Juger un homme d'après son oeuvre a
toujours été la meilleure
manière de le faire avec
équité. Ceci est
particulièrement vrai pour le Dr Barnardo
tant il s'est identifié avec son entreprise,
et rien ne peut mieux définir son esprit et
son génie que ces maisons que sa foi et son
courage lui permirent de bâtir. Avant de
raconter sa vie il sera bon de jeter un rapide coup
d'oeil sur elles. En 1866, Thomas John Barnardo,
alors étudiant en médecine au London
Hospital, était le témoin d'une
scène qui le bouleversa, et lui faisant
abandonner tous les projets antérieurs, lui
fit consacrer sa vie au sauvetage et à la
protection de l'enfance. Moins de quarante ans
après il mourait à la tâche,
martyr joyeux de la cause de l'enfance.
À l'heure actuelle, ses maisons
fonctionnent depuis 64 ans au cours desquels
110.000 enfants environ ont été
arrachés à la misère et au
crime, pendant que près d'un demi-million de
jeunes garçons et de jeunes gens ont
été vêtus, nourris ou
abrités. Aujourd'hui, on trouve jusqu'aux
limites du monde, au Canada, en Australie,
d'anciens pensionnaires dont les maisons peuvent
être fières ; on compte parmi eux
des ministres d'état, des pasteurs, des
missionnaires, des médecins, des avocats,
des directeurs d'écoles, des professeurs,
des dentistes, des organistes, des chefs
d'industrie, tandis que de nombreuses jeunes filles
sont devenues professeurs de
chant ou de musique, missionnaires,
infirmières, institutrices, directrices de
maisons de commerce, à moins qu'elles ne se
soient mariées. Plusieurs tiennent une place
en vue aux côtés de leurs maris
devenus gouverneurs de colonies. Pendant la guerre,
près de 11.000 anciens Barnardos
répondirent comme volontaires à
l'appel de l'Empire pour la défense de la
patrie, témoignage éclatant du
loyalisme qu'on sut leur inculquer. Près de
la moitié d'entre eux
s'enrôlèrent non pas en Angleterre,
mais sur le sol canadien, prouvant ainsi leur titre
de représentants du « Common
wealth » et plusieurs virent leur courage
récompensé par la Victoria Cross. Sur
mer, leur conduite n'est pas moins belle. La marine
royale et la marine marchande en comptent beaucoup,
certains comme officiers, quelques-uns même
comme commandants de navires. À tous les
grades, ils tiennent dans la chevalerie des mers
qu'est la marine britannique, une place digne de
l'éducation qu'ils ont reçue dans les
« Homes ».
Mais le Dr Barnardo, comme son
maître Jésus-Christ, ne
méprisait aucun métier, et les
« Homes » peuvent
préparer les garçons à tous
les métiers manuels : ils ont
formé toute une armée de jeunes
Barnardo's, passés maîtres dans leurs
professions, et citoyens utiles et
respectés.
Rien ne parle plus en faveur de cette
oeuvre que la manière dont
« anciens » et
« anciennes » la soutiennent.
Chaque année, la contribution du Canada,
pour ne parler que de cette partie de l'Empire, est
de plusieurs milliers de dollars. Tantôt
c'est une jeune fille qui envoie un dollar sur son
premier salaire, tantôt un jeune cultivateur
qui après dix ans de mariage, annonce qu'il
est devenu propriétaire et envoie à
l'occasion de Noël cent dollars, avec la
photographie de sa femme et de ses enfants.
Toujours ces dons sont accompagnés de
souhaits que « cet envoi puisse, dans une
faible mesure, aider à faire pour un enfant abandonné
ce qui a
été fait pour moi ».
Souvent il est dit aussi que le correspondant fait
monter à Dieu matin et soir sa
reconnaissance pour les
« Homes » et tout ce qu'il leur
doit.
