Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XI

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Dao retrouve ses parents


En arrivant dans son district Dao y avait trouvé des oeuvres de jeunesse déjà constituées ; il y avait presque dans chaque église une union chrétienne. Mais ces unions n'étaient guère fréquentées que par des jeunes gens et des jeunes filles hovas, qui n'avaient d'autre but que de s'amuser de compagnie, et qui passaient leur temps a préparer et à jouer des pièces de théâtre. Dao commença par supprimer les pièces de théâtre, et quelques jeunes gens abandonnèrent les unions. Mais au fur et à mesure des progrès obtenus, les jeunes Antankaranas entraient eux aussi dans les unions, si bien qu'elles prirent une importance qu'elles n'avaient jamais connue. Périodiquement les unions de quelques églises se donnaient rendez-vous chez l'une on l'autre d'entre elles, et célébraient une petite fête. Chaque union y apportait sa contribution ; l'une chantait un choeur, les membres d'une autre se succédaient et récitaient par coeur certaines portions des Écritures ; il y avait aussi de nombreux cantiques et quelques allocutions.

Les programmes de ces fêtes auraient paru bien pauvres aux églises des Hauts-Plateaux, mais ils répondaient parfaitement aux besoins de la jeunesse à laquelle ils s'adressaient. Celle-ci sortait à peine du paganisme ; elle avait tout à apprendre ; et elle acceptait avec joie, avec zèle, les occasions mises à sa portée d'affirmer sa foi et, en quelque sorte, de s'en convaincre aux veux de tous. Parmi les jeunes gens de ces unions, Dao ne tarda pas à en distinguer quelques-uns, plus doués que la moyenne, plus éveillés aussi, et qui faisaient les efforts les plus persévérants pour s'instruire. Il créa à leur intention des cours bibliques. Il réunissait ces jeunes gens tous les deux mois pendant une semaine chez lui. Au début, il leur apprit à lire et à écrire ; puis il leur fit une instruction religieuse supérieure. Les cours bibliques étaient très goûtés, et le nombre des assistants allait toujours en augmentant. Le but que Dao se proposait était de former de bons moniteurs, qui pourraient dans leurs villages, s'occuper des oeuvres de jeunesse, et des écoles du dimanche, et qui plus tard seraient susceptibles d'être choisis comme prédicateurs laïques et comme pasteurs qualifiés. Entre les cours, Dao prit aussi l'habitude de prendre avec lui deux ou trois de ces jeunes et de faire avec eux des tournées d'évangélisation dans des villages encore entièrement païens. Ils restaient parfois quinze jours en route, parcourant des contrées peu connues, à la limite de la civilisation. Ils apprenaient à se remettre dans les mains de Dieu et s'habituaient à compter sur sa protection, là où tout secours humain leur était interdit ; ils étaient en général bien reçus ; mais leur prédication était trop nouvelle pour les populations primitives auxquelles ils l'adressaient et ne faisait guère devant elles que poser le problème religieux. C'était toutefois une première prise de contact, et Dao ne désespérait pas en revenant à la charge, de créer des églises même dans ces villages encore si fortement attachés au paganisme.

