C'est un petit enfant qui m'a conduite à
la vie religieuse et, de fil en aiguille, à
écrire ce petit livre. Sans la naïve
question que m'a posée un petit
garçon, à qui j'essayais d'inculquer
un enseignement religieux, et qui m'a fait sentir
que je n'avais peut-être pas le droit, de par
ce que j'étais, d'agir de la sorte, je
ferais encore partie de la masse des gens qui ne
vont jamais à l'église et qui au fond
ne sont que des païens. Ces six
dernières années sont les meilleures
années de ma vie, car elles m'ont
donné la délivrance et la paix, la
découverte de la réalité de
Dieu et cette foi, cette intime assurance qui fait
que la vie est digne d'être vécue.
C'est la naïve mise en demeure d'un petit
enfant qui m'a conduite aux Groupes d'Oxford, que
nous appelons souvent en Amérique
« La communauté chrétienne
à l'instar du premier
siècle ».
C'était en 1927. J'avais à
m'occuper d'une série d'écoles pour
de jeunes délinquants, parmi lesquels il y
avait tous les degrés qui vont de la simple
désobéissance jusqu'au crime. J'avais
fondé ces écoles vingt et un ans ou
vingt-deux ans plus tôt, persuadée
qu'en gardant ces petits tout le jour loin de la
rue, dans des écoles spéciales tenues
par des éducateurs formés pour cette
tâche, en leur faisant faire ce qui convenait le
mieux
à leur tempérament et à leurs
aptitudes, on pouvait arriver à les corriger
sans les mettre en dehors de la vie normale. On
pouvait ainsi redresser en eux les tendances
mauvaises qui les avaient entraînés au
mal, ce qui était impossible dans les
meilleures maisons de correction telles qu'elles
existent. Mon système éducatif
comportait alors un enseignement moral, la
création de bonnes habitudes,
l'apprentissage d'un métier, une
surveillance médicale, des secours
matériels.
J'avais au début une confiance
illimitée dans ce système. Les
difficultés, les obstacles, qu'ils fussent
d'ordre financier ou politique, ou bien du domaine
de la psychologie individuelle, m'apparaissaient
comme un sport passionnant où j'avais
à gagner la victoire. Et d'abord, le service
que je rendis aux autres écoles de New York,
en les débarrassant de tant
d'élèves indésirables, fut
évidemment une victoire cent pour cent.
D'autre part, le résultat positif, je veux
dire la guérison morale de mes petits
délinquants, dépassait de beaucoup le
pourcentage auquel on pouvait s'attendre. Le
prestige de ces écoles nouvelles,
réservées aux jeunes garçons
qui s'étaient sauvés de la maison ou
avaient commis quelque délit, était
devenu grand et même international.
Mais moi je n'étais pas contente. Mes
espoirs les plus hauts n'étaient pas
réalisés. Ce que je voulais
redresser, c'était la vie tout
entière de chacun de mes
garçons : non pas seulement sa vie
d'écolier, mais sa vie d'homme. À
mesure que les années s'écoulaient,
à mesure que mes petits devenaient grands,
je souffrais toujours davantage de constater
combien d'entre eux malgré tout faisaient faillite.
La statistique
établissait que parmi mes anciens
élèves, 79 % avaient une vie
honorable et utile. Un tel résultat
était grandement applaudi. Mais moi je
pensais aux 21 % qui aboutissaient à la
prison ou du moins constituaient un danger social.
Pour remédier à ce déficit,
quelle qu'en fût la cause, j'entrepris, en
marge de mon activité pédagogique,
des campagnes pour des lois nouvelles, sur le
travail des enfants dans l'industrie, sur
l'hygiène enfantine, sur l'orientation
professionnelle, sur les tribunaux pour enfants,
etc. Je me jetai dans la mêlée pour
conquérir chacune de ces réformes, et
le souvenir de chacune de ces campagnes pour les
droits de l'enfance est encore pour moi une joie et
un réconfort.
Pendant quelques années de
succès apparents, j'éprouvais au fond
de moi-même une impression presque
intolérable de découragement et de
défaite. J'étais sans doute inscrite
comme membre d'une Église protestante, mais
en réalité je n'avais aucune foi
religieuse ; et depuis tant d'années je
n'allais plus à aucune église, sinon
par occasion, que je ne pensais même plus du
tout à la religion. J'avais le sentiment que
l'Eglise n'avait rien pu faire pour moi au moment
où j'en aurais eu tant besoin, à
l'heure du naufrage et de la tentation. Aussi je
l'avais mise au rancart. Mes études
universitaires avaient affaibli ma foi en Dieu, et
l'humanisme que j'avais embrassé me
permettait de vivre sans aspirer sourdement au
suicide ou à la mort. J'avais trouvé
un idéal moral sans Dieu et sans
Église. Je n'avais même pas
l'idée qu'il pût y avoir un rapport
quelconque entre l'oeuvre pédagogique
à laquelle je me vouais avec ardeur et la
religion chrétienne ou même la doctrine morale
qu'on nomme
l'humanisme. Le problème religieux, pour
autant qu'il existait à mes yeux,
c'était mon affaire à moi, et
personne n'avait à s'en mêler. Chasse
réservée : je n'en parlais
jamais.
