Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IX

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 Le bon combat pour le mariage et le travail chrétien


Ce fut là comme une opération de police qui assainit l'atmosphère spirituelle des églises, et qui permit à Dao d'entreprendre une campagne sérieuse et profonde de réveil et d'évangélisation dans ses églises et dans les localités encore païennes de la région. Dao fut très étonné en arrivant de constater le petit nombre des membres communiants. Une des impressions les plus fortes qu'il eût éprouvées en Imerina, c'était celle que lui avait laissée le premier culte de Sainte Cène auquel il avait participé. Il pensait que la très grande majorité de l'auditoire devait sortir après la bénédiction qui suit la prédication ; mais seuls les enfants, et quelques grandes personnes avaient quitté le temple. Et la communion fut donnée à une magnifique assemblée. Dans les églises de son district au contraire, comme d'ailleurs presque partout sur la côte, les membres communiants se comptaient ; ils n'étaient qu'une poignée, et chose curieuse, en plein pays antankarana, alors que dans les assemblées pour le culte habituel les Antankaranas étaient les plus nombreux, c'étaient les Hovas au contraire qui parmi les membres communiants étaient la majorité.

Dao ne tarda pas à comprendre les raisons d'une pareille anomalie. Un fidèle ne pouvait être reçu dans l'église ni recevoir la communion si sa manière de vivre n'était pas d'accord avec les règles de la morale chrétienne, et en particulier, si son mariage n'était pas inscrit sur les registres de l'état-civil. Et c'était là le noeud du problème ; car les Antankaranas pratiquaient une union qui ne méritait même pas le nom de mariage. Un homme et une femme convenaient de vivre ensemble pendant un certain nombre d'années, deux ou trois ans au plus ; pendant cette période la femme appartenait à l'homme, mais pour prix de ses services, l'homme devait lui remettre une certaine somme d'argent, lui donner quelques pièces d'étoffe, des bijoux, et même des rizières. Le délai convenu écoulé, chacun reprenait sa liberté. Il arrivait souvent que le contrat fût renouvelé, et il n'était pas rare de trouver des ménages unis, des époux qui avaient pris l'habitude l'un de l'autre et qui ne songeaient plus à se séparer. Mais il était trop fréquent aussi que le contrat fût rompu. La femme emportait avec elle ce que son mari lui avait donné d'après les termes du contrat, et tout ce qu'elle avait pu se faire donner par-dessus le marché. Les enfants étaient confiés à des parents éloignés. Cette association temporaire et mercenaire était tout à l'avantage de la femme ; il n'était pas rare de rencontrer de vieilles femmes enrichies par une suite de mariages fructueux, et des hommes dans la force de l'âge qui avaient épuisé leur patrimoine et ne pouvaient plus s'acheter une nouvelle femme. Mis en face du christianisme, que pouvaient faire des hommes et des femmes habitués à un tel régime ? Les femmes qui en profitaient refusaient en général le mariage à vie : elles ne voulaient pas elles-mêmes devenir communiantes, et elles empêchaient leurs maris de faire ce pas ; les jeunes gens l'auraient volontiers franchi ce pas décisif, mais la plupart reculaient au dernier moment, parce qu'une fois membres communiants, ils ne pouvaient plus contracter qu'un mariage chrétien, et ils savaient que cela leur serait impossible.

Quand Dao eut compris ce qui empêchait les Antankaranas de devenir membres communiants, il fut indigné, et il parcourut ses églises en menant campagne contre le mariage antankarana et pour le mariage chrétien. Il insista beaucoup sur le sort des enfants, qui confiés à des parents éloignés, étaient traités comme des serviteurs jusqu'au jour de leur émancipation, de telle sorte qu'ils ne recevaient aucune éducation. Et il eut la joie de quelques encouragements. D'anciens ménages régularisèrent leur situation ; et Dao obtint même de quelques jeunes gens des mariages chrétiens. Un peu partout il fallut créer des classes de catéchumènes, et sa campagne terminée, Dao dut consacrer la plus grande partie de ses efforts à leur instruction. C'était toujours avec émotion qu'il retrouvait ces élèves presque tous illettrés, et qui malgré leur bonne volonté avaient souvent quelque peine à s'assimiler l'enseignement pourtant très simple qu'il leur donnait. La durée normale d'instruction des catéchumènes à Madagascar est de six mois, mais pour ces nouveaux élèves il fallut la prolonger jusqu'à un an. Ils furent ensuite reçus dans l'église ; le missionnaire vint lui-même de Diego-Suarez à Antanilava à cette occasion ; on n'avait jamais vu autant de catéchumènes antankaranas ; toutes les églises étaient en fête, et les fidèles qui vinrent de partout pour assister aux réunions furent si nombreux que le temple d'Antanilava fut trop petit. Il fallut au dernier moment enlever les cloisons et en faire des sortes d'abris autour du temple.

Les Malgaches sont naturellement très hospitaliers et Dao ne l'était pas moins qu'un autre. On peut dire qu'il avait table ouverte ; souvent au moment du repas quelqu'un se plantait devant la porte ouverte, et Dao ne manquait jamais alors de dire le « karibo » de rigueur. Ce mot avait ceci de particulier qu'il ne signifiait pas seulement « entrez », mais encore : « asseyez-vous et partagez notre repas. » Aussi le visiteur entrait sans tarder et prenait place devant l'assiette à riz. Dao s'attendait tellement à ces visites qu'il faisait toujours cuire le double du riz qui aurait été nécessaire pour ses deux pensionnaires et pour lui. Il était d'ailleurs très heureux de l'occasion qu'il avait ainsi de faire connaissance avec des personnes qu'autrement il n'aurait peut-être jamais rencontrées, et il ne manquait pas dans la conversation qui suivait le repas, d'adresser un appel pressant à son convive occasionnel.



La moisson du riz

Mais il en vint à remarquer que certains jeunes gens de son village prenaient l'habitude de venir manger avec lui, et il fût à la fin obligé de se convaincre qu'il avait affaire à des paresseux qui préféraient abuser des lois de l'hospitalité pour manger son riz que travailler pour gagner honnêtement de quoi se nourrir. Dao fit encore à ce sujet une nouvelle enquête, et il apprit avec étonnement qu'en pays Antankarana, la moitié de la population environ vivait du « karibo » aux dépens de l'autre moitié, la seule laborieuse. Dès qu'il eut fait cette découverte, il ne manqua pas de plaider la cause du travail devant les fidèles ; il se heurtait à des préjugés enracinés ; le travail était encore considéré par beaucoup comme avilissant, comme une occupation d'esclave ; et les bonnes volontés étaient entravées par les règlements païens encore moralement en vigueur. Il y avait par exemple deux jours « fady » (tabou) par semaine, où il était interdit sous peine de sacrilège de travailler, le mardi et le vendredi. Il était aussi impossible de ne pas considérer comme « fady » le jour sacré des chrétiens et de l'administration, si bien que ceux qui voulaient travailler ne pouvaient plus guère le faire qu'un jour sur deux. D'autre part à la mort ou à la naissance des membres de la famille royale, il y avait encore des périodes considérées comme fady. Dans ces occasions, il était interdit de faire aucun travail pendant un nombre de semaines proportionné à la dignité du défunt ou du nouveau-né, et quand il s'agissait du roi lui-même cela pouvait durer un mois. On comprend que dans ces conditions les Antankaranas aient pris l'habitude de l'inaction. Et Dao se rendit compte qu'il n'arriverait à aucun résultat efficace si lui-même ne donnait pas l'exemple. Il prit l'habitude de consacrer de temps à autre une journée au travail manuel. Il se rendait chez des fidèles pauvres ou dans l'embarras et passait avec eux la journée à travailler dans les rizières ou dans les plantations.

Sans penser à rien, il se présenta ainsi un mardi matin chez deux pauvres vieillards de son village qui n'avaient plus la force de cultiver leur rizière et qui ne se nourrissaient plus guère que de mauvais tubercules trouvés dans la forêt. « Je viens vous aider à préparer votre rizière, leur dit-il joyeusement ; prêtez-moi une « angady » (bêche malgache) ; pendant que je bêcherai, vous irez emprunter des replants de riz à votre voisin ; c'est un chrétien, et il m'a promis de vous en donner. » Mais les deux vieillards avaient l'air de ne rien comprendre à cette bonne nouvelle. « Eh bien. s'impatienta Dao, vous ne bougez pas ? » « C'est que, lui répondit enfin l'homme, c'est aujourd'hui mardi, jour fady. » Dao l'avait oublié. « Qu'à cela ne tienne, répondit-il aussitôt ; seul le dimanche est jour fady pour moi, et je travaillerai votre rizière aujourd'hui ; vous la planterez quand vous voudrez. » Dao prit l'angady et partit au travail. Les deux vieux ne savaient trop que faire, mais la femme finit par voir clair dans la situation : « Dao l'évangéliste est bien bon de travailler la rizière, car depuis que nous n'avons plus de riz à manger, nous ne valons plus grand'chose, ni l'un ni l'autre, et si nous devons rester encore longtemps à ce régime là, nous mourrons sûrement. Plantons donc aujourd'hui du riz, c'est notre seule chance de salut. Je sais bien que le jour est fady, mais tous ceux qui violent le fady ne meurent pas. » Les deux vieillards allèrent trouver leur voisin qui hésita bien un peu à leur donner des replants de riz un jour fady, mais quand il sut que l'évangéliste travaillait déjà dans la rizière, il n'eut plus aucune crainte, et il poussa l'amabilité jusqu'à porter lui-même au bord de la rizière les botillons de replants nécessaires. Les vieillards s'y rendirent en même temps que lui, et ils trouvèrent Dao dans la vase Jusqu' à mi-jambe qui manoeuvrait vigoureusement l'angady.
Mais ces allées et venues avaient donné l'éveil ; des païens avaient couru chez le chef du village pour lui raconter ce qui se passait ; ce représentant de l'autorité était encore païen, et il jalousait fort Dao pour l'autorité spirituelle qu'il prenait peu à peu dans le village. Il se mit immédiatement dans une violente colère ; il réquisitionna deux ou trois notables, il se munit de cordes et il conduisit sa petite troupe au bord de la rizière.
Arrivé là, il reprocha à Dao de violer les lois du pays, d'insulter les esprits, et d'attirer sur la région leur vengeance par ses provocations ; et il donna l'ordre aux notables de le lier de cordes, lui, les deux vieillards et le fidèle qui avait fourni les replants de riz, ce qui fut exécuté en un clin d'oeil. Dao était très calme, car il savait bien n'avoir rien fait de répréhensible, mais il se préoccupait fort du sort des deux vieillards et du fidèle obligeant. Il supplia le chef du village de les relâcher, en prenant sur lui toute la responsabilité de l'affaire. Mais le chef du village ne voulut rien entendre. Il fit venir une charrette à boeufs, y entassa pêle-mêle ses prisonniers, et il les fit conduire sous bonne garde jusqu'à Ambilobe pour être jugés par l'administrateur : « Et vous en aurez au moins pour six mois de prison », ricana-t-il à leur départ.

Les prisonniers n'arrivèrent à Ambilobe que le lendemain matin ; ils étaient morts de faim et de soif, car on ne leur avait rien donné en cours de route ; Dao commençait à être assez inquiet au sujet des deux vieillards qui paraissaient à bout de force. Heureusement en passant dans la ville, il put mettre au courant de ce qui se passait deux ou trois fidèles, et ceux-ci apportèrent quelques provisions et de l'eau. L'évangéliste d'Ambilobe vint lui aussi ait premier appel et il demanda aussitôt à être reçu par l'administrateur. Il n'eut pas trop longtemps à attendre, et il eut à peine besoin de s'expliquer : au premier mot, l'administrateur comprit ce qu'il en était, et il sortît lui-même pour faire relâcher les prisonniers. Il profita même de l'occasion pour encourager tous les curieux qui étaient là au travail, et il donna l'ordre aux notables qui avaient amené les prisonniers de les reconduire aussitôt, mais libres et avec tous les égards qui leur étaient dûs. Mais l'affaire avait fait du bruit ; les fidèles s'étaient amassés et commentaient avec passion les événements. Un certain nombre d'entre eux voulut accompagner Dao et les autres victimes au retour ; à chaque église traversée leur troupe se grossissait, si bien qu'en arrivant à Antanilava, Dao faisait figure de héros porté en triomphe. Il venait bien d'ailleurs de remporter une victoire, sur tous les fady qui limitaient l'activité : des Antankaranas. Le chef du village fut déplacé et remplacé par un chef hova, chrétien lui-même, et peu à peu les chrétiens antankaranas commencèrent à abandonner leurs jours « fady » et à prendre la semaine chrétienne pour cadre de leur activité.




X


Le bon combat contre le « Tromba » - La mort du roi Tsialana


Dao pensait souvent à la maladie de son père et à sa famille. Il s'était imposé de ne plus faire aucune tentative pour voir les siens, persuadé que Dieu lui-même provoquerait au temps voulu l'occasion d'une rencontre. Mais la question du tromba le préoccupait ; car, au cours de ses tournées, il s'était rendu, compte que son père n'était pas seul à en être atteint. De tous côtés on lui parlait de cas analogues. Les « trombas » variaient d'ailleurs d'un individu à l'autre ; les malades paraissaient avoir enfreint consciemment ou inconsciemment la volonté des esprits, qui pour se venger, leur interdisaient l'usage de certains aliments ou la vue de certains objets et de certaines personnes. Le père de Dao entrait en transes quand il voyait des chrétiens, mais d'autres malades ne pouvaient par exemple supporter la vue des canards ; à certains l'usage du riz était même interdit, si bien que ces malheureux ne pouvaient plus se nourrir que de fruits et mouraient bientôt d'épuisement. L'allure des transes était aussi très variable ; presque toujours le malade était pris de convulsions, et poussait des cris inarticulés. Mais il y avait des cas plus extraordinaires ; on cita à Dao celui d'un homme à qui le sel était interdit ; chaque fois qu'il lui arrivait par mégarde de toucher à des aliments, salés, immédiatement il se mettait à quatre pattes, et il aboyait comme un chien. Quelquefois aussi les malades ne se bornaient pas à des cris inarticulés ; ils parlaient, mais choses étranges, ils parlaient au nom des anciens rois, ou plutôt ces anciens rois semblaient prendre possession de leur personnalité et parler par leur intermédiaire. Les messages recueillis ne variaient guère d'un individu à l'autre. C'était toujours la constatation attristée que les Antankaranas abandonnaient le culte des ancêtres pour se faire chrétiens, et l'annonce des châtiments les plus terribles s'ils ne revenaient pas au culte des ancêtres.

Dao apprit même que le tromba était devenu dans certaines régions un véritable culte. Il arrivait à des groupes de païens de se réunir au clair de lune dans une clairière ; ils s'accroupissaient sur le sol de manière à laisser au milieu d'eux un espace libre, et ils se mettaient à chanter des mélopées en battant des mains en cadence. Peu à peu un homme ou une femme entrait en transes, dansait, gesticulait, se mettait à pousser des cris, et finalement à parler. L'ancêtre se plaignait et menaçait. Puis le médium reprit ses sens. Et les païens revenaient chez eux avec la terreur de ce qui s'était passé et fortifiés dans leur attachement à leurs anciennes coutumes. Chose curieuse, c'était dans les régions où le christianisme avait fait le plus de progrès que le tromba sévissait avec le plus d'intensité. Un jour en pénétrant dans une case, comme il en avait l'habitude, Dao fut désagréablement impressionné en voyant une jeune femme tomber à la renverse et se rouler sur le sol en poussant des cris. C'était le tromba, et Dao souffrit ce jour-là de son impuissance ; il ne voyait pas comment il pourrait venir en aide à la possédée. Et cependant il sentait au fond de lui-même que cela devait être possible. L'Évangile ne racontait-il pas des cas de guérison par l'imposition des mains et la prière ? Des possédés qui ressemblaient étrangement aux malheureux atteints du tromba n'avaient-ils pas été rendus à eux-mêmes et leurs démons chassés ?

Dao en était là de ses réflexions quand il reçut la visite d'un personnage extraordinaire. C'était un vieillard d'une forte corpulence, qui portait une longue robe blanche sur ses autres vêtements ; il paraissait fatigué par un long voyage ; il n'avait dans les mains qu'un petit sac auquel il paraissait tenir beaucoup, et Dao n'eut pas de peine à deviner qu'il ne contenait qu'une bible et un livre de cantiques. Ce détail lui donna confiance et il accueillit fraternellement son visiteur. Celui-ci venait de Diego-Suarez, et il était porteur d'une lettre du missionnaire. Dao apprit alors qu'il avait devant lui un membre très estimé de la société des « Disciples du Seigneur » (1), et le missionnaire lui recommandait de profiter de son passage pour organiser des réunions. Dao n'était pas sans ignorer l'existence des Disciples du Seigneur, humbles disciples, à la vérité ; ils ne brillaient pas par la science ni par la fortune ; mais ils avaient de remarquables dons d'évangéliste, et ils guérissaient les maladies par l'imposition des mains et la prière, comme ils voyaient dans l'Évangile que Jésus et les apôtres l'avaient fait. Ils allaient de lieu en lieu, se contentant (le la nourriture qu'on voulait bien leur donner ; et presque partout, sur leur passage, de nouvelles églises se fondaient. Mais le tromba ? Arriveraient-ils à guérir les malheureux atteints du tromba ? C'est la question que Dao ne put s'empêcher de poser à son visiteur, dès qu'il se fut reposé et restauré. « Nous, certainement pas, lui fut-il répondu, mais tout est possible à Dieu. »

Dao organisa quelques réunions dans ses églises à l'occasion du passage de ce disciple du Seigneur. Elles furent suivies par de nombreux auditoires ; la prédication de ce serviteur de Dieu était décevante au premier abord ; il était de race Antaimoro, et s'exprimait difficilement en hova ; il répétait indéfiniment et sans aucune recherche oratoire les mêmes vérités ; mais, il y mettait toute son âme, toute sa puissance, toute son expérience chrétienne, si bien qu'il forçait l'attention et brisait les volontés les plus rebelles. Après les réunions dans les temples, des malades venaient le trouver en particulier ; Dao le vit souvent leur imposer les mains, et les malades en le quittant se déclaraient soulagés, sinon guéris. Mais parmi tous ces malades, aucun possédé du tromba ne se présenta. Le visiteur partit, et Dao resta dans la même perplexité sur cette question qui lui tenait tant à coeur.

Sur ces entrefaites, le roi Tsialana mourut. Les funérailles furent célébrées en grande pompe ; des délégués de l'administration y assistaient. Mais on chuchotait que d'autres funérailles avaient eu lieu, où des victimes humaines avaient été, sacrifiées, selon l'antique coutume des Antankaranas et des Sakalavas. Tous les Antankaranas devaient prendre le deuil rituel ; il leur fallait pendant un mois s'abstenir de tout travail et de toute réjouissance ; pendant cette période, il était de plus interdit aux hommes et aux femmes de porter autre chose qu'un pagne autour des reins ; il était également défendu de se laver et de se coiffer ; tout le monde devait avoir « les cheveux épars ».

Ces prescriptions ne furent guère observées que dans les localités avoisinant le village où le roi était mort, ou dans celles où résidaient des membres de la famille royale. Les Antankaranas chrétiens en particulier ne s'y soumettaient qu'à la dernière extrémité. C'était la première fois, de mémoire d'homme, qu'une partie du peuple antankarana paraissait se détacher de son loyalisme envers ses rois, aussi la fureur de la famille royale fut grande, et les chrétiens subirent une petite persécution. Comme Dao avait attiré l'attention sur lui en travaillant ostensiblement un jour « fady », que de plus, il refusait énergiquement de porter le deuil, et encourageait les fidèles de ses églises dans leur résistance à ce sujet, on résolut de frapper un grand coup. Le conseil royal qui s'était réuni en attendant la nomination d'un nouveau roi porta officiellement plainte à l'administration contre Dao en l'accusant de menées subversives et révolutionnaires, et sur la plainte le sceau officiel du roi Tsialana fut apposé. La plainte fut envoyée par exprès à l'administrateur d'Ambilobe, qui en référa aux autorités de Diego-Suarez. Mais en même temps le missionnaire avait été prévenu, et celui-ci se rendit aussitôt dans les bureaux administratifs ; la réalité de la plainte lui fut confirmée, mais bien entendu, il reçut la certitude que Dao ne serait pas inquiété s'il n'y avait pas autre chose à lui reprocher. La plainte resta sans effet, et les chrétiens comprirent qu'ils avaient la liberté de pratiquer leur religion. Les auditoires, qui au moment du deuil, s'étaient réduits, devinrent de nouveau plus nombreux. Les païens renoncèrent à employer la force pour arrêter les progrès du christianisme, et les églises connurent une ère de paix où les progrès récemment acquis purent se consolider et s'affirmer.


(1) Cf. E. ESCANDE, « Les Disciples du Seigneur », Paris, Société des Missions Évangéliques. 
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