aide de Jim, Barnardo poursuivit
ses recherches dans d'autres quartiers ; et il
n'est que trop vrai qu'ils en trouvèrent des
tas d'autres, beaucoup plus que Jim,
lui-même, ne pouvait en compter !
Barnardo était effrayé par la
gravité du problème qu'il
rencontrait. Que pouvait-il faire, lui
étudiant missionnaire, sans autres revenus
que la pension que lui donnait son père, et
un infime capital ? Il n'était pas dans
une situation qui lui permit d'offrir à ces
jeunes garçons, un foyer, un emploi, ou
même une amitié digne de ce nom. Il
pouvait cependant faire deux choses : D'abord,
par l'entreprise des « Ragged
Schools », il offrit à ces enfants
tout l'aide qu'il put. Ensuite - chose plus
importante - il parla à chacun de ses amis
chrétiens, de la honte d'un tel état
de fait.
À cette époque, on
organisa à l'Agricultural Hall, à
Londres, une grande réunion populaire,
présidée par le pasteur-docteur Thain
Davidson. Le but de cette réunion
était de ranimer l'intérêt pour
les missions lointaines. Barnardo, candidat
missionnaire pour la Chine, y fut invité, et
comme tel, dut prendre place sur l'estrade.
À l'heure annoncée, la salle
était comble ; mais le principal
orateur, très connu du public,
n'était pas arrivé. Un peu plus tard,
pendant le chant d'un cantique, parvint un message
disant que « l'orateur »
était malade et ne pourrait venir. Le
docteur Davidson fut consterné. Que
faire ? On ne pouvait renvoyer cette
assemblée sans lui donner un message et
à qui pourrait-il le demander il Soudain, il
eut une inspiration. Cet étudiant en
médecine, assis près de lui, ne lui
avait-il pas raconté une histoire
étonnante sur les vagabonds de l'
« East-End » ?
N'était-ce pas aussi un appel
missionnaire ? Et, ce jeune Irlandais, ne
parlerait-il pas avec un véritable
zèle missionnaire ? En cette terrible
extrémité, il s'adressa donc à
Barnardo.
Le jeune homme fut abasourdi.
Jusque-là, il ne s'était jamais
adressé à une assemblée,
même cinq fois moins nombreuse que celle-ci.
Cependant, tandis que le docteur Davidson le
présentait, il fit monter vers Dieu une
prière silencieuse et lutta
désespérément pour rassembler
ses idées. Un instant plus tard, il se
trouvait au centre de l'estrade ; tous les
regards étaient fixés sur lui. Sans
faire de réthorique, il raconta très
simplement l'histoire de Jim Jarvis et les
expériences de cette nuit mémorable.
Il parla aussi de ses récentes
découvertes, montrant ainsi l'importance du
problème, car certaines visites
postérieures lui avaient
révélé des
« plumards » encore plus
déplorables que le premier.
Pendant près d'une heure,
Barnardo exposa les faits. Il avait essayé
plusieurs fois de s'arrêter ; mais
l'auditoire le pressait de continuer et quand
finalement il s'assit, la salle croulait sous les
applaudissements. Il n'y avait
aucun doute, quand à l'effet de cet appel.
Il n'avait raconté que ce qu'il connaissait
par expérience et chacun de ses gestes,
chacune de ses paroles dénotait sa
sincérité. Son message
transperça l'âme de nombreuses
personnes et beaucoup s'en retournèrent
heureuses que l' « orateur »,
qu'elles étaient allées entendra ne
soit pas venu.
Parmi ceux que cet appel toucha le plus,
se trouvait une jeune servante, qui demanda,
après la réunion. si elle pourrait
parler à M. Barnardo. Elle raconta
timidement comment, pendant des semaines, elle
avait économisé tout son argent
« pour aider les missions
lointaines ». Mais après l'avoir
entendu, elle désirait donner ses
économies « pour secourir les
vagabonds des rues de Londres ». Puis,
avant que Barnardo pût prononcer une parole,
elle glissa dans sa main une petite bourse, en
disant : « Pour aider l'oeuvre
missionnaire, auprès de ces pauvres enfants
sans logis ». Puis elle disparut,
laissant Barnardo muet de surprise. Il ne lui avait
même pas demandé son nom. Cependant
l'incident était significatif :
c'était le premier don qu'il recevait d'un
étranger et il le considérait non
seulement comme une « souscription
publique », mais comme un appel à
un service plus grand. En arrivant chez lui, il
ouvrit le paquet ; il contenait vingt-sept
centimes.
Le lendemain, le discours de Barnardo
fut publié dans la presse. Il provoqua
aussitôt des mesures de censure, et tandis
que Barnardo, qui ne lisait aucun journal à
cette époque, ignorait tout des
comptes-rendus et des polémiques, son
discours devenait le sujet de chaudes
discussions.
