Ce fut là comme une
opération de police qui assainit
l'atmosphère spirituelle des églises,
et qui permit à Dao d'entreprendre une
campagne sérieuse et profonde de
réveil et d'évangélisation
dans ses églises et dans les
localités encore païennes de la
région. Dao fut très
étonné en arrivant de constater le
petit nombre des membres communiants. Une des
impressions les plus fortes qu'il eût
éprouvées en Imerina, c'était
celle que lui avait laissée le premier culte
de Sainte Cène auquel il avait
participé. Il pensait que la très
grande majorité de l'auditoire devait sortir
après la bénédiction qui
suit la prédication ; mais seuls les
enfants, et quelques grandes personnes avaient
quitté le temple. Et la communion fut
donnée à une magnifique
assemblée. Dans les églises de son
district au contraire, comme d'ailleurs presque
partout sur la côte, les membres communiants
se comptaient ; ils n'étaient qu'une
poignée, et chose curieuse, en plein pays
antankarana, alors que dans les assemblées
pour le culte habituel les Antankaranas
étaient les plus nombreux, c'étaient
les Hovas au contraire qui parmi les membres
communiants étaient la majorité.
Dao ne tarda pas à comprendre les
raisons d'une pareille anomalie. Un fidèle
ne pouvait être reçu dans
l'église ni recevoir la communion si sa
manière de vivre n'était pas d'accord
avec les règles de la morale
chrétienne, et en particulier, si son
mariage n'était pas inscrit sur les
registres de l'état-civil. Et c'était
là le noeud du problème ; car
les Antankaranas pratiquaient une union qui ne
méritait même pas le nom de mariage.
Un homme et une femme convenaient de vivre ensemble
pendant un certain nombre d'années, deux ou
trois ans au plus ; pendant cette
période la femme appartenait à
l'homme, mais pour prix de ses services, l'homme
devait lui remettre une certaine somme d'argent,
lui donner quelques pièces d'étoffe,
des bijoux, et même des rizières. Le
délai convenu écoulé, chacun
reprenait sa liberté. Il arrivait souvent
que le contrat fût renouvelé, et il
n'était pas rare de trouver des
ménages unis, des époux qui avaient
pris l'habitude l'un de l'autre et qui ne songeaient
plus à se
séparer. Mais il était trop
fréquent aussi que le contrat fût
rompu. La femme emportait avec elle ce que son mari
lui avait donné d'après les termes du
contrat, et tout ce qu'elle avait pu se faire
donner par-dessus le marché. Les enfants
étaient confiés à des parents
éloignés. Cette association
temporaire et mercenaire était tout à
l'avantage de la femme ; il n'était pas
rare de rencontrer de vieilles femmes enrichies par
une suite de mariages fructueux, et des hommes dans
la force de l'âge qui avaient
épuisé leur patrimoine et ne
pouvaient plus s'acheter une nouvelle femme. Mis en
face du christianisme, que pouvaient faire des
hommes et des femmes habitués à un
tel régime ? Les femmes qui en
profitaient refusaient en général le
mariage à vie : elles ne voulaient pas
elles-mêmes devenir communiantes, et elles
empêchaient leurs maris de faire ce
pas ; les jeunes gens l'auraient volontiers
franchi ce pas décisif, mais la plupart
reculaient au dernier moment, parce qu'une fois
membres communiants, ils ne pouvaient plus
contracter qu'un mariage chrétien, et ils
savaient que cela leur serait impossible.
Quand Dao eut compris ce qui
empêchait les Antankaranas de devenir membres
communiants, il fut indigné, et il parcourut
ses églises en menant campagne contre le
mariage antankarana et pour le mariage
chrétien. Il insista beaucoup sur le sort
des enfants, qui confiés à des
parents éloignés, étaient
traités comme des serviteurs jusqu'au jour
de leur émancipation, de telle sorte qu'ils
ne recevaient aucune
éducation. Et il eut la joie de quelques
encouragements. D'anciens ménages
régularisèrent leur situation ;
et Dao obtint même de quelques jeunes gens
des mariages chrétiens. Un peu partout il
fallut créer des classes de
catéchumènes, et sa campagne
terminée, Dao dut consacrer la plus grande
partie de ses efforts à leur instruction.
