Si jamais quelqu'un eut des origines
mélangées, ce fut bien le Dr
Barnardo ; le sang de sept nations et
peut-être plus, coulait dans ses veines.
Parlant lui-même de ses ancêtres, il
disait « Il y avait un peu de
tout ».
On trouve les premiers
représentants de la famille Barnardo
à Alexandrie, au XVe siècle. De
là elle s'enfuit en Espagne, chassée
par la persécution des Turcs, et elle change
de nom, abandonnant la désinence
hébraïque pour l'Espagnole. Pendant un
siècle de vie en Espagne, les Barnardo
reçoivent du sang maure. Ils sont de nouveau
chassés par la persécution.
Devenus suspects au Tribunal de
l'Inquisition, ils réalisent leur fortune et
se cachent en Italie. Là, une branche de la
famille s'anoblit, comme en témoigne encore
aujourd'hui le Palazza Barnardo sur le grand canal
à Venise. Mais les aïeux de Barnardo
n'étaient pas destinés à
rester toujours Italiens : les agitations
politiques et le goût du commerce les firent
émigrer à Hambourg où ils
devinrent banquiers internationaux : ils
financèrent à la fois Napoléon
et la Compagnie de la baie d'Hudson au Canada.
C'est à Hambourg que naquit en 1800 John
Michaelis Barnardo, le père du docteur.
Jeune encore, il s'établit à Dublin
où il créa un centre d'affaires
prospère, et épousa Mary Drinkwater,
fille de quakers anglais, qui habitaient l'Irlande depuis
longtemps
déjà. Le 4 juillet 1845 naissait
à Dublin Thomas John Barnardo, leur
neuvième enfant. Il vint sous de sombres
augures. Le jour de la naissance de Tom fut aussi
celui de la banqueroute des Chemins de fer de
Wicklow Wesford qui fit perdre à son
père des milliers de livres. On était
aussi inquiet pour l'enfant, né
délicat, et pour la mère. Celle-ci se
remit rapidement mais Tom resta longtemps un enfant
fragile.
À deux ans, gravement malade,
après avoir été des semaines
entre la vie et la mort, son décès
fut constaté par deux
médecins.
Le cercueil était
déjà dans la maison, et
l'employé des pompes funèbres
habillait le corps pour le mettre en bière
lorsque, à sa grande stupéfaction, il
sentit battre le coeur. Le « cadavre
était vivant » ! On prit
toutes les mesures pour ranimer Tom Barnardo, qui
devint par la suite un robuste garçon
(1).
Pourtant rien ne faisait prévoir
que cet enfant ait été arraché
à la mort pour une destinée
particulière voulue de Dieu : Tom
n'était ni un ange, ni un saint. Les
récits de la famille donnent exactement
l'impression contraire : Coléreux,
entêté, très autoritaire, il ne
ressemblait pas à son frère Harris,
plus jeune que lui et dont les cheveux
frisés, les traits fins et la voix quasi
céleste contrastaient avec les cheveux
raides, les traits communs et la grosse voix
beaucoup mieux faite pour hurler que pour chanter,
de Tom. Cette dissemblance fut la cause de bien des
orages à la nursery. On amenait souvent
Harris au salon pour faire entendre sa jolie voix
aux invités qui le
régalaient de chocolat ; pendant ce
temps Tom, laissé seul à la nursery,
criait et trépignait de
colère.
Un jour qu'Harris revenait, finissant de
manger son dernier bonbon, la fureur de Tom
éclata sans retenue ; se
précipitant sur lui avant qu'on ait pu
intervenir, il le frappa en plein visage, en
criant : « Attrape ça,
ça t'apprendra à aller faire le joli
coeur au salon ! ». Puis, poussant
son frère qui tombait dans un coin, il lui
décocha un autre coup en criant :
« Et celui-là, vieux cochon, pour
avoir mangé tous les chocolats à toi
tout seul ! ».
L'école ne fit pas plus de Tom un
saint que la nursery. Les témoins de son
enfance nous racontent qu'il était une
épreuve pour les maîtres ; et
c'est à lui surtout que sa division
dût de recevoir le nom de :
« Rang des bavards ».
Son père, le Dr
Frédéric Barnardo, a, laissé
de lui un portrait où nous lisons
ceci : « Ce ne fut jamais ce qu'on
appelle un bon élève. Il était
étourdi, peu soigneux, toujours prêt
à s'amuser et à mal faire. N'allez
pas vous imaginer qu'il était né
sanctifié et qu'il le restait. Au contraire,
il donnait beaucoup de peine à la maison,
car il avait une volonté très forte
et très têtue... Dans sa
première école, il ne donna que du
souci et plus tard, à celle du Rever. J.