Lord Shaftesbury était l'un de
ceux qui lurent, avec, le plus grand
intérêt, les comptes-rendus du
discours de Barnardo. Pendant vingt-trois ans, une
armée de volontaires, au service de l'Union
des « Ragged Schools », avait
travaillé parmi les enfants des classes
populaires, et au cours de ces années, Lord
Shaftesbury, avait
été non seulement leur
président, mais leur guide. Se pouvait-il
que toute une population de vagabonds, sans feu ni
lieu, ait ainsi glissé à travers
leurs filets ? Cela paraissait incroyable,
mais Lord Shaftesbury savait trop combien on peut
s'illusionner sur les questions sociales pour
dogmatiser ou condamner de parti pris. Il se
refusait à accuser ce jeune homme de
mensonge. N'avait-il pas été
lui-même, en mainte occasion, confondu par
des faits à peine croyables ? Et ce
jeune homme, n'était-il pas directeur de
l'une de ses « Ragged
Schools » ? Il était de son
devoir de s'assurer des faits et il prit ses
dispositions pour cela. Il inviterait ce jeune
enthousiaste à dîner, chez lui,
à Londres, avec quelques-uns de ses amis,
intéressés par les questions
sociales, parmi lesquels se trouvaient certains
membres de la presse.
Quelques jours après la
réunion de l'Agricultural Hall, Barnardo
était l'hôte de Shaftesbury. La
soirée se passa comme il avait
été prévu. Des journalistes et
des hommes à l'esprit large se
réunirent autour de la table du comte et
bientôt Barnardo fut le centre de la
conversation. Un torrent de questions lui fit
raconter les faits saillants de sa vie :
Où était-il né ? Quand
était-il arrivé à
Londres ? Comment avait-il été
conduit à étudier, pour ces missions
en Chine ? Pendant combien de temps avait-il
enseigné dans une « Ragged
School » ? Comment se faisait-il
qu'il ait parlé à cette
réunion de l'Agricultural Hall ? Est-ce
que les comptes rendus de son discours
étaient exagérés ? Ce
qu'il avait vu n'était-il pas
accidentel ? Un des invités lui demanda
même, si ces jeunes garçons n'avaient
pas voulu lui jouer un tour. Enfin, après
une longue conversation et de nombreuses questions,
quelqu'un lui demanda : « Si toutes
vos déclarations sont vraies, nous
conduirez-vous dans l'
« East-End », pour nous faire
voir les spectacles que vous avez
décrits ? Barnardo répondit
qu'il le ferait volontiers et lorsqu'ils le
désireraient.
Lord Shaftesbury saisit l'occasion.
« Il serait peut-être difficile de
nous réunir tous une autre fois »,
dit-il. Pourquoi n'irions-nous pas ce soir ?
Barnardo acquiesça. Alors, à
près de minuit, on fit venir des voitures et
bientôt cette étrange compagnie,
composée de quinze à vingt convives
de West-End, partit à la recherche des
vagabonds de l' « East-End ».
Les voitures roulaient, roulaient toujours.
Barnardo les avait dirigées sur
« Queen Shates », près
du marché aux poissons de Billingsgate,
quartier situé à l'Est du pont de
Londres, sur la rive gauche de la Tamise. Il
était alors une heure du matin et le froid
était vif. L'endroit, que Barnardo avait en
vue, était protégé de
l'âpre vent d'Est et, par une nuit comme
celle-là, c'était un coin très
sombre. Dans des conditions analogues, il avait
découvert là, une vingtaine de
gamins. Après avoir parcouru tout un
dédale de rues sales et étroites, les
voitures s'arrêtèrent sur l'ordre de
Barnardo et toute la compagnie descendit. Un vent
glacial les frappa au visage. « Il est
certain », s'écria l'un d'eux,
« que par une nuit pareille, aucun enfant
ne dort dehors ». Ses paroles exprimaient
la pensée de ses compagnons.
Laissant les voitures derrière
lui, tout le groupe suivit Barnardo dans des
chemins boueux jusqu'à une cour, d'où
émergeait des piles de caisses, de barils et
de corbeilles. Barnardo assura ses compagnons
qu'ils allaient trouver des enfants endormis
derrière ces piles, à moins qu'ils
n'échappassent inaperçus. Les
recherches commencèrent donc. Ils
frottèrent des allumettes,
retournèrent les caisses et les barils,
soulevèrent les brouettes et les corbeilles,
mais ils ne trouvèrent aucun garçon.
Des murmures s'élevèrent. Pendant ce
temps, Barnardo examinait, au centre de la cour,
une grande pile recouverte de bâches,
retenues au sol par des pieux. Barnardo
étendit son bras plusieurs fois pour
tâter. Mais en vain ! Se pouvait-il
qu'en cette nuit, parmi tant d'autres, il fut
tombé sur un dortoir vide.