C'était toujours avec émotion qu'il
retrouvait ces élèves presque tous
illettrés, et qui malgré leur bonne
volonté avaient souvent quelque peine
à s'assimiler l'enseignement pourtant
très simple qu'il leur donnait. La
durée normale d'instruction des
catéchumènes à Madagascar est
de six mois, mais pour ces nouveaux
élèves il fallut la prolonger
jusqu'à un an. Ils furent ensuite
reçus dans l'église ; le
missionnaire vint lui-même de Diego-Suarez
à Antanilava à cette occasion ;
on n'avait jamais vu autant de
catéchumènes antankaranas ;
toutes les églises étaient en
fête, et les fidèles qui vinrent de
partout pour assister aux réunions furent si
nombreux que le temple d'Antanilava fut trop petit.
Il fallut au dernier moment enlever les cloisons et
en faire des sortes d'abris autour du temple.
Les Malgaches sont naturellement
très hospitaliers et Dao ne l'était
pas moins qu'un autre. On peut dire qu'il avait
table ouverte ; souvent au moment du repas
quelqu'un se plantait devant la porte ouverte, et
Dao ne manquait jamais alors de dire le
« karibo » de rigueur. Ce mot
avait ceci de particulier qu'il ne signifiait pas
seulement « entrez », mais
encore : « asseyez-vous et partagez
notre repas. » Aussi le visiteur entrait sans
tarder
et
prenait place devant l'assiette à riz. Dao
s'attendait tellement à ces visites qu'il
faisait toujours cuire le double du riz qui aurait
été nécessaire pour ses deux
pensionnaires et pour lui. Il était
d'ailleurs très heureux de l'occasion qu'il
avait ainsi de faire connaissance avec des
personnes qu'autrement il n'aurait peut-être
jamais rencontrées, et il ne manquait pas
dans la conversation qui suivait le repas,
d'adresser un appel pressant à son convive
occasionnel.
Mais il en vint à remarquer que certains
jeunes gens de son village prenaient l'habitude de
venir manger avec lui, et il fût à la
fin obligé de se convaincre qu'il avait
affaire à des paresseux qui
préféraient abuser des lois de l'hospitalité pour
manger
son riz que travailler pour gagner
honnêtement de quoi se nourrir. Dao fit
encore à ce sujet une nouvelle
enquête, et il apprit avec étonnement
qu'en pays Antankarana, la moitié de la
population environ vivait du
« karibo » aux dépens de
l'autre moitié, la seule laborieuse.
Dès qu'il eut fait cette découverte,
il ne manqua pas de plaider la cause du travail
devant les fidèles ; il se heurtait
à des préjugés
enracinés ; le travail était
encore considéré par beaucoup comme
avilissant, comme une occupation d'esclave ;
et les bonnes volontés étaient
entravées par les règlements
païens encore moralement en vigueur. Il y
avait par exemple deux jours
« fady » (tabou) par semaine,
où il était interdit sous peine de
sacrilège de travailler, le mardi et le
vendredi. Il était aussi impossible de ne
pas considérer comme
« fady » le jour sacré
des chrétiens et de l'administration, si
bien que ceux qui voulaient travailler ne pouvaient
plus guère le faire qu'un jour sur deux.
D'autre part à la mort ou à la
naissance des membres de la famille royale, il y
avait encore des périodes
considérées comme fady. Dans ces
occasions, il était interdit de faire aucun
travail pendant un nombre de semaines
proportionné à la dignité du
défunt ou du nouveau-né, et quand il
s'agissait du roi lui-même cela pouvait durer
un mois. On comprend que dans ces conditions les
Antankaranas aient pris l'habitude de l'inaction.
Et Dao se rendit compte qu'il n'arriverait à
aucun résultat efficace si lui-même ne
donnait pas l'exemple. Il prit l'habitude de
consacrer de temps à autre
une journée au travail manuel. Il se rendait
chez des fidèles pauvres ou dans l'embarras
et passait avec eux la journée à
travailler dans les rizières ou dans les
plantations.
Sans penser à rien, il se
présenta ainsi un mardi matin chez deux
pauvres vieillards de son village qui n'avaient
plus la force de cultiver leur rizière et
qui ne se nourrissaient plus guère que de
mauvais tubercules trouvés dans la
forêt. « Je viens vous aider
à préparer votre rizière, leur
dit-il joyeusement ; prêtez-moi une
« angady » (bêche
malgache) ; pendant que je bêcherai,
vous irez emprunter des replants de riz à
votre voisin ; c'est un chrétien, et il
m'a promis de vous en donner. » Mais les
deux vieillards avaient l'air de ne rien comprendre
à cette bonne nouvelle. « Eh bien.
s'impatienta Dao, vous ne bougez
pas ? » « C'est que, lui
répondit enfin l'homme, c'est aujourd'hui
mardi, jour fady. » Dao l'avait
oublié. « Qu'à cela ne
tienne, répondit-il aussitôt ;
seul le dimanche est jour fady pour moi, et je
travaillerai votre rizière
aujourd'hui ; vous la planterez quand vous
voudrez. » Dao prit l'angady et partit au
travail. Les deux vieux ne savaient trop que faire,
mais la femme finit par voir clair dans la
situation : « Dao
l'évangéliste est bien bon de
travailler la rizière, car depuis que nous
n'avons plus de riz à manger, nous ne valons
plus grand'chose, ni l'un ni l'autre, et si nous
devons rester encore longtemps à ce
régime là, nous mourrons
sûrement. Plantons donc aujourd'hui du riz,
c'est notre seule chance de salut. Je sais bien que
le jour est fady, mais tous
ceux
qui violent le fady ne meurent pas. » Les
deux vieillards allèrent trouver leur voisin
qui hésita bien un peu à leur donner
des replants de riz un jour fady, mais quand il sut
que l'évangéliste travaillait
déjà dans la rizière, il n'eut
plus aucune crainte, et il poussa
l'amabilité jusqu'à porter
lui-même au bord de la rizière les
botillons de replants nécessaires. Les
vieillards s'y rendirent en même temps que
lui, et ils trouvèrent Dao dans la vase
Jusqu' à mi-jambe qui manoeuvrait
vigoureusement l'angady.
Mais ces allées et venues
avaient donné l'éveil ; des
païens avaient couru chez le chef du village
pour lui raconter ce qui se passait ; ce
représentant de l'autorité
était encore païen, et il jalousait
fort Dao pour l'autorité spirituelle qu'il
prenait peu à peu dans le village. Il se mit
immédiatement dans une violente
colère ; il réquisitionna deux
ou trois notables, il se munit de cordes et il
conduisit sa petite troupe au bord de la
rizière.
Arrivé là, il reprocha
à Dao de violer les lois du pays, d'insulter
les esprits, et d'attirer sur la région leur
vengeance par ses provocations ; et il donna
l'ordre aux notables de le lier de cordes, lui, les
deux vieillards et le fidèle qui avait
fourni les replants de riz, ce qui fut
exécuté en un clin d'oeil. Dao
était très calme, car il savait bien
n'avoir rien fait de répréhensible,
mais il se préoccupait fort du sort des deux
vieillards et du fidèle obligeant. Il
supplia le chef du village de les relâcher,
en prenant sur lui toute la responsabilité
de l'affaire. Mais le chef du village ne voulut
rien entendre. Il fit
venir une charrette à boeufs, y entassa
pêle-mêle ses prisonniers, et il les
fit conduire sous bonne garde jusqu'à
Ambilobe pour être jugés par
l'administrateur : « Et vous en
aurez au moins pour six mois de prison »,
ricana-t-il à leur départ.
Les prisonniers n'arrivèrent
à Ambilobe que le lendemain matin ; ils
étaient morts de faim et de soif, car on ne
leur avait rien donné en cours de
route ; Dao commençait à
être assez inquiet au sujet des deux
vieillards qui paraissaient à bout de force.
Heureusement en passant dans la ville, il put
mettre au courant de ce qui se passait deux ou
trois fidèles, et ceux-ci apportèrent
quelques provisions et de l'eau.
L'évangéliste d'Ambilobe vint lui
aussi ait premier appel et il demanda
aussitôt à être reçu par
l'administrateur. Il n'eut pas trop longtemps
à attendre, et il eut à peine besoin
de s'expliquer : au premier mot,
l'administrateur comprit ce qu'il en était,
et il sortît lui-même pour faire
relâcher les prisonniers. Il profita
même de l'occasion pour encourager tous les
curieux qui étaient là au travail, et
il donna l'ordre aux notables qui avaient
amené les prisonniers de les reconduire
aussitôt, mais libres et avec tous les
égards qui leur étaient dûs.
Mais l'affaire avait fait du bruit ; les
fidèles s'étaient amassés et
commentaient avec passion les
événements. Un certain nombre d'entre
eux voulut accompagner Dao et les autres victimes
au retour ; à chaque église
traversée leur troupe se grossissait, si
bien qu'en arrivant à
Antanilava, Dao faisait figure de héros
porté en triomphe. Il venait bien d'ailleurs
de remporter une victoire, sur tous les fady qui
limitaient l'activité : des
Antankaranas. Le chef du village fut
déplacé et remplacé par un
chef hova, chrétien lui-même, et peu
à peu les chrétiens antankaranas
commencèrent à abandonner leurs jours
« fady » et à prendre la
semaine chrétienne pour cadre de leur
activité.
Dao pensait souvent à la maladie
de son père et à sa famille. Il
s'était imposé de ne plus faire
aucune tentative pour voir les siens,
persuadé que Dieu lui-même
provoquerait au temps voulu l'occasion d'une
rencontre. Mais la question du tromba le
préoccupait ; car, au cours de ses
tournées, il s'était rendu, compte
que son père n'était pas seul
à en être atteint. De tous
côtés on lui parlait de cas analogues.
Les « trombas » variaient
d'ailleurs d'un individu à l'autre ;
les malades paraissaient avoir enfreint
consciemment ou inconsciemment la volonté
des esprits, qui pour se venger, leur interdisaient
l'usage de certains aliments ou la vue de certains
objets et de certaines personnes. Le père de
Dao entrait en transes quand il
voyait des chrétiens, mais d'autres malades
ne pouvaient par exemple supporter la vue des
canards ; à certains l'usage du riz
était même interdit, si bien que ces
malheureux ne pouvaient plus se nourrir que de
fruits et mouraient bientôt
d'épuisement. L'allure des transes
était aussi très variable ;
presque toujours le malade était pris de
convulsions, et poussait des cris
inarticulés. Mais il y avait des cas plus
extraordinaires ; on cita à Dao celui
d'un homme à qui le sel était
interdit ; chaque fois qu'il lui arrivait par
mégarde de toucher à des aliments,
salés, immédiatement il se mettait
à quatre pattes, et il aboyait comme un
chien. Quelquefois aussi les malades ne se
bornaient pas à des cris
inarticulés ; ils parlaient, mais
choses étranges, ils parlaient au nom des
anciens rois, ou plutôt ces anciens rois
semblaient prendre possession de leur
personnalité et parler par leur
intermédiaire. Les messages recueillis ne
variaient guère d'un individu à
l'autre. C'était toujours la constatation
attristée que les Antankaranas abandonnaient
le culte des ancêtres pour se faire
chrétiens, et l'annonce des châtiments
les plus terribles s'ils ne revenaient pas au culte
des ancêtres.
Dao apprit même que le tromba
était devenu dans certaines régions
un véritable culte. Il arrivait à des
groupes de païens de se réunir au clair
de lune dans une clairière ; ils
s'accroupissaient sur le sol de manière
à laisser au milieu d'eux un espace libre,
et ils se mettaient à chanter des
mélopées en battant des mains en
cadence. Peu à peu un homme ou une femme entrait en
transes,
dansait, gesticulait, se mettait à pousser
des cris, et finalement à parler.
L'ancêtre se plaignait et menaçait.
Puis le médium reprit ses sens. Et les
païens revenaient chez eux avec la terreur de
ce qui s'était passé et
fortifiés dans leur attachement à
leurs anciennes coutumes. Chose curieuse,
c'était dans les régions où le
christianisme avait fait le plus de progrès
que le tromba sévissait avec le plus
d'intensité. Un jour en
pénétrant dans une case, comme il en
avait l'habitude, Dao fut
désagréablement impressionné
en voyant une jeune femme tomber à la
renverse et se rouler sur le sol en poussant des
cris. C'était le tromba, et Dao souffrit ce
jour-là de son impuissance ; il ne
voyait pas comment il pourrait venir en aide
à la possédée. Et cependant il
sentait au fond de lui-même que cela devait
être possible. L'Évangile ne
racontait-il pas des cas de guérison par
l'imposition des mains et la prière ?
Des possédés qui ressemblaient
étrangement aux malheureux atteints du
tromba n'avaient-ils pas été rendus
à eux-mêmes et leurs démons
chassés ?
Dao en était là de ses
réflexions quand il reçut la visite
d'un personnage extraordinaire. C'était un
vieillard d'une forte corpulence, qui portait une
longue robe blanche sur ses autres
vêtements ; il paraissait fatigué
par un long voyage ; il n'avait dans les mains
qu'un petit sac auquel il paraissait tenir
beaucoup, et Dao n'eut pas de peine à
deviner qu'il ne contenait qu'une bible et un livre
de cantiques. Ce détail
lui donna confiance et il accueillit
fraternellement son visiteur. Celui-ci venait de
Diego-Suarez, et il était porteur d'une
lettre du missionnaire. Dao apprit alors qu'il
avait devant lui un membre très
estimé de la société des
« Disciples du Seigneur »
(1), et
le
missionnaire lui recommandait de profiter de son
passage pour organiser des réunions. Dao
n'était pas sans ignorer l'existence des
Disciples du Seigneur, humbles disciples, à
la vérité ; ils ne brillaient
pas par la science ni par la fortune ; mais
ils avaient de remarquables dons
d'évangéliste, et ils
guérissaient les maladies par l'imposition
des mains et la prière, comme ils voyaient
dans l'Évangile que Jésus et les
apôtres l'avaient fait. Ils allaient de lieu
en lieu, se contentant (le la nourriture qu'on
voulait bien leur donner ; et presque partout,
sur leur passage, de nouvelles églises se
fondaient. Mais le tromba ? Arriveraient-ils
à guérir les malheureux atteints du
tromba ? C'est la question que Dao ne put
s'empêcher de poser à son visiteur,
dès qu'il se fut reposé et
restauré. « Nous, certainement
pas, lui fut-il répondu, mais tout est
possible à Dieu. »
Dao organisa quelques réunions
dans ses églises à l'occasion du
passage de ce disciple du Seigneur. Elles furent
suivies par de nombreux auditoires ; la
prédication de ce serviteur de Dieu
était décevante au premier
abord ; il était de race Antaimoro, et
s'exprimait difficilement en hova ; il
répétait indéfiniment et sans aucune recherche
oratoire
les
mêmes vérités ; mais, il y
mettait toute son âme, toute sa puissance,
toute son expérience chrétienne, si
bien qu'il forçait l'attention et brisait
les volontés les plus rebelles. Après
les réunions dans les temples, des malades
venaient le trouver en particulier ; Dao le
vit souvent leur imposer les mains, et les malades
en le quittant se déclaraient
soulagés, sinon guéris. Mais parmi
tous ces malades, aucun possédé du
tromba ne se présenta. Le visiteur partit,
et Dao resta dans la même perplexité
sur cette question qui lui tenait tant à
coeur.
Sur ces entrefaites, le roi Tsialana
mourut. Les funérailles furent
célébrées en grande
pompe ; des délégués de
l'administration y assistaient. Mais on chuchotait
que d'autres funérailles avaient eu lieu,
où des victimes humaines avaient
été, sacrifiées, selon
l'antique coutume des Antankaranas et des
Sakalavas. Tous les Antankaranas devaient prendre
le deuil rituel ; il leur fallait pendant un
mois s'abstenir de tout travail et de toute
réjouissance ; pendant cette
période, il était de plus interdit
aux hommes et aux femmes de porter autre chose
qu'un pagne autour des reins ; il était
également défendu de se laver et de
se coiffer ; tout le monde devait avoir
« les cheveux
épars ».
Ces prescriptions ne furent guère
observées que dans les localités
avoisinant le village où le roi était
mort, ou dans celles où résidaient
des membres de la famille royale. Les Antankaranas
chrétiens en particulier
ne s'y soumettaient qu'à la dernière
extrémité. C'était la
première fois, de mémoire d'homme,
qu'une partie du peuple antankarana paraissait se
détacher de son loyalisme envers ses rois,
aussi la fureur de la famille royale fut grande, et
les chrétiens subirent une petite
persécution. Comme Dao avait attiré
l'attention sur lui en travaillant ostensiblement
un jour « fady », que de plus,
il refusait énergiquement de porter le
deuil, et encourageait les fidèles de ses
églises dans leur résistance à
ce sujet, on résolut de frapper un grand
coup. Le conseil royal qui s'était
réuni en attendant la nomination d'un
nouveau roi porta officiellement plainte à
l'administration contre Dao en l'accusant de
menées subversives et
révolutionnaires, et sur la plainte le sceau
officiel du roi Tsialana fut apposé. La
plainte fut envoyée par exprès
à l'administrateur d'Ambilobe, qui en
référa aux autorités de
Diego-Suarez. Mais en même temps le
missionnaire avait été
prévenu, et celui-ci se rendit
aussitôt dans les bureaux
administratifs ; la réalité de
la plainte lui fut confirmée, mais bien
entendu, il reçut la certitude que Dao ne
serait pas inquiété s'il n'y avait
pas autre chose à lui reprocher. La plainte
resta sans effet, et les chrétiens
comprirent qu'ils avaient la liberté de
pratiquer leur religion. Les auditoires, qui au
moment du deuil, s'étaient réduits,
devinrent de nouveau plus nombreux. Les païens
renoncèrent à employer la force pour
arrêter les progrès du christianisme,
et les églises connurent une ère de
paix où les progrès récemment
acquis purent se consolider et s'affirmer.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |