J'ai beaucoup discuté jadis la doctrine du péché originel. Après ce que j'ai vu et appris dans des foyers où les parents, entièrement soumis à Dieu, s'efforcent d'élever leurs enfants conformément à l'esprit du Christ, je ne songe plus à la discuter.
Les querelles des enfants nous offrent souvent
la preuve la plus directe du péché
originel, et cela dans des familles où ils
n'ont jamais eu sous les yeux aucun exemple de
discorde. Mais ces mêmes querelles nous
offrent aussi la preuve la plus éclatante de
la puissance de Dieu dans la prière, le
recueillement et la direction reçue.
Une mère qui a deux enfants, un
garçon et une petite fille, nous a
raconté qu'elle faisait tout ce qu'elle
pouvait pour leur apprendre à vivre en bonne
harmonie, surtout par son propre exemple. Les deux
enfants s'aimaient bien, mais ils avaient de temps
en temps des querelles violentes. Un matin ce fut
une vraie bataille. La mère avait grande
envie d'intervenir, de sermonner chacun des
enfants, et de les punir si c'était
nécessaire. Mais elle se sentit
amenée à les
laisser faire et à ne rien dire jusqu'au
moment du recueillement qu'elle avait chaque jour
avec eux.
Même alors, elle ne dit rien de ce qui
était arrivé. Chacun fit sa
prière, puis tous les trois se turent pour
écouter Dieu. La fillette, Anne, beaucoup
plus jeune que son frère Charles,
était très sérieuse. Quand
vint son tour, elle dit : « Dieu m'a
dit qu'il faut que Charles et moi nous soyons plus
gentils entre nous, et aussi qu'il faut que je lui
demande pardon. » La conséquence,
d'après le témoignage de la maman,
fut que la paix régna pendant plusieurs
jours entre les petits.
J'étais l'autre soir dans une
réunion de petites filles, appartenant
surtout à des familles d'ouvriers. Toutes
ces mioches commencèrent à se
recueillir en silence. L'une d'elles avait
même un crayon et du papier, pour noter ce
qui lui viendrait. Quand vint le moment de
« partager », une petite,
nommée Pauline, s'écria
soudain : « Je me suis bien
chamaillée avec mon petit frère
aujourd'hui, et je lui ai donné une bonne
tripotée. » Elle ajouta qu'elle
avait compris, durant le silence, qu'il fallait le
dire. On voyait qu'il y avait en elle un combat
intérieur, et la directrice attendit un
moment. Alors Pauline s'écria de
nouveau : « Mais c'est lui qui a
commencé, et demain il en recevra une
autre ! »
Évidemment l'enfant avait conscience
de son péché, mais ne voulait pas
s'en repentir ; elle le sentait
elle-même. Alors la monitrice raconta une
petite histoire qui se terminait par ce propos d'un
petit garçon : « Ce n'est pas
ton affaire, ce que l'autre a fait de mal ;
ça, c'est l'affaire de
Dieu. Mais toi, quand tu perds la tête, tu
fais perdre la tête à
Dieu. » Ces petites filles qui
écoutaient l'histoire comprirent-elles ce
que nous appelons la responsabilité
individuelle de chacun pour son
péché ? Pour moi, j'en suis
sûre. On pria encore. Et quand Pauline s'en
alla, elle dit : « je ne taperai pas
mon frère demain. »
Dans la section enfantine de notre
école du dimanche, un beau matin, mon
attention fut attirée par les cris aigus de
deux tout petits marmots qu'on avait fait entrer
avant l'école pour ne pas les laisser courir
dans la rue. J'entrai ; ils se jetaient l'un
sur l'autre avec des cris perçants. Il
était difficile de les séparer, et
très difficile de comprendre ce dont chacun
accusait l'autre. Ils appartenaient à deux
bonnes familles, et chacun d'eux avait reçu
de sa mère et de sa nurse une
éducation aussi attentive que possible.
Je m'assis à la fin entre les deux et
je mis ma main sur mes yeux pour prier.
Instinctivement ils firent tous les deux comme moi.
Personne de nous ne dit rien. Au bout de quelques
secondes l'un des petits se leva brusquement, prit
la main de l'autre, et lui dit :
« Jimmie, tu auras les clochettes ;
nous allons jouer avec, tous les deux. »
Il n'y a guère de problèmes
d'éducation qui soit plus mal compris et
plus mal résolu que ce que les parents
appellent, bien à tort, les
« mensonges » de leurs enfants.