Cependant, toujours plus
préoccupée de ce qui manquait
à mon système pédagogique, je
me demandai un beau jour si l'éducation
religieuse ne serait pas un procédé
supplémentaire à joindre à
ceux dont je me servais déjà. J'avais
tout simplement l'idée que ce
procédé-là pourrait être
utile à un petit nombre de ces pauvres
garçons que mes autres méthodes
n'arrivaient pas à corriger. Un peu
auparavant, parmi le corps enseignant de New York,
à la fois catholique et protestant, avait
surgi une initiative pour donner une
éducation religieuse, durant la semaine, aux
enfants qui n'appartenaient à aucune
Église. Ceux qui dirigeaient la section
protestante vinrent me demander mon concours,
spécialement pour la publicité, dont
j'avais une grande expérience.
Poussée par mon idée d'essayer ce
procédé nouveau, j'acceptai de
collaborer avec eux, sans me douter que Dieu se
servirait de cette collaboration pour m'amener
à Lui.
La préparation de mes articles
destinés aux journaux m'amena naturellement
à me rendre à quelques-unes de ces
leçons de religion. Un jour, un petit
garçon, comme j'examinais son cahier, me
regarda en face et me dit à
brûle-pourpoint : « Et vous,
à quelle église
allez-vous ? » Cette apostrophe
directe me mit mal à l'aise. Il fallait bien
lui répondre. Je lui nommai vaguement
l'église où j'avais fait jadis ma
première communion, mais j'eus une
pénible sensation d'hypocrisie. J'avais
toujours cherché à
dire la vérité aux enfants en
présence desquels je me trouvais (pour les
adultes, c'est une autre affaire). Et pourtant
j'avais menti à ce garçon et cela
à propos de religion ! Malgré
mon manque de foi, cela me labourait
profondément.
Plusieurs jours après, je
résolus, pour « sauver ma
face » à l'égard des
enfants qui pourraient m'interroger encore,
d'assister régulièrement à un
culte, de préférence dans une
église épiscopale, puisque
j'appartenais à cette dénomination.
Un jour que j'y pensais, étant dans un tram,
je regardais machinalement les annonces, et
qu'est-ce que je lus ? Église
protestante épiscopale du Calvaire, 21e Rue,
4e Avenue, dirigée par le
Révérend Samuel Shoemaker junior.
Venez ! J'habitais dans un hôtel
à côté de là. En
rentrant chez moi, je dis à l'amie avec
laquelle je vivais : « Dimanche
prochain, j'irai à l'église qui est
au coin de la rue. Le pasteur est un homme qui a du
cran. Il fait de la publicité dans les
trams. » Depuis bien longtemps je n'avais
jeté les yeux sur aucune nouvelle religieuse
dans aucun journal ni aucune revue. C'est pourquoi
le nom de Shoemaker ne me disait rien. Je n'avais
jamais non plus entendu parler du Dr Frank Buchman,
ni des groupes d'Oxford ; je ne connaissais
même personne qui fût en rapport avec
eux. J'allai donc à l'église du
Calvaire (c'était en février 1927) et
je continuai à y aller
régulièrement chaque dimanche. je m'y
sentais fort attirée par la parfaite
sincérité et le caractère
pratique des sermons, et aussi par l'accueil
cordial et fraternel des membres de l'Eglise.
En mai 1927 j'écrivis à M.
Shoemaker, en lui demandant
comment je pourrais devenir membre de son
Église. Il me proposa un entretien, et
là il me parla de la réunion de
groupe qui avait lieu le jeudi soir. Je
l'écoutai, mais intérieurement
j'étais bien résolue à n'y pas
aller, et à ne pas me laisser embrigader
pour une activité d'Eglise. Je continuais
à vouloir « sauver ma
face » avec une surface
d'honnêteté derrière laquelle
ma vie intérieure restait à l'abri de
tous les regards. Mais, sans que j'en sache rien,
la main de Dieu était à l'oeuvre.
C'est Lui assurément qui a poussé Sam
Shoemaker à demander à une femme,
membre des groupes, qui connaissait mon
activité dans des associations
féminines, de venir me trouver. Elle
m'invita à dîner avec elle dans un
club féminin fort connu, et là, tout
simplement, elle me raconta la transformation que
le Christ avait opérée dans sa vie.
je fus frappée de tout ce qu'il y avait dans
son récit de vie intense et de
réalité. Us sermons que j'entendais
dimanche après dimanche m'avaient
préparée à la comprendre. je
compris en effet pour la première fois ce
que c'était que la réalité
spirituelle, et pour la première fois je me
résolus à chercher Dieu.
J'écris ceci en 1933. je n'ai pas
à raconter ici les six années qui se
sont écoulées pour moi depuis lors.