Dundas, ce ne fut pas mieux ».
Par d'autres membres de sa famille, nous
savons que Tom n'aimait aucun sport, sauf la
natation où il excellait ; il n'avait
pas 20 ans lorsqu'il sauva un jour deux hommes qui
se noyaient. Mais, tout enfant, son plaisir favori
était de lire des contes, et sa femme
raconte que toute sa vie il regretta de ne pouvoir
disposer du temps nécessaire à
écrire un livre de contes de fées.
Pendant ses années d'écolier,
Barnardo montra un goût très vif pour
la lecture qui le mena rapidement plus loin que les
contes. Il se plongeait dans le premier livre qui
lui tombait sous la main et tous le captivaient, sauf
bien entendu, les
livres de
classe. Mais tous n'étaient pas de son
âge ; à 14 ans, il
déclarait que ses auteurs favoris
étaient Rousseau, Voltaire et Paine, et
prenait, avec suffisance, une attitude sceptique en
face des doctrines chrétiennes en se
proclamant agnostique.
Mais nous anticipons. Les impressions
les plus nettes de Barnardo écolier,
étaient son aversion pour les cours, son
dégoût pour la routine scolaire et son
sentiment que la personnalité, à
l'école, était plus souvent
étouffée que
développée. Espiègle,
incorrigible, bavard, passionné de lecture,
il méprisait les examens.
Cela lui venait sans doute de son
admiration pour Rousseau. Quoiqu'il en soit, il
quitte l'école à 16 ans, sans savoir
grand chose, bien qu'on le reconnut non
dépourvu de moyens, s'il voulait seulement
s'appliquer au travail.
Il faut cependant souligner une autre
impression laissée par ces années
d'école. Plus tard, devenu un
éducateur d'expérience, il rappelait
ses souvenirs et racontait qu'il avait subit en
classe la tyrannie d'un des hommes les plus brutaux
qu'il ait connu, « le plus faux et le
plus cruel que j'ai rencontré dans toute ma
vie ».
Évoquant le souvenir de certaines
des petites victimes que ce maître
tyrannisait de façon monstrueuse, il
ajoutait : « Si j'avais
été l'une d'elles, je n'aurais jamais
pu supporter de retourner à l'école
pour y subir les tortures qu'il était
capable d'infliger ». Cette
brutalité laissa de profondes traces dans
son esprit : « Une telle aversion et
un tel dégoût... étaient
nés dans mon coeur que j'allais à
l'extrême opposé dans ma haine pour
tout ce qui avait la moindre apparence de
dureté ».
Quelle était pendant ce temps la
vie spirituelle du jeune Barnardo ?
Baptisé tout enfant à l'Eglise
Saint-André, de Dublin, où son
père avait une charge, et dont sa
mère faisait partie, il suivit
l'École du Dimanche de
cette Église et fut confirmé à
15 ans par l'archevêque de Dublin. Ses
premières impressions religieuses furent
donc reçues dans l'Eglise d'Irlande,
à ce moment très semblable à
l'Église d'Angleterre. Mais il est certain
qu'elles ne laissèrent en lui aucune trace
durable. S'il garda toujours pour sa pieuse
mère, aux traditions de quakers, un
sentiment de profond respect, sa confirmation ne
fut pour lui qu'une cérémonie sans
signification. Il accepta de s'y soumettre sous
l'influence des siens, mais sans conviction intime,
car à cette époque, il était
beaucoup plus attiré par les théories
agnostiques que par le Christianisme. Pendant les
deux années qui suivirent, il conserva son
admiration pour Voltaire, Rousseau et Paine, qui ne
développèrent en lui que des
sentiments de scepticisme et d'orgueil à
l'égard des forces de
régénération spirituelle. Mais
tout devait bientôt changer. Grâce aux
influences de son père, Barnardo, à
la sortie de l'école, entra dans les
affaires où il mit en oeuvre ses
capacités et son esprit méthodique.
Mais il n'y mettait pas son coeur. La lecture
était restée sa distraction favorite
et il se passionnait toujours pour les arguments
des agnostiques ; accablant la Bible et les
chrétiens de ses railleries.
