Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

LES ENTRETIENS D'UNE FAMILLE AVEC DIEU

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 Il y a presque un an, à l'Eglise du Calvaire, dans une réunion des groupes d'Oxford, je vis arriver une jeune mère, toute joyeuse, qui nous fit un récit à la fois très amusant et très passionnant de ce qui se passait à son foyer entre les enfants, les parents et Dieu. Je lui demandai la permission de reproduire ici cette belle histoire, qui est une histoire vraie, scrupuleusement authentique. Et je lui cède la parole.

« Cela commença il y a deux ans. Un beau matin, je me levai de bonne heure, je pris un crayon et du papier, et j'essayai de faire le programme de ma journée, qui s'annonçait très chargée. Étant une femme pratique, il me semblait nécessaire de tirer au clair mes idées et mes projets avant de me lancer dans la ronde agitée de mes occupations quotidiennes. Et je ne pouvais le faire qu'à cette heure-là, de bon matin.

Ce matin-là, je me sentais chargée de responsabilité, car la veille au soir, il s'était passé pour mon mari et moi quelque chose qui nous avait vivement impressionnés.
Rentrant d'un petit voyage, nous avions trouvé nos enfants agités et préoccupés d'une question troublante. Il s'agissait de « comment naissent les bébés et puis tout ça ». Nous leur avions parlé de notre mieux, en leur expliquant les choses aussi clairement que nous le pouvions et cela les avait finalement satisfaits. Nous avions le sentiment très vif que cet effort pour éclairer nos enfants sur une question aussi grave et aussi profonde nous avait beaucoup rapprochés d'eux.

Ce soir-là, nous nous mimes tous à genoux en même temps pour le culte de famille. Il nous avait semblé, à mon mari et à moi, qu'en priant nous-mêmes avec nos enfants nous leur ferions mieux comprendre que la prière n'est pas une simple formalité dont on s'acquitte avant de se coucher, mais une vivante réalité qui nous met en contact direct avec Dieu.

Élevée dans une Église épiscopale, j'ai toujours eu la plus grande peine à prier Dieu avec des mots à moi, sans user de formules apprises. Il me semblait que les prières du Prayer Book avaient été rédigées par des gens qui s'y connaissaient beaucoup mieux que moi, et que je n'avais qu'à m'y tenir. Au fond, ce n'était là de ma part qu'une évasion. Quoi qu'il en soit, ce soir-là, de l'abondance de mon coeur je priai, sans user d'aucune formule, pour rendre grâce à Dieu de Ses bénédictions à mon égard. Là-dessus, le plus jeune de mes garçons, Pierre, qui a huit ans, demanda : « Oh ! est-ce que je puis dire ma prière comme ça ? » et se mit à prier en ces termes : « 0 mon Dieu, je te remercie de m'avoir donné une si bonne maman et un si bon papa, et aussi un si bon frère et une si bonne soeur, et j'espère que tu nous feras avoir à tous de bonnes notes en classe demain ; et j'espère que tu sais que je t'aime. Amen. Pierre. »

La petite fille, Gina, sans la moindre hésitation, pria à son tour : « 0 mon Dieu, merci parce que tu as fait que maman nous a raconté une si belle histoire sur les bébés et sur tout ça, et qu'alors maintenant nous sommes bien contents d'avoir entendu ça, tandis qu'à l'école, quand nous en parlions, c'était si vilain. »
Puis l'aîné des garçons, Barclay, pria lui aussi : « 0 mon Dieu, aide-moi demain matin, en commençant mon nouveau trimestre, à me mettre au travail avec enthousiasme, pour être tout à fait un bon élève, et que tous les autres comprennent que j'ai un papa qui est épatant. »

J'étais saisie, je ne pouvais en croire mes oreilles. Car c'était la première fois que nous faisions autre chose que de réciter une prière enfantine, une requête pour tous les nôtres, et enfin l'oraison dominicale. J'étais confondue, devant ces prières spontanées, si sincères et si naturelles.
Aussi quand je me levai le lendemain matin et que je tâchai de me rendre compte de ce que je ferais de ma journée, j'eus le sentiment précis qu'il fallait que ma propre vie devint meilleure si je voulais n'être pas en retard sur mes enfants.