Il arrive souvent qu'un enfant finit par devenir
à la longue un véritable
« menteur », tout simplement
parce que ses parents et ses
éducateurs n'ont pas su discerner la vraie
nature de ce qui leur est apparu comme des
mensonges, et ont développé chez lui
l'habitude de mentir, par des punitions
intempestives et maladroites.
Ce que nous appelons mensonge chez l'enfant
n'est d'ordinaire qu'un effet de son imagination.
L'histoire qu'il nous raconte, il l'a vécue
en pensée, et il ne songe qu'à en
faire profiter son entourage. S'il réussit
à intéresser, à divertir son
auditoire, il est par là stimulé
à fouetter son imagination pour continuer
à concentrer sur lui l'attention. Si ses
parents ne lui semblent pas accorder à son
histoire toute l'attention qu'elle mérite et
ont l'idée malheureuse de vouloir le
réprimer, alors il perd confiance en eux et
va raconter son histoire aux gens du dehors, ce qui
offusque les parents, et entraîne souvent
pour lui d'injustes punitions.
J'ai toujours admiré la façon
dont ma soeur a su prendre l'une de ses enfants,
une fillette beaucoup plus jeune que ses soeurs,
d'une imagination très vive et d'une nature
très affectueuse, vivant au milieu de
beaucoup d'adultes. Ma soeur écoutait
attentivement les histoires de la petite
Émilie, puis elle lui disait :
« Maman aime bien cette
histoire » ou bien :
« Quelle merveilleuse histoire, mon
Émilie ! » et alors, ses bras
toujours serrés autour de son enfant :
« Maintenant dis à maman ce qui
s'est vraiment, réellement
passé ; dis-moi qui était
là, tout à fait
réellement. »
Quelquefois la cause du mensonge, c'est la
crainte, non pas nécessairement la crainte
suscitée par le père ou la
mère, ou une grande personne, mais une
crainte d'origine inconsciente.
Toute punition l'augmentera. Aucune explication ne
servira de rien. Tout ce que l'enfant pourra
saisir, c'est que pour une raison
mystérieuse il a mécontenté
quelqu'un, et pour échapper à cette
nouvelle crainte, consciente cette fois, il dira un
nouveau mensonge.
Dans un petit séjour que je fis une
fois chez une amie, je fus profondément
troublée par son attitude à
l'égard de son petit garçon, qui
avait pris sans permission des caramels dans une
boîte. Voyant qu'ils manquaient dans la
boîte, et apercevant des traces brunes sur la
figure du petit, la mère
s'écria : « Tommy, est-ce que
tu as pris des caramels ? » -
« Non, non, maman ! »
Le saisissant par le bras, et le secouant,
la mère lui dit : « Tommy, je
ne veux pas que tu mentes comme ça !
Quand je t'interroge, il faut que tu me dises la
vérité. Voilà que tu as menti
de nouveau, et cela devant tante
Olive ! »
Pendant quinze minutes, j'eus devant moi,
face à face, la mère tout en pleurs
et toujours plus en colère, et l'enfant
interloqué, mais obstiné. Chaque fois
que la mère répétait sa
question : « Allons, Tommy, dis-moi
la vérité : as-tu pris ces
caramels ? » Le petit garçon
répondait : « Non,
non ! » puis enfin se contenta de
secouer la tête négativement. je ne
voulais pas intervenir, car cela aurait pu faire
autant de mal à l'enfant que la scène
qui venait de se passer sous mes yeux, mais je ne
pouvais pas admettre que sa mère le
fouettât, comme elle l'en menaçait.
Alors je dis simplement :
« Hélène, si nous avions
ensemble un recueillement, toi, Tommy et moi, avant
que tu le fouettes. Peut-être que Dieu
pourrait aider Tommy à te dire qui a pris
les caramels. »
Mon amie n'avait pas encore l'habitude de
pratiquer le recueillement, mais elle sentait que
je la désapprouvais, et je pense aussi
qu'elle était bien aise d'avoir un
prétexte pour ne pas fouetter l'enfant. Nous
inclinâmes donc nos têtes en silence.
Ce silence se prolongea tellement que le petit
Tommy, qui n'avait que quatre ans, en conclut que
la chose était finie et s'en alla jouer.
Hélène resta seule avec moi, et nous
eûmes alors une longue conversation,
où nous recherchâmes tous les
complexes, tous les conflits intérieurs
qu'elle avait par son inexpérience
développés chez son enfant, afin de
les guérir et de les éviter
dorénavant.
Pour commencer, la première question
qu'elle avait posée à l'enfant
était tout à fait malheureuse. Ne
posez jamais, jamais, jamais, à un petit
enfant une question à laquelle il peut
répondre par oui ou par non. Presque
toujours il vous répondra ce qu'il suppose
devoir vous faire plaisir ou bien ce que lui dicte
la crainte. L'idée de
« vérité »
n'intervient pas pour lui, et il ne comprend pas la
différence entre la vérité et
le mensonge. L'approbation, l'amour, la crainte, ce
sont là. les seuls mobiles qui le font agir,
et ils ne sont pas raisonnés, ils sont
subconscients. Le bien et le mal sont des
idées qui supposent le jugement, et Tommy
avait à grandir encore pendant Plusieurs
années avant que son jugement moral
fût formé. La mère aurait
dû poser la question de telle manière
que Tommy fût forcé de répondre
assez longuement et avec assez de détails
pour laisser apparaître la
vérité ou tout au moins pour se
trahir. Et la mère et le fils se seraient
trouvés devant la véritable question,
celle de la désobéissance. Par
exemple, elle aurait pu dire :
« Tommy, combien de caramels as-tu
pris ? » Ou bien :
« Tommy, qu'as-tu fait des caramels que
tu as pris dans ma boîte ? »
La question directe qu'elle lui posa était
pour lui une tentation à mentir, à
chercher à tout prix l'approbation, à
éviter le blâme, prenant ainsi
l'habitude pernicieuse dont il souffrirait toute sa
vie.
Et puis quelle erreur de
répéter sans cesse la question
douloureuse ! Que pouvait faire Tommy, sinon
s'en tenir à sa négation
première ? Comment se laisser
confondre, « et cela devant tante
Olive ! » La mère savait
clairement ce qui en était, et après
l'échec de sa première tentative elle
aurait dû interroger l'enfant tout autrement,
ou mieux encore, le prendre à part, lui
expliquer très doucement comment elle savait
ce qui s'était passé. Et elle aurait
pu l'amener à confesser ainsi son petit
larcin et à le regretter.
Aujourd'hui mon amie ne commet plus les
mêmes erreurs. Elle et son petit Tommy ont
appris le secret du recueillement.
Virginie est une mère dont le petit
garçon s'appelle Mead. Virginie a dû
beaucoup lutter dans sa vie pour surmonter ses
craintes instinctives, et de très bonne
heure elle résolut d'aider son petit gamin
à dominer ses appréhensions. Elle s'y
sentit poussée tout particulièrement
quand une autre mère lui raconta comment
elle avait échoué dans la même
tentative, et qu'elle crut deviner la cause de cet
échec :
« Vous comprenez, disait cette dame,
moi-même au fond je suis terriblement
froussarde ; mais je ne laisse jamais ma fille
s'en apercevoir, et elle me dit : Oh !
maman, c'est épatant d'être brave
comme tu l'es ! »
Tout au contraire, Virginie se sentait
dirigée à tout dire à son
petit garçon, à lui raconter comment
elle s'y prenait pour dominer sa peur. Et c'est
bien ce qu'elle faisait. Elle lui expliquait
comment Dieu lui disait de faire telle chose dont
elle n'avait nulle envie, et comment Dieu lui
donnait la force de la faire. Tout jeune que
fût Mead, il comprit la leçon. Il
comprit comment il pouvait trouver la force
d'obéir à papa ou à maman
quand on lui demandait de faire une chose qui lui
était désagréable.
Virginie souffrant chaque année du
rhume des foins, on lui avait prescrit une
série de quinze piqûres, dont elle
avait très peur, ayant une grande
appréhension de la moindre douleur physique.
Mead, son petit garçon, n'avait alors que
trois ans et demi. Virginie lui parla de sa crainte
et lui demanda de prier avec elle. Cela fit
beaucoup d'impression au petit, que sa mère
lui demandât secours. Chaque fois que
Virginie allait chez le médecin, ils
priaient ensemble, et Mead disait :
« 0 mon Jésus, sois avec maman
pour qu'elle ne pleure pas ! - Tu vois, maman,
tu n'auras pas peur, parce que j'ai dit une
prière pour toi. » Quelquefois il
accompagnait sa mère, assistait à la
piqûre, et voyait que leur prière
avait été exaucée.
Cette initiation à la confiance, au
partage, à la prière, aida Mead
à supporter vaillamment une
légère opération,
l'année suivante. À la grande
surprise de son père, Mead, qui avait
autrefois si peur de la plus petite intervention, ne
manifesta pas la moindre
appréhension dans la salle d'hôpital,
ni devant l'éther, ni en présence du
médecin ni de l'infirmière. Il dit
seulement : « Pourquoi le
médecin ne vient-il pas ? Je ne puis
pas attendre davantage. »
À cinq ans et demi, Mead dut
affronter une nouvelle crainte, dont il triompha de
nouveau, grâce à sa confiance dans le
recueillement et la direction de Dieu. Pendant fort
longtemps, Mead avait eu une peur étrange de
tout ce qui était nouveau : une chose
nouvelle qu'il lui fallait faire, un instrument
nouveau comme un pressoir à cidre, et tout
particulièrement le fait de mettre des
objets d'habillement nouveaux. Essayer des
souliers, des vêtements, des chapeaux,
c'était pour lui une tragédie et pour
sa mère une terrible humiliation. Jamais il
n'aurait consenti à se déguiser avec
des chapeaux ou des costumes en papier. Une fois,
quand Virginie l'amena chez un de ses cousins, qui
était orthopédiste, pour lui faire
examiner les pieds, il s'ensuivit une terrible
scène. Le simple fait de devoir ôter
ses souliers et ses chaussettes le jeta dans une
crise de larmes désespérée et
impressionnante. Rien ne pouvait calmer ces
craintes, ni la persuasion, ni le raisonnement, ni
les punitions ; leur cause échappait
à toute investigation.
Puis il fut d'âge d'aller à
l'école. Fier d'être un grand
garçon, il oublia d'abord sa terreur des
nouveautés. Mais elle revint dès que
la maîtresse parla de lui faire peindre des
images. C'était du nouveau, et il lui
faudrait revêtir un tablier : encore du
nouveau ! Il ne tremblait pas tout à
fait, mais il avait peur de ces choses nouvelles,
effrayantes : la peinture, le tablier !
Chaque matin Mead laissait tomber ces mots :
« Oh ! je crois que je n'irai pas
à l'école, ce matin. » Le père
et la mère, qui comprenaient ce que cela
signifiait, se gardaient de rien dire. Et puis tout
de même il y allait.
Le quatrième jour, pendant que Mead.
en compagnie de son père, s'en allait vers
l'école, Mead lui dit :
« Papa, je n'aurai plus peur,
maintenant, de la peinture.
- À merveille, dit son père.
Et comment as-tu trouvé
ça ?
J'ai eu un petit recueillement ce matin,
tout seul, répondit Mead. Jésus m'a
dit que c'était ridicule d'avoir peur comme
ça de ce qui est nouveau. Alors maintenant
je n'ai plus peur. »
Ce jour-là, il fit sa peinture sans
aucune peur. À la fin de la semaine, il
essaya cinq complets d'été, il mit un
chapeau en papier. Plusieurs semaines après,
on l'amena chez un médecin pour subir un
examen complet. Il proposa bien au début que
sa petite soeur fût examinée la
première. Mais il se laissa ensuite
déshabiller de pied en cap sans la moindre
hésitation, très sagement.
« J'ai toujours partagé
avec lui, me disait sa mère, même mes
propres craintes, et la façon dont Dieu nous
aide à les surmonter. » N'est-ce
pas là une belle leçon pour tous les
parents ?
Je ne puis résister à l'envie
de rapporter encore un petit trait
supplémentaire, assez amusant, qui n'est
venu à ma connaissance que plus tard. Durant
l'été, Mead se trouvait à la
campagne, dans la maison familiale, avec son petit
cousin, Skippy, à peu près du
même âge que lui. Il y avait aussi deux
petites cousines, mais plus jeunes que les
garçons. L'aînée, Anne, est une
délicieuse gamine, qui adore son frère Skippy, et
joue toujours avec lui et avec Mead. Mais cet
été, le jeune Mead, tout fier de se
sentir enfin un grand garçon qui n'a plus
peur de rien, eut l'idée d'exclure les
filles des jeux masculins qu'il inventait avec son
cousin Skippy, et les deux garçons voulurent
affirmer leur solidarité masculine.
« Non, dit notre jeune
héros transformé ; nous ne
voulons pas des filles. Elles ont toujours
peur ! »
Sans doute, un tel propos pose un nouveau
problème, que Mead et ses parents auront
à résoudre en commun. Mais il prouve
bien à quel point Mead a triomphé de
ses craintes. D'ailleurs, aux dernières
nouvelles, Anne a victorieusement
résisté à toutes les
tentatives des petits garçons pour l'exclure
de leurs jeux.
Chez une fillette, nommée Day, le
péché dominant, c'était
l'égoïsme, bien qu'il se
manifestât surtout par son esprit querelleur.
Elle avait une masse de beaux jouets, de livres
d'images, de perles et de colliers, elle vivait
dans une très belle maison, à la
campagne. Pendant deux ans environ, elle avait
été le seul bébé de la
famille, et quand sa petite soeur Florence naquit,
ou plus exactement quand elle fut d'âge
à jouer avec Day, celle-ci avait acquis un
instinct très décidé de
propriétaire, et n'acceptait pas de partager
avec personne ce qu'elle estimait lui appartenir en
propre. Elle ne voulait pas que Florence se serve
de ses jouets ou même touche quoi que ce soit
de ce qui était à
elle. Quand d'autres enfants venaient jouer avec
elle, c'était des querelles
incessantes.
Sa mère, Constance, et sa
gouvernante, Nell, étaient très
préoccupées de cet
égoïsme accapareur, et priaient Dieu
ensemble très souvent, pour qu'Il les
aidât à résoudre ce
problème. Elles eurent la direction de
raconter à Day des histoires où l'on
voyait de beaux exemples de
générosité et de mise en
commun. Elles lui laissèrent le soin de s'en
faire l'application à elle-même ;
elle n'y manqua point, elle comprit qu'elle devait
prêter ses jouets, même s'il arrivait
qu'on les lui casse, et qu'il lui fallait en ce cas
accepter la chose de bon coeur.
Après quelque temps, l'enfant et sa
gouvernante purent parler ensemble en toute
franchise et, dans leurs recueillements, Nell se
rendait compte que Dieu dirigeait lui-même la
petite beaucoup mieux et avec beaucoup plus
d'efficacité qu'aucun enseignement moral
n'aurait pu faire.
Nell avait un bracelet que Day admirait
beaucoup et qu'elle demandait souvent à
tenir dans ses mains. La gouvernante avait toujours
refusé, craignant qu'elle le laissât
tomber. Mais dans un recueillement Nell se sentit
poussée à dire à
Day :
« J'ai été
égoïste en ne te permettant pas de
t'amuser quelques minutes avec mon bracelet. J'ai
fait de la peine à Jésus, et je le
regrette. » Elle n'ajouta rien, mais un
peu plus tard, dans tel ou tel recueillement, Day
se mit à dire des choses comme
celles-ci :
« Jésus m'a dit que j'avais
été égoïste aujourd'hui
en m'amusant avec mes jouets, et que je dois les
prêter à Florence pour s'amuser
avec. »
Ou bien : « Jésus m'a
dit que Florence est égoïste en
s'amusant avec sa poupée, et qu'il faut que
je lui apprenne à ne plus l'être,
parce que cela fait de la peine à
Jésus. »
Ou encore : « Mon
Jésus, je suis fâchée d'avoir
été égoïste avec Gray
(une petite compagne de jeu). - Jésus m'a
dit que lorsque Gray viendra demain, il faudra que
je lui prête mon cerceau. »
Peu à peu, le caractère de Day
se modifia. Elle en vint à offrir à
Florence les jouets qu'elle chérissait le
plus, en lui disant : « Même
si tu le casses, ça ne me fait rien, parce
que tu es trop petite pour
comprendre. »
Quelquefois on l'entendait qui essayait
d'inculquer à Florence le nouveau principe
qu'elle apprenait pour elle-même :
« Ne fais pas ça, Florence ;
ça fait de la peine à Jésus
quand nous sommes
égoïstes. »
Comme Noël approchait, Constance eut la
direction d'employer une nouvelle méthode
pour aider sa petite fille à triompher de
son égoïsme, à cette
période des cadeaux de Noël où
dans les familles riches l'égoïsme
trouve un si riche terrain. Elle se mit à
raconter à Day des histoires où il
était question d'enfants qui avaient froid,
qui avaient faim, qui n'avaient pas de jouets, qui
n'avaient point de petite soeur pour jouer avec
eux. Elle lui parlait d'un enfant malheureux pour
lequel elle priait le soir avec Day. Un soir, Day
leva la tête et dit :
« Maman, Jésus veut que je
donne mes agneaux à cette pauvre petite
fille. »
Chaque soir elle parlait de tel ou tel de
ses jouets qu'elle voulait donner pour Noël
à quelque « pauvre petite
fille ». D'abord il s'agissait de vieux
jouets avec lesquels elle ne
s'amusait plus, mais à la fin ses
recueillements aboutirent à cette
conclusion :
« Jésus m'a dit de donner
mon beau chat aux enfants pauvres (un chat de
peluche avec lequel elle dormait), parce qu'ils le
serreront contre eux et ça leur tiendra
chaud. »
Le matin de Noël, pendant qu'elle
déballait ses propres cadeaux, elle
s'arrêta pour dire : « Je
parie que les enfants pauvres sont bien contents
aussi de leurs cadeaux. » La veille, elle
avait aidé à préparer un colis
d'objets que l'on devait distribuer.
Tout récemment, elle s'est mise
d'elle-même à prier pour ses petites
compagnes de jeu, et à leur expliquer
comment Jésus lui enseigne à ne pas
être égoïste.
La colère est une manifestation
très fréquente de
l'égoïsme instinctif. Cela commence
très souvent quand l'enfant est tout petit,
et si l'on n'y veille pas, l'enfant prend la
déplorable habitude de se mettre en rage,
avec des cris perçants, dès que l'on
contrarie un de ses désirs. Quand le
bébé crie pour atteindre son but, et
surtout quand il commence à pouvoir
dire : « Non, je veux
pas ! » il s'agit pour les parents
de lui apprendre la discipline, et ce n'est pas un
problème facile.
Dans le cas de notre petite amie Day, ce
problème de la discipline causa beaucoup de
soucis à sa mère et à sa
gouvernante. Ne s'étant pas rendu compte de l'importance
de la chose
quand
elle était toute petite, les parents
s'étaient imaginé que cela passerait
à mesure qu'elle grandirait. Au contraire,
ses accès de colère devenaient
toujours plus fréquents.
Constance et Nell, dans leurs
recueillements, eurent la direction d'enfermer Day
dans sa chambre, toute seule, en lui conseillant de
demander à Jésus d'arrêter ses
cris de colère et son accès de rage.
Au début, il y eut de véritables
batailles, qui mirent à une rude
épreuve les nerfs et la foi de Constance et
de Nell. Puis un beau jour, au lieu des cris de la
petite fille, il y eut un long silence. On ouvrit
la porte, et Day parla ainsi :
« J'allais me mettre tout à
fait en colère, mais Jésus m'a dit
que si je le faisais, je resterais plus longtemps
enfermée. Alors je ne l'ai pas
fait. »
À son recueillement du soir elle
dit : « Jésus m'a dit qu'il
était triste quand j'étais
désagréable et pas
gentille. »
Voici encore quelques-unes des
pensées qui lui sont venues dans ses
recueillements :
« Je ne puis presque pas attendre
que mon bain soit fini : je suis si
pressée de parler avec Jésus.
- Jésus, aide-moi à ne pas
faire ce que je ne dois pas faire, à ne pas
toucher ce que je ne dois pas toucher.
- Florence, il ne te faut plus
déchirer mes livres d'images. Jésus
dit que ce n'est pas gentil, mais il dit aussi
qu'il ne faut pas que je me mette en colère
contre toi.
- Jésus m'a dit qu'il faut que je
dise à maman que j'ai été
très méchante
aujourd'hui. »
Day n'est pas une enfant anormale, ni
même une enfant précoce. J'ai
passé bien des heures charmantes avec elle dans son
foyer : je
sais
qu'elle est heureuse et pleine de vie. Elle a cette
grande et rare bénédiction d'avoir
des parents qui s'efforcent d'élever leurs
enfants selon Dieu, en tenant compte de leurs
besoins spirituels aussi bien que de leurs besoins
matériels. Et cela sans la moindre trace de
pharisaïsme. Là où
« Dieu » et
« Jésus » ne sont pas
des mots exclusivement réservés
à ce curieux endroit où les grandes
personnes expédient les enfants le dimanche,
et qu'on appelle
« l'église », mais fait
partie du vocabulaire courant et vivant de tous les
jours, la religion est chose toute simple et toute
naturelle, exempte de tout pharisaïsme.
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