À cette époque, l'Irlande
était soulevée par un Réveil
religieux, par lequel des milliers d'hommes
naquirent à la vie d'En-Haut, prêts
à s'enrôler au service de Dieu. Ce
Réveil commença en 1859, au nord de
l'Irlande, et l'année suivante il atteignit
Belfast où son influence fut profonde. Une
vague de l'Esprit passa sur Dublin. Le
Métropolitain Hall, autrefois un cirque,
était le lieu des réunions
principales, mais d'autres se tenaient dans les
faubourgs. Plusieurs membres de la famille
Barnardo, notamment deux frères
aînés de Tom, acceptèrent au
cours de ces réunions, de devenir disciples
de Jésus-Christ. L'un devint docteur,
l'autre fonctionnaire civil aux Indes. Ils
racontèrent à Tom la joie qu'ils
venaient de trouver, l'invitèrent à
se donner à Jésus. Mais il continuait à se moquer.
Pourtant, à la fin, il accepta de suivre les
réunions et d'en juger par lui-même.
Il fut alors témoin de manifestations
frappantes de la Puissance de l'Esprit. Mais ses
maîtres lui avaient inculqué les
arguments subtils qui permettent de nier
l'expérience religieuse.
N'y avait-il pas là simplement
une émotion collective de nature
hystérique ? Les résultats du
réveil étaient des
phénomènes psychologiques sans
lendemain. Voyez ceux qu'on vient de proclamer
« saints » et qui si rapidement
retombent dans leurs premiers péchés.
Mais, malgré ses moqueries, le jeune homme
réfléchissait, et, à son grand
regret, ses explications ne le satisfaisaient plus.
Aussi, accepte-t-il d'accompagner ses frères
à quelques réunions qui se tenaient
chez des particuliers. À l'une de ces
réunions, chez William Fry, « on
le pressa d'abandonner sa vie à
Christ », mais en pure perte,
semblait-il. Il restait sceptique. Dans une lettre
écrite plusieurs années après
à M. Fry, le jeune homme explique son
attitude d'alors : « Je n'avais pas
la moindre envie d'aller à cette
réunion, mais j'y allai néanmoins, et
au cours de celle-ci, Rocheford Hunt prit la parole
ainsi que vous. Je me conduisis très
mal ; j'étais aussi vaniteux qu'un
jeune garçon peut l'être, il me
semblait que vous me regardiez en pensant :
« Si je pouvais avoir un entretien
pendant cinq minutes avec ce jeune homme, je
saurais bien rabattre son orgueil jusqu'à
terre ». Et pourtant vos paroles
étaient pleines de bienveillance et de
douceur et pas du tout en rapport avec ce que
semblait dire votre regard. Ce fut le
début ».
Le souvenir de Barnardo est très
net. Cette réunion chez William Fry fut le
début. À dater de ce jour, un
sentiment de doute l'envahit, et il se sentit
contraint de mettre à l'épreuve sa
foi d'agnostique. Son attitude de
supériorité n'était-elle pas
un masque. Ceux dont il se moquait n'avaient-ils
pas raison ? Il suivait maintenant
régulièrement les réunions et
comprenait peu à peu qu'il
y avait dans le Réveil plus de
vérité qu'il ne voulait bien le
croire.
Quelques semaines après
l'expérience faite chez M. Fry, il entendit
un appel pressant de John Hambleton, l'ancien
tragédien. Son erreur lui apparut
clairement. Il reconnut alors qu'il s'était
trompé, et comprit qu'il n'aurait pas la
paix tant qu'il n'aurait pas trouvé Dieu.
Mais avant l'aube, une autre aurore se leva. Un des
frères de Barnardo faisant allusion à
l'appel de Hambleton dit : « Ce fut
le moment critique ». Puis il raconte
comment Tom entra dans la chambre de ses deux
frères aînés, bien après
minuit, « l'âme en grande
détresse », et il continue :
« que de larmes, il versa... ; aussi
les trois frères s'agenouillèrent-ils
ensemble pour implorer Dieu... Il les entendit dans
Sa grâce et la lumière, la paix et la
joie remplirent aussitôt son mur. Nous nous
relevâmes tous trois avec joie, et nous
rendîmes grâce à
Dieu ».
C'est ainsi que Thomas John Barnardo
reçut la lumière de Dieu, le 26 mai
1862, cinq semaines avant son dix-septième
anniversaire. Cette date marqua pour Barnardo une
nouvelle naissance. De ce moment-là, il
devint chrétien jusqu'au fond du coeur, tout
comme Wesley, Wilberforce ou Shaftesbury.
On peut à peine imaginer un
changement d'attitude plus complet que celui de
Barnardo. Paine, Rousseau et Voltaire
étaient maintenant abandonnés.
Désormais, la Bible était pour lui le
Livre des livres. Le railleur était devenu
un évangéliste ! Et c'est
à cette nouvelle tâche qu'il consacra
toutes les forces de son être. Il
s'enrôla aussitôt comme moniteur dans
une « Ragged School », à
Dublin, activité qui le plongea au milieu
d'un quartier très misérable. Cela ne
refroidit pas son zèle ; mais au
contraire, stimula son énergie. Il avait
à peine commencé à collaborer
à cette « Ragged
Scholl », qu'il se sentit poussé
à visiter les foyers de ses
élèves, et fut indigné de ce
qu'il vit : « Si j'avais un chien,
dit-il, je ne
voudrais
pas le loger là où j'ai trouvé
ces âmes immortelles destinées
à partager la Gloire de
l'Éternité ! ».
Cependant, même après sa
conversion, Barnardo avait des hauts et des bas. En
fait, il manquait un peu de la
sérénité proverbiale des
saints. Au cours d'une de ces visites, faites en
compagnie de M. Owens, un moniteur de la
« Ragged School », il demanda
à son ami pourquoi il avait toujours une
canne à la main ? « Oh !
c'est une habitude, répondit Owens ;
j'aime avoir une canne, ou un parapluie à la
main ». « Moi aussi,
répondit Barnardo, mais j'ai dû
l'abandonner, parce qu'un jour, à mes
débuts ici, les garçons m'ennuyaient
tellement... que je perdis patience et eus toutes
les peines du monde à ne pas les frapper
avec ma canne. Si je l'avais fait, j'aurais
compromis mon oeuvre pour le Seigneur. Aussi, par
la suite, l'ai-je laissée chez
moi ».
Owens a laissé un court
récit où il parle de ces visites. Il
raconte, en évoquant le souvenir d'une
série de visites à Marrowbone Lane,
ruelle tortueuse du quartier des
« Liberties », les taudis les
plus affreux de Dublin : « Nous
allions de maison en maison, et de chambre en
chambre ; et lorsque nous étions
reçus, nous parlions, nous lisions et
priions avec chaque famille, puis nous laissions un
tract. À l'extrémité de la
ruelle se trouvait un hospice pour les veuves.
Barnardo aimait beaucoup y aller. Il apportait
souvent du thé aux vieilles dames, aidait
celles qui se trouvaient malades ou sans
ressources. Nous savons, par Owens encore, que
Barnardo, avant de partir pour ces visites, priait
ardemment, « non seulement pour ceux que
nous allions visiter, mais afin que la sagesse et
la grâce fussent sur
nous ».
L'influence de ce Réveil dans les
plus affreux quartiers de Dublin, ne fut pas
négligeable ; en augmentant le travail
des « Ragged Schools » et d'autres
missions, il suscita toute une
armée de travailleurs dévoués
pour la lutte contre le taudis. Douze ans
après sa conversion, Barnardo
écrivait en visitant les pires quartiers de
sa ville natale : « Peu de villes au
monde peuvent se comparer à Dublin, pour sa
fidélité incomparable, son
réel dévouement au Christ et son
effort sérieux de conquête et d'amour,
quand on considère son étendue et le
petit nombre de ses Protestants ». Mais
il déclare que la situation est loin
d'être encore favorable :
« L'abus du whisky, ajouté aux
mauvais penchants de ceux qui demeurent dans ces
misérables logis, les ont corrompus au
dernier degré ». Alors se montre
le Barnardo de l'âge mûr.
L'activité des « Ragged
Schools », si intense fût-elle, ne
suffisait pas à remplir le zèle de
Barnardo. Il ouvrit en même temps une classe
biblique pour les enfants riches. Ce réveil
lui avait appris qu'ils étaient souvent
aussi ignorants de la Bible que les enfants des
taudis. Aujourd'hui, de ses six
élèves, l'un est devenu un avocat
chrétien éminent, un autre est
fonctionnaire civil aux Indes, un troisième
est pasteur de l'Eglise, anglicane ; et plus
d'une fois il s'est écrié, en
montrant une Bible dédicacée :
« Si ce n'était pas l'influence du
docteur Barnardo, mon vieux maître
d'école biblique qui me fit don de cette
Sainte Bible, je ne serais pas dans cette chaire
aujourd'hui ! ».