Mais où et comment est née
cette oeuvre ? Aujourd'hui les
« Homes » comprennent une
centaine environ d'organisations distinctes,
réparties dans 200 bâtiments
différents. Chacune répond à
un besoin particulier et toutes sont en pleine
activité. Le quartier général
administratif se trouve à Stepney Causeway,
au coeur même de l' « East
End », mais le centre des
« Homes » est en pleine
campagne, au Sud de l'Angleterre, au milieu des
bois, des collines, des ruisseaux et des
fleurs ; les enfants y apprennent le charme de
la vie rurale. En outre, sur tout le territoire,
sont répandues des filiales et des salles
d'asiles, jusqu'au Canada et en Australie où
des centres de répartition
représentent comme des avant-postes de
l'oeuvre.
Il faudrait des volumes pour
décrire en détail la centaine de
centres où on applique les méthodes
du Dr Barnardo pour préparer les enfants
à la vie. Il nous suffira de jeter un regard
rapide sur cinq ou six d'entre eux pour saisir le
but poursuivi par leur fondateur.
Le « Village Home »
où habitent dans plus de 80 cottages
séparés 1.400 jeunes filles a
été nommé le « plus
délicieux village du monde ». Des
jardiniers, des architectes, des artistes qui l'ont
visité l'ont dit le plus charmant village
d'Angleterre. Que vous veniez le voir en mai ou en
décembre, vous apercevrez la belle
église, offerte par un donateur anonyme,
l'hôpital aux murs tout couverts de lierre,
dû aux nombreux admirateurs australiens et
néo-zélandais de l'oeuvre, le
monument commémoratif de Barnardo, qui se
dressent comme des sentinelles pour protéger
la paix profonde de ce royaume enchanté des
petites filles.
On ne voit nulle part
l'écriteau : Défense de marcher
sur les pelouses ; toutes les fillettes du
cottage jouent gaiement sur
l'herbe, mais elles savent respecter la
beauté des buissons, des arbres et des
fleurs. Mais la vie quotidienne de toutes ces
maisons est plus intéressante encore que les
pelouses. Chaque maison est un foyer, avec sa
mère de famille, généralement
une robuste jeune femme, qui en a la direction. La
plupart abritent 16 à 20 fillettes,
quelques-unes 25, mais partout règne la vie
de famille. Il est rare qu'un
« cottage » n'ait pas un
bébé qui trottine, et toujours une
jeune fille de 15 à 16 ans fait office de
grande soeur. Les aînées aiment
à s'occuper de bébé et des
plus petites et chaque petite fille, dès
l'âge de 9 à 10 ans, aide la
« mère » aux soins du
ménage, si bien que le rôle de
celle-ci est surtout un rôle de surveillance.
Les petites filles frottent, époussettent,
font les lits, balaient, font la cuisine, lavent la
vaisselle, pèlent les pommes de terre, vont
aux commissions, en un mot, font marcher la maison
avec une ponctualité d'horloge. Nulle part
vous ne pourriez trouver des maisons plus
propres.
Chaque « cottage »
renferme tout ce qu'il faut pour meubler un heureux
foyer sans oublier tout un assortiment de
poupées, d'animaux, de chevaux
mécaniques, donnés par des
bienfaiteurs de l'oeuvre ; mais tout y est mis
en commun et s'il arrive parfois qu'une enfant,
plus spécialement remarquée.
reçoive un beau jouet, tricycle ou voiture
de poupée elle le partage avec ses petites
soeurs de la meilleure grâce du
monde.
La vie commune des cottages est plus
intéressante encore que celle de chaque
maison. Le spectacle de ces 1.400 fillettes
assemblées dans leur belle Église
pour chanter des hymnes, avec leurs
« mamans » et leurs
institutrices a de quoi réjouir les anges
eux-mêmes. L'école est vaste,
aérée, bien éclairée,
et les petites filles y ont l'air aussi heureuses
à l'étude que pendant les
récréations ou à l'heure du
thé qui les rassemble dans leurs maisons. Le
village montre avec orgueil une série de
tableaux remarquables, destinés à
donner aux enfants le sens de la
beauté et de la couleur. Ils ont
été exécutés et
donnés par de nombreux artistes : Sir
George Hampton et d'autres peintres en renom qui
partageaient son enthousiasme pour l'oeuvre de
Barnardo.
