Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

Naissance et nouvelle naissance

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 Si jamais quelqu'un eut des origines mélangées, ce fut bien le Dr Barnardo ; le sang de sept nations et peut-être plus, coulait dans ses veines. Parlant lui-même de ses ancêtres, il disait « Il y avait un peu de tout ».

On trouve les premiers représentants de la famille Barnardo à Alexandrie, au XVe siècle. De là elle s'enfuit en Espagne, chassée par la persécution des Turcs, et elle change de nom, abandonnant la désinence hébraïque pour l'Espagnole. Pendant un siècle de vie en Espagne, les Barnardo reçoivent du sang maure. Ils sont de nouveau chassés par la persécution.

Devenus suspects au Tribunal de l'Inquisition, ils réalisent leur fortune et se cachent en Italie. Là, une branche de la famille s'anoblit, comme en témoigne encore aujourd'hui le Palazza Barnardo sur le grand canal à Venise. Mais les aïeux de Barnardo n'étaient pas destinés à rester toujours Italiens : les agitations politiques et le goût du commerce les firent émigrer à Hambourg où ils devinrent banquiers internationaux : ils financèrent à la fois Napoléon et la Compagnie de la baie d'Hudson au Canada. C'est à Hambourg que naquit en 1800 John Michaelis Barnardo, le père du docteur. Jeune encore, il s'établit à Dublin où il créa un centre d'affaires prospère, et épousa Mary Drinkwater, fille de quakers anglais, qui habitaient l'Irlande depuis longtemps déjà. Le 4 juillet 1845 naissait à Dublin Thomas John Barnardo, leur neuvième enfant. Il vint sous de sombres augures. Le jour de la naissance de Tom fut aussi celui de la banqueroute des Chemins de fer de Wicklow Wesford qui fit perdre à son père des milliers de livres. On était aussi inquiet pour l'enfant, né délicat, et pour la mère. Celle-ci se remit rapidement mais Tom resta longtemps un enfant fragile.
À deux ans, gravement malade, après avoir été des semaines entre la vie et la mort, son décès fut constaté par deux médecins.
Le cercueil était déjà dans la maison, et l'employé des pompes funèbres habillait le corps pour le mettre en bière lorsque, à sa grande stupéfaction, il sentit battre le coeur. Le « cadavre était vivant » ! On prit toutes les mesures pour ranimer Tom Barnardo, qui devint par la suite un robuste garçon (1).

Pourtant rien ne faisait prévoir que cet enfant ait été arraché à la mort pour une destinée particulière voulue de Dieu : Tom n'était ni un ange, ni un saint. Les récits de la famille donnent exactement l'impression contraire : Coléreux, entêté, très autoritaire, il ne ressemblait pas à son frère Harris, plus jeune que lui et dont les cheveux frisés, les traits fins et la voix quasi céleste contrastaient avec les cheveux raides, les traits communs et la grosse voix beaucoup mieux faite pour hurler que pour chanter, de Tom. Cette dissemblance fut la cause de bien des orages à la nursery. On amenait souvent Harris au salon pour faire entendre sa jolie voix aux invités qui le régalaient de chocolat ; pendant ce temps Tom, laissé seul à la nursery, criait et trépignait de colère.

Un jour qu'Harris revenait, finissant de manger son dernier bonbon, la fureur de Tom éclata sans retenue ; se précipitant sur lui avant qu'on ait pu intervenir, il le frappa en plein visage, en criant : « Attrape ça, ça t'apprendra à aller faire le joli coeur au salon ! ». Puis, poussant son frère qui tombait dans un coin, il lui décocha un autre coup en criant : « Et celui-là, vieux cochon, pour avoir mangé tous les chocolats à toi tout seul ! ».

L'école ne fit pas plus de Tom un saint que la nursery. Les témoins de son enfance nous racontent qu'il était une épreuve pour les maîtres ; et c'est à lui surtout que sa division dût de recevoir le nom de : « Rang des bavards ».
Son père, le Dr Frédéric Barnardo, a, laissé de lui un portrait où nous lisons ceci : « Ce ne fut jamais ce qu'on appelle un bon élève. Il était étourdi, peu soigneux, toujours prêt à s'amuser et à mal faire. N'allez pas vous imaginer qu'il était né sanctifié et qu'il le restait. Au contraire, il donnait beaucoup de peine à la maison, car il avait une volonté très forte et très têtue... Dans sa première école, il ne donna que du souci et plus tard, à celle du Rever. J. Dundas, ce ne fut pas mieux ».