Mais la conversion de Barnardo le poussa
à de plus vastes tâches que
d'enseigner et de visiter les pauvres. Il se sentit
bientôt appelé à leur
prêcher l'Évangile. Aussi, sans
abandonner aucune de ses activités de la
« Ragged School », et tout en
continuant sa classe biblique, ses deux
frères et lui louèrent deux
pièces dans le quartier des
« Liberties » et
tinrent-là des cultes
évangéliques. C'était un
travail difficile. Voici l'étrange
description que fait Barnardo de ce quartier :
« Il y a là quelques
protestants : mais la majorité de la
population est profondément enfoncée
dans la superstition, l'ignorance
et le whisky ». Cependant, malgré
les difficultés et l'opposition de certains,
les frères Barnardo continuèrent
pendant des mois ces services religieux ; et
il est certain que leur travail porta des
fruits.
À partir de ce moment-là,
Barnardo consacra tout son temps libre à
l'étude de la Bible et à la pratique
de la vie chrétienne. Le dimanche, il
prenait part à quatre ou cinq services
religieux ; cinq soirs par semaine, il
était pris par des activités
chrétiennes ; et la nuit
« avancée » se passait
en étude et en méditation.
L'activité chrétienne n'était
pas seulement une détente pour lui,
c'était sa vie. Il accumulait service sur
service, avec un zèle infatigable. Il devint
membre de l'U. C. J. G., et un membre actif
responsable ; il se joignit au Groupe de la
« Swift Alley Mission » pour
l'aider ; il entra dans la communauté
des « Frères Larges » et
les aida dans certaines de leurs missions. Et
lorsque des services religieux furent
établis à « Mersion
Hall » par la libéralité de
William Fry, il fut encore un ardent
collaborateur.
Barnardo n'avait pas vingt ans lorsqu'il
devint ouvertement un « Frère
Large ». Un catalogue de sa
bibliothèque à cette époque,
nous montre qu'elle ne contenait que des livres sur
la doctrine des
« Frères » et la Bible.
Aussi est-il curieux de l'entendre déclarer
vers le milieu de sa vie : « Le
Darbysme est comme une rue très
agréable lorsqu'on y passe, mais
détestable lorsqu'on y
habite ! ».
Un aspect particulier du
développement spirituel de Barnardo est
à souligner. Peu de temps après sa
conversion, en lisant l'Écriture, il fut
troublé par la question du Baptême des
croyants. Et plus il méditait
là-dessus, plus il était convaincu
qu'il était de son devoir, de montrer au
monde, à travers ce sacrement solennel, la
mort de son corps de péché et sa
résurrection, par la foi, à une vie
nouvelle en Christ. En conséquence,
malgré le baptême de son enfance, il
décida alors d'être rebaptisé,
par immersion.
Un vieux « journal »
personnel, écrit chaque jour par Barnardo,
reflète comme dans un miroir, l'état
de son âme à cette époque.
Trois jours avant son Baptême, le 16 octobre
1862, on lit cinq déclarations qui toutes
révèlent un état d'extase. En
se levant, il écrivit : « Je
te loue, ô Père Tout-Puissant pour tes
grâces de la nuit passée... Rends-moi
toujours plus reconnaissant envers Toi pour la
bonté et les soins incessants dont tu
entoures ton serviteur ».
Un texte biblique, choisi comme mot
d'ordre pour la journée est celui-ci :
« Heureux est celui qui considère
le pauvre ». À onze heures :
il parle de son calme sacré et il ajoute
qu'en s'éveillant, il avait demandé
au Seigneur, la grâce « de sentir
Sa présence » ; puis il
poursuit : « Jusqu'à cette
heure il m'a répondu abondamment... Qu'Il
m'accorde en ce jour, de témoigner de ma foi
au Christ, soit que je parle, soit que j'agisse, et
que ton humble serviteur, soit une lettre vivante
que tous les hommes puissent lire et
connaître pour Ta gloire ». Six
heures : « En rentrant à la
maison après mon travail, je ne pouvais
m'empêcher de me sentir profondément
reconnaissant envers toi, ô mon Père,
de m'avoir tellement soutenu par Ta grâce
tout au long de ce jour ».