Un soir, il arriva avec quatre autres jeunes gens, dans un village au bord de la mer. Des cocotiers poussaient jusque dans le sable de la plage, et entre leurs troncs des cases s'éparpillaient. C'était un village perdu à l'extrémité d'une presqu'île ; l'administration l'ignorait, et ses habitants étaient bien décidés à ne rien faire qui pût signaler leur présence. Ils vivaient de la pêche, et de la culture du riz. Les nouveaux venus provoquèrent une panique. À peine leur arrivée fut-elle connue que des hommes, en cherchant à se dissimuler, gagnèrent la brousse ; depuis plusieurs années, ils avaient négligé de payer leurs impôts, et étaient dépourvus de la quittance administrative qu'on appelle là-bas « la carte » ; ils prenaient Dao et ses compagnons pour des fonctionnaires chargés de faire rentrer les impôts.
La fuite était leur seule chance d'éviter la prison. Instantanément, tous les enfants nus qui jouaient devant les cases disparurent et les portes se fermèrent. Dao eut beau y frapper et essayer de parlementer, ses discours ne réussirent pas à dissiper la méfiance dont il était l'objet. En désespoir de cause, ses compagnons et lui pénétrèrent dans une case abandonnée et déjà à moitié en ruines, et ils l'aménagèrent sommairement pour y passer la nuit. Le soleil se couchait et la nuit n'allait pas tarder à tomber. Sans le vouloir, ils s'étaient installés à proximité de la rivière où les habitants du village allaient puiser leur eau. Et force fut à ceux-ci de se décider à sortir de leurs cases et d'aller à la source pour y puiser l'eau nécessaire au repas du soir.
Dao et ses camarades virent tout d'abord une vieille femme, la plus vieille du village certainement, qu'on avait forcée à sortir, parce qu'elle courait moins de risques qu'aucune autre, protégée comme elle l'était par son âge. Elle était munie d'un de ces énormes bambous dont les indigènes enlèvent tous les noeuds, sauf le dernier, et qui servent de cruches. La vieille passa devant les nouveaux venus en tournant la tête ; elle ne répondit rien aux salutations qui lui furent prodiguées, et elle se hâta de remplir le bambou ; il lui suffisait de le plonger dans l'eau ; mais quand elle voulut le charger sur une de ses épaules, ses forces la trahirent, et elle ne put le soulever. Dao se précipita pour l'aider : « Nous sommes des Antankaranas comme vous, et vous avez, tort de vous défier de nous, dit-il ; conduis-moi, je porterai la cruche. » La vieille, cette fois, prit confiance. « Merci, ô toi qui respectes les vieillards, et que Dieu te bénisse », répondit-elle à Dao, et elle le conduisit à sa case. Ce fut un jeu pour Dao que d'y porter l'eau ; les habitants du village avaient suivi la scène par les interstices des cloisons, et l'attitude de Dao avait suffi pour provoquer un revirement subit : toutes les portes s'étaient ouvertes, les enfants couraient à nouveau devant les cases et les habitants vaquaient à leurs occupations habituelles. On vint même offrir aux nouveaux venus des poissons qu'ils furent reconnaissants d'acheter, car leurs provisions étaient épuisées et ils avaient faim.

Quand ils eurent achevé leur repas, il faisait nuit, et ils entreprirent la visite méthodique des cases du village. Ils entraient, expliquaient ce qu'ils étaient, et demandaient la permission de faire le culte ; on la leur refusait bien rarement. Ils chantaient alors un cantique, puis Dao lisait et expliquait une parabole ; et un de ses compagnons terminait par la prière. En général on était très frappé par leurs paroles et ou les priait de revenir bientôt.

Quand Dao et ses compagnons eurent terminé leur visite, ils se disposèrent à rejoindre leur abri pour y prendre un repos bien gagné. Mais la vieille femme que Dao avait aidée à la rivière lui dit : « Il y a encore tout près d'ici dans une case isolée deux vieillards étrangers au pays qui sont arrivés il y a quelques mois seulement, et l'homme est malade. Pourquoi n'iriez-vous pas les visiter ? » Malgré sa fatigue, Dao n'hésita pas une seconde. Jamais il ne refusait de se rendre à un appel. Il pria un jeune garçon de les conduire, et quelques instants après, ses compagnons et lui arrivaient à une case délabrée enfouie dans des buissons, dont ils n'auraient pas trouvé l'accès sans guide. La femme était en train de cuire avec précaution deux cruches de terre sous un feu de bois de palmier ; l'homme, un vieillard décharné, était assis sur une natte à proximité du feu ; et malgré la température accablante, il paraissait chercher un peu de chaleur près du foyer. L'homme et la femme étaient bien éclairés par la lumière qui s'en dégageait ; et au fur et à mesure que Dao se rapprochait, il sentait son coeur se serrer d'une émotion inexprimable ; il arriva un moment où il n'y eu plus de place pour aucun doute dans son esprit ; les vieillards vers lesquels il s'avançait étaient ses parents. Ceux-ci ne s'inquiétaient pas de l'arrivée de la petite troupe, elle était encore dans la nuit, et ils pensaient recevoir la visite de quelques-uns des habitants du village. Mais tout d'un coup, sous leurs yeux attentifs, Dao, qui marchait le premier se détacha en pleine lumière. L'homme blêmit ; la femme n'eut qu'un mot : « Dao », puis elle resta figée dans l'angoisse de ce qui allait arriver.