Il n'y avait pas longtemps que j'étais là ; mes pensées commençaient à prendre forme à peu près de la sorte : « Ne sois pas agitée - Fais chaque chose à son tour - Ne t'inquiète pas - Apporte les échantillons à M. F... - Fais venir les peintres pour les couleurs - etc.», quand Pierre entra et me demanda ce que je faisais. Je lui dis que je réfléchissais à ma journée, en tâchant de combiner tout pour ne pas perdre pied, et oublier des choses importantes. Alors il me dit : « Voilà une chic idée. Attends une minute. je vais prendre mon crayon et du papier et faire ça avec toi. » Il revint tout de suite, s'assit, et sans hésitation se mit à écrire.

À la fin il me dit : « Maman, comment est-ce qu'on écrit malhonnête ? » je fus étonnée, et je lui demandai pourquoi il voulait le savoir. Alors il me répondit que Dieu essayait de lui dire quelque chose à propos d'être malhonnête et qu'il fallait qu'il sache comment ça s'écrit. Alors je le lui dis. Dès qu'il eut fini, il me donna son papier, et voici ce que j'y lus : « Pierre, si tu cesses de dire des mensonges à ta maîtresse et si tu travailles comme il faut, alors je te parlerai, mais je n'aime pas les petits garçons qui sont malhonnêtes. » Je lui dis que c'était merveilleux de pouvoir entendre Dieu lui parler comme ça, et que je voudrais bien qu'Il fit de même pour moi. Pierre m'assura qu'Il le ferait, si seulement je savais l'écouter.

Ce fut là notre premier recueillement du matin. Désormais Pierre et moi nous avions ensemble tous les matins notre moment de recueillement, et peu à peu les autres membres de la famille s'y associèrent. Avant peu nous nous trouvâmes réunis tous les cinq, avec nos crayons et notre papier, écoutant ce que Dieu avait à nous dire pour la journée. C'était frappant de voir comme chacun de nous recevait des directions différentes. Pierre avait encore à lutter contre le mensonge. Chacun de nous était mis en présence de ses péchés particuliers, et toujours il lui était indiqué le remède pour en triompher.

Très peu de temps après que nous avions commencé, Pierre suggéra que nous devrions avoir chacun un petit livre pour écrire nos directions. Alors j'achetai cinq carnets à feuillets détachables, j'y inscrivis nos cinq noms : « Comme ça, dit Pierre, nous les garderons, et quand nous serons vieux nous pourrons les regarder pour voir si nous avons bien fait ce qui nous était commandé. »

Durant ces dernières années, où nous avons cherché la direction divine, bien des choses merveilleuses se sont passées. Le problème de la discipline a été bien simplifié, car c'est Dieu qui se charge d'appliquer la discipline à chacun de nous. Quand le petit garçon s'efforce de ne plus mentir parce qu'il sent que Dieu n'aime pas ça, quand la petite fille reçoit la direction de mettre sa mère au courant, si on lui raconte à l'école des histoires dégoûtantes ; quand Dieu dit au garçon de quatorze ans de protéger un petit souffre-douleur, au risque d'être en butte aux moqueries de ses camarades, qui le traitent de femmelette ; quand ce garçon obéit malgré tout à Dieu, sachant que ce que Dieu lui demande n'est jamais impossible ; quand Dieu, une autre fois, dit à ce même garçon de faire tout de suite part à sa mère d'une histoire désagréable qu'il s'est attirée par sa faute ; quand Dieu intervient de la sorte, la tâche des parents devient beaucoup plus aisée. La question de la discipline ne se pose pas seulement pour les enfants. Elle se pose aussi pour les parents, et d'une manière encore plus grave, je m'en suis bien rendu compte.

Il est magnifique de commencer ainsi la journée en écoutant ce que Dieu veut nous dire. Il n'y a rien d'absurde à s'asseoir avec un crayon et à écrire les pensées qui nous viennent. Sans doute il faut parfois nous contrôler nous-mêmes. Comme le disait l'un des enfants, « il arrive que nous écrivions quelque chose parce que cela sonne bien quand nous le lisons à haute voix ». Il m'arrive de m'apercevoir que j'ai écrit une chose parce que je voudrais bien que Dieu me la dise, mais il y a une différence du tout au tout entre ce qui me vient directement et naturellement et ce qui ne me vient pas ainsi.