À huit heures, le journal raconte
qu'il assista, avec ses deux frères,
à une réunion de prière, dans
une chapelle baptiste et son âme en fut
abondamment fortifiée. À l'issue de
la réunion, il informa le pasteur,
« ce cher M. Giles », de sa
détermination de recevoir le baptême
le dimanche suivant. De retour à la maison,
nous le trouvons en train de lire et de discuter,
avec ses deux frères, plusieurs chapitres de
l'Évangile de Jean. « En
vérité, il n'est rien de plus
réconfortant et de plus rafraîchissant
pour l'âme, que la lecture de La Parole
après la prière. Béni soit
Dieu d'avoir placé de tels moyens à
notre disposition ! ». Le dernier
passage qu'il écrivit de la journée,
à minuit et demi : « Je me
mis enfin au lit, dans la disposition d'esprit la
plus heureuse qu'on pût
imaginer. J'étais si heureux que je pouvais
dire avec David, du moins pour un jour :
« Mon Dieu a été
constamment devant moi ! ».
Si le jour suivant ne devait pas
être un jour d'extase, ce fut du moins un
jour de paix. Trois notes racontent ses
expériences. Avant le déjeuner :
« Grâces soient rendues à
Dieu de ce qu'il m'a permis de voir la
lumière d'un nouveau jour. 0 Seigneur,
accorde-moi la grâce de le vivre à Ton
Service et pour Ta Gloire ». Le texte
biblique choisi, reflète à nouveau sa
passion pour les pauvres. « Ceux qui sont
dans le besoin ne seront pas toujours
oubliés ». Mais ce jour ne fut pas
aussi bien commencé et sa « joie
fut moindre » : « Comme je
me levais tard, je ne pus consacrer un temps assez
long à la prière et j'attribuai
à cela mon manque de vigueur tout au long du
jour, car bien que je ne fusse ni misérable,
ni malheureux, cependant je n'éprouvai pas
le même degré de bonheur que la
veille ». À six heures, louant
Dieu pour la Vie Éternelle, il ajoute :
« 0 Seigneur ! jamais je ne pourrai
assez te remercier pour Ta bonté et Ta
compassion envers moi, qui suis si indigne de
recevoir la moindre de Tes
grâces ». Onze heures :
« J'ai passé une soirée
merveilleuse à la maison, à lire la
Parole de Dieu. Mon Père Céleste
était véritablement avec moi, quand
je lisais le volume sacré ; car mon
âme était comme « un
géant que le vin
rafraîchit... ». La même note
contient des prières pour les membres non
convertis de sa famille et pour certains amis, afin
que « par l'action du
Saint-Esprit », leur coeur soit
préparé « à recevoir
Sa Parole avec douceur ».
Le samedi 18 octobre fut de nouveau un
jour d'extase. Neuf heures du matin :
« Ce matin je m'éveillai avec le
sentiment joyeux de la présence de Dieu en
moi. Oh ! que cela puisse continuer toute la
journée, pour l'amour de Jésus. Je me
levai plus tôt et j'eus plus de temps
à passer dans la communion de mon Sauveur... cela
me donna un
sentiment de calme profond et un véritable
contentement ». À trois heures de
l'après-midi, une note se rapporte à
la cérémonie du lendemain :
« ... je demandai au Seigneur de
bénir la cérémonie du
baptême que je dois accomplir demain, pour
affirmer ma volonté d'enterrer ce corps de
péché dans la tombe de mon Sauveur et
de ressusciter en nouveauté de
vie ».
Des prières ferventes suivent,
afin que Dieu lui donne le courage de
déclarer devant tous, sa résolution
de « revêtir Christ »,
afin qu'il soit plus prêt que jamais,
à faire la volonté de Dieu ; que
par la grâce de Dieu, il puisse
déclarer à son père sa
détermination d'être baptisé et
que le Tout-Puissant « touche »
tellement le coeur de son père,
« que non seulement il me donne son
consentement, mais qu'il m'accompagne encore
à Ta maison, pour mon
baptême ». À huit heures du
soir, une note raconte que son « cher
frère Georges » et lui, viennent
d'apporter son « linceul »
à la Chapelle Baptiste. Tout était
prêt, alors, pour le jour de son
baptême.
Ce dimanche 19 octobre 1862 fut, dans la
vie spirituelle de Barnardo, un jour de bonheur. De
nombreuses pages de son journal sont
consacrées à cet
événement. Après s'être
levé tôt, il choisit trois textes
bibliques ; le premier était
celui-ci : « Ce n'est pas pour eux
seulement que je te prie, mais pour tous ceux qui
croiront en moi par leur parole » ;
les autres se rapportaient au baptême.
Ensuite, vient une courte prière.
« Permets, ô Dieu, que ce jour
soit, tout entier, consacré à Ton
Service ».