Dao aurait voulu se précipiter vers ses parents, mais un sentiment instinctif l'empêcha de faire les quelques pas qui l'en séparaient. Il resta planté en pleine lumière devant son père. Celui-ci gardait les yeux fixés sur son fils, des yeux pleins de terreur ; son visage perdit presqu'instantanément son expression humaine, et en proie à des convulsions violentes, il se roula avec de grands cris sur le sol. Dao avec sa mère, se précipita à son secours ; les jeunes gens qui le suivaient, d'abord interdits, s'approchèrent aussi ; entre eux tous, ils parvinrent à maîtriser le malade, et ils le portèrent dans la case. Là, la crise parut redoubler d'intensité ; le père de Dao poussait des cris de plus en plus violents ; à la fin ces cris devinrent des mots, débités avec une volubilité extraordinaire ; mais ils étaient parfaitement compréhensibles pour les spectateurs de cette scène : « Je suis Andriamisara (nom d'un roi sakalava mort depuis longtemps ; c'est lui qui parlait par l'intermédiaire du malade), et je suis chez moi dans le corps de cet homme. Il m'appartient ; pourquoi venez-vous m'y tourmenter ? Toi, Dao, tu m'appartenais aussi autrefois, mais tu m'a abandonné pour prier avec les chrétiens ; eh bien, va lire ta bible avec les chrétiens dans leurs maisons de prière, mais laisse-moi dans le corps de cet homme, il est à moi. »

Et le malade répétait indéfiniment ce discours, en s'exaltant de plus en plus. À la fin il parvint au paroxysme de la colère ; il ponctuait ses phrases de grands coups de poing contre le sol, et la case en était ébranlée. « N'es-tu donc revenu, cria tout à coup la mère, que pour le tourmenter davantage ; ah, comme il a eu raison de te maudire ! » Les élèves des cours bibliques étaient terrorisés ; l'un d'eux finit par dire à Dao : « C'est le démon qui blasphème ainsi ; ne lui imposeras-tu pas silence ? » Dao restait immobile, aux côtés de son père, et il était au comble de la détresse. Il aurait donné sa vie pour mettre fin à une scène aussi pénible ; les paroles du démon retentissaient douloureusement dans son coeur. À la fin, poussé par une force irraisonnée, il étendit les mains sur le malade et il s'écria : « Non, tu n'es pas le maître de mon père, pas plus que tu n'es mon maître. Nous sommes tous à Jésus, et au nom de Jésus je t'ordonne de quitter mon père et de le laisser en paix. » Immédiatement il se produisit un change ment dans l'état du malade ; il essayait de lutter, de répéter son discours ; mais il ne proférait plus que des mots incohérents, et des cris inarticulés. Encouragé, Dao reprit de plus belle : « C'est Jésus qui est le Tout-Puissant, au nom de Jésus je t'ordonne de quitter mon père, va-t-en. » À la fin le malade se tut ; il eut encore quelques sanglots, puis il demanda de l'eau ; il était délivré de son démon, rendu à lui-même. Après avoir bu, il regarda autour de lui, avec des yeux hagards ; Dao tremblait qu'il ne fût repris par une crise ; mais cette fois, les pauvres yeux du malade se remplirent de tendresse : « Dao, il n'y a plus de malédiction, comme tu as mis longtemps à revenir »





XII


La mort de Dao


Ainsi le voeu le plus cher de Dao se trouvait comblé : son père était guéri, et il était revenu sur sa malédiction. Dao se sentait le coeur débordant de reconnaissance, et c'est encore avec plus de joie et de flamme qu'il se remit au travail. Il commença par ramener son père à Ampondrakely ; curieux retour, où c'était le père qui faisait figure de fils prodigue ! Quand un matin dans le village, on vit arriver Dao et ses parents, le père portant la bible de son fils, et la mère son livre de cantiques, ce fut une joie générale ; la famille, un temps menacée, se trouvait reconstituée ; les nouveaux arrivants furent aussitôt entourés par les frères et soeurs de Dao, et leurs enfants, et on ne vit jamais cortège plus bruyant que le leur. On commentait avec passion les événements. Les vieux parents pénétrèrent avec une émotion non dissimulée dans leur case si longtemps abandonnée. Et Dao ne put reprendre le chemin d'Antanilava qu'après avoir fait un culte d'actions de grâce dans le temple d'Ampondrakely, auquel il eut la joie de voir toute sa famille en même temps que presque tous les habitants du village s'associer.