Le visiteur est encore frappé par
d'autres aspects de la vie des
« Homes ». Des jeunes filles
ayant dépassé l'âge scolaire et
en passe de devenir domestiques en Angleterre ou
à l'Étranger, font la lessive et le
repassage, dans des buanderies très bien
aménagées, non seulement pour le
village même, mais aussi pour les
institutrices qui habitent au dehors. Ceci
représente chaque semaine des milliers de
pièces de lingerie à laver et
à repasser, et ce travail est fait, je vous
assure, de façon impeccable.
La devise des
« Homes » étant :
« Aucun enfant abandonné ne sera
refusé », il y a donc, parmi les
1.400 fillettes, des malades et des infirmes ;
elles sont soignées à l'hôpital
australien qui comprend 70 lits destinés non
seulement aux enfants du village, mais aussi aux
pensionnaires logés en ville ou aux
« anciennes » qui ont besoin de
suivre un traitement particulier. Les petites
infirmes forment des familles comme les autres,
mais on a créé pour elles un atelier
de broderie, où elles font, pour gagner leur
vie, des ouvrages exquis. Certaines passent toute
leur vie dans les « Homes »,
où elles sont un vivant témoignage de
courage et de gaieté pour leurs soeurs bien
portantes.
En dix minutes de voiture, on a franchi
la distance qui sépare Barkingside, le
« Village Home » avec la
Cité des jardins, à Woodford Bridge.
Là c'est le domaine des garçons. Il y
en a plus de 700 qui vivent dans un décor
tout à fait différent. Dans ce
village, de plus de cinquante acres, les fleurs et
les gazons sont remplacés par des terrains
de jeux et de sport pour le football, le cricket,
au milieu desquels s'élèvent de
vastes maisons. Même les arbres ici sont
adaptés à leur destination : Ce
sont de vieux, mais vigoureux vétérans ayant
bravé bien des tempêtes et dont les
larges branches semblent spécialement faites
pour appeler les garçons à y exercer
leurs jeunes forces.
Ici, aussi, comme au « Village
Home », chaque maison a sa
« mère de famille » et
les travaux ménagers sont
exécutés par des « fils et
des frères ». Et dans ces maisons,
qui abritent 30 garçons, les pièces
reluisent tout comme si ces 30 garçons
étaient 30 filles. Même en arrivant
à l'improviste, on pourrait manger sur les
planchers tant ils sont propres.
Les garçons sont d'une adresse
toute féminine pour balayer, cirer, frotter,
faire les lits et la vaisselle. Ce n'en est pas
moins une lourde tâche pour la
« mère de famille » de
les diriger. Celles-ci le font par vocation et
presque toutes avec le sourire. Si vous leur
demandez ce qu'elles pensent de leurs
garçons, elles vous répondent
toutes : « Ils sont tout simplement
étonnants, nous les aimons mieux que les
filles ; ils sont bien plus
amusants ».
Ici la vie est organisée de
manière assez différente alors que
les maisons du « Village Home »
ne comprenaient que vingt fillettes, ici elles
abritent une trentaine de garçons car ils ne
prennent pas leurs repas dans leurs
« cottages » comme à
Barkingside. Mais ils se réunissent pour
cela au Canada-Hall, magnifique bâtiment
offert par des donateurs Canadiens qui dresse sa
tour d'horloge au centre de la
« City ».
Ce hall est plus qu'un simple réfectoire,
il sert chaque jour de salle de réunion,
sauf le dimanche matin où les habitants de
la « City » se rendent en masse
dans les églises de la localité
(1). Dans
cette
salle ont lieu chaque semaine, en hiver, des
séances de cinéma, des
conférences avec projections, des
réunions de chant, vétérans ayant
bravé bien des tempêtes et dont les
larges branches semblent spécialement faites
pour appeler les garçons à y exercer
leurs jeunes forces.