Mais il chassa promptement cette idée ;
il était sûr que des enfants
dormaient-là, et il devait les
trouver.
Alors, frottant une autre allumette, il
découvrit un endroit où deux
bâches chevauchaient et avançant la
main, se mit à tâter avec
précaution, mais en vain. Il alla du
côté opposé et refit de
même. Il sentit bientôt, sous sa main,
le pied d'un garçon endormi.
« Doucement, mais avec
fermeté », dit-il, « je
tirai de toutes mes forces sur ma prise et je
ramenai un pauvre garçon, en guenilles,
à demi-mort de faim ! ».
S'écroulant aux pieds de Barnardo, les yeux
encore gonflés de sommeil, le jeune
garçon se crût saisi par la police et
commença immédiatement
« à pleurnicher des
excuses ». Mais son visage
s'éclaira, dès qu'il fut
assuré qu'il se trouvait parmi des
amis ; et il réalisa promptement
« qu'il pourrait y avoir quelque chose de
bon pour lui » malgré ce brusque
réveil. Quand on lui demanda
« Es-tu le seul à dormir
ici ? ». Il répondit :
« Oh non, mon prince, il y a un tas de
gosses là-dessous ».
Tout le groupe entoura aussitôt le
vagabond. « Si nous te donnons
« six pence » essaieras-tu d'en
faire sortir d'autres ? » Sa
réponse fut enthousiaste.
« Naturellement, je pense
bien ! » Et aussitôt, il
grimpa sur le sommet aplati de la bâche et se
mit à exécuter une sorte de danse
sauvage. Tout le groupe le regardait faire avec
étonnement, sans comprendre le pourquoi de
cette gigue ; mais quand l'un d'eux
s'écria : « Pourquoi
danses-tu ainsi ? » il
répondit : « C'est la danse
sur le toit ! Ceci va les
réveiller ! »
Les spectateurs regardèrent plus
attentivement : la surface de la bâche
commençait à s'agiter ; le jeune
garçon sautait carrément sur le corps
de ses compagnons endormis. Shaftesbury le supplia
aussitôt de descendre. Cependant, son
procédé était
ingénieux, car avant qu'il eût atteint
le sol, cinq ou six de ses compagnons avaient
passé leur tête hors de la
bâche, pour voir si la
route était libre. Mais à
moitié endormis encore, la plupart furent
pris.
Le problème était
maintenant de faire sortir les garçons
restés sous la bâche ; mais cette
difficulté fut résolue par l'un des
captifs. « Promettez-leur de donner
quelque chose à chacun, et ils
sortiront ! » En conséquence,
Shaftesbury offrit un « penny »
et un repas à chacun des garçons qui
sortirait et cela eut un effet magique ; car
une fuite précipitée s'ensuivit.
« Les bâches fortement tendues sur
un si vaste espace », raconte Barnardo,
« commencèrent à
s'affaisser par l'absence de l'étai humain
qui les soutenait, et nous eûmes
bientôt devant nous, sur un seul rang, une
étrange armée d'enfants
abandonnés - preuve terrible de la
nécessité, d'une oeuvre, telle que je
l'avais commencée, comme le fit remarquer
Lord Shaftesbury. »
Quand tous ces vagabonds furent
alignés, nous en comptâmes
soixante-treize, entre sept et dix-sept ans.
Quelques rares avaient un chapeau et des
chaussures, mais ils étaient tous
vêtus d'affreux haillons. Cependant ils
formaient le régiment type de l'armée
des garçons abandonnés, qui vivent
dans les rues de Londres.
Barnardo connaissait, près de
là, un café ouvert toute la nuit -
« Chez Dick Fisher ». Aussi les
conduisit-il vers la fête promise. Les
gamins, pendant le trajet, poussaient des cris de
joie. Le froid, la faim, la nudité
n'étaient plus rien pour eux. N'allaient-ils
pas partager un bon repas ? Ces
« Messieurs » ne leur
avaient-ils pas promis un penny à
chacun ? En arrivant dans le café de
Dick Fisher, cette étrange compagnie remplit
la salle. Ils mangèrent tous à
satiété. Au début, le
propriétaire était ennuyé de
voir son café assiégé par ces
garnements, mais lorsqu'il s'aperçut que
Lord Shaftesbury était leur hôte, il
« se mit en quatre » pour que
tout fût très bien. Plus d'une fois,
il envoya chercher des provisions
à une boutique ouverte la nuit et quand il
eut fini, chaque vagabond croyait avoir
partagé un festin de Noël ; car le
café, les saucisses et les tartines de
beurre auraient pu nourrir deux fois plus
d'hommes.
