Ce livre n'est en somme qu'une
série de notes prises au jour le jour,
où j'ai voulu rassembler les principaux
résultats de mon expérience dans
l'enseignement religieux donné le dimanche
ou dans la semaine à un grand nombre
d'enfants.
J'ai voulu montrer que la vie spirituelle
est toujours possible chez les enfants. Mais si
elle ne commence pas dès l'enfance, elle ne
s'acquiert plus que très difficilement et
dans la souffrance.
J'ai voulu esquisser ce que doit devenir
l'éducation religieuse pour qu'on ne puisse
jamais plus dire à l'avenir qu'elle ne sert
à rien lorsqu'il s'agit de former un
caractère et de prévenir la
criminalité.
J'ai voulu enfin montrer aux parents et aux
éducateurs qui ont fait eux-mêmes,
d'une manière profonde et radicale,
l'expérience de la vie du Christ en eux,
comment ils peuvent à leur tour transmettre
cette expérience lumineuse aux jeunes
âmes dont ils s'occupent, pour que cette foi
subsiste en eux et les dirige quand
l'éducateur ne sera plus là, pour
qu'elle les soutienne durant toute leur vie comme
aucun idéal humain ni aucune pratique de
morale humaine n'a pu le faire jusqu'ici. Depuis
une dizaine d'années,
quelques-uns d'entre nous ont acquis la conviction
qu'il y a des principes fondamentaux sur lesquels
on peut édifier la vie spirituelle dont je
parle. Et nous croyons que même les petits
enfants peuvent comprendre et saisir ces principes,
pour résoudre à leur lumière
les difficultés de leur âge.
Comment débute chez l'enfant la vie
spirituelle ? Comment acquiert-il ses
premières notions sur Dieu, sur la religion,
sur les choses de l'esprit ? Lui
viennent-elles toujours de l'enseignement
donné par quelqu'un ? Viennent-elles
nécessairement de sa famille, de son
école, de son entourage, de son milieu
social ? Ou bien sont-elles en nous un don de
Dieu, né avec nous, qui est, comme toutes
nos tendances innées, apte à
s'épanouir ou au contraire à se
flétrir sous l'influence des circonstances
extérieures ?
Tout récemment, on nous amena une
enfant de dix à onze ans. Sa mère,
qui nous l'amenait, était dans un grand
embarras. C'était une enfant unique. Son
père et sa mère appartenaient
à deux confessions opposées et
irréconciliables. Ils étaient
tombés d'accord pour ne donner à leur
unique enfant aucune instruction religieuse
quelconque, mais pour la laisser libre, le moment
venu, de prendre connaissance de toutes les
religions et de choisir celle qu'elle voudrait.
D'une façon mystérieuse, à un
moment donné, cette enfant eut l'impulsion
de prier Dieu, sans que (d'après tout ce
qu'on a pu savoir et d'après son propre
témoignage) l'on puisse attribuer la chose
à personne qu'à Dieu seul. La
fillette n'aurait pas pu dire ce
qu'elle concevait ainsi, elle n'avait certainement
jamais pensé ni à la
personnalité de Dieu ni à Sa demeure.
Sa principale prière était que Dieu
fît « que papa et maman cessent de
se battre » ; un peu plus tard que
Dieu fît que son père lui permette
d'aller à une réunion d'enfants dans
une église, réunion
fréquentée par certaines de ses
petites camarades. Aucun des deux parents n'avait
refusé cette permission, car aucun d'eux ne
savait qu'elle voulait aller à cette
réunion. Mais à son foyer la religion
était totalement absente. Ni son père
ni sa mère, à sa connaissance,
n'allait à aucune église. En secret,
chacun d'eux observait à sa façon
certaines fêtes consacrées par
l'Eglise à laquelle il appartenait, mais la
fillette n'en savait rien. Elle n'avait jamais
entendu parler d'Eglise que comme une chose dont on
a peur. Dieu était tabou dans cette
maison-là.
La mère finit par s'apercevoir que la
fillette priait à sa façon et qu'elle
était travaillée par toutes ces
questions, et elle s'en aperçut en
interrogeant l'enfant à propos de divers
incidents qui avaient attiré son attention.
Le père trouvait tout cela ridicule, il
estimait que cela n'avait aucune importance, et il
accusait même la mère de manquer
à sa promesse, relative à l'absence
totale d'éducation religieuse. Et cependant
l'Eglise à laquelle la petite voulait aller
n'était ni celle du père ni celle de
la mère, mais également
opposée aux deux. Je n'ai pas pu savoir la
fin de l'histoire, car nous n'avons connu l'enfant
que pendant quelques mois. je l'ai racontée
comme un exemple de ce que je crois fermement,
à savoir que le besoin de saisir Dieu et les
réalités spirituelles fait partie
intégrante de notre
être, de nos instincts fondamentaux, et que
cette aspiration vers Dieu est satisfaite ou bien
étouffée suivant que les forces du
mal sont tenues en échec ou bien triomphent
d'elle.
Et voilà pourquoi j'insiste tellement
sur l'importance de l'éducation religieuse.
Sans doute, la conversion d'un buveur et son retour
à la vie normale sont quelque chose de plus
dramatique et de plus empoignant, mais
était-il nécessaire de le laisser
tomber si bas ? Sans doute, il est plus
émouvant de convertir une jeune actrice, et
de la transformer en missionnaire qui met tous ses
talents au service du Christ, mais pourquoi l'avoir
laissée grandir sans connaître le
Christ ? Nous dépensons beaucoup
d'argent, nous dépensons beaucoup de nobles
vies pour un travail de sauvetage et
d'évangélisation, mais nous ne
faisons presque rien pour former l'âme des
enfants et pour leur permettre d'entrer dans la vie
de la bonne manière.
Je le reconnais, l'éducation
religieuse n'a rien de dramatique, rien de
spécialement émouvant. Il faut jour
après jour répéter les
mêmes choses, inlassablement. Et la plupart
du temps nous ne voyons pas les résultats de
nos efforts. Nous perdons de vue nos petits
élèves, les circonstances de la vie
nous éloignent d'eux. Dans mon travail parmi
les enfants, je me sens soutenue par la foi et par
l'espérance, mais je n'ai jamais la joie de
sentir quelque chose d'achevé, ou même
d'avoir une certitude quant à l'avenir
d'aucun de ces petits. Ce travail est modeste, il
ne procure ni gloire ni prestige : il n'a rien
d'emballant, il ne vous donne
jamais la satisfaction d'avoir accompli une
tâche jusqu'au bout.
Malgré tout cela, je crois de toute
mon âme à l'importance de
l'éducation religieuse, et cela, avant tout,
parce que je crois à la prière. je
m'appuie moi-même sur la prière dans
mon travail pour les enfants. Et cela m'a conduite
à me rendre compte que c'est dans la
prière et par la prière, en amenant
tout d'abord les enfants à saisir la
prière comme une réalité
vivante, que germe et que naît leur vie
religieuse. C'est par là que doit
débuter toute éducation
chrétienne, avant même qu'il soit
question d'aucune doctrine, ni même de la
Bible ou d'explications sur la nature de Dieu.
Aussi c'est sur la prière des enfants que je
voudrais tout d'abord insister.
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