À dix heures trente du matin, son
journal raconte qu'il se rendit à
l'École du Dimanche de l'Eglise
Ste-Anne ; mais il se plaint de ce que les
explications sur les Écritures y sont
très froides, tandis que « le
vacarme fait par les élèves rappelait
une scène digne de Bedlam »
(2), et
lui
faisait perdre, pour un moment,
son calme et sa paix. Cependant l'école
terminée, « la paix visita de
nouveau son « âme
troublée », tandis qu'il se
rendait à la Chapelle Baptiste. Il entendit
un « magnifique sermon sur la
nécessité du Baptême pour les
croyants », puis il prit part au repas du
Seigneur : « Je sentais
profondément quel privilège
était le mien d'être, moi, indigne
même de partager les miettes qui tombent de
la Table du Seigneur, admis, par grâce,
à une Table abondamment
servie... »
À trois heures, il se rendit,
selon son habitude, à la « Ragged
School » de Fishamble Street ; mais
là, de nouveau, sa joie fut troublée
par le vacarme de l'école surpeuplée.
« Les cris des bébés, les
appels des hommes et des femmes, les huées
et les hourrahs des garçons et des
filles », toute cette scène
était exaspérante pour une âme
qui demandait du calme. « Un autre jour
je n'y aurais pas même fait attention ;
cependant, aujourd'hui, quand j'avais tant besoin
de calme et de tranquillité pour me
préparer à la soirée, je me
sentais très malheureux. »
Six heures. « Maintenant... je
pars pour la chapelle. Que le Seigneur me garde et
me fortifie. »
À minuit, suit un long
récit, débordant de joie, de toute
l'expérience. « En quittant la
maison, je me trouvai, soudain, dans un état
d'esprit très heureux, je pensais à
Jésus, me rappelant combien il m'aimait et
cette assurance : « Celui qui me
confessera devant les hommes, je le confesserai
aussi devant mon Père, qui est dans les
cieux » me remplissait de joie Sauveur
béni, je vais te confesser devant le monde
ô Seigneur, aide-moi, je te prie, à
garder ce voeu que je vais faire en présence
de la multitude, afin que les incroyants n'aient
pas de raisons de railler et de profaner Ton Saint
Nom, mais bien plutôt de Le craindre.
Seigneur Jésus, sois avec moi dans mes
occupations journalières afin de te
confesser toujours, soit par ma parole, soit par
mes actes ». Arrivé à la sacristie, avant le
pasteur,
il
ouvrit une grande Bible et après avoir lu
quelques minutes, il nota sa réaction.
« 0 Parole bénie de la
Vérité ! O Père, comment
pourrais-je te remercier assez pour ce merveilleux
privilège de pouvoir aller à Ta
Parole et d'y trouver le
réconfort ! »
Le docteur Hunt, un ami intime de
Barnardo, arriva alors, et ils furent bientôt
en prière. Puis le pasteur, John E. Giles
parut et lui adressa quelques paroles
« au sujet de l'importance de la
cérémonie » qu'il allait
accomplir. Ensuite Barnardo, accompagné de
son frère, « son cher
Fred » prit place au premier banc. Le
sermon, sur ce texte :
« Repentez-vous et que chacun de vous
soit baptisé au nom de
Jésus-Christ », lui fit une
profonde impression. Le
« journal » décrit
ensuite la cérémonie. M. Giles et
Barnardo allèrent, dans la sacristie, se
vêtir pour l'Immersion ; ce dernier
s'enveloppa du « linceul ».
Puis, rentrant dans l'église et s'approchant
du baptistère, ils s'unirent à la
congrégation qui chantait :
« Qui a honte de Jésus
... ! ».
Les notes de Barnardo présentent
un récit, très vivant, de ses
émotions. « J'étais si
heureux, je ne puis pas exprimer la joie qui
inondait mon coeur, à la pensée de
témoigner Christ devant tous. Dieu veuille
que mon exemple soit en bénédiction
à quelques-uns ». Quant au
baptême lui-même, voici ce qu'il
rapporte : « Je m'abandonnai
passivement à M. Giles, il m'immergea
entièrement. Je ne fis aucun mouvement. Je
me sentais dans les bras de Jésus...