Ici, aussi, comme au « Village
Home », chaque maison a sa
« mère de famille » et
les travaux ménagers sont
exécutés par des « fils et
des frères ». Et dans ces maisons,
qui abritent 30 garçons, les pièces
reluisent tout comme si ces 30 garçons
étaient 30 filles. Même en arrivant
à l'improviste, on pourrait manger sur les
planchers tant ils sont propres.
Les garçons sont d'une adresse
toute féminine pour balayer, cirer, frotter,
faire les lits et la vaisselle. Ce n'en est pas
moins une lourde tâche pour la
« mère de famille » de
les diriger. Celles-ci le font par vocation et
presque toutes avec le sourire. Si vous leur
demandez ce qu'elles pensent de leurs
garçons, elles vous répondent
toutes : « Ils sont tout simplement
étonnants, nous les aimons mieux que les
filles ; ils sont bien plus
amusants ».
Ici la vie est organisée de
manière assez différente alors que
les maisons du « Village Home »
ne comprenaient que vingt fillettes, ici elles
abritent une trentaine de garçons car ils ne
prennent pas leurs repas dans leurs
« cottages » comme à
Barkingside. Mais ils se réunissent pour
cela au Canada-Hall, magnifique bâtiment
offert par des donateurs Canadiens qui dresse sa
tour d'horloge au centre de la
« City ».
Ce hall est plus qu'un simple
réfectoire, il sert chaque jour de salle de
réunion, sauf le dimanche matin où
les habitants de la « City » se
rendent en masse dans les églises de la
localité (2). Dans cette salle ont
lieu
chaque
semaine, en hiver, des séances de
cinéma, des conférences avec
projections, des réunions de chant, des réunions
particulières. Tous les dimanches soirs, une
réunion d'appel est présidée
soit par le directeur, soit par une
personnalité du dehors qui parle pendant
vingt minutes sur un sujet biblique.
La piscine est un autre centre
d'intérêt ; elle est vraiment
magnifique et les garçons l'aiment beaucoup.
Mais nous ne pouvons nous y arrêter
longuement : allez vous-même la voir et
vous trouverez que le spectacle qu'offrent les
enfants qui plongent, nagent ou s'ébattent
dans l'eau est vraiment captivant.
Là, sur de grands rochers
baignés de soleil, s'étendent des
quantités de garçons, pareils
à des phoques luisants, baignés de
lumière éclatante, tandis que
d'autres se laissent glisser des rochers
brûlants dans l'eau profonde.
Mais halte ! Notre enthousiasme
pour le City des garçons nous a conduit trop
loin et il ne nous reste plus assez de temps pour
parler de ses plans d'éducation, de son
hôpital, de ses salles de cercle, de sa
bibliothèque et de ses troupes
d'éclaireurs. Et de sa boulangerie,
où l'on cuit chaque jour plus de 2.000
pains, non seulement pour nourrir ces jeunes
affamés, mais pour approvisionner aussi tous
les « Homes » des environs. Il
est impossible, ici comme au « Village
Home » de voir tous les aspects de la vie
en commun, autrement que par des visites
renouvelées. Cependant il est une chose
qu'il faut dire : l'esprit étonnant de
la City. Un administrateur de l'assistance
publique, après avoir visité ce
« Home », déclarait
qu'il aurait donné volontiers dix ans de sa
vie pour que lui et ses collègues pussent
développer dans leur administration un
esprit de fraternité comme celui qui
règne entre les grands qui sont prêts
de quitter la City pour aller gagner leur vie et
les jeunes nouvellement arrivés.
Le dévouement des habitants de la
City pour le directeur et sa femme, l'esprit de
famille de ces enfants groupés autour de
leur « maman » pour
écouter les histoires
qu'elle leur raconte, réjouissent le coeur
de tous ceux qui aiment les garçons.
Le domaine
« Goldings », sur une
éminence à deux miles de Hetsford, au
milieu d'une superbe campagne, est le siège
de l'École Technique de William
Baker.
