Je ne prétends pas que tous les
parents appartiennent au type dont il va être
question dans ce chapitre. Je connais dans
l'histoire, je connais dans mon expérience
personnelle beaucoup de mères
dévouées, beaucoup de pères
attentifs au véritable intérêt
de leurs enfants. Un des signes les plus heureux de
notre époque, c'est le nombre croissant de
jeunes couples qui se donnent beaucoup de peine
pour l'avenir spirituel de ces petits êtres
qui dépendent d'eux à tant
d'égards.
Il n'en est pas moins vrai que les parents
prodigues sont responsables de la banqueroute de
bien des jeunes vies, de cet égoïsme,
de ce paganisme de la jeunesse contemporaine, que
nous avons vu grandir et s'épanouir depuis
la guerre. Le malheur, c'est que la plupart de ces
parents prodigues ne se rendent pas compte de leur
responsabilité. C'est pourquoi j'ai cru
qu'il fallait leur consacrer ce chapitre.
Depuis au moins deux
générations, les parents et les
éducateurs se jettent mutuellement le
blâme, en ce qui concerne la banqueroute de
la jeunesse d'aujourd'hui. Persuadés qu'il y
avait là un défaut
d'« organisation », nous avons
« organisé » des
rapprochements, des comités mixtes, des bulletins,
des
réunions, et quoi encore ? Le principe
était excellent sans contredit, mais dans
tout cela on laissait de côté les deux
éléments de beaucoup les plus
essentiels de la question : Dieu et l'enfant
lui-même. La direction de Dieu, le concours
de l'enfant, on ne s'en préoccupait pas, on
ne les cherchait pas.
La volonté de l'adulte, les
idées de l'adulte, présentées
souvent sans la moindre explication, presque
toujours mal comprises par l'enfant et allant
contre ses notions instinctives de justice et de
dignité personnelle, tout cela aboutit
à un choc désastreux, et le
problème de la discipline est tragiquement
posé. Il en résulte chez l'enfant la
colère, l'entêtement, la soumission
forcée, la rancune secrète, le
désir profond de conquérir sa
liberté à tout prix et de tromper
ceux qui l'ont ainsi asservi. En présence de
tels sentiments, qu'ils ont eux-mêmes
suscités sans s'en rendre compte, les
parents et les maîtres ont recours à
la sévérité, aux commandements
impératifs et péremptoires, enfin aux
punitions. On ne cultive plus chez l'enfant que la
crainte. L'amour et la confiance
s'évanouissent. On élève des
barrières entre l'enfant et son Dieu, entre
l'enfant et ses parents, barrières qui ne
pourront être brisées plus tard
qu'avec la plus grande difficulté, et
peut-être jamais, à moins que n'aient
pu intervenir les notions bienfaisantes de
l'abandon à Dieu, de la direction, et du
partage.
Plusieurs des récits
précédents ont déjà
montré comment cela est possible. L'histoire
de Charlie va nous en donner une nouvelle
illustration.
Charlie avait quatorze ans. Il vivait avec
son grand-père et la
seconde femme de celui-ci, sa grand-mère par
alliance. Il y avait eu dans la famille des
tragédies domestiques. Charlie était
séparé de son grand-père par
deux générations. Quant à sa
« cousine », comme il appelait
sa grand-mère, il n'y avait entre elle et
lui aucune parenté et à peu
près aucune sympathie. Sa venue dans ce
vieux ménage ne fut pas très bien
accueillie. Il incarnait pour ainsi dire toutes les
tristesses familiales. Il contraignait ses
grands-parents à des obligations dont ils se
croyaient libérés depuis bien des
années.
De plus ce n'était pas un gentil
garçon, loin de là. Il n'y avait pas
grand chose en lui d'attirant. Il avait, plus
encore que la plupart des garçons de son
âge, une paresse instinctive à se
laver les mains et la figure. Des gronderies
répétées, le fait d'être
renvoyé de table à cause de sa
saleté et de son débraillé,
rien ne semblait y faire. Son impertinence, sa
désobéissance, ses incartades,
dépassaient toute mesure ; quant
à son langage, mieux vaut n'en rien
dire.
Ses grands-parents étaient
complètement découragés. Cette
situation les faisait beaucoup souffrir.
