Il y a presque un an, à l'Eglise du
Calvaire, dans une réunion des groupes
d'Oxford, je vis arriver une jeune mère,
toute joyeuse, qui nous fit un récit
à la fois très amusant et très
passionnant de ce qui se passait à son foyer
entre les enfants, les parents et Dieu. Je lui
demandai la permission de reproduire ici cette
belle histoire, qui est une histoire vraie,
scrupuleusement authentique. Et je lui cède
la parole.
« Cela commença il y a
deux ans. Un beau matin, je me levai de bonne
heure, je pris un crayon et du papier, et j'essayai
de faire le programme de ma journée, qui
s'annonçait très chargée.
Étant une femme pratique, il me semblait
nécessaire de tirer au clair mes
idées et mes projets avant de me lancer dans
la ronde agitée de mes occupations
quotidiennes. Et je ne pouvais le faire qu'à
cette heure-là, de bon matin.
Ce matin-là, je me sentais
chargée de responsabilité, car la
veille au soir, il s'était passé pour
mon mari et moi quelque chose qui nous avait
vivement impressionnés.
Rentrant d'un petit voyage, nous avions
trouvé nos enfants agités et
préoccupés d'une question troublante.
Il s'agissait de « comment naissent les
bébés et puis tout
ça ». Nous leur avions
parlé de notre mieux, en leur expliquant les
choses aussi clairement que nous le pouvions et
cela les avait finalement satisfaits. Nous avions
le sentiment très vif que cet effort pour
éclairer nos enfants sur une question aussi
grave et aussi profonde nous avait beaucoup
rapprochés d'eux.
Ce soir-là, nous nous mimes tous
à genoux en même temps pour le culte
de famille. Il nous avait semblé, à
mon mari et à moi, qu'en priant
nous-mêmes avec nos enfants nous leur ferions
mieux comprendre que la prière n'est pas une
simple formalité dont on s'acquitte avant de
se coucher, mais une vivante réalité
qui nous met en contact direct avec Dieu.
Élevée dans une
Église épiscopale, j'ai toujours eu
la plus grande peine à prier Dieu avec des
mots à moi, sans user de formules apprises.
Il me semblait que les prières du Prayer
Book avaient été
rédigées par des gens qui s'y
connaissaient beaucoup mieux que moi, et que je
n'avais qu'à m'y tenir. Au fond, ce
n'était là de ma part qu'une
évasion. Quoi qu'il en soit, ce
soir-là, de l'abondance de mon coeur je
priai, sans user d'aucune formule, pour rendre
grâce à Dieu de Ses
bénédictions à mon
égard. Là-dessus, le plus jeune de
mes garçons, Pierre, qui a huit ans,
demanda : « Oh ! est-ce que je
puis dire ma prière comme
ça ? » et se mit à
prier en ces termes : « 0 mon Dieu,
je te remercie de m'avoir donné une si bonne
maman et un si bon papa, et aussi un si bon
frère et une si bonne
soeur, et j'espère que tu nous feras avoir
à tous de bonnes notes en classe
demain ; et j'espère que tu sais que je
t'aime. Amen. Pierre. »
La petite fille, Gina, sans la moindre
hésitation, pria à son tour :
« 0 mon Dieu, merci parce que tu as fait
que maman nous a raconté une si belle
histoire sur les bébés et sur tout
ça, et qu'alors maintenant nous sommes bien
contents d'avoir entendu ça, tandis
qu'à l'école, quand nous en parlions,
c'était si vilain. »
Puis l'aîné des
garçons, Barclay, pria lui aussi :
« 0 mon Dieu, aide-moi demain matin, en
commençant mon nouveau trimestre, à
me mettre au travail avec enthousiasme, pour
être tout à fait un bon
élève, et que tous les autres
comprennent que j'ai un papa qui est
épatant. »
J'étais saisie, je ne pouvais en
croire mes oreilles. Car c'était la
première fois que nous faisions autre chose
que de réciter une prière enfantine,
une requête pour tous les nôtres, et
enfin l'oraison dominicale. J'étais
confondue, devant ces prières
spontanées, si sincères et si
naturelles.
Aussi quand je me levai le lendemain
matin et que je tâchai de me rendre compte de
ce que je ferais de ma journée, j'eus le
sentiment précis qu'il fallait que ma propre
vie devint meilleure si je voulais n'être pas
en retard sur mes enfants.
Il n'y avait pas longtemps que
j'étais là ; mes pensées
commençaient à prendre forme à
peu près de la sorte : « Ne
sois pas agitée - Fais chaque chose à
son tour - Ne t'inquiète pas - Apporte les
échantillons à M. F... - Fais venir
les peintres pour les couleurs - etc.», quand
Pierre entra et me
demanda
ce que je faisais. Je lui dis que je
réfléchissais à ma
journée, en tâchant de combiner tout
pour ne pas perdre pied, et oublier des choses
importantes. Alors il me dit :
« Voilà une chic idée.
Attends une minute. je vais prendre mon crayon et
du papier et faire ça avec toi. »
Il revint tout de suite, s'assit, et sans
hésitation se mit à
écrire.
À la fin il me dit :
« Maman, comment est-ce qu'on
écrit malhonnête ? » je
fus étonnée, et je lui demandai
pourquoi il voulait le savoir. Alors il me
répondit que Dieu essayait de lui dire
quelque chose à propos d'être
malhonnête et qu'il fallait qu'il sache
comment ça s'écrit. Alors je le lui
dis. Dès qu'il eut fini, il me donna son
papier, et voici ce que j'y lus :
« Pierre, si tu cesses de dire des
mensonges à ta maîtresse et si tu
travailles comme il faut, alors je te parlerai,
mais je n'aime pas les petits garçons qui
sont malhonnêtes. » Je lui dis que
c'était merveilleux de pouvoir entendre Dieu
lui parler comme ça, et que je voudrais bien
qu'Il fit de même pour moi. Pierre m'assura
qu'Il le ferait, si seulement je savais
l'écouter.
Ce fut là notre premier
recueillement du matin. Désormais Pierre et
moi nous avions ensemble tous les matins notre
moment de recueillement, et peu à peu les
autres membres de la famille s'y
associèrent. Avant peu nous nous
trouvâmes réunis tous les cinq, avec
nos crayons et notre papier, écoutant ce que
Dieu avait à nous dire pour la
journée. C'était frappant de voir
comme chacun de nous recevait des directions
différentes. Pierre avait encore à
lutter contre le mensonge. Chacun de nous
était mis en
présence de ses péchés
particuliers, et toujours il lui était
indiqué le remède pour en
triompher.
Très peu de temps après
que nous avions commencé, Pierre
suggéra que nous devrions avoir chacun un
petit livre pour écrire nos directions.
Alors j'achetai cinq carnets à feuillets
détachables, j'y inscrivis nos cinq
noms : « Comme ça, dit
Pierre, nous les garderons, et quand nous serons
vieux nous pourrons les regarder pour voir si nous
avons bien fait ce qui nous était
commandé. »
Durant ces dernières
années, où nous avons cherché
la direction divine, bien des choses merveilleuses
se sont passées. Le problème de la
discipline a été bien
simplifié, car c'est Dieu qui se charge
d'appliquer la discipline à chacun de nous.
Quand le petit garçon s'efforce de ne plus
mentir parce qu'il sent que Dieu n'aime pas
ça, quand la petite fille reçoit la
direction de mettre sa mère au courant, si
on lui raconte à l'école des
histoires dégoûtantes ; quand
Dieu dit au garçon de quatorze ans de
protéger un petit souffre-douleur, au risque
d'être en butte aux moqueries de ses
camarades, qui le traitent de femmelette ;
quand ce garçon obéit malgré
tout à Dieu, sachant que ce que Dieu lui
demande n'est jamais impossible ; quand Dieu,
une autre fois, dit à ce même
garçon de faire tout de suite part à
sa mère d'une histoire
désagréable qu'il s'est
attirée par sa faute ; quand Dieu
intervient de la sorte, la tâche des parents
devient beaucoup plus aisée. La question de
la discipline ne se pose pas seulement pour les
enfants. Elle se pose aussi pour les parents, et
d'une manière encore plus grave, je m'en
suis bien rendu compte.
Il est magnifique de commencer ainsi la
journée en écoutant
ce que Dieu veut nous dire. Il n'y a rien d'absurde
à s'asseoir avec un crayon et à
écrire les pensées qui nous viennent.
Sans doute il faut parfois nous contrôler
nous-mêmes. Comme le disait l'un des enfants,
« il arrive que nous écrivions
quelque chose parce que cela sonne bien quand nous
le lisons à haute voix ». Il
m'arrive de m'apercevoir que j'ai écrit une
chose parce que je voudrais bien que Dieu me la
dise, mais il y a une différence du tout au
tout entre ce qui me vient directement et
naturellement et ce qui ne me vient pas ainsi.
