De nos jours, plus que jamais, on est
curieux de l'origine des choses, de la
manière dont elles se forment, de ce
qu'elles comportent de réalité ou de
simple apparence. Nous cherchons des raisons, nous
cherchons des explications, qu'il s'agisse de
longueurs d'onde ou de névroses, d'une
banqueroute financière ou d'une nouvelle
doctrine théologique, d'un Gandhi ou d'un
Mussolini. Notre époque ne croit plus
qu'à la recherche, aux enquêtes, aux
questionnaires. Il est grand temps, me semble-t-il,
que quelqu'un essaye de se servir pratiquement des
résultats de toutes ces enquêtes pour
en tirer, par exemple dans la question qui nous
occupe, des indications précises et
utilisables, au lieu de laisser les parents et les
éducateurs, après s'être
débattus dans l'incertitude et le
découragement, se réfugier enfin dans
l'abstention ; au lieu de laisser les enfants
abandonnés à eux-mêmes,
privés de la boussole qui seule pourrait les
guider, et les sauver de tous les
péchés qu'entraînent
l'ignorance, la négligence, l'absence de bonnes
habitudes.
C'est là ce que je voudrais essayer de faire
ici, sur cette question de la prière.
La formation du caractère et
l'éducation religieuse n'ont pas
manqué d'être soumises, elles aussi,
à la recherche et à l'enquête
méthodiques. Le premier problème qui
se présente à nous, en
étudiant les résultats des recherches
sur la prière, soit chez les enfants, soit
chez les adultes, est un problème
pratique : comment nous y prendre pour
apprendre aux enfants à prier et pour les
pénétrer de la réalité
de Dieu et de la prière ? C'est un
problème fondamental, car de sa solution
dépend toute la formation du
caractère.
Sans la parfaite droiture, on ne peut former
aucun vrai caractère. Sans la vraie
religion, on n'a aucune base solide pour la
parfaite droiture. Sans la prière
authentique, il ne saurait y avoir de vraie
religion. La prière est donc le fondement
premier et le fondement nécessaire de toute
éducation religieuse, et cette
éducation doit commencer dès que
l'enfant commence à parler, et
peut-être même plus tôt.
Dès que l'enfant peut comprendre certains
mots, il est en état de saisir et de prendre
l'attitude de la prière. Quant au sens
même de la prière, il le saisira
à la fois par l'attitude de ses parents et
par les mots qu'ils prononcent et la façon
dont ils les prononcent. Quelle n'est pas la
responsabilité devant Dieu des parents qui
devant un petit enfant parlent à Dieu sans
conviction !
Que l'enfant s'agenouille, ou bien qu'il
incline la tête quand son père ou sa
mère prie avec lui, et qu'il apprenne que
cela s'appelle « la
prière ». Qu'il s'habitue à
entendre ces mots : « Dieu,
prière, prier Dieu, s'agenouiller, incliner la
tête. » Et puis dès qu'il
est capable, si peu que ce soit, d'articuler
quelques mots, qu'il commence à prier
lui-même, à sa façon ; non
pas à réciter une prière, mais
vraiment à prier. Autrefois l'on apprenait
aux enfants des petites ritournelles dans ce
genre :
- « Je me couche sans peur dans mon petit lit blanc.
- Le bon ange me dit : Dors bien, petit enfant,
- Dors bien, dors bien !
- Pense à Dieu dans le ciel et puis ne dis plus rien. »
Quelle impression cela peut-il faire à
notre époque sur un enfant d'aujourd'hui et
sur ceux qui l'entourent ? Les jouets
perfectionnés que la science et l'industrie
lui offrent ne lui paraîtront-ils pas cent
fois plus réels que ces ritournelles
puériles ?
Non, les premières prières de
l'enfant ne doivent pas être des mots qu'il
répète mécaniquement. Il faut
qu'elles jaillissent de sa pensée enfantine,
telle qu'elle est. Rappelez-vous que l'enfant
pense, bien avant de parler lui-même. Si vous
voulez que sa prière exprime vraiment ce
qu'il a dans le coeur, qu'elle le mette en contact
avec Dieu, il faut qu'il trouve en lui-même
et ce qu'il dira dans sa prière et les mots
pour le dire. L'instinct naturel de l'enfant est
essentiellement égoïste : il
s'intéresse avant tout, quoi de plus
naturel ? à son propre corps, à
ses propres actions, à ses propres
désirs. C'est cela qui lui apparaît
avant tout comme réel, et ses
premières prières se rapportent tout
naturellement à ce dont il a envie, à
ce dont il a besoin, à ce qu'il convoite. Au
lieu de réprimer ces prières
enfantines ou d'en rire, profitez-en pour
infléchir graduellement
les désirs de l'enfant vers ce qui n'est
plus égoïste, vers les plaisirs des
autres et les désirs des autres. Vous y
arriverez sans peine.