C'était de braves gens allant
régulièrement à
l'église, et d'une piété
sincère. Ils essayèrent de donner
à Charlie quelques notions religieuses, mais
sans le moindre succès. Il n'avait que du
dédain pour tout cela. La
sévérité de son
grand-père, l'injustice et l'irritation de
sa grand-mère, le sentiment qu'il
éprouvait vaguement que de tels parents
n'étaient pas comparables à ceux de
ses camarades, tout cela obscurcissait sa pauvre
petite âme. Il se défendait à
sa manière, en étant aussi
« rebroussier » et aussi
désagréable que possible.
Alors il arriva... que les groupes
arrivèrent dans la ville. Le
grand-père, qui était un des membres
dirigeants de l'Eglise, leur fit bon accueil. Il
voulut conquérir pour lui-même et pour
les siens cette libération nouvelle, cette
nouvelle vision de la vie religieuse qu'apporte
l'enseignement des groupes. Sa femme, la
grand-mère par alliance de Charlie, fut une
des premières à faire à Dieu
l'abandon et de sa vie et de sa
volonté.
Deux jours plus tard, elle demanda au jeune
garçon de s'asseoir auprès d'elle,
elle avait quelque chose à lui dire. Elle
lui confessa qu'elle avait été
irritable et impatiente à son égard,
elle lui demanda pardon, elle l'assura qu'elle
l'aimait. Charlie lui répondit :
« J'avais reconnu sur ton visage que cela
s'était passé en toi, le lendemain du
jour où ils sont venus, bien que tu ne m'en
aies rien dit pendant deux jours. J'aimerais
beaucoup avoir un recueillement avec
toi. »
Il s'ensuivit beaucoup de pareils
recueillements. L'on peut voir dans le carnet de
directions de Charlie, qu'il a permis à
plusieurs d'entre nous de regarder, comment, durant
ces recueillements successifs, le Saint-Esprit le
convainquit lui-même des défauts que
ses grands-parents lui avaient jusque-là
reprochés en vain, et d'autres
défauts encore, dont ils ne savaient rien.
Dix jours plus tard, il dit à sa
grand-mère, après avoir eu un
recueillement avec elle : « Je
t'aime vraiment maintenant, je t'aime encore plus
que ma trompette. » Pour comprendre toute
la portée de cette déclaration, il
faut savoir que la grande ambition de Charlie
à ce moment-là était de
devenir soldat, et que sa trompette incarnait cette
ambition.
Ce ne fut pas là un feu de paille,
durant seulement une dizaine de jours. Charlie a
été persévérant et
fidèle, appliquant dans tous les domaines
ses nouveaux principes de direction et de partage.
Il vient d'être reçu dans l'Eglise
dont ses grands-parents sont membres tous deux, et
où ils déploient beaucoup
d'activité.
L'un des problèmes les plus
embarrassants pour une mère, si elle ne
recherche pas la direction de Dieu par la
prière, le recueillement et le partage, ce
sont ses rapports avec sa fille lorsqu'elle arrive
à l'adolescence. Je sais une femme dont
toute la vie sentimentale et l'attitude sociale a
été enténébrée
pendant de longues années, tout simplement
parce que sa mère, à un moment
décisif, n'avait pas su lui dire la
vérité sur son propre passé.
La jeune fille avait commencé de
fréquenter des cercles où elle
rencontrait des jeunes gens. Elle avait beaucoup de
succès. Elle était intelligente et
cultivée, et elle écrivait avec
talent des articles pour des périodiques
universitaires ou religieux dirigés par des
jeunes.
Après la publication dans une revue
religieuse d'un article d'elle tout à fait
remarquable, le directeur de cette revue
reçut une lettre anonyme. Cette lettre
disait brutalement que la jeune fille était
une enfant adultérine, que ses parents ne
s'étaient mariés que lorsqu'elle
avait un an et que ce mariage même
était d'une légitimité
contestable, car la mère n'avait jamais
divorcé, et son premier mari avait disparu.
Le directeur, un tout jeune homme très
enclin à plaisanter, lut cette lettre
à haute voix devant
l'intéressée et plusieurs de ses
amis.
Folle de colère, la jeune fille lui
arracha la lettre et courut chez elle l'apporter
à sa mère. Quelque chose qu'elle vit
passer sur le visage de sa mère, et son
exclamation involontaire :
« Ça, c'est un coup d'Antoine
Blank ! » suffirent à
convaincre la jeune fille que la lettre disait la
vérité. Elle écoutait dans un
silence morne et accablé les paroles
violentes de sa mère, qui déclarait
qu'il fallait découvrir et punir l'auteur de
cette lettre infâme. Une fois seulement elle
l'interrompit pour lui dire :
« Maman, si c'est vrai, dis-le moi. je
n'aurai pas pour toi moins d'amour. » La
mère s'écria :
« Comment oses-tu me parler
ainsi ? » et la chose en resta
là.
L'occasion d'une franche explication entre
la mère et la fille était
passée et ne revint plus jamais. Je ne puis
pas raconter ici la suite de l'histoire, car il
s'agit d'une personnalité très
connue, mais tout ce que je puis dire c'est qu'elle
a traversé des années tragiques, qui
auraient pu sans doute lui être
épargnées si sa mère avait
osé lui parler avec franchise ce
jour-là.
L'instinct de possession, qu'on pourrait
appeler aussi la rage de la
propriété, est un péché
qui caractérise un grand nombre de parents
prodigues. Cela commence très tôt, au
moment où le bébé vient de
naître, et où les parents, dans leur
joie et dans leur orgueil, tracent d'avance toute
la carrière de leur enfant, du berceau
jusqu'à la tombe. C'est un
péché dont on ne se rend pas du tout
compte : on le baptise des plus beaux
noms : protection, sollicitude, amour, etc.
Les pères y sont portés autant que
les mères, mais les pères sont plus
malins, et le laissent moins voir.
Le père d'une nombreuse famille avait
à un haut degré, à
l'égard de tous ses enfants, cet instinct
possessif, jusqu'au jour où lui-même
s'abandonna au Christ. Sally, l'aînée
des filles, fut destinée à
l'enseignement. Jim, l'aine des fils, à
l'École navale. Hélène, la
seconde fille, fut désignée pour
s'occuper du ménage et pour aider sa
mère. Arthur, le second fils, devait
apprendre l'agriculture et seconder son père
dans ce domaine. Et ainsi pour chacun des autres
enfants. On ne tenait aucun compte de leurs
désirs pour le choix d'une activité
ou d'une profession. Le père payait sans
barguigner tous les frais de leur éducation,
tous les vêtements nécessaires, toutes
leurs cotisations d'éclaireurs, de
sociétés de tout genre. Mais ils
n'avaient pas un sou qui leur appartînt en
propre, et dont ils pussent disposer sans en
référer à leur père. Ce
n'était pas du tout que le père
fût avare. Mais il se défiait
exagérément de l'imprudence de ses
enfants et de leur manque de jugement. Il ne
comprenait pas qu'il leur fallait apprendre
l'indépendance et la confiance en soi,
fût-ce au prix de quelques erreurs.
À mesure que les enfants
grandissaient et devenaient plus rétifs,
plus difficiles à diriger, des luttes
intestines apparurent dans la famille.
Hélène, la
« ménagère »,
avait de grandes dispositions pour la musique et
voulait l'étudier. La mère se fit sa
complice, et détourna de l'argent
destiné au ménage pour payer les
leçons de musique. Sally, à
l'école normale où on devait la
préparer à sa profession
d'institutrice, négligeait ses cours
à tel point qu'on la jugea incapable
d'arriver au but, surtout comme elle s'absentait
trop souvent sans raison valable. On
s'aperçut qu'elle
fréquentait certaines soirées un peu
louches. Là encore la mère avait
manoeuvré pour protéger sa fille
contre la colère du père, jusqu'au
moment où Sally fut renvoyée chez
elle. Même alors, la mère et la fille
s'entendirent pour cacher au père que Sally
avait fréquenté des dancings, les
principes du père interdisant
sévèrement la danse.
Jim marchait bien à l'École
navale, mais Arthur, à l'époque
où je fis connaissance avec la famille,
était un sacripant, la terreur de tous les
environs. À force de tromper son
père, et de parvenir par la ruse à
ses fins, il s'était enhardi jusqu'à
braver en face tous les ordres et tous les
règlements. On l'avait chassé
déjà de deux écoles, on avait
consulté pour lui des psychiatres. On vint
me consulter moi-même, à cause de
l'expérience que j'avais des jeunes
délinquants.
C'est alors que le père lut un livre
du Révérend Sam Shoemaker, qui le
convainquit de péché. Il se rendit
compte que toute sa foi religieuse était
fondée sur la crainte, et non sur l'amour.