C'était à l'origine un
manoir entouré d'un vaste parc, mais son
propriétaire comprenant qu'il ne pouvait le
conserver tel quel et désireux de l'utiliser
pour une oeuvre, l'offrit à Barnardo pour un
prix minime. L'offre fut acceptée avec
reconnaissance et on transforma le château
pour y transférer les Écoles
professionnelles de Barnardo, jusque là
installées à Stepney
Causeway.
Après qu'on y eut fait de grandes
modifications, l'ancien manoir comprenait sept
beaux dortoirs pour 300 élèves et les
appartements du rez-de-chaussée
fournissaient des salles de classe idéale.
Il fallut naturellement construire un
réfectoire pour nourrir tous les grands
garçons ; les dépendances furent
transformées, comme par magie, en de
nombreux ateliers où l'on enseigne une
douzaine de métiers
différents.
Lorsque vous apercevez tous ces enfants,
autrefois abandonnés, sifflant joyeusement
à leur banc, devant leur établi de
cordonnier, devant leur enclume ou leur forge,
lorsque vous voyez tous ces meubles, ces
bibliothèques, ces belles chaussures, ces
vases bien tournés, ces affiches bien
imprimées qui sortent de leurs mains, vous
vous demandez : Où seraient ces enfants
et que feraient-ils sans les
« Homes » de
Barnardo ?
Nous ne pouvons étudier en
détail ce centre industriel ; disons
seulement que toutes les chaussures portées
par les enfants des « Homes »
proviennent des ateliers où travaillent ces
jeunes cordonniers ; ce qui représente
une production de 250 paires neuves par semaine et
la réparation de 500 autres paires. Les
garçons fabriquent là aussi la
plupart des meubles, et toutes les casseroles ou
marmites nécessaires aux
« Homes ».
Ils font aussi toutes les malles qui
servent aux jeunes gens qui émigrent ;
dans leur propre station électrique ils
produisent la lumière et la force
nécessaires à la
« City ». Ils cultivent
eux-mêmes tous leurs légumes et
presque tous leurs fruits, et même les
voiturettes qui parcourent les routes, de
« Home » en
« Home », pour échanger
les produits, sont en partie leur oeuvre ; de
même tous les imprimés des
« Homes » sortent des presses
de « Goldings ».
Mais comment se fait-il que cette
école porte le nom de William Baker ?
Ici encore, se place un récit presque
invraisemblable. Un ami, fidèle et
enthousiaste de l'oeuvre de Barnardo, M. Baker,
deux fois lauréat de l'Université de
Dublin, et qui avait obtenu à ses examens de
droit, les plus hautes distinctions, abandonna, en
1905, à la mort du Dr Barnardo, une
situation lucrative au barreau, pour se consacrer
entièrement au service des
« Homes ». L'École
Industrielle porte son nom, pour commémorer
quinze années entièrement
consacrées à ce travail
bénévole. Mais les oeuvres de
Barnardo ont des collaborateurs inconnus aussi bien
que connus. L'endroit le plus délicieux de
« Goldings » est la Chapelle,
qui peut contenir les 300 élèves sans
compter de nombreux visiteurs. Cependant les
donateurs, qui ont permis l'érection de cet
édifice, ont voulu rester anonymes. À
l'intérieur, sur une modeste plaque, on peut
lire ces mots :
Un coup d'oeil si rapide sur l'oeuvre de
Barnardo ne doit cependant pas nous faire
négliger l'École d'instruction navale
de Watts, où l'on prépare les jeunes
garçons qui veulent entrer dans la marine
royale. Cette école, située à
Elmham, dans le Norfolk, fut bâtie, tout
d'abord, pour être l'Institut agricole du
Comté. Elle fut inaugurée, à
ce titre, par le Roi Edouard VII, alors prince de
Galles. Mais elle n'eut pas de succès et dut
finalement fermer ses portes. En 1901, un armateur,
M. Ed. H. Watts, après avoir soumis son
projet à Barnardo, acheta l'école et
ses cinquante-quatre arpents de terrain. Il
dépensa des milliers de livres pour la
transformer en un « navire sur
terre » ; puis il l'offrit au
docteur Barnardo, comme Centre d'Instruction
Navale. Elle devint florissante grâce au
génie de Barnardo. Il suffit de
fréquenter cette école pendant
quelques jours pour comprendre le secret du
succès des garçons de Barnardo dans
les carrières maritimes. Le directeur est un
chrétien, ancien capitaine de navire, qui
possède trente ans d'expérience sur
mer, et chaque homme de son équipage est un
véritable marin. Dans cette école,
chaque détail rappelle la vie en mer. Des
cloches, à la voix profonde, piquent les
heures. L'appel et les ordres sont donnés au
clairon. Un orchestre, magnifiquement
entraîné, fait vibrer l'air de ses
airs joyeux. On voit partout des cordages, des
navires, des ceintures de sauvetage et des
ancres ; et l'uniforme de la marine,
porté par les officiers et les jeunes
garçons, complète l'illusion de la
vie en mer.