Faire semblant n'aboutit à rien
dans ce domaine. Ce qui caractérise les
directions authentiques, c'est la paix merveilleuse
qu'elles nous procurent. Si Dieu vous ordonne de
faire quelque chose, et que vous ayez l'assurance
qu'il s'agit d'une action bonne et sans
égoïsme, alors vous pouvez être
tranquille pour les conséquences. Vous
n'avez pas à vous en inquiéter :
Dieu s'en charge. Aussi longtemps que vous agissez
en service commandé, tout va bien. Quand au
contraire vous vous révoltez, quand vous
voulez agir à votre guise, alors tout se
gâte et rien ne va plus, ni pour vous, ni
pour les autres. Dieu nous dit à tous, comme
Il le disait à notre Pierre :
« Si tu fais ce que je te demande, et que
tu ne laisses pas ton esprit vagabonder, alors je
te parlerai tout le temps ; mais si tu
désobéis je ne te parlerai
plus. »
Ce serait une calamité dans notre
famille si Dieu s'arrêtait de nous parler, ou
si nous cessions de Lui parler nous-mêmes.
Quand le soir venu nous entendons monter à
Dieu les prières de nos enfants pour nous,
quand ils Lui rendent grâce pour les
bénédictions de la journée et Lui demandent des
forces
pour le
lendemain, toutes les petites misères de la
vie disparaissent, et toute la famille exprime
à Dieu sa reconnaissance de pouvoir ainsi
L'écouter et Lui parler
librement. »
La famille dont il vient d'être
question vit à Rochester. Bien loin de
là je connais une autre famille qui, elle
aussi, s'entretient avec Dieu. C'est une famille
tout à fait différente de la
première, et où les obstacles qui
s'opposent à une communion intime entre tous
ses membres semblent presque insurmontables. Outre
le père et la mère il y a quatre
enfants, qui sont d'âge si différent
qu'ils semblent constituer non pas une seule, mais
bien deux générations nouvelles. De
plus il y a, d'après ce que je puis savoir,
toujours une ou plusieurs personnes vivant avec les
six dont je viens de parler. Il semble impossible,
humainement parlant, qu'on puisse faire, de tous
ces éléments disparates, un cercle de
famille uni et cohérent. Je me contenterai
de citer ici le témoignage du père de
famille, dans une lettre que j'ai reçue de
lui :
« Nous sommes allés de
découverte en découverte, à
partir du moment où nous avons voulu essayer
de donner à notre première enfant
quelques notions religieuses. Jusqu'alors nous
n'avions pas cru nécessaire d'avoir un culte
de famille. Quand nous voulûmes commencer,
nous le fîmes très maladroitement, en
nous achoppant sans cesse à des traditions
et à des formules extérieures. Nous
eûmes l'idée d'enseigner d'abord
à notre petite fille l'oraison dominicale. Mais
l'esprit de
notre petite Marguerite ne s'ouvrait pas encore
à ce qui est invisible et abstrait.
« Notre Père... - Mais c'est toi
qui es mon papa », dit-elle. -
« ... qui es aux cieux »
impliquait toute une théologie
spéculative bien au-dessus de sa
portée. Quand nous en fûmes
à : « Que ton nom soit
sanctifié », nous
abandonnâmes la partie. Nous nous rendions
bien compte qu'au point où nous en
étions, l'oraison dominicale ne pouvait
être que le couronnement de notre
prière, et non pas sa pierre
angulaire.
Alors je proposai telle ou telle des
magnifiques prières de notre liturgie
anglicane. Mais c'était là encore un
étage beaucoup trop élevé. Ma
femme proposa avec conviction des prières
spontanées, venant du coeur. Ceci
était déjà beaucoup mieux,
mais peu à peu il semblait que nous n'avions
plus rien à dire. Notre prière
était comme un filet d'eau qui se perd dans
le sable. C'est alors qu'à l'instigation des
groupes d'Oxford, qui commençaient seulement
à se développer, nous eûmes
l'idée d'associer nos enfants à nos
recueillements. Et nous nous aperçûmes
alors que le recueillement leur était
beaucoup plus facile et beaucoup plus naturel
qu'à nous-mêmes.
Je me rappelle très nettement le
second recueillement que nous eûmes en
famille. À ce moment-là Marguerite
avait sept ans. Nous lisions d'abord un passage de
la Bible, chacun lisant un verset à son
tour, et interrogeant les autres sur ce qu'il
voyait dans ce verset. C'est une recherche en
commun, presque un jeu. Puis vient un
recueillement, suivi d'une prière.
Après quoi chacun à son tour dit ce
qui lui est venu dans son recueillement. âges, de
nos
tempéraments, de nos occupations. Mais
par-dessus tout, cela nous fait sentir que Dieu
fait partie de notre famille, que nous sommes, au
sens le plus élevé, très
intimes avec Lui. C'est en Dieu seul qu'on peut
réaliser une telle unité. »
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