Il comprit que Dieu nous demande tout autre chose
que la conformité extérieure à
des rites et à des commandements ; que
Dieu nous demande de vivre selon Sa direction, et
non selon la nôtre. Il comprit que toute sa
conduite avait été dirigée
jusque-là par sa propre volonté et
ses jugements tout humains. Peu après il
apprit que les groupes d'Oxford, auxquels
appartenait M. Shoemaker, allaient tenir des
réunions dans la ville, chez quelqu'un avec
qui il était en relations. il y assista, et
fit la glorieuse expérience de la puissance
du Christ, qui renouvela et transforma sa vie. Il
s'en ouvrit tout de suite
à sa femme, et il eut la joie de la voir
elle aussi donner sa vie au Christ, prête
à collaborer avec lui pour reconstruire leur
foyer.
Ce qu'il avait à faire ensuite
était bien plus difficile, mais le
résultat fut frappant. Un matin, toute la
famille étant réunie pour le culte de
famille, il leur exposa ce qui lui était
arrivé. Il leur demanda pardon pour toutes
ces années où s'était
déployé son autoritarisme, où
il s'était durement refusé à
tenir compte de leurs désirs
personnels ; enfin tout y passa. Les enfants
étaient stupéfaits, ils gardaient le
silence, mais restaient plus ou moins sceptiques,
se demandant quelle nouvelle lubie leur père
mettait en avant. Hélène fut la
première à parler, et dit qu'elle
aimerait assister à ces
réunions : « Ça doit
être épatant. »
Le culte de famille fut désormais
tout autre chose. Au lieu de lire un long chapitre
de la Bible que personne n'expliquait, et que
personne ne comprenait, au lieu des longues
prières fastidieuses en patois de Canaan, ce
fut un recueillement collectif, suivi de partage,
avec des passages de la Bible que chacun
choisissait d'après les directions qu'il
cherchait dans le silence. Au lieu des longues
exhortations et des sévères
remontrances, la confiance et la collaboration
cordiale entre parents et enfants. Les filles et la
mère confessèrent et leurs longues
rancunes et leurs astucieuses tromperies. Au lieu
de la rébellion et de la discorde, le
bonheur et la paix régnèrent dans la
famille.
Je n'ai pas encore parlé des parents
prodigues les plus notoires, de ceux qui
négligent totalement leurs devoirs de père et de
mère.
Leur nombre, hélas ! n'a fait que
grandir durant ces dernières
années.
La tendance si prononcée de notre
époque vers l'individualisme et
l'indépendance a développé
extraordinairement l'égoïsme, le culte
de soi-même et le mépris des autres.
Nous avons oublié que la vie normale de
l'individu suppose nécessairement, pour
qu'il ne tombe pas dans l'égoïsme
accapareur et tyrannique, une forte discipline
acquise dès l'enfance et une conscience bien
formée de ses devoirs envers les autres. Une
génération ainsi
élevée, tout imprégnée
du matérialisme contemporain et de
l'idéal de notre temps :
« Enrichissez-vous ! »
n'ayant que du dédain pour la vie
spirituelle, et ne se rendant nul compte de son
importance comme base d'un ordre social,
pouvait-elle saisir les devoirs de famille, et
notamment ceux des parents à l'égard
de leurs enfants ? Ces devoirs disparaissaient
à leurs yeux, dès qu'ils
gênaient leurs plaisirs ou leurs
affaires.
Que de parents qui s'imaginent avoir rempli
tout leur devoir envers leurs enfants lorsqu'ils
ont dépensé tout l'argent
nécessaire pour leur fournir de l'excellente
nourriture, d'excellents vêtements,
d'excellentes leçons ! J'en connais
beaucoup qui s'affligent de la conduite
déplorable de leurs enfants, à qui
rien n'a manqué, sinon l'influence morale et
religieuse qu'ils auraient dû trouver
à leur foyer.
Gérald est le fils d'un banquier. Sa
mère s'occupe d'une foule de bonnes oeuvres.
Les deux parents sont très
généreux pour leur Église,
quand il s'agit de cotisations à payer ou de
dons extraordinaires. En dehors de cela, ils vivent
comme des
païens. Gérald eut tous les avantages
que peut procurer la fortune : la meilleure
école, le meilleur
« College », les meilleurs
clubs ; il fit même un excellent
mariage. Il avait vingt-quatre ans quand il publia
à ses frais une brochure qui fit scandale,
où il attaquait grossièrement
l'Eglise et le mariage, où il se faisait
l'avocat du vice le plus odieux. Les grands
responsables, à mes yeux, ce sont ses
parents. Le père connaissait beaucoup moins
son fils que ses confrères et ses clients.