Mais n'essayez pas d'entrer dans trop de
détails, car à moins d'être un
vrai marin, tout vous paraîtra
extrêmement compliqué. L'école,
elle-même, a été rebâtie
de façon à donner l'illusion d'un
énorme navire, avec ses ponts, son gaillard
d'arrière, sa proue et sa poupe, sa
passerelle et son gouvernail ; quant aux
activités de l'équipage, elles sont
extrêmement nombreuses.
Réveillés dès
l'aube par le son des clairons, ces « matelots »
ont
achevé leurs ablutions matinales et
dévoré leur déjeuner avant que
la plupart d'entre nous soient
réveillés. Puis, avant de commencer
les classes et les exercices, le directeur, les
officiers et l'équipage se rassemblent pour
la prière dans le grand
« Hall ».
Le chapelain, diplômé de
l'Université de Cambridge, lit un court
passage de l'Écriture et développe
son texte pendant sept minutes. Après le
chant de deux cantiques émouvants, le culte
est terminé.
Ensuite les jeunes garçons se
rendent rapidement à leurs quartiers
respectifs, soit pour la classe, soit pour
l'exercice. Et, si vous vous promenez alors, d'un
pont à l'autre et de cabine en cabine, votre
admiration ne fera qu'augmenter. Dans cette salle,
vous trouverez une classe absorbée par les
mystères de la géométrie ou de
l'algèbre ; ailleurs, ils
étudient la géométrie dans
l'espace ou l'arithmétique dans une
troisième, c'est l'histoire et la
géographie plus loin, ils travaillent la
grammaire et la composition. « La routine
ordinaire d'une école »,
direz-vous ? Peut-être. Bien que
l'esprit de Barnardo soit à l'oeuvre,
même en classe. Allez maintenant jusqu'au
gymnase et vous verrez les jeunes garçons
à l'oeuvre, sur les trapèzes,
à la barre, aux cordages et aux
échelles, sur la piste ou au sommet des
mâts ; et en voyant leurs bras
vigoureux, leur visage hâlé, leurs
dents éclatantes, leur regard brillant et
par-dessus tout leur irrésistible bonne
humeur, vous ne serez pas un homme, si vous ne
partagez pas leur contagieuse
gaieté.
La piscine offre un spectacle encore
plus captivant que le gymnase, tandis que celui de
la salle de tir et du travail par équipe
fait haleter d'effroi les non-initiés.
Là, nous est révélé
comment on forme un marin de Barnardo.
Cette école a mille attraits. Sa
chapelle est presque aussi belle que celle de
« Goldings », sa
bibliothèque contient des livres offerts par
la Reine, des histoires de
marins, des ouvrages de voyages et
d'aventures ; sa revue est l'une des mieux
faites parmi celles qu'éditent les
« Barnardo's Homes ».
Les rapports flatteurs fournis sur
l'école par les services officiels de
l'Amirauté, prouvent sa haute
valeur.
Après avoir terminé leurs
études à l'école de Watts, les
garçons de quinze à seize ans vont
à Shotley, à l'École Navale du
Gouvernement, qui comprend mille
élèves, pour achever leur
éducation navale ; et le succès
des jeunes garçons Barnardo est surprenant.
En 1923, le Gouvernement établit un
système de prix à l'entrée
pour les meilleurs candidats et jusqu'à
maintenant les garçons Barnardo ont obtenu
les trois-quarts des premiers prix, un bon
pourcentage des seconds et certaines années
les premiers et les seconds. Le rapport,
signé du capitaine Noble, Commandant du
Centre d'Instruction navale de Shotley,
déclara, le 15 juin 1926, qu'un jeune
garçon Barnardo, nomme Hardaker, obtint les
notes les plus hautes que puisse obtenir un
élève brillant aux examens de
sortie.
Aussi remarquable que soit
l'École d'Instruction Navale de Watts, elle
est nettement dépassée par
l'École Nautique de Russell-Cotes, une autre
branche de l'oeuvre de Barnardo à Parkstone,
dans le comté du Dorset, dont le but est de
préparer les jeunes gens pour la marine
marchande. On trouve là aussi des cloches,
des clairons, des uniformes, de la musique, les
mystères de la Radio et des connaissances
nautiques. Mais ce qui frappe le plus, c'est
l'esprit de corps de l'école. La joyeuse
fraternité entre le personnel et les jeunes
garçons est étonnante à voir.
Elle révèle un esprit que la plupart
des écoles publiques pourraient envier.
Cependant, cet esprit de corps n'est pas
particulier à l'école de
Russel-Cotes ; il représente
l'âme du système Barnardo.
Les centres que nous venons de visiter
sont les plus typiques de l'oeuvre de Barnardo.
Cependant, quelques-unes de ses
réalisations les plus étonnantes se
trouvent dans une douzaine de branches
secondaires.
Il existe, à Liverpool, un Foyer
d'Émigration où résident toute
l'année cent cinquante garçons. Ils y
font un stage de trois mois pour prouver leurs
aptitudes à la vie de colon, au Canada ou en
Australie. Des efforts très
intéressants ont été faits
dans ce but. Nous en avons deux exemples
particulièrement frappants. L'un, est un
arrangement avec la municipalité de
Liverpool, par lequel les jeunes garçons
passent plusieurs heures par jour, dans les
écuries de la ville, à nourrir,
étriller, harnacher les chevaux,
préparer leur litière et leur donner
tous les soins généraux. On leur
apprend aussi à monter à cheval et
à conduire. L'autre est un arrangement avec
l'Association des vachers de Liverpool, par lequel
les jeunes garçons vont dans les
différentes étables et apprennent
à les nettoyer, à soigner les veaux,
à traire les vaches, à
récolter la crème et à
accomplir une vingtaine d'autres tâches
occasionnelles. Quel a été l'effet de
cette organisation ? Partout où je suis
allé, dans les écuries et les
étables, les surveillants ne tarissaient pas
d'éloges. Ils disaient tous que les
garçons étaient pleins de bonne
volonté et apprenaient très vite,
qu'ils étaient bons pour les animaux et
qu'on ne trouverait jamais un groupe de jeunes
garçons d'esprit plus chevaleresque. Mais le
plus bel éloge vient d'au delà des
mers. L'oeuvre Barnardo a reçu de nombreuses
lettres de fermiers canadiens, qui expriment leur
satisfaction à cause des connaissances
précises concernant les chevaux et le
bétail, que ces jeunes garçons
avaient acquises avant d'avoir jamais vu une ferme
canadienne.