Oh ! la joie et le bonheur que
j'éprouvais à obéir ainsi
à mon Sauveur ! Et maintenant, ô
Tendre Père, aide-moi à me rappeler
sans cesse que j'ai enterré ce corps de
péché dans la tombe de mon Sauveur,
que je suis ressuscité en nouveauté
de vie, que je dois m'efforcer de Te plaire en
toute chose, et avec Ton aide de me rappeler aussi,
que je suis véritablement mort au monde et
que le monde entier est comme mort, à mes
yeux... »
Après le service, le docteur Hunt
se rendit chez Barnardo, où, après le repas, ils
passèrent
une heureuse soirée, à chanter des
cantiques, à prier et à lire
« la Parole ». Enfin,
après une méditation personnelle,
où il « jouit pleinement de la
douce communion de Son Sauveur, l'enthousiaste
jeune homme, alla se reposer, « penser et
rêver à
Jésus ».
Telle était la nature de la
conversion et du baptême de Barnardo. Tout
son être débordait de joie devant Dieu
et si, plus tard, son enthousiasme fut
tempéré par une expérience
plus grande, une connaissance plus approfondie, et
un amour plus compréhensif, il est certain,
toutefois, que l'extase qu'il connut à cette
heure resta pour lui jusqu'à la fin, un
souvenir d'une richesse inestimable.
Barnardo poursuivit sa carrière
dans les affaires, pendant les quatre années
qui suivirent sa conversion, mais bien qu'il eut
obtenu de l'avancement, son coeur était
ailleurs. Finalement - et c'était
inévitable - il reçut un appel, qui
toucha les fibres les plus profondes de son coeur,
et auquel il répondit de tout son
être. Aucun avenir d'affaires ne pouvait le
retenir maintenant ! Il sentit qu'il avait
été « saisi par
Christ » pour une tâche
particulière. Désormais le service de
Christ réclamait tout son temps, non
seulement le soir et le dimanche, mais toute la
semaine et chaque heure de la
journée.
La forme de cet
« appel » mérite notre
attention. Barnardo, en quête de nourriture
spirituelle, fréquentait un cercle de jeunes
gens, dirigé par le docteur Graham Guinners.
Un soir, Guinners entretenait ces jeunes gens d'un
homme remarquable. Il revenait de Liverpool,
où il avait entendu le fondateur de la
Mission Intérieure en Chine parler de son
oeuvre, et il leur faisait part de ses impressions.
Il ajouta qu'il avait pris ses dispositions pour
que « cette personnalité
remarquable », Hudson Taylor, vint parler
à Merrion Hall, à Dublin. Les jeunes
gens voudraient-ils inviter M.
Taylor à présider une de leurs
réunions pendant son séjour dans
cette ville ? Cette suggestion fut
acceptée à
l'unanimité.
Longtemps avant l'heure annoncée,
les membres du cercle étaient réunis
dans le salon du docteur Guinners et attendaient
avec impatience. Que serait cette
« remarquable
personnalité » ?
Bientôt, leur maître apparut et on
aperçut, derrière lui, masquée
par sa silhouette athlétique, une autre
silhouette, plus petite et d'apparence
juvénile. Allaient-ils être
déçus ? « La
remarquable personnalité »
avait-elle été empêchée
de venir ? À ce moment, Guinness
s'écartant, présenta le Rev. Hudson
Taylor ; et Barnardo, pas plus grand que
Taylor lui-même, se tourna vers un camarade
et lui murmura à l'oreille « Il y
a encore de l'espoir pour
moi ! »
Pour préparer cette visite, les
jeunes gens avaient lu le petit livre de Taylor,
intitulé : Les besoins et l'appel de la
Chine. Ils s'attendaient à de grandes
choses ; mais les hauteurs vers lesquelles ils
furent entraînés,
dépassèrent tout ce que, dans leur
imagination, ils avaient pu rêver. Taylor,
sous forme de conversation, leur parla de ces
« millions d'hommes
grouillants » de la Chine, de sa
désagrégation politique, de ses
problèmes sociaux inquiétants, de son
besoin pressant de conducteurs spirituels, de ses
superstitions grossières et de la faim
profonde de l'Évangile de Christ que l'on
avait là-bas.
Les résultats de cette
réunion furent mémorables. Quatre
jeunes gens s'offrirent aussitôt, pour
être missionnaires en Chine ; et tous
quatre devinrent de fidèles ouvriers du
Royaume de Dieu. Trois d'entre eux étaient
destinés à une carrière de
serviteur de Dieu en Chine ; le
quatrième, l'était à une
tâche plus grande encore que l'action
missionnaire, bien que pour l'accomplir il n'ait
jamais vu le pays dont il avait rêvé.
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