Les premières prières d'un
enfant sont naturellement des requêtes ou
pour lui-même ou pour les autres. Dès
que vous sentirez que cela est possible, donnez-lui
l'idée d'ajouter à ses demandes
l'expression de sa reconnaissance envers Dieu. Mais
que ce ne soit pas par une formule
stéréotypée. Apprenez
seulement à l'enfant à dire :
Merci ! à Dieu pour tout ce que Dieu
lui donne, exactement comme vous lui apprenez
à dire : Merci ! pour tout ce
qu'on lui donne. Ne craignez pas de lui
répéter la chose, pour qu'elle se
grave dans son esprit.
Après la reconnaissance, il faut
apprendre à l'enfant à joindre
à sa prière l'intercession pour les
autres. Prenez d'abord la personne pour qui
l'intercession paraîtra à l'enfant la
plus indiquée tel de ses camarades, une
personne malade ou affligée. À notre
École du dimanche, un enfant dans sa
prière dit « 0 Dieu, que papa se
mette à sourire ! » On n'a
pas besoin de souligner l'importance et
l'efficacité d'une prière comme
celle-là.
Enfin l'adoration doit intervenir dans la
prière de l'enfant. Mais là encore,
il importe avant tout que l'enfant s'y sente
porté tout naturellement, et que ce ne soit
pas une notion abstraite, étrangère
à sa pensée d'enfant, des mots qu'on
lui inculque et qui ne lui disent rien.
Qu'on me permette ici d'insister sur un
point. je voudrais qu'on évitât
scrupuleusement de donner à l'enfant aucune
définition de Dieu, qui serait un effort
pour le délimiter en
usant d'expressions et de métaphores
humaines. On verra plus loin les raisons qui me
poussent à faire une telle recommandation.
La prière d'adoration contient en elle
implicitement tout ce qu'il importe de savoir de
Dieu. Que l'enfant se fasse à lui-même
sa notion de Dieu, sans autres directives que
l'idée de Bonté infinie et d'Amour
infini, qui résulte nécessairement de
la manière dont nous avons appris à
l'enfant à prier.
Dès que la prière de l'enfant
s'est haussée jusqu'à l'adoration, il
a commencé à saisir dans sa vie la
réalité de Dieu, quelque chose qui
dépasse tout être humain, et
même son père et sa mère. Si
vague et enfantine que puisse être sa
conception, c'est néanmoins
déjà une conception de Dieu, du
Père de tous les humains.
La prière de l'enfant doit donc
évoluer graduellement de l'amour de soi
à l'amour des autres. Elle doit englober
successivement la requête, la reconnaissance,
l'intercession, et enfin l'adoration. Il est
impossible de fixer avec exactitude l'âge
où chaque enfant pourra saisir pleinement
chacun de ces degrés successifs. Il est fort
possible, il est même peut-être
souhaitable que les tout jeunes enfants ne soient
pas à même de s'en faire une
idée très précise et
très explicite, mais il est pourtant
désirable que l'habitude et je dirai le
sentiment de la prière soient acquis de
très bonne heure.
La prière spontanée, où
l'enfant use de son propre langage, doit exister au
commencement, pour que l'enfant sente par
lui-même ce que c'est que la prière.
Mais d'assez bonne heure il convient d'y ajouter
certaines prières dont le
texte est fixé, prières liturgiques,
que l'enfant doit apprendre par coeur. Ces
prières pourront aider l'enfant à
franchir les divers stades que nous venons
d'énumérer, mais il est entendu que
ceux qui l'instruisent doivent éviter
par-dessus tout que l'enfant perde sa
spontanéité, son naturel, son
altruisme instinctif.
On peut indiquer plusieurs raisons assez
importantes pour lesquelles il est bon d'enseigner
aux enfants des prières toutes faites.
Premièrement, elles donnent aux enfants de
bons exemples de ce que devraient être leurs
prières. Les enfants sont amenés par
là à imiter eux-mêmes ces
prières qu'on leur apprend, de la même
façon qu'ils imitent la prière de
leur papa ou de leur maman. En second lieu, la
notion essentielle de communion dans la
prière se manifeste et prend corps pour
ainsi dire dans l'esprit de l'enfant quand il
répète une prière liturgique
en même temps que ses petits camarades, ou
bien en même temps que l'un de ses parents ou
de ses éducateurs. Il est facile de faire
comprendre aux enfants que lorsque le but pour
lequel on prie est le même pour tous, il vaut
mieux que les mots et les expressions
employés soient exactement les mêmes,
sans quoi, au lieu de réaliser
l'unité et la communion parfaite dans la
prière, on n'aboutirait qu'à la
confusion et à la discorde. En
troisième lieu, la prière liturgique
incite à une certaine gravité de ton,
à une attitude de respect et d'adoration.
Nous-mêmes n'avons-nous pas une tendance
à réciter les prières
liturgiques de notre Prayer Book sur un ton plus
solennel et plus grave que celui qui nous vient
naturellement dans nos prières
d'abondance ? Il en est de même pour
l'enfant.
Cela peut lui être d'un grand secours
pour l'aider à saisir tout le respect et
tout le sérieux que comporte un acte
d'adoration. Cela contribuera à
développer en lui ce sentiment d'adoration
qui nous est apparu comme le plus haut degré
de la prière, et qui doit s'unir chez
l'enfant à la spontanéité de
la prière instinctive et enfantine.
Il est à propos de ne commencer
d'apprendre à l'enfant une prière
liturgique que lorsqu'on a le sentiment qu'il est
arrivé à bien saisir par
lui-même ce que c'est que la prière.
À partir de ce moment-là, il est bon
de conjoindre les deux sortes de prière, la
prière spontanée et la prière
liturgique, et de les faire progresser côte
à côte. Toute prière que l'on
enseigne à un enfant doit être choisie
avec beaucoup de soin et de discernement. Elle doit
être dans un langage simple,
entièrement accessible à
l'intelligence de l'enfant. Au début elle ne
devrait comprendre, parmi les
éléments successifs que nous avons
énumérés plus haut, que
ceux-là seulement dont l'enfant a
déjà connaissance par ses petites
prières spontanées. Mais bien entendu
il faut viser à ce que la prière
apprise par l'enfant puisse embrasser peu à
peu tous ces éléments distincts.
C'est vers cette époque que l'on
pourra apprendre à l'enfant la prière
du Seigneur, l'Oraison dominicale, la prière
exemplaire par excellence. L'explication de cette
prière, phrase après phrase, peut
très bien précéder, dans
l'éducation religieuse de l'enfant, l'usage
qu'il en fera plus tard, comme d'une prière
proprement dite. On expliquera successivement
à l'enfant chaque membre de phrase, en le
rattachant étroitement à celui qui
précède :
- Notre Père ...
- Qui es aux cieux ...
- Que ton saint Nom soit glorifié.
- Que ton règne vienne.
- Que ta volonté soit faite...
- Sur la terre...
- Comme elle se fait dans le ciel.
- Donne-nous aujourd'hui le pain de la journée.
- Et pardonne-nous nos offenses...
- Comme nous pardonnons...
- À ceux qui nous ont offensés.
- Et ne nous amène pas dans la tentation,
- Mais délivre-nous du Malin.
Que l'enfant peu à peu apprenne toutes
ces phrases par coeur. Tâchez de trouver pour
chacune d'elles une image et un exemple qui les lui
gravent dans la mémoire. Usez de tous les
moyens que met à votre disposition la
pédagogie moderne, pour que ce texte
sacré ne soit pas pour les enfants un amas
de mots incompris, une ritournelle, un simple
exercice de mémoire. Vous trouverez bien des
indications profitables dans le nombreuses
publications destinées aux moniteurs
d'Écoles du dimanche.
Il est bon que les enfants fassent leur
prière tantôt à haute voix,
tantôt en silence. Il est bon de leur faire
saisir, par la prière silencieuse, ce qu'est
la communion directe avec Dieu. Il est bon, par la
prière à haute voix, de leur faire
saisir la valeur de la communion avec les autres,
de combattre en eux la fausse honte, de justifier
par là les moments réguliers
où l'on prie ensemble. La prière
à haute voix permet en
outre à l'éducateur de se rendre
mieux compte des progrès de l'enfant, soit
dans sa conception de la prière, soit dans
l'expression qu'il arrive à lui donner.
De même, il est bon d'apprendre aux
enfants à prier tantôt seuls et
tantôt avec les autres, de façon que
ces deux manières de prier leur soient
également agréables et faciles. Les
enfants sont portés tout naturellement
à ces deux sortes de prières ;
il faut se garder seulement de leur rien
suggérer qui les trouble ou qui leur donne
la crainte du qu'en dira-t-on. Une petite fille de
notre École du dimanche avait appris de sa
monitrice la pratique du recueillement, pour prier
Dieu et pour l'écouter. Rentrée chez
elle, le soir, elle dit tout naïvement
à une grande personne de sa famille :
« Est-ce que tu ne voudrais pas te
recueillir aussi devant Dieu ? Est-ce que tu
ne veux pas que nous ayons ensemble un
recueillement, pour écouter Dieu, tous les
deux ? »
L'attitude qu'on prend pour la prière
a son importance. Les enfants là-dessus
commencent naturellement par imiter les grandes
personnes, mais il est bon qu'ils se rendent compte
de ce que signifie cette attitude et qu'ils la
prennent à bon escient. Il convient de leur
apprendre pourquoi nous inclinons la tête,
pourquoi nous nous agenouillons, pourquoi nous nous
tenons debout pour prier, et aussi pour quelles
raisons nous observons tantôt telle attitude,
et tantôt telle autre. Il faut leur apprendre
que si nous fermons les yeux en priant, c'est pour
écarter de notre pensée toutes les
choses du dehors qui pourraient nous distraire et
nous
empêcher de communier avec Dieu sans
interruption. En suivant l'exemple que nous leur
donnons, en imitant notre attitude, ils se
pénètrent insensiblement de ce que
j'appellerai l'atmosphère de la
prière. On doit tout faire pour
développer et pour maintenir cette
atmosphère de prière, de
réalité spirituelle et d'adoration.
Une telle influence fera plus que beaucoup d'autres
moyens pour préserver les enfants de la
légèreté et du langage
malpropre. Le petit garçon ou la petite
fille qui sent, dans sa prière, la
réalité de Dieu et celle de
Jésus Christ, ne se laissera pas aller
à parler le mauvais langage de tant des
enfants d'aujourd'hui.
Dans notre École du dimanche à
l'Eglise du Calvaire, nous essayons depuis quatre
ans d'appliquer quelques. unes de ces idées
sur la prière, et nous avons sujet
d'être reconnaissants à Dieu pour les
résultats déjà obtenus. Pour
commencer, lorsque tous les enfants sont
réunis ensemble, nous leur apprenons
à fléchir les genoux et à
incliner la tête dès qu'ils sont
entrés dans l'église, pour le service
d'adoration qui précède la
leçon. Après quoi nous leur faisons
chercher et nous dire de leur mieux la raison d'une
telle attitude. Puis nous leur demandons quel doit
être l'objet de la prière qu'ils
doivent faire à ce moment-là. Les
trois choses qu'ils ont trouvées et dont ils
nous ont fait part, c'est :
1° demander à Dieu de
bénir notre École du dimanche ;
2° demander à Dieu que les
moniteurs fassent bien leurs groupes ;
3° demander à Dieu que les
élèves écoutent bien et
apprennent bien leur leçon.
Il s'agit ici, on le voit, de requête
et d'intercession. il nous reste à y joindre
la reconnaissance et l'adoration. Jusqu'à présent
nous n'avons pas essayé de rédiger un
texte fixe pour cette prière du
début. Je me contente de rappeler de temps
en temps aux enfants les trois points qu'ils ont
trouvés par eux-mêmes pour cette
prière initiale.
Nous avions un petit bonhomme qui s'asseyait
toujours à l'extrémité du
premier banc, tout en avant. Il disait toujours
cette première prière à
très haute voix, sa tête
inclinée et les deux mains serrées
sur ses yeux bien fermés. Nous le laissions
faire, pour ne pas susciter en lui le sentiment de
son importance ou la crainte du qu'en dira-t-on.
D'ailleurs, les autres enfants n'y prenaient pas
garde. Mais je me demandais quelquefois ce que
pouvait ressentir un moniteur insuffisamment
préparé en entendant retentir cette
prière dans l'église :
« Que Dieu bénisse notre
École ! Que Dieu fasse bien parler ceux
qui nous instruisent ! Que Dieu nous fasse
bien écouter ! »
Une autre indication que nous avons
donnée à nos enfants les oriente vers
l'idée de la sincérité
parfaite et les prépare à l'usage des
prières liturgiques. C'est tout simplement
une remarque sur le sens et la portée du mot
« amen ». Les enfants savaient
déjà que ce mot, à la fin
d'une prière, signifie qu'on la signe pour
ainsi parler, c'est à dire qu'on est tout
à fait d'accord avec tout ce qu'elle
contient. Nous en avons profité pour leur
recommander de faire bien attention à tout
ce que renferme une prière, de
manière à être parfaitement
d'accord avec tout ce qu'elle dit.
Aux dînés, nous avons pu bien
expliquer ce que c'est que le recueillement. Les
enfants prient à haute voix, ils prient en
silence, ils
prient en même temps que leurs monitrices.
Ils se communiquent les uns aux autres les
directions qu'ils ont reçues durant le
silence. Les résultats sont d'une richesse
et d'une portée merveilleuses.
J'en reviens à ce que je disais au
début de ce chapitre. L'éducation
religieuse doit commencer dès que l'enfant
commence à parler, et même avant. La
première chose à faire, c'est de lui
apprendre à prier. Sans ce fondement
indispensable de la prière spontanée
et vivante, la religion n'est qu'une habitude
extérieure et sans efficacité.
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