Le « banquet »
terminé, Shaftesbury paya Dick Fisher de sa
peine et fit changer un demi
« souverain » en
« pennies ». Puis, les
garçons défilèrent un à
un devant « le bon comte » et
reçurent la pièce promise. Quand le
dernier eut empoché son
« penny », ils se mirent
à pousser des cris de joie. Ensuite, Lord
Shaftesbury et Barnardo leur adressèrent
quelques paroles et leur promirent d'autres secours
sans tarder.
Les jeunes garçons rejoignent
leur gîte.
Il était alors trois heures du
matin et Barnardo étant près de son
appartement, ne se joignit pas aux autres qui
retournaient vers l'Ouest. Mais avant le
départ des voitures, Shaftesbury le prit
à part et lui parla comme un père.
Puis, posant sa main sur l'épaule du jeune
homme, cet homme d'expérience s'excusa
d'avoir douté, lui et ses invités, de
ses déclarations. Mais maintenant, la
vérité était établie et
si triste que pût être pour lui cette
révélation, il était heureux
que les faits fussent connus. « C'est
seulement par l'opinion publique »,
dit-il, « que nous pourrons guérir
ce mal affreux... J'agirai de telle manière,
que tout Londres connaîtra ce que nous avons
vu cette nuit ».
Puis il ajouta avec
émotion : « Je remercie Dieu
pour l'oeuvre que vous faites. Il faut arracher ces
enfants à leur terrible sort ! ... Vous
avez l'intention d'être missionnaire en
Chine. C'est une noble ambition. Dieu a besoin de
nombreux ouvriers en Chine. Mais, priez avec
ferveur, au sujet des événements de
cette nuit. Il se pourrait que Dieu vous
appelât à être missionnaire au
milieu des enfants abandonnés de cette
métropole ! ».
Ceci dit, Shaftesbury saisit la main de
Barnardo et l'étreignant
avec force, il ajouta : « Que Dieu
vous bénisse et vous
conduise ! » Puis il fit demi-tour
et rejoignit ses invités. Quelques instants
plus tard, les voitures roulaient rapidement vers
l'Ouest.
On ne peut estimer l'importance de cette
nuit-là. Si Jim Jarvis était
l'envoyé d'un monde inférieur, en
révélant à Barnardo le but de
sa vie, Lord Shaftesbury fut l'envoyé de
Dieu, qui lui inspira l'idée d'entreprendre
une grande oeuvre en devenant le missionnaire des
taudis.
Barnardo méditait sur les
événements de la nuit, et il lui
semblait que Dieu faisait la pleine lumière
en lui. En acceptant le défi des
invités de Shaftesbury, il était
certain de trouver vingt ou trente enfants
abandonnés. Ils en découvrirent
soixante-treize. C'était la plus nombreuse
troupe d'enfants abandonnés et la plus
pitoyable que Barnardo eut jamais vue. Longtemps
après, il s'écriait :
« Je prie Dieu de m'épargner de
revoir un pareil spectacle ! » Et il
est probable qu'il ne le revit jamais. Ainsi, il
n'avait pas seulement désarmé ses
critiques, mais aussi révélé
une situation plus lamentable encore que celle
qu'il avait décrite.
Il y avait plus encore : Lord
Shaftesbury, qui avait un don particulier de juger
les hommes, lui avait conseillé de
considérer, dans la prière, l'appel
de Dieu pour l' « East-End ».
Pouvait-il rejeter ce conseil à la
légère ? Lord Shaftesbury
n'était-il pas le président de la
Société Biblique Britannique et
Étrangère ? N'était-il
pas, aussi, un homme éminent,
siégeant dans les plus grandes
sociétés missionnaires
britanniques ? Et pourtant ce chrétien
plein d'enthousiasme pour les missions avait
suggéré à Barnardo, que ses
talents particuliers étaient peut-être
faits pour un travail missionnaire à Londres
plutôt qu'en Chine. Le maître des
« Ragged Schools »
médita et pria longuement ; et peu
à peu, il lui sembla entendre, à
travers la suggestion de Shaftesbury, la voix
même de Dieu.
Plus tard, au cours du premier
jubilé de la mission parmi les jeunes de
l'East-End, Barnardo parlait encore, lui, comme un
candidat missionnaire pour la Chine, s'il
s'était trouvé quelqu'un qui
voulût diriger sa mission à Londres.
Mais aucun de ses collaborateurs n'avait eu sa
vision ; et aucun ne se sentait capable de
« porter son fardeau ».
Barnardo resta donc à Londres, mais il eut
cependant la joie, avant sa mort, de bénir
dix-sept de ses enfants qui partaient pour
être missionnaires en terre païenne,
à sa place.
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