Ce fils lui apparut d'abord comme « un
coûteux intrus », un peu plus tard
comme « un ourson mal
léché, gâté par sa
mère », enfin comme « un
dégénéré sans vergogne,
qui n'avait qu'à rester avec ses pareils, et
à vider la maison ». Quant
à la mère, elle consultait des
psychiatres, des religions bizarres, même des
somnambules, jamais Dieu.
C'était des parents prodigues. Ils le
sont encore. Lorsque la jeune épouse de leur
fils rencontra les groupes d'Oxford, un certain
été, et tenta de
régénérer son mari et son
foyer, ils s'opposèrent avec vigueur
à « ces idées
subversives », sans paraître se
rendre compte qu'il n'y avait plus en dehors de
cela que le divorce, et leur petit-fils
privé d'un foyer normal.
Ce mot de « divorce »
m'amène à parler de la pire
espèce de parents prodigues, je veux dire de
ces pères et de ces mères qui
acceptent ou qui recherchent le divorce à la
légère, et pour des raisons de
commodité ou de convenance personnelles. Il
existe peut-être des exceptions, mais pour
moi je n'ai jamais connu d'enfants de parents divorcés
dont la vie ne
soit tout au moins obscurcie par ce fait, là
même où elle échappe à
la catastrophe tragique. Je pourrais raconter des
centaines d'histoires se rapportant à de
pareils enfants, où on les verrait perdant
toute foi en Dieu et dans la famille,
répudiant cyniquement tous les devoirs les
plus sacrés, méprisant et la loi
humaine et la loi divine.
Il arrive souvent qu'à la suite d'un
divorce un enfant est séparé d'un
père ou d'une mère qu'il aime, et
confié à l'autre parent, pour qui il
en vient à éprouver de la rancune et
de la rébellion, à cause même
de cette séparation. Le juge a sans doute
jugé de son mieux, mais cela ne change rien
au conflit intérieur qui laboure
l'enfant.
D'autre part, avez-vous
réfléchi au trouble psychologique
presque inévitable que l'enfant doit subir
tous les six mois, quand on a décidé
qu'il passerait une moitié de l'année
avec l'un de ses parents, et une moitié avec
l'autre ?
Chacune de ces réadaptations est
pénible, et peut-être dangereuse. J'en
ai vu chez beaucoup les suites
déplorables.
Par exemple, j'ai connu pendant quatre ans,
de cinq ans à neuf ans, un gosse
nommé Frankie. Son père et sa
mère obtinrent le divorce pour
« incompatibilité
d'humeur », entendez pour cris de rage et
insultes réciproques. Frankie encore
maintenant, si on le gronde trop vivement,
s'écrie : « Oh ! ne
parlez pas comme ça ! Papa et maman
parlaient comme ça et maman pleurait
toujours ! »
Chaque fois que commence pour lui un nouveau
semestre, il faut qu'il s'adapte, non sans peine,
à son nouveau milieu, à sa nouvelle
demeure, à sa nouvelle école. Puis il est
amené sans le vouloir à prendre, au
moins en pensée, quelquefois en paroles, la
défense du parent absent, même sans
aucune provocation de la part du parent
présent, mais comme une réaction
naturelle de son esprit devant une
réadaptation qui lui coûte. On entend
par exemple sa mère dire à des
amis : « Ce pauvre petit a
été tellement privé
d'affection qu'il proteste quand on lui
témoigne de l'amour. » Le
père à son tour dit de Frankie :
« Le moutard me revient
complètement gâté. Il me faudra
bien six mois pour le guérir de ses
sentiments de révolte. » Et l'un
et l'autre, le père et la mère, se
disent souvent : « Dieu merci,
Frankie sera bientôt assez grand pour qu'on
le mette dans une bonne école où l'on
tâchera d'en faire quelque
chose. »
Ce qui manque le plus chez tous les parents
prodigues, c'est la recherche sincère de la
direction divine. Là où elle manque,
l'intelligence, l'amour, les meilleures intentions
du monde ne peuvent pas la remplacer. Un
père et une mère sont des êtres
humains, c'est à dire toujours faillibles,
mais le remède est toujours là, si on
sait le chercher en Dieu.
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