Faire semblant n'aboutit à rien dans ce domaine. Ce qui caractérise les directions authentiques, c'est la paix merveilleuse qu'elles nous procurent. Si Dieu vous ordonne de faire quelque chose, et que vous ayez l'assurance qu'il s'agit d'une action bonne et sans égoïsme, alors vous pouvez être tranquille pour les conséquences. Vous n'avez pas à vous en inquiéter : Dieu s'en charge. Aussi longtemps que vous agissez en service commandé, tout va bien. Quand au contraire vous vous révoltez, quand vous voulez agir à votre guise, alors tout se gâte et rien ne va plus, ni pour vous, ni pour les autres. Dieu nous dit à tous, comme Il le disait à notre Pierre : « Si tu fais ce que je te demande, et que tu ne laisses pas ton esprit vagabonder, alors je te parlerai tout le temps ; mais si tu désobéis je ne te parlerai plus. »

Ce serait une calamité dans notre famille si Dieu s'arrêtait de nous parler, ou si nous cessions de Lui parler nous-mêmes. Quand le soir venu nous entendons monter à Dieu les prières de nos enfants pour nous, quand ils Lui rendent grâce pour les bénédictions de la journée et Lui demandent des forces pour le lendemain, toutes les petites misères de la vie disparaissent, et toute la famille exprime à Dieu sa reconnaissance de pouvoir ainsi L'écouter et Lui parler librement. »

La famille dont il vient d'être question vit à Rochester. Bien loin de là je connais une autre famille qui, elle aussi, s'entretient avec Dieu. C'est une famille tout à fait différente de la première, et où les obstacles qui s'opposent à une communion intime entre tous ses membres semblent presque insurmontables. Outre le père et la mère il y a quatre enfants, qui sont d'âge si différent qu'ils semblent constituer non pas une seule, mais bien deux générations nouvelles. De plus il y a, d'après ce que je puis savoir, toujours une ou plusieurs personnes vivant avec les six dont je viens de parler. Il semble impossible, humainement parlant, qu'on puisse faire, de tous ces éléments disparates, un cercle de famille uni et cohérent. Je me contenterai de citer ici le témoignage du père de famille, dans une lettre que j'ai reçue de lui :

« Nous sommes allés de découverte en découverte, à partir du moment où nous avons voulu essayer de donner à notre première enfant quelques notions religieuses. Jusqu'alors nous n'avions pas cru nécessaire d'avoir un culte de famille. Quand nous voulûmes commencer, nous le fîmes très maladroitement, en nous achoppant sans cesse à des traditions et à des formules extérieures. Nous eûmes l'idée d'enseigner d'abord à notre petite fille l'oraison dominicale. Mais l'esprit de notre petite Marguerite ne s'ouvrait pas encore à ce qui est invisible et abstrait. « Notre Père... - Mais c'est toi qui es mon papa », dit-elle. - « ... qui es aux cieux » impliquait toute une théologie spéculative bien au-dessus de sa portée. Quand nous en fûmes à : « Que ton nom soit sanctifié », nous abandonnâmes la partie. Nous nous rendions bien compte qu'au point où nous en étions, l'oraison dominicale ne pouvait être que le couronnement de notre prière, et non pas sa pierre angulaire.

Alors je proposai telle ou telle des magnifiques prières de notre liturgie anglicane. Mais c'était là encore un étage beaucoup trop élevé. Ma femme proposa avec conviction des prières spontanées, venant du coeur. Ceci était déjà beaucoup mieux, mais peu à peu il semblait que nous n'avions plus rien à dire. Notre prière était comme un filet d'eau qui se perd dans le sable. C'est alors qu'à l'instigation des groupes d'Oxford, qui commençaient seulement à se développer, nous eûmes l'idée d'associer nos enfants à nos recueillements. Et nous nous aperçûmes alors que le recueillement leur était beaucoup plus facile et beaucoup plus naturel qu'à nous-mêmes.

Je me rappelle très nettement le second recueillement que nous eûmes en famille. À ce moment-là Marguerite avait sept ans. Nous lisions d'abord un passage de la Bible, chacun lisant un verset à son tour, et interrogeant les autres sur ce qu'il voyait dans ce verset. C'est une recherche en commun, presque un jeu. Puis vient un recueillement, suivi d'une prière. Après quoi chacun à son tour dit ce qui lui est venu dans son recueillement. âges, de nos tempéraments, de nos occupations. Mais par-dessus tout, cela nous fait sentir que Dieu fait partie de notre famille, que nous sommes, au sens le plus élevé, très intimes avec Lui. C'est en Dieu seul qu'on peut réaliser une telle unité. »

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