Par d'autres membres de sa famille, nous savons que Tom n'aimait aucun sport, sauf la natation où il excellait ; il n'avait pas 20 ans lorsqu'il sauva un jour deux hommes qui se noyaient. Mais, tout enfant, son plaisir favori était de lire des contes, et sa femme raconte que toute sa vie il regretta de ne pouvoir disposer du temps nécessaire à écrire un livre de contes de fées. Pendant ses années d'écolier, Barnardo montra un goût très vif pour la lecture qui le mena rapidement plus loin que les contes. Il se plongeait dans le premier livre qui lui tombait sous la main et tous le captivaient, sauf bien entendu, les livres de classe. Mais tous n'étaient pas de son âge ; à 14 ans, il déclarait que ses auteurs favoris étaient Rousseau, Voltaire et Paine, et prenait, avec suffisance, une attitude sceptique en face des doctrines chrétiennes en se proclamant agnostique.

Mais nous anticipons. Les impressions les plus nettes de Barnardo écolier, étaient son aversion pour les cours, son dégoût pour la routine scolaire et son sentiment que la personnalité, à l'école, était plus souvent étouffée que développée. Espiègle, incorrigible, bavard, passionné de lecture, il méprisait les examens.
Cela lui venait sans doute de son admiration pour Rousseau. Quoiqu'il en soit, il quitte l'école à 16 ans, sans savoir grand chose, bien qu'on le reconnut non dépourvu de moyens, s'il voulait seulement s'appliquer au travail.
Il faut cependant souligner une autre impression laissée par ces années d'école. Plus tard, devenu un éducateur d'expérience, il rappelait ses souvenirs et racontait qu'il avait subit en classe la tyrannie d'un des hommes les plus brutaux qu'il ait connu, « le plus faux et le plus cruel que j'ai rencontré dans toute ma vie ».

Évoquant le souvenir de certaines des petites victimes que ce maître tyrannisait de façon monstrueuse, il ajoutait : « Si j'avais été l'une d'elles, je n'aurais jamais pu supporter de retourner à l'école pour y subir les tortures qu'il était capable d'infliger ». Cette brutalité laissa de profondes traces dans son esprit : « Une telle aversion et un tel dégoût... étaient nés dans mon coeur que j'allais à l'extrême opposé dans ma haine pour tout ce qui avait la moindre apparence de dureté ».

Quelle était pendant ce temps la vie spirituelle du jeune Barnardo ? Baptisé tout enfant à l'Eglise Saint-André, de Dublin, où son père avait une charge, et dont sa mère faisait partie, il suivit l'École du Dimanche de cette Église et fut confirmé à 15 ans par l'archevêque de Dublin. Ses premières impressions religieuses furent donc reçues dans l'Eglise d'Irlande, à ce moment très semblable à l'Église d'Angleterre. Mais il est certain qu'elles ne laissèrent en lui aucune trace durable. S'il garda toujours pour sa pieuse mère, aux traditions de quakers, un sentiment de profond respect, sa confirmation ne fut pour lui qu'une cérémonie sans signification. Il accepta de s'y soumettre sous l'influence des siens, mais sans conviction intime, car à cette époque, il était beaucoup plus attiré par les théories agnostiques que par le Christianisme. Pendant les deux années qui suivirent, il conserva son admiration pour Voltaire, Rousseau et Paine, qui ne développèrent en lui que des sentiments de scepticisme et d'orgueil à l'égard des forces de régénération spirituelle. Mais tout devait bientôt changer. Grâce aux influences de son père, Barnardo, à la sortie de l'école, entra dans les affaires où il mit en oeuvre ses capacités et son esprit méthodique. Mais il n'y mettait pas son coeur. La lecture était restée sa distraction favorite et il se passionnait toujours pour les arguments des agnostiques ; accablant la Bible et les chrétiens de ses railleries.

À cette époque, l'Irlande était soulevée par un Réveil religieux, par lequel des milliers d'hommes naquirent à la vie d'En-Haut, prêts à s'enrôler au service de Dieu. Ce Réveil commença en 1859, au nord de l'Irlande, et l'année suivante il atteignit Belfast où son influence fut profonde. Une vague de l'Esprit passa sur Dublin. Le Métropolitain Hall, autrefois un cirque, était le lieu des réunions principales, mais d'autres se tenaient dans les faubourgs. Plusieurs membres de la famille Barnardo, notamment deux frères aînés de Tom, acceptèrent au cours de ces réunions, de devenir disciples de Jésus-Christ. L'un devint docteur, l'autre fonctionnaire civil aux Indes. Ils racontèrent à Tom la joie qu'ils venaient de trouver, l'invitèrent à se donner à Jésus. Mais il continuait à se moquer. Pourtant, à la fin, il accepta de suivre les réunions et d'en juger par lui-même. Il fut alors témoin de manifestations frappantes de la Puissance de l'Esprit. Mais ses maîtres lui avaient inculqué les arguments subtils qui permettent de nier l'expérience religieuse.
N'y avait-il pas là simplement une émotion collective de nature hystérique ? Les résultats du réveil étaient des phénomènes psychologiques sans lendemain. Voyez ceux qu'on vient de proclamer « saints » et qui si rapidement retombent dans leurs premiers péchés. Mais, malgré ses moqueries, le jeune homme réfléchissait, et, à son grand regret, ses explications ne le satisfaisaient plus. Aussi, accepte-t-il d'accompagner ses frères à quelques réunions qui se tenaient chez des particuliers. À l'une de ces réunions, chez William Fry, « on le pressa d'abandonner sa vie à Christ », mais en pure perte, semblait-il. Il restait sceptique. Dans une lettre écrite plusieurs années après à M. Fry, le jeune homme explique son attitude d'alors : « Je n'avais pas la moindre envie d'aller à cette réunion, mais j'y allai néanmoins, et au cours de celle-ci, Rocheford Hunt prit la parole ainsi que vous. Je me conduisis très mal ; j'étais aussi vaniteux qu'un jeune garçon peut l'être, il me semblait que vous me regardiez en pensant : « Si je pouvais avoir un entretien pendant cinq minutes avec ce jeune homme, je saurais bien rabattre son orgueil jusqu'à terre ». Et pourtant vos paroles étaient pleines de bienveillance et de douceur et pas du tout en rapport avec ce que semblait dire votre regard. Ce fut le début ».

Le souvenir de Barnardo est très net. Cette réunion chez William Fry fut le début. À dater de ce jour, un sentiment de doute l'envahit, et il se sentit contraint de mettre à l'épreuve sa foi d'agnostique. Son attitude de supériorité n'était-elle pas un masque. Ceux dont il se moquait n'avaient-ils pas raison ? Il suivait maintenant régulièrement les réunions et comprenait peu à peu qu'il y avait dans le Réveil plus de vérité qu'il ne voulait bien le croire.

Quelques semaines après l'expérience faite chez M. Fry, il entendit un appel pressant de John Hambleton, l'ancien tragédien. Son erreur lui apparut clairement. Il reconnut alors qu'il s'était trompé, et comprit qu'il n'aurait pas la paix tant qu'il n'aurait pas trouvé Dieu. Mais avant l'aube, une autre aurore se leva. Un des frères de Barnardo faisant allusion à l'appel de Hambleton dit : « Ce fut le moment critique ». Puis il raconte comment Tom entra dans la chambre de ses deux frères aînés, bien après minuit, « l'âme en grande détresse », et il continue : « que de larmes, il versa... ; aussi les trois frères s'agenouillèrent-ils ensemble pour implorer Dieu... Il les entendit dans Sa grâce et la lumière, la paix et la joie remplirent aussitôt son mur. Nous nous relevâmes tous trois avec joie, et nous rendîmes grâce à Dieu ».

C'est ainsi que Thomas John Barnardo reçut la lumière de Dieu, le 26 mai 1862, cinq semaines avant son dix-septième anniversaire. Cette date marqua pour Barnardo une nouvelle naissance. De ce moment-là, il devint chrétien jusqu'au fond du coeur, tout comme Wesley, Wilberforce ou Shaftesbury.

On peut à peine imaginer un changement d'attitude plus complet que celui de Barnardo. Paine, Rousseau et Voltaire étaient maintenant abandonnés. Désormais, la Bible était pour lui le Livre des livres. Le railleur était devenu un évangéliste ! Et c'est à cette nouvelle tâche qu'il consacra toutes les forces de son être. Il s'enrôla aussitôt comme moniteur dans une « Ragged School », à Dublin, activité qui le plongea au milieu d'un quartier très misérable. Cela ne refroidit pas son zèle ; mais au contraire, stimula son énergie. Il avait à peine commencé à collaborer à cette « Ragged Scholl », qu'il se sentit poussé à visiter les foyers de ses élèves, et fut indigné de ce qu'il vit : « Si j'avais un chien, dit-il, je ne voudrais pas le loger là où j'ai trouvé ces âmes immortelles destinées à partager la Gloire de l'Éternité ! ».

Cependant, même après sa conversion, Barnardo avait des hauts et des bas. En fait, il manquait un peu de la sérénité proverbiale des saints. Au cours d'une de ces visites, faites en compagnie de M. Owens, un moniteur de la « Ragged School », il demanda à son ami pourquoi il avait toujours une canne à la main ? « Oh ! c'est une habitude, répondit Owens ; j'aime avoir une canne, ou un parapluie à la main ». « Moi aussi, répondit Barnardo, mais j'ai dû l'abandonner, parce qu'un jour, à mes débuts ici, les garçons m'ennuyaient tellement... que je perdis patience et eus toutes les peines du monde à ne pas les frapper avec ma canne. Si je l'avais fait, j'aurais compromis mon oeuvre pour le Seigneur. Aussi, par la suite, l'ai-je laissée chez moi ».

Owens a laissé un court récit où il parle de ces visites. Il raconte, en évoquant le souvenir d'une série de visites à Marrowbone Lane, ruelle tortueuse du quartier des « Liberties », les taudis les plus affreux de Dublin : « Nous allions de maison en maison, et de chambre en chambre ; et lorsque nous étions reçus, nous parlions, nous lisions et priions avec chaque famille, puis nous laissions un tract. À l'extrémité de la ruelle se trouvait un hospice pour les veuves. Barnardo aimait beaucoup y aller. Il apportait souvent du thé aux vieilles dames, aidait celles qui se trouvaient malades ou sans ressources. Nous savons, par Owens encore, que Barnardo, avant de partir pour ces visites, priait ardemment, « non seulement pour ceux que nous allions visiter, mais afin que la sagesse et la grâce fussent sur nous ».


L'influence de ce Réveil dans les plus affreux quartiers de Dublin, ne fut pas négligeable ; en augmentant le travail des « Ragged Schools » et d'autres missions, il suscita toute une armée de travailleurs dévoués pour la lutte contre le taudis. Douze ans après sa conversion, Barnardo écrivait en visitant les pires quartiers de sa ville natale : « Peu de villes au monde peuvent se comparer à Dublin, pour sa fidélité incomparable, son réel dévouement au Christ et son effort sérieux de conquête et d'amour, quand on considère son étendue et le petit nombre de ses Protestants ». Mais il déclare que la situation est loin d'être encore favorable : « L'abus du whisky, ajouté aux mauvais penchants de ceux qui demeurent dans ces misérables logis, les ont corrompus au dernier degré ». Alors se montre le Barnardo de l'âge mûr.

L'activité des « Ragged Schools », si intense fût-elle, ne suffisait pas à remplir le zèle de Barnardo. Il ouvrit en même temps une classe biblique pour les enfants riches. Ce réveil lui avait appris qu'ils étaient souvent aussi ignorants de la Bible que les enfants des taudis. Aujourd'hui, de ses six élèves, l'un est devenu un avocat chrétien éminent, un autre est fonctionnaire civil aux Indes, un troisième est pasteur de l'Eglise, anglicane ; et plus d'une fois il s'est écrié, en montrant une Bible dédicacée : « Si ce n'était pas l'influence du docteur Barnardo, mon vieux maître d'école biblique qui me fit don de cette Sainte Bible, je ne serais pas dans cette chaire aujourd'hui ! ».


Mais la conversion de Barnardo le poussa à de plus vastes tâches que d'enseigner et de visiter les pauvres. Il se sentit bientôt appelé à leur prêcher l'Évangile. Aussi, sans abandonner aucune de ses activités de la « Ragged School », et tout en continuant sa classe biblique, ses deux frères et lui louèrent deux pièces dans le quartier des « Liberties » et tinrent-là des cultes évangéliques. C'était un travail difficile. Voici l'étrange description que fait Barnardo de ce quartier : « Il y a là quelques protestants : mais la majorité de la population est profondément enfoncée dans la superstition, l'ignorance et le whisky ». Cependant, malgré les difficultés et l'opposition de certains, les frères Barnardo continuèrent pendant des mois ces services religieux ; et il est certain que leur travail porta des fruits.

À partir de ce moment-là, Barnardo consacra tout son temps libre à l'étude de la Bible et à la pratique de la vie chrétienne. Le dimanche, il prenait part à quatre ou cinq services religieux ; cinq soirs par semaine, il était pris par des activités chrétiennes ; et la nuit « avancée » se passait en étude et en méditation. L'activité chrétienne n'était pas seulement une détente pour lui, c'était sa vie. Il accumulait service sur service, avec un zèle infatigable. Il devint membre de l'U. C. J. G., et un membre actif responsable ; il se joignit au Groupe de la « Swift Alley Mission » pour l'aider ; il entra dans la communauté des « Frères Larges » et les aida dans certaines de leurs missions. Et lorsque des services religieux furent établis à « Mersion Hall » par la libéralité de William Fry, il fut encore un ardent collaborateur.

Barnardo n'avait pas vingt ans lorsqu'il devint ouvertement un « Frère Large ». Un catalogue de sa bibliothèque à cette époque, nous montre qu'elle ne contenait que des livres sur la doctrine des « Frères » et la Bible. Aussi est-il curieux de l'entendre déclarer vers le milieu de sa vie : « Le Darbysme est comme une rue très agréable lorsqu'on y passe, mais détestable lorsqu'on y habite ! ».

Un aspect particulier du développement spirituel de Barnardo est à souligner. Peu de temps après sa conversion, en lisant l'Écriture, il fut troublé par la question du Baptême des croyants. Et plus il méditait là-dessus, plus il était convaincu qu'il était de son devoir, de montrer au monde, à travers ce sacrement solennel, la mort de son corps de péché et sa résurrection, par la foi, à une vie nouvelle en Christ. En conséquence, malgré le baptême de son enfance, il décida alors d'être rebaptisé, par immersion.

Un vieux « journal » personnel, écrit chaque jour par Barnardo, reflète comme dans un miroir, l'état de son âme à cette époque. Trois jours avant son Baptême, le 16 octobre 1862, on lit cinq déclarations qui toutes révèlent un état d'extase. En se levant, il écrivit : « Je te loue, ô Père Tout-Puissant pour tes grâces de la nuit passée... Rends-moi toujours plus reconnaissant envers Toi pour la bonté et les soins incessants dont tu entoures ton serviteur ».
Un texte biblique, choisi comme mot d'ordre pour la journée est celui-ci : « Heureux est celui qui considère le pauvre ». À onze heures : il parle de son calme sacré et il ajoute qu'en s'éveillant, il avait demandé au Seigneur, la grâce « de sentir Sa présence » ; puis il poursuit : « Jusqu'à cette heure il m'a répondu abondamment... Qu'Il m'accorde en ce jour, de témoigner de ma foi au Christ, soit que je parle, soit que j'agisse, et que ton humble serviteur, soit une lettre vivante que tous les hommes puissent lire et connaître pour Ta gloire ». Six heures : « En rentrant à la maison après mon travail, je ne pouvais m'empêcher de me sentir profondément reconnaissant envers toi, ô mon Père, de m'avoir tellement soutenu par Ta grâce tout au long de ce jour ».
À huit heures, le journal raconte qu'il assista, avec ses deux frères, à une réunion de prière, dans une chapelle baptiste et son âme en fut abondamment fortifiée. À l'issue de la réunion, il informa le pasteur, « ce cher M. Giles », de sa détermination de recevoir le baptême le dimanche suivant. De retour à la maison, nous le trouvons en train de lire et de discuter, avec ses deux frères, plusieurs chapitres de l'Évangile de Jean. « En vérité, il n'est rien de plus réconfortant et de plus rafraîchissant pour l'âme, que la lecture de La Parole après la prière. Béni soit Dieu d'avoir placé de tels moyens à notre disposition ! ». Le dernier passage qu'il écrivit de la journée, à minuit et demi : « Je me mis enfin au lit, dans la disposition d'esprit la plus heureuse qu'on pût imaginer. J'étais si heureux que je pouvais dire avec David, du moins pour un jour : « Mon Dieu a été constamment devant moi ! ».

Si le jour suivant ne devait pas être un jour d'extase, ce fut du moins un jour de paix. Trois notes racontent ses expériences. Avant le déjeuner : « Grâces soient rendues à Dieu de ce qu'il m'a permis de voir la lumière d'un nouveau jour. 0 Seigneur, accorde-moi la grâce de le vivre à Ton Service et pour Ta Gloire ». Le texte biblique choisi, reflète à nouveau sa passion pour les pauvres. « Ceux qui sont dans le besoin ne seront pas toujours oubliés ». Mais ce jour ne fut pas aussi bien commencé et sa « joie fut moindre » : « Comme je me levais tard, je ne pus consacrer un temps assez long à la prière et j'attribuai à cela mon manque de vigueur tout au long du jour, car bien que je ne fusse ni misérable, ni malheureux, cependant je n'éprouvai pas le même degré de bonheur que la veille ». À six heures, louant Dieu pour la Vie Éternelle, il ajoute : « 0 Seigneur ! jamais je ne pourrai assez te remercier pour Ta bonté et Ta compassion envers moi, qui suis si indigne de recevoir la moindre de Tes grâces ». Onze heures : « J'ai passé une soirée merveilleuse à la maison, à lire la Parole de Dieu. Mon Père Céleste était véritablement avec moi, quand je lisais le volume sacré ; car mon âme était comme « un géant que le vin rafraîchit... ». La même note contient des prières pour les membres non convertis de sa famille et pour certains amis, afin que « par l'action du Saint-Esprit », leur coeur soit préparé « à recevoir Sa Parole avec douceur ».

Le samedi 18 octobre fut de nouveau un jour d'extase. Neuf heures du matin : « Ce matin je m'éveillai avec le sentiment joyeux de la présence de Dieu en moi. Oh ! que cela puisse continuer toute la journée, pour l'amour de Jésus. Je me levai plus tôt et j'eus plus de temps à passer dans la communion de mon Sauveur... cela me donna un sentiment de calme profond et un véritable contentement ». À trois heures de l'après-midi, une note se rapporte à la cérémonie du lendemain : « ... je demandai au Seigneur de bénir la cérémonie du baptême que je dois accomplir demain, pour affirmer ma volonté d'enterrer ce corps de péché dans la tombe de mon Sauveur et de ressusciter en nouveauté de vie ».

Des prières ferventes suivent, afin que Dieu lui donne le courage de déclarer devant tous, sa résolution de « revêtir Christ », afin qu'il soit plus prêt que jamais, à faire la volonté de Dieu ; que par la grâce de Dieu, il puisse déclarer à son père sa détermination d'être baptisé et que le Tout-Puissant « touche » tellement le coeur de son père, « que non seulement il me donne son consentement, mais qu'il m'accompagne encore à Ta maison, pour mon baptême ». À huit heures du soir, une note raconte que son « cher frère Georges » et lui, viennent d'apporter son « linceul » à la Chapelle Baptiste. Tout était prêt, alors, pour le jour de son baptême.

Ce dimanche 19 octobre 1862 fut, dans la vie spirituelle de Barnardo, un jour de bonheur. De nombreuses pages de son journal sont consacrées à cet événement. Après s'être levé tôt, il choisit trois textes bibliques ; le premier était celui-ci : « Ce n'est pas pour eux seulement que je te prie, mais pour tous ceux qui croiront en moi par leur parole » ; les autres se rapportaient au baptême. Ensuite, vient une courte prière. « Permets, ô Dieu, que ce jour soit, tout entier, consacré à Ton Service ».

À dix heures trente du matin, son journal raconte qu'il se rendit à l'École du Dimanche de l'Eglise Ste-Anne ; mais il se plaint de ce que les explications sur les Écritures y sont très froides, tandis que « le vacarme fait par les élèves rappelait une scène digne de Bedlam » (2), et lui faisait perdre, pour un moment, son calme et sa paix. Cependant l'école terminée, « la paix visita de nouveau son « âme troublée », tandis qu'il se rendait à la Chapelle Baptiste. Il entendit un « magnifique sermon sur la nécessité du Baptême pour les croyants », puis il prit part au repas du Seigneur : « Je sentais profondément quel privilège était le mien d'être, moi, indigne même de partager les miettes qui tombent de la Table du Seigneur, admis, par grâce, à une Table abondamment servie... »

À trois heures, il se rendit, selon son habitude, à la « Ragged School » de Fishamble Street ; mais là, de nouveau, sa joie fut troublée par le vacarme de l'école surpeuplée. « Les cris des bébés, les appels des hommes et des femmes, les huées et les hourrahs des garçons et des filles », toute cette scène était exaspérante pour une âme qui demandait du calme. « Un autre jour je n'y aurais pas même fait attention ; cependant, aujourd'hui, quand j'avais tant besoin de calme et de tranquillité pour me préparer à la soirée, je me sentais très malheureux. »
Six heures. « Maintenant... je pars pour la chapelle. Que le Seigneur me garde et me fortifie. »

À minuit, suit un long récit, débordant de joie, de toute l'expérience. « En quittant la maison, je me trouvai, soudain, dans un état d'esprit très heureux, je pensais à Jésus, me rappelant combien il m'aimait et cette assurance : « Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père, qui est dans les cieux » me remplissait de joie Sauveur béni, je vais te confesser devant le monde ô Seigneur, aide-moi, je te prie, à garder ce voeu que je vais faire en présence de la multitude, afin que les incroyants n'aient pas de raisons de railler et de profaner Ton Saint Nom, mais bien plutôt de Le craindre. Seigneur Jésus, sois avec moi dans mes occupations journalières afin de te confesser toujours, soit par ma parole, soit par mes actes ». Arrivé à la sacristie, avant le pasteur, il ouvrit une grande Bible et après avoir lu quelques minutes, il nota sa réaction. « 0 Parole bénie de la Vérité ! O Père, comment pourrais-je te remercier assez pour ce merveilleux privilège de pouvoir aller à Ta Parole et d'y trouver le réconfort ! »

Le docteur Hunt, un ami intime de Barnardo, arriva alors, et ils furent bientôt en prière. Puis le pasteur, John E. Giles parut et lui adressa quelques paroles « au sujet de l'importance de la cérémonie » qu'il allait accomplir. Ensuite Barnardo, accompagné de son frère, « son cher Fred » prit place au premier banc. Le sermon, sur ce texte : « Repentez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ », lui fit une profonde impression. Le « journal » décrit ensuite la cérémonie. M. Giles et Barnardo allèrent, dans la sacristie, se vêtir pour l'Immersion ; ce dernier s'enveloppa du « linceul ». Puis, rentrant dans l'église et s'approchant du baptistère, ils s'unirent à la congrégation qui chantait : « Qui a honte de Jésus ... ! ».

Les notes de Barnardo présentent un récit, très vivant, de ses émotions. « J'étais si heureux, je ne puis pas exprimer la joie qui inondait mon coeur, à la pensée de témoigner Christ devant tous. Dieu veuille que mon exemple soit en bénédiction à quelques-uns ». Quant au baptême lui-même, voici ce qu'il rapporte : « Je m'abandonnai passivement à M. Giles, il m'immergea entièrement. Je ne fis aucun mouvement. Je me sentais dans les bras de Jésus... Oh ! la joie et le bonheur que j'éprouvais à obéir ainsi à mon Sauveur ! Et maintenant, ô Tendre Père, aide-moi à me rappeler sans cesse que j'ai enterré ce corps de péché dans la tombe de mon Sauveur, que je suis ressuscité en nouveauté de vie, que je dois m'efforcer de Te plaire en toute chose, et avec Ton aide de me rappeler aussi, que je suis véritablement mort au monde et que le monde entier est comme mort, à mes yeux... »

Après le service, le docteur Hunt se rendit chez Barnardo, où, après le repas, ils passèrent une heureuse soirée, à chanter des cantiques, à prier et à lire « la Parole ». Enfin, après une méditation personnelle, où il « jouit pleinement de la douce communion de Son Sauveur, l'enthousiaste jeune homme, alla se reposer, « penser et rêver à Jésus ».

Telle était la nature de la conversion et du baptême de Barnardo. Tout son être débordait de joie devant Dieu et si, plus tard, son enthousiasme fut tempéré par une expérience plus grande, une connaissance plus approfondie, et un amour plus compréhensif, il est certain, toutefois, que l'extase qu'il connut à cette heure resta pour lui jusqu'à la fin, un souvenir d'une richesse inestimable.

Barnardo poursuivit sa carrière dans les affaires, pendant les quatre années qui suivirent sa conversion, mais bien qu'il eut obtenu de l'avancement, son coeur était ailleurs. Finalement - et c'était inévitable - il reçut un appel, qui toucha les fibres les plus profondes de son coeur, et auquel il répondit de tout son être. Aucun avenir d'affaires ne pouvait le retenir maintenant ! Il sentit qu'il avait été « saisi par Christ » pour une tâche particulière. Désormais le service de Christ réclamait tout son temps, non seulement le soir et le dimanche, mais toute la semaine et chaque heure de la journée.

La forme de cet « appel » mérite notre attention. Barnardo, en quête de nourriture spirituelle, fréquentait un cercle de jeunes gens, dirigé par le docteur Graham Guinners. Un soir, Guinners entretenait ces jeunes gens d'un homme remarquable. Il revenait de Liverpool, où il avait entendu le fondateur de la Mission Intérieure en Chine parler de son oeuvre, et il leur faisait part de ses impressions. Il ajouta qu'il avait pris ses dispositions pour que « cette personnalité remarquable », Hudson Taylor, vint parler à Merrion Hall, à Dublin. Les jeunes gens voudraient-ils inviter M. Taylor à présider une de leurs réunions pendant son séjour dans cette ville ? Cette suggestion fut acceptée à l'unanimité.

Longtemps avant l'heure annoncée, les membres du cercle étaient réunis dans le salon du docteur Guinners et attendaient avec impatience. Que serait cette « remarquable personnalité » ? Bientôt, leur maître apparut et on aperçut, derrière lui, masquée par sa silhouette athlétique, une autre silhouette, plus petite et d'apparence juvénile. Allaient-ils être déçus ? « La remarquable personnalité » avait-elle été empêchée de venir ? À ce moment, Guinness s'écartant, présenta le Rev. Hudson Taylor ; et Barnardo, pas plus grand que Taylor lui-même, se tourna vers un camarade et lui murmura à l'oreille « Il y a encore de l'espoir pour moi ! »

Pour préparer cette visite, les jeunes gens avaient lu le petit livre de Taylor, intitulé : Les besoins et l'appel de la Chine. Ils s'attendaient à de grandes choses ; mais les hauteurs vers lesquelles ils furent entraînés, dépassèrent tout ce que, dans leur imagination, ils avaient pu rêver. Taylor, sous forme de conversation, leur parla de ces « millions d'hommes grouillants » de la Chine, de sa désagrégation politique, de ses problèmes sociaux inquiétants, de son besoin pressant de conducteurs spirituels, de ses superstitions grossières et de la faim profonde de l'Évangile de Christ que l'on avait là-bas.

Les résultats de cette réunion furent mémorables. Quatre jeunes gens s'offrirent aussitôt, pour être missionnaires en Chine ; et tous quatre devinrent de fidèles ouvriers du Royaume de Dieu. Trois d'entre eux étaient destinés à une carrière de serviteur de Dieu en Chine ; le quatrième, l'était à une tâche plus grande encore que l'action missionnaire, bien que pour l'accomplir il n'ait jamais vu le pays dont il avait rêvé.

1. Aussi extraordinaire que la coïncidence puisse paraître, la veuve du Dr Barnardo m'apprend qu'un de leur fils, alors bébé, fut reconnu mort par le docteur qui le soignait, mais quelques heures plus tard, il reprenait ses sens dans les bras de sa grand'mère, comme réveillé d'un sommeil léthargique. 
2. Bedlam : Asile d'aliénés près de Londres.
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