Il me suffira de dire que chaque fois que j'ai
dû, non sans douleur, renoncer à un
péché, ma foi s'est fortifiée,
et j'ai éprouvé un sentiment de
libération, de puissance, de certitude,
comme je n'en avais jamais connu aux temps les plus
beaux de mon orgueil robuste et de mon indomptable
volonté. Durant cette période, j'ai
eu l'incomparable privilège de
connaître de près, en collaborant avec
lui et en jouissant de sa
confiance, le Dr Frank Buchman. Dans le monde
entier, il lutte pour conquérir des
âmes à Jésus Christ, pour
donner à chaque individu l'intuition
personnelle des réalités
divines.
Mais ce qui est le plus étroitement
en rapport dans ma vie avec la naissance de ce
petit livre, c'est évidemment l'appel que je
reçus de M. Shoemaker, quand il me demanda
de diriger l'École du dimanche de l'Eglise
du Calvaire, et d'entreprendre pour la
première fois un essai d'éducation
religieuse selon les principes du Christ tels que
les groupes s'efforcent de les vivre et de les
répandre autour d'eux. Les moniteurs et
monitrices m'ont aidé dans cette tâche
avec beaucoup d'intelligence et de
dévouement. Les parents des enfants, ceux
même qui vivent très loin de notre
église, m'ont aidé pareillement.
Plusieurs des pages de ce livre ont
été écrites par les uns et par
les autres : je n'ai fait que les
recueillir.
J'espère convaincre les plus
sceptiques de mes lecteurs que Dieu peut vraiment
parler à nos enfants. Quand Jésus dit
à chacun de nous : « Pais mes
agneaux », nous devons tous comprendre
qu'il n'y a pas au monde de plus grand
péché que de désobéir
à ce commandement.
Pour vous faire comprendre de quelle façon Dieu parle à nos enfants, je ne connais pas de meilleure méthode que de vous raconter d'une façon concrète des faits précis et authentiques, et je commence tout de suite.
Sinclair, un petit garçon de neuf ans,
n'était jamais encore allé à
l'école publique. Sa mère et sa
gouvernante lui avaient donné des
leçons. Pendant quelque temps, il
était allé dans une petite
école privée, mais qui n'était
que pour les tout petits. Sa santé, trop
délicate, empêchait ses parents de
l'envoyer loin d'eux comme pensionnaire. Un peu
à contre-coeur, ils décidèrent
de l'envoyer pendant un ou deux ans à
l'école publique, malgré sa mauvaise
réputation au point de vue de la
discipline.
Sinclair avait des camarades qui
fréquentaient déjà cette
école. Ils lui racontaient d'effrayantes
histoires de batailles entre élèves
et de tout ce que les grands faisaient subir aux
nouveaux, aux « bizuts ».
Chaque jour ils lui racontaient de nouveaux
détails sur les tourments qui l'attendaient, et
chaque
nuit le
pauvre petit rêvait d'yeux pochés, de
nez ensanglantés, de coups de pied, de coups
de poing. Sa mère elle-même
était remplie des mêmes craintes, car
des parents d'élèves lui apportaient
une confirmation de toutes ces histoires ; et
la mère et le fils se demandaient avec
angoisse ce qu'il lui faudrait faire.
Sinclair n'avait jamais dans sa famille
assisté à aucune dispute. On lui
avait appris tout jeune que la guerre et toutes les
formes de violence étaient
abominables ; qu'elles étaient toujours
l'effet de l'égoïsme et de la
colère, qui font d'un être humain un
animal féroce. Que devait-il faire
ici ? Sa mère, une fervente
chrétienne, fidèle aux principes des
groupes, lui proposa un recueillement. Mais ce
recueillement ne calma les craintes ni du fils ni
de la mère. Elle se rendait bien compte que
sa propre attitude, que la peur qu'elle avait en
pensant à cette terrible école,
était une barrière entre elle et
Dieu, qui l'empêchait de recevoir Ses
directions. Aussi hésitait-elle à
continuer ses recueillements avec son fils, de peur
que sa confiance enfantine dans l'efficacité
de la prière ne vienne à être
ébranlée. Elle s'efforçait
bien de remettre tout entre les mains de Dieu, de
compter sur Sa sagesse et Sa puissance, mais son
amour maternel la retenait dans
l'anxiété.
Une amie, membre des groupes, vint passer
quelques jours chez eux. Le petit Sinclair
s'était lié avec elle
d'étroite amitié lors de ses visites
précédentes. Il lui fit part de ses
appréhensions et de sa terreur, qui
était concentrée à ce
moment-là sur l'idée du nez
ensanglanté. Un de ses camarades lui avait
raconté ce jour-là même que sur
l'oeil poché il fallait appliquer un bifteck
cru, et la bizarrerie du
traitement lui faisait oublier l'horreur de la
chose. Mais il voyait toujours son nez
inondé de sang et la honte de n'être
qu'un pauvre bizut.
L'amie de la famille, qui avait beaucoup
plus que la mère de Sinclair l'habitude des
propos d'écoliers, et qui savait que la
plupart de ces combats guerriers ne se passaient
qu'en paroles, en gestes et en menaces, sans aller
jusqu'à l'acte, ne ressentait en elle aucune
crainte déprimante, et elle proposa, elle
aussi, à Sinclair un recueillement.
Après une prière d'elle et une
prière du petit garçon, tous deux
restèrent en silence. Tout à coup le
gamin se leva de sa chaise et courut hors de la
pièce. Alors la mère et son amie se
concertèrent. La mère lui parla de ce
recueillement qui avait été sans
résultat. Toutes les deux en étaient
à se préoccuper beaucoup plus de la
foi du petit, qui semblait être en danger,
que des sévices et des batailles qui le
menaçaient à l'école.
Le soir, avant de se coucher, Sinclair vint
trouver sa grande amie et lui dit « Vous
comprenez, j'ai pensé qu'il valait mieux que
aie un recueillement tout seul avec Dieu pour le
nez qui saigne. Alors Il m'a dit que la bataille,
ça ne compte pas ; mais qu'il faut
seulement que je ne sois pas un lâche. Alors
maintenant je n'aurai plus peur. » Il
débita tout cela au galop, lui donna vite un
baiser et courut se mettre au lit. Effectivement,
ses craintes ne revinrent plus, malgré les
bousculades et les coups un peu rudes qu'il dut
affronter à l'école.
Peggy est une petite blonde, aux joues
rebondies, pleine de vie et d'entrain. Ses parents
sont dans l'aisance, sans être assez riches
pour avoir plusieurs domestiques. Peggy doit
s'acquitter à la maison de quelques petits
services, d'abord parce que sa mère en a
besoin, mais surtout parce qu'elle pense que c'est
pour la petite un excellent entraînement.
Elle joue un rôle très actif dans
notre École du dimanche, notamment dans tous
les jeux, et remporte beaucoup de
récompenses pour son assiduité et son
travail.
Sa monitrice a très bien
réussi à organiser les recueillements
dans son groupe et à faire comprendre aux
enfants les réalités spirituelles,
bien que la plus âgée n'ait que onze
ans. Peggy n'est pas la plus
âgée.
Un dimanche matin, Peggy arriva en coup de
vent, faisant beaucoup de bruit. Même quand
on eut commencé le recueillement, elle
continua à bouger et à causer. La
maîtresse, Miss D., finit par lever les yeux
et lui dit : « Peggy, si tu ne veux
pas avoir de recueillement ce matin, au moins sois
assez polie pour ne pas nous déranger
pendant que nous cherchons à écouter
Dieu. » Peggy se tint tranquille, mais
elle ne prit aucune part au recueillement.
Le dimanche suivant, elle arriva en retard
et déclara que c'était parce qu'elle
ne voulait plus avoir de recueillements. Miss D.
comprit alors qu'il y avait quelque chose de
sérieux là-dessous et que tout ce
bruit qu'elle avait fait le
dimanche précédent venait de
là. Comme toutes les petites filles avaient
assisté à la scène
précédente aussi bien qu'à
celle-ci, il valait mieux régler la question
devant elles. La monitrice interrompit sa
leçon et dit à Peggy :
« Eh ! bien, Peggy, il me semble que
tu devrais bien nous dire à toutes pourquoi
tu désapprouves le recueillement. Penses-tu
que nous aussi nous devrions y
renoncer ? »
Peggy répliqua :
« Voilà ce que c'est,
Mademoiselle ; quand j'ai un recueillement,
Dieu me parle, et moi je ne veux pas l'entendre.
Vous comprenez, il me dit de faire des choses que
je ne veux pas faire ; alors je ne veux plus
faire silence pour écouter Dieu ; non,
c'est fini. »
La monitrice et quelques-unes de ses
camarades lui demandèrent ce que
c'était au juste qu'elle ne voulait pas
faire. « Eh ! bien, voilà,
dit Peggy ; maman me dit de laver la vaisselle
ou alors de tenir le bébé pendant
qu'elle lavera la vaisselle. Moi je déteste
laver la vaisselle et ça ne me dit rien de
tenir le bébé. je veux lire. Alors
j'ai fait un recueillement, et j'ai demandé
à Dieu de dire à maman qu'elle ne me
demande plus de laver la vaisselle. Au lieu de
ça, Dieu m'a dit que c'était mon
devoir de laver la vaisselle, et je veux pas ;
alors je veux plus faire de
recueillements. »
La monitrice fit en elle-même une
rapide prière pour demander secours à
Dieu. Puis, à haute voix, elle dit: «
Mes enfants, voyez-vous, je ne sais pas ce qu'il me
faut dire à Peggy. Demandons toutes ensemble
à Dieu Sa direction. Toi, Peggy, tu peux
rester ou t'en aller, comme tu voudras. » Bien
entendu, elle resta, et il s'ensuivit un
recueillement bien plus long qu'à
l'ordinaire. La monitrice priait ardemment en
elle-même,
tandis que les petites filles se tenaient assises,
les unes silencieuses et immobiles, d'autres
écrivant sur leur carnet, d'autres disant
quelques mots de prière, d'autres même
faisant mine de rigoler.
Puis vint le partage. Peggy,
d'elle-même, dit : « Dieu m'a
dit qu'il fallait que je dise à maman que je
suis bien fâchée d'avoir
été vilaine pour la vaisselle, et
puis aussi que ça sert à rien de pas
faire de recueillements pour être pas
forcée de faire les choses qu'on veut pas.
Parce que, s'il faut qu'on les fasse, Dieu
s'arrange toujours pour vous le
dire. »
Un peu après, la monitrice rendit
visite à la mère, et celle-ci
s'écria : « Vous l'avez
transformée ! Comment faites-vous donc,
dans votre école ? La religion peut
donc faire ça ? »
Je crois inutile d'insister. Il me semble
évident que l'enfant saisit à sa
façon ce que nous appelons abandon,
confession, réparation, direction, et en
tira la conclusion pratique qu'il lui fallait,
malgré sa répugnance, laver la
vaisselle. N'avons-nous pas, nous aussi, à
faire comme elle ? Et pour elle, n'est-ce pas
le premier pas dans la voie de l'obéissance
et d'une vie soumise à Dieu ?
Marguerite et Maud étaient deux petites
camarades ; elles faisaient toutes les deux
partie d'un même groupe, où les
élèves avaient de dix à douze
ans. Durant toute l'année elles avaient pris
part aux mêmes recueillements, aux
mêmes études bibliques, aux
mêmes prières.
Un jour la monitrice lisait à haute
voix la page biblique marquée pour cette
leçon : c'était le chapitre 13
de la première épître aux
Corinthiens. Après avoir lu ces mots :
« L'amour ne se vante point »,
elle ajouta cette réflexion :
« Et nous, ne nous arrive-t-il point de
dire volontiers du bien de nous ? »
- « Oh ! oui, s'écria
Marguerite, Maudie le fait
souvent ! »
Maud protesta, mais la monitrice ne fit
aucune observation. Après la lecture, comme
d'ordinaire, on passa au recueillement. Quand vint
le tour de Marguerite de dire ce qui lui
était venu dans le silence, elle lut comme
d'habitude ce qu'elle avait noté dans son
carnet, et puis elle dit :
« Voilà : à la fin il
m'est venu ces mots : Ne jugez point. Je ne
sais pas pourquoi. Moi, je ne juge pas. »
Tout le monde se taisait. Les petites attendaient
en silence que leur monitrice dise quelque chose.
Mais elle, qui avait appris à attendre
patiemment la direction divine en présence
de difficultés de ce genre, se contentait de
prier Dieu en elle-même, pour que Son
Saint-Esprit ouvre l'intelligence de Marguerite.
À la fin Marguerite leva la tête et
dit : « Mais oui, c'est vrai, je me
suis laissée aller à juger Maudie
tout à l'heure. Je le
regrette. »
Comment douter que cette enfant avait
vraiment compris de quelle façon Dieu parle
aux enfants - et à nous tous.
Pendant un été, l'un de nos
moniteurs, Martin Scott, fut appelé à
collaborer à une École biblique pour
enfants dont les leçons avaient lieu durant
les vacances et tous les jours.
Il avait à s'occuper d'un groupe nombreux de
jeunes garçons, entre douze et seize ans.
Ils n'étaient pas commodes à tenir et
à diriger. Leur éducation religieuse
avait été jusque là à
peu près nulle.
Durant tout l'été, Martin
chercha, par des efforts persévérants
et de ferventes prières, à donner
à ses élèves la vision d'un
Dieu qui soit pour eux un grand Ami, et non pas un
Être lointain et redouté ; d'un
Sauveur qui est le Fils envoyé vers nous par
un Dieu d'amour, et non pas un simple vocable dont
on ne se sert que pour jurer. il chercha à
faire connaître et adopter par ses
élèves les moyens dont il se servait
lui-même : la prière, le
recueillement, la constante application à
chercher dans le silence la direction de Dieu.
J'ai entendu des moniteurs, vraiment
chrétiens et vivant selon les principes des
groupes, mettre en doute la possibilité
d'apprendre à des garçons de cet
âge et de ce caractère à
pratiquer le recueillement, à en tirer
profit, et notamment à partager devant leurs
camarades. J'ai vu des moniteurs échouer
lamentablement sur ce point, malgré tous
leurs efforts. Je les ai vus, forcés d'y
renoncer, venir à moi et me dire :
« Des garçons de cet
âge-là, on ne peut pas les atteindre
par les recueillements comme nous les faisons dans
les groupes. Si je continuais, je les ferais fuir.
Je ne puis avoir avec eux que des entretiens
séparés, individuels. Il me faut les
prendre un par un. » C'est pourquoi les
efforts de Martin, cet été-là,
étaient pour moi d'un si vif
intérêt. Les résultats qu'il a
obtenus semblent démontrer que, tout de
même, à ces moniteurs dont je viens de
parler, quelque chose avait manqué, ou la foi, ou
l'amour, ou la
connaissance des enfants. Vous allez voir comment
Martin s'y prit pour corriger une faute qui
était plus qu'une simple gaminerie.
Il avait emmené avec lui quatorze de
ses garçons pour faire du camping. On
établit un camp sur une
propriété dont une partie avait
été louée par un vieux
jardinier, qui faisait pousser là des melons
d'eau. Martin, très expert en scoutisme,
menait très bien ses campeurs : ils
rigolaient, ils chantaient, ils s'amusaient
royalement. Tout semblait en ordre, les
garçons se comportaient aussi bien que
possible à ses yeux. Mais le lendemain il
rencontra le vieux jardinier, qui lui dit que les
gamins avaient coupé trois de ses melons
pour les manger. Martin se trouvait là
devant un problème décourageant.
À la prochaine leçon, il
raconta devant tous les garçons ce que le
jardinier lui avait dit, mais il se contenta de ce
récit. Il ne gronda pas, ne demanda aucune
confession, ne dit rien qui pût ressembler
à un sermon. Vint, un peu plus tard, le
moment du recueillement. Durant le partage, les
garçons qui avaient pris les melons, et
aussi ceux qui les avaient mangés avec eux,
confessèrent la chose de leur propre
mouvement. Ils discutèrent alors un moment
entre eux, pour savoir ce qu'ils devaient faire et
aussi pour savoir s'ils étaient vraiment
à blâmer, puisqu'ils n'avaient pas eu
l'intention de mal agir, mais seulement de faire
une farce. Ils eurent alors entre eux un nouveau
recueillement, et il leur vint à tous la
même idée, à savoir qu'ils
devaient aller avouer la chose au vieux jardinier,
s'excuser auprès de lui, et lui payer ses
melons. Ils furent tous d'accord là-dessus,
sans aucune exception.
Et l'histoire ne s'arrête pas
là. Ils se sentirent poussés par Dieu
à confesser qu'ils avaient volé
d'autres melons dans une autre occasion, et qu'il
fallait réparer cela aussi. Pour
quelques-uns d'entre eux, cela impliquait la grave
conséquence qu'il fallait le dire à
leurs parents pour leur demander l'argent
nécessaire, en risquant de les mettre en
colère et d'être punis. Et pourtant
ils reconnurent qu'il fallait le dire aussi
à leurs parents.
Martin était là, près
d'eux, mais il leur laissait toute l'initiative.
Pas une seule fois il ne leur édicta ce
qu'ils avaient à faire. La seule influence
qu'il exerçait sur eux, c'était de
leur conseiller d'avoir un recueillement toutes les
fois qu'ils étaient embarrassés ou
qu'ils avaient peur des conséquences. Il les
accompagna chez ceux qu'ils avaient volés et
ils firent des aveux complets. Ils furent
très soulagés quand ce fut
fait ; sans doute ils se sentaient honteux,
mais en même temps ils étaient
contents d'avoir appris à voir la chose du
point de vue de Dieu, à comprendre que leur
« bonne farce » était
bel et bien une malhonnêteté.
Cet incident eut un grand retentissement
parmi tous les garçons. Le recueillement, le
partage ne sont point impopulaires parmi eux. Ils
ont compris tout ce qu'il y a d'émouvant
dans la confession, la réparation et enfin
le pardon.
Paul était un petit orphelin vivant dans
un milieu où le malheur attire autant de
mépris et de mauvais traitements que la
mauvaise conduite, plus encore
peut-être,surtout quand le
coupable est un malin, et sait porter un masque.
Paul étant orphelin, il n'y avait personne
qui fût responsable de son éducation,
de sa formation morale et religieuse. Il gagnait
son pain à la sueur de son jeune front et il
n'avait pour s'habiller que les vieux
vêtements troués et crasseux qu'on lui
donnait par charité. Aussi son entourage lui
marquait-il non seulement du mépris, mais du
dégoût. Il n'était pas un
enfant heureux, et tout cela ne l'aidait
guère à être un enfant sage.
Cependant il avait des dons pour stimuler et pour
égayer les autres qui lui faisaient des amis
parmi ses jeunes camarades, plus portés que
leurs aînés à lui pardonner
d'être un pauvre orphelin, ayant besoin qu'on
l'aide à vivre.
Tous les garçons de la petite ville
où il demeurait décidèrent
d'organiser une jolie fête où ils
vendraient des glaces au profit de leur
équipe de foot-ball. Ils nommèrent
trois comités, l'un pour l'organisation
générale, le second pour les
invitations à faire, le troisième
pour la vente des glaces. Il y eut dans ce dernier
comité une chaude discussion : les uns
soutenaient que ceux qui offriraient des glaces
devraient être dans leurs plus beaux
habits ; les autres répliquaient que
leurs plus beaux habits seraient trop vite
tachés et salis à ce
métier-là. L'un des garçons,
qui avait beaucoup d'influence sur ses camarades,
déclara soudain : « Si vous
prenez Paul, avec ses haillons puants, moi je ne
m'en occupe plus. » Les autres
étaient consternés : ils
comptaient sur Paul, avec sa faconde, ses
plaisanteries, son entrain, pour vendre beaucoup de
glaces; mais c'était bien vrai qu'il
était vilain à voir et sentait
mauvais.
Leur moniteur, notre ami Martin Scott, qui
se trouvait là, leur donna
l'idée d'interrompre leur discussion,
d'avoir ensemble un recueillement et de voir ce que
Dieu leur dirait au sujet de Paul. Après ces
quelques moments de silence, les choses leur
apparurent tout autrement. Ils voulaient que Paul
vienne à la fête, mais aussi, bien
habillé que les autres.
Seulement, comment faire ? Il fallait
acheter des pantalons blancs et une chemise.
Comment pouvaient-ils dépenser de l'argent
pour cela quand ils voulaient en gagner pour leur
équipe ? Décidément
l'idée était absurde. D'autre part,
comme tout le monde savait que Paul n'avait pas les
moyens de s'acheter des pantalons neufs, on
croirait qu'il les avait volés. Et puis qui
sait si Paul ne se mettrait pas en colère,
lorsqu'il verrait qu'on se préoccupait de sa
mise ? Est-ce qu'il ne disait pas toujours
bien haut qu'il fallait qu'on le prît tel
qu'il était, avec ses haillons, ou pas du
tout ? - On eut un nouveau recueillement et
l'on vit clair sur toute la ligne.
« Nous nous cotiserons
tous », fut le cri unanime.
« Nous n'en dirons rien à Paul ni
aux autres garçons. Nous demanderons
à notre moniteur de s'arranger pour que Paul
ait son costume neuf, et pour que tout le monde
sache qu'il est bien à lui, en tout bien
tout honneur. » C'est ce que l'on fit.
Paul servit les glaces avec fierté, avec une
joie lumineuse. Quant à ses camarades, ils
s'étaient donnés à
eux-mêmes une leçon d'entr'aide et
d'amour qui valait mieux qu'un sermon.
Cela se passait au début de
l'été. Les habits neufs, et surtout
le sentiment que ses camarades avaient tant
désiré l'avoir parmi eux qu'ils
avaient fait un réel sacrifice pour cela, firent de
Paul un
garçon nouveau, transformé. Mais
surtout, ses camarades apprirent que Dieu sait
régler n'importe quelle difficulté
beaucoup mieux que tous les raisonnements humains.
Un groupe de jeunes filles, âgées
de douze ans, étudiait la parabole du Semeur
et de la Semence :
« D'autres grains tombèrent
parmi les épines ; les épines
grandirent et les
étouffèrent. » Ayant
toujours vécu dans une grande ville,
plusieurs de ces fillettes ne savaient pas
très bien ce que c'était que ces
buissons d'épines. Après le leur
avoir expliqué, on en vint aux
réalités humaines que
représentent les épines. On se
demanda à quelles
« épines » Jésus
avait pensé. On chercha quelles sont les
épines que nous rencontrons aujourd'hui en
nous et autour de nous.
Toutes décidèrent d'un commun
accord d'avoir ensemble un recueillement, en
demandant à Dieu de leur indiquer à
chacune les épines qui poussaient en elle et
l'empêchaient d'être un bon terrain
pour la divine semence. Après quoi elles
« partagèrent » ce qui
leur était venu pendant le silence. (Je
rappelle à ce propos que le
« partage » doit être
entièrement libre et ne jamais être
imposé ; il ne faut le faire que si
Dieu vous y amène.)
Une des fillettes nous dit que
l'épine dans sa vie, c'était la peur
de l'obscurité. Elle nous dit toutes les
conséquences de cette peur. Cela
l'empêchait de se coucher
assez tôt, parce qu'elle avait peur de monter
l'escalier toute seule. Aussi, à
l'école, elle n'était pas bien
réveillée, et elle avait de mauvaises
notes. Elle nous dit alors à toutes qu'elle
irait se coucher de bonne heure ce soir-là,
même si elle avait peur, et qu'elle
demanderait à Dieu de lui enlever cette
crainte. Elle fit comme elle avait dit. La peur de
l'obscurité n'est jamais revenue.
Plus tard, après d'autres
recueillements, elle nous dit comment cette
première victoire lui avait permis de
vaincre d'autres craintes. Ses notes devinrent vite
meilleures. Au lieu de garder son morne silence,
elle rayonnait de joie, comme une enfant normale.
C'est la puissance du Christ qui a
ressuscité cette petite âme, et non
pas les procédés savants de la
psychanalyse. La direction de Dieu, dans un
recueillement, a suffi pour balayer la crainte.
Pouvez-vous vous imaginer le bonheur qu'il y a
pour une fillette de douze ans d'avoir une
monitrice qui a une auto, une auto qu'elle conduit
elle-même, une auto qui a un siège de
derrière ! Surtout si cette monitrice a
l'habitude d'emmener de temps en temps pour une
belle promenade autant de ses petites
élèves qu'elle en peut fourrer dans
sa voiture.
Un jour elle avait dit qu'après la
leçon elle les mènerait faire un
tour. Aussi, durant le recueillement, les fillettes
ne pouvaient s'empêcher de penser à la
promenade. L'une d'elles, dans son
« partage », dit qu'elle avait
eu la direction de s'asseoir sur le siège de
derrière.
La monitrice eut le sentiment qu'il y avait
là bien plutôt le désir
personnel de l'enfant que la voix de Dieu. Elle se
dit que c'était là une bonne occasion
d'apprendre à ces petites de douze ans les
principes de la vraie
« direction ». - « Je
me demande, dit-elle, si c'est vraiment Dieu qui
t'a dit de t'asseoir sur le siège de
derrière. Il y a des moyens de s'assurer si
ce qui nous vient à l'esprit vient vraiment
de Dieu. Voulez-vous que nous en parlions un
peu ? »
Les enfants acceptèrent avec
empressement. Le sujet les intéressait
évidemment. Elles s'étaient
peut-être déjà demandé
comment on pouvait discerner dans un recueillement
ce qui venait de Dieu et ce qui venait de
vous-même.
« Nous avons des critères,
reprit la monitrice, qui nous permettent de
distinguer entre nos désirs personnels et la
direction de Dieu. Si l'idée qui vous vient
n'est pas conforme à l'un de ces
critères, c'est qu'elle ne vient pas de
Dieu. Le premier, c'est le critère de
l'honnêteté absolue. Dieu ne vous
dirait jamais par exemple d'aller prendre des
pommes chez le voisin. » (On était
à la campagne.)
Les fillettes firent non de la tête.
La monitrice prit ensuite le second critère,
l'amour absolu. « Jamais Dieu ne vous
dira de laisser là le petit
bébé que vous gardez pour aller vous
amuser ; ou bien de gifler vos petits
frères ou vos petites soeurs. »
Elles parurent bien comprendre cela aussi.
Enhardie, la monitrice aborda le troisième
critère, celui qui pouvait résoudre
le problème actuel. Et elle leur dit,
tranquillement, et sans trop de
gravité :
« Le troisième moyen pour
s'assurer si une idée nous vient de Dieu, c'est de
voir
si
elle ne contient absolument rien
d'égoïste. Dieu pourrait vous dire de
vous asseoir sur le siège de derrière
s'il pleuvait et que l'intérieur fût
tout plein. Alors oui, une telle idée
n'aurait rien du tout d'égoïste. Mais
croyez-vous qu'il en soit de même lorsqu'il
fait beau temps comme aujourd'hui ? Dieu
pourrait me dire à moi qui je devrais y
mettre, mais je ne crois pas qu'il le dirait
à aucune d'entre vous. »
À partir de ce jour-là, les
« directions » entachées
d'égoïsme n'osèrent plus se
montrer. Ou alors, l'une ou l'autre
murmurait : « Le siège de
derrière ! »
Nous sommes dans un groupe de petites filles.
Elles ont le privilège d'avoir une monitrice
qui a su leur apprendre à parler avec Dieu,
tout naturellement, tout simplement. Au
début de chaque leçon, on demande
à Dieu de tout diriger Lui-même. Puis
on se recueille pour écouter ce qu'Il peut
avoir à dire à chacune.
Un dimanche, pendant que toutes priaient en
silence, la tête baissée, une fillette
de sept ans dit à haute voix :
« O Dieu, pardonne-moi d'avoir pris la
brioche. » Personne ne fit la moindre
observation, et durant le partage elle-même
ne dit plus rien. Après la leçon la
monitrice la retint un moment, et quand elle fut
seule avec elle, elle l'interrogea. Alors la petite
raconta toute l'histoire.
Le vendredi avant, sa mère l'avait
envoyée à la boulangerie pour acheter
un pain. Sur le comptoir brillait une fournée toute
chaude
de brioches appétissantes. Elle fut
tentée. Le boulanger ayant tourné le
dos pour envelopper le pain, personne ne la voyait.
Elle saisit une brioche ; puis, en rentrant
chez elle, elle la mangea. Le boulanger ne
s'était aperçu de rien. Son acte
était resté caché.
Mais le dimanche, dans son recueillement,
elle comprit clairement qu'elle avait volé
cette brioche, et que c'était un
péché. L'enfant se sentait vraiment
en faute, et en priant Dieu de lui pardonner, elle
était tout à fait
sincère.
La monitrice aurait pu s'en tenir là,
en essayant simplement de réconforter la
fillette. Mais elle comprit qu'il lui fallait aller
jusqu'au bout, jusqu'à la réparation.
Elle dit à l'enfant :
« Penses-tu que Dieu t'a
pardonnée ? » La petite
hésita un moment et dit ensuite :
« Je ne sais pas. » Alors la
monitrice lui proposa d'avoir encore un moment de
silence pour savoir si Dieu l'avait vraiment
pardonnée et s'Il ne lui demandait pas de
faire encore quelque autre chose.
Au bout de quelques secondes, l'enfant leva
les yeux et dit : « Je devrais
rendre la brioche, mais je ne puis pas, parce que
je l'ai mangée. » Encore un
silence, puis elle sourit joyeusement et dit :
« J'ai trois sous dans ma tirelire,
j'irai les porter au boulanger pour payer la
brioche. » C'est ce qu'elle fit le
lendemain, en compagnie de sa monitrice.
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