À quelque temps de là, Dao dut se rendre à Ampandrana, un gros village sur le flanc est de la montagne d'Ambre, pour assister au synode annuel des églises se rattachant au district missionnaire de Diego-Suarez. Comme il se sentait fatigué par l'effort considérable qu'il avait fourni dans ses églises, il se laissa tenter par l'invitation de son collègue de la région, et il y prit un mois de vacances.
Il passait son temps à se promener. Son collègue lui prêta un vieux fusil, et il eut quelquefois la satisfaction de ramener des pintades. Avec des coqs de bruyère, des sarcelles, et de rares sangliers, c'était tout le gibier qui peuplait les forêts du pays.

Un matin, Dao suivait un sentier au hasard dans un bois profond, quand il fut tout surpris d'arriver au bord d'un précipice, à moitié dissimulé par des arbres. Très bas, de l'eau miroitait entre les branches. Dao chercha un point de vue, mais n'en trouvant pas tellement la forêt était épaisse, il se décida à grimper sur un arbre, et du sommet il eut l'étonnement de découvrir un lac circulaire entouré sur sa circonférence tout entière par une falaise à pic et boisée ; on apercevait cependant très loin à l'endroit où les eaux du lac s'échappaient, une mince bande de sable. Des espèces de troncs d'arbre paraissaient flotter sur les eaux endormies ; mais ils étaient en proie à des mouvements inexplicables, et Dao, qui d'ailleurs était averti, n'eut pas de peine à y reconnaître des têtes de caïman.. Le site était si extraordinaire que Dao prit l'habitude d'y revenir presque chaque jour, et il rêvassait de longues heures en surveillant les évolutions des caïmans. Son collègue lui confia que ces affreuses bêtes étaient considérées comme sacrées, dans la région, et qu'elles passaient pour être les ancêtres des habitants du pays. Dao ne fit que rire de cette histoire.

Un jour, du sommet de son arbre, il assista à une scène étrange. Avec ses yeux perçants d'Antankarana, il vit qu'une animation extraordinaire régnait sur la plage située à l'extrémité du lac. Il y avait là un grand nombre de personnes ; elles étaient accroupies sur le sol assez loin toutefois de la rive du lac ; Dao voyait distinctement que ces gens frappaient des mains en cadence et parfois les bribes des mélopées qu'ils psalmodiaient parvenaient jusqu'à lui. Dao se demandait s'il allait assister à une scène de tromba ; quand un redoublement d'intensité dans les gesticulations et les cris attira son attention ; à sa stupéfaction, il vit d'énormes caïmans sortir de l'eau et s'emparer d'amas de viandes avariées qu'on avait déposés pour eux sur le bord, et que la distance l'avait empêché de remarquer. Un sorcier sortit du groupe et s'approcha des caïmans, restant toutefois à distance respectueuse, et il leur adressa un long discours, que ceux-ci n'eurent pas l'air de goûter, car il était loin d'être terminé que tous les caïmans s'étaient retirés dans les eaux. Dao était en même temps stupéfait et indigné, et sans prendre le temps de la réflexion, il épaula et tira plusieurs coups sur les têtes qui émergeaient çà et là. Mais les indigènes répondirent par des menaces et par des cris à son initiative. Tout ce bruit rendit Dao au sentiment de la réalité. Il comprit qu'il venait de se laisser aller à un geste inconsidéré, et il revint en hâte au village.

Le missionnaire s'y trouvait encore, et Dao lui raconta la scène à laquelle il venait d'assister. Il n'omit aucun détail, mais le missionnaire devint extrêmement soucieux quand Dao parla des coups de fusil : « Dieu veuille, lui dit-il, que personne ne sache jamais que c'est toi qui as tiré. »

Ses vacances terminées, Dao retourna à Antanilava et reprit avec joie son ministère. Il commençait à recueillir les résultats de ses efforts et il faisait des projets d'avenir. Il pensait sérieusement à se marier, et il attendait que Dieu lui indiquât clairement celle dont il ferait la compagne de sa vie. Mais il ne met fait aucune hâte à presser l'accomplissement de ses projets. Les enfants qu'il avait pris en pension l'avaient quitté pour entrer à l'internat de la mission à Diego-Suarez, et il se trouvait momentanément seul dans sa case. La solitude ne lui pesait pas ; il en profitait pour travailler davantage.

Il rentrait un soir fort tard de ses visites habituelles, quand il trouva un homme couché devant sa porte. À l'arrivée de Dao, l'homme fit quelques mouvements, puis parut défaillir. Dao, très alarmé, le porta dans la case, et il essaya de le ranimer.



Aux confins du pays Antankarana : Nosy Be

C'était un homme encore jeune, mais qui paraissait être arrivé au dernier degré de la misère. Dao lui prépara vite une boisson chaude et il lui fit manger un peu du riz qui lui restait depuis son dernier repas. L'homme reprit quelques forces, remercia, puis s'endormit. Dao se coucha dans la pièce du fond, en laissant la porte ouverte, pour être réveillé au premier bruit. Mais le lendemain, quand il se leva, son hôte avait disparu. Fort étonné, Dao demanda des renseignements à ses voisins ; mais personne n'avait vu le vagabond. Dao finit par penser qu'il avait donné, l'hospitalité à un homme recherché par la police, qui s'était enfui avant l'aube pour éviter les questions indiscrètes, et il ne pensa plus à cette singulière histoire.

Cependant à partir de ce moment-là, il commença à ne plus bien se porter. Au début il crut être atteint de dysenterie, et il alla chercher des médicaments à l'hôpital d'Ambilobe. Il fut soulagé, sans cependant être guéri. Mais de retour chez lui, son état ne fit que s'aggraver de jour en jour. Il en arriva à ne plus supporter la moindre nourriture. Il ne prenait plus guère que de l'eau qu'il mettait dans une cruche en terre poreuse pour la faire rafraîchir. Son état de faiblesse devint tel que des fidèles durent le veiller nuit et jour, et l'un d'eux prit sur lui d'envoyer un télégramme au missionnaire. Quand le lendemain, celui-ci arriva avec un médecin, Dao était à l'agonie. Le docteur se multiplia auprès du malade. Mais sa faiblesse n'autorisait plus aucun espoir. Il mourut dans une paix parfaite, et son dernier mot à peine perceptible fut : « Jésus. » Sur son visage il y avait même plus que de la paix ; c'était de la joie, et une joie si profonde, une joie puisée de si près à la seule source de la joie, que tous ceux qui l'assistaient dans ses derniers moments, les fidèles, le docteur, le missionnaire, malgré leur profonde tristesse, l'éprouvèrent dans leur coeur. Il leur laissa sa joie comme héritage.

Après l'ensevelissement, le missionnaire, dans l'humble case de Dao, se demandait les causes d'une maladie aussi subite. Tout d'un coup ses yeux tombèrent sur la cruche de terre. « Ou je me trompe fort, ou voici la clef du mystère », pensa-t-il. Il prit la cruche et la brisa sur la table. Quand l'eau se fut écoulée, il resta une poignée de grains de riz plus ou moins germés. Le missionnaire tomba sur une chaise, et se prit la tête entre les mains. Il lui semblait perdre Dao une deuxième fois. Un inconnu avait donc jeté ces grains dans la cruche, sachant bien que l'eau dans laquelle le riz germe est un poison lent, mais sûr, un inconnu avait tué Dao, Dao, le premier évangéliste antankarana, Dao, le meilleur des évangélistes !

Le missionnaire fit une enquête ; on lui signala le passage étrange dans la case de Dao du vagabond à demi-mort. Était-ce lui le coupable ? Où le trouver ? Et cette horrible et perfide vengeance avait-elle quelque liaison avec les coups de fusil tirés un jour sur des caïmans ? Le mystère ne fut jamais éclairci. Et longtemps les églises portèrent le deuil de cet enfant du pays auquel Dieu avait réservé une destinée aussi étrange.

R. BECKER.

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