Une autre branche secondaire de l'oeuvre
est l'École de Musique de Garçons,
située à Clapham, et qui comprend 150
jeunes musiciens. Dans tout l'Empire Colonial, bien
des gens ont été émus par les
concerts donnés par les
protégés de Barnardo ; cependant
chacun de ceux qui ont fait de si
brillantes études musicales, était
autrefois un enfant abandonné, privé
de tout. Son talent même, il le doit aux
« Homes ». La musique est
enseignée dans toutes les branches de
l'oeuvre, et avec de bons résultats ;
mais Clapham est le dernier centre pour les enfants
doués. Certains
« anciens » de Clapham dirigent
des orchestres par le monde entier et ceci nous
montre bien que leur éducation musicale est
complète. Quelques-uns ont joué des
solis aux concerts à Queen's Hall et au
Royal Albert Hall à Londres, tandis que le
conseiller musical actuel au Conseil de
Comté à Londres, M. Walter Reynolds,
qui prépare et dirige tous les concerts
publics, est fier de se proclamer un
« garçon
Barnardo ».
Dans la famille Barnardo, il y a un
millier de bébés, dont on prend soin
par un ingénieux système de
placement. D'autres sont placés dans des
« familles », au
« Village Home » des jeunes
filles et dans d'autres branches similaires. Mais
tous ces bébés doivent être
bien portants ; or il y en a toujours un grand
nombre qui, sans être aveugles sourds ou
muets, sont cependant délicats. C'est pour
eux que Barnardo ouvrit, à Hawkhurst, dans
le comté de Kent, au milieu d'un paysage
charmant, son pittoresque Château de
Bébés. On peut voir là environ
soixante-dix bébés qui, grâce
aux soins d'infirmières
diplômées et de jardinières
d'enfants, retrouvent peu à peu la
santé. Et la vue de ces petits, dans leur
berceau, leur hamac, ou sur les balançoires,
creusant des trous dans le sable, se roulant dans
l'herbe, ou s'amusant à l'école, est
un divertissement que, seul, peut offrir le Royaume
des bébés.
Ces descriptions rapides de quelques
centres de l'oeuvre Barnardo ne peuvent que faire
deviner les proportions de cette oeuvre aux
branches innombrables. L'intérêt du
système se voit surtout à la
façon dont il a été
imité. En Angleterre, l'Église
établie, l'Armée du Salut, les
Églises Méthodistes et Baptistes et même l'Eglise
Catholique
Romaine, ont établi des plans de sauvetage
de l'enfance sur le modèle de ceux de
Barnardo. C'est aussi l'origine des
« Quarrier Homes » en
Écosse. Le directeur actuel des
« Knowles Home » pour le
sauvetage de l'enfance au Canada est aussi un
ancien « garçon
Barnardo » ; tandis que d'autres
pays à l'Orient et à l'Occident se
glorifient d'organisations de sauvetage de
l'enfance, dont l'origine remonte à celle de
Barnardo. Et cette influence s'étend de plus
en plus ; car une fois par mois, toutes les
branches de l'oeuvre Barnardo sont visitées
par des spécialistes de l'enfance et des
agents des gouvernements de tous les continents.
Depuis quelques décades, les États
eux-mêmes commencent à
reconnaître leur dette envers le génie
de Barnardo. En 1896, un éminent Ministre
d'État, qui fut pendant deux ans
président d'une Commission Royale,
nommé pour étudier les organisations
d'assistance publique et les institutions
similaires, déclarait que « quelle
que soit la dette du Gouvernement envers Barnardo
pour tout ce qu'il fit lui-même, il lui doit
encore plus pour tout ce qu'il a enseigné
à faire à son
pays ».
Mais que savons-nous du Fondateur de ces
organismes ? Qui était donc celui qu'on
a appelé « le Père des
enfants qui ne sont à
personne » ? Comment se fait-il
qu'il ait eu cette vision ? Dans quelles
circonstances naquit son oeuvre ? Dans quelle
atmosphère fut-elle poursuivie ? Avec
quels subsides ? Quels étaient ses
principes ? Quel est actuellement le but des
« Homes » ? Comment
Barnardo donna-t-il un exemple au monde
moderne ? Ces questions et une centaine
d'autres encore doivent maintenant